B. LA MODERNISATION INACHEVÉE DE L'ÉCONOMIE MAROCAINE

L'économie marocaine se caractérise encore par le poids du secteur agricole qui emploie 35 % de la population active et représente 18 % du PNB. La production agricole repose sur un double système : d'une part, des exploitations traditionnelles spécialisées dans les productions vivrières (principalement le blé et l'orge -respectivement 31 % et 26 % des surfaces cultivées), d'autre part, de vastes plantations d'agrumes tournées vers l'exportation. Par ailleurs, la pêche constitue une ressource précieuse pour l'économie marocaine : en 1994 les prises atteignaient 750 000 tonnes (soit 27 kg par habitant contre 14 kg en France) ; ces chiffres permettent sans doute de mieux comprendre les enjeux et la portée du contentieux -aujourd'hui réglé- entre le Maroc et l'Union européenne.

Si le Maroc dispose d'importantes ressources minières -notamment des gisements de phosphate dont il est le troisième producteur mondial, et le premier exportateur- le poids de l'industrie n'apparaît pas suffisamment déterminant (20 % de la population active, 26 % du PNB) pour dégager le pays d'une dépendance excessive à l'égard des campagnes agricoles.

L'activité industrielle se concentre surtout sur l'agro-alimentaire (32 % de la valeur ajoutée industrielle) et le textile (23 % de la valeur ajoutée industrielle). Enfin les services contribuent pour près de la moitié au PNB ; l'administration et le tourisme figurent au premier rang d'un secteur qui occupe 40 % de la population active.

L'économie marocaine recueille aujourd'hui les fruits d'un programme d'ajustement structurel mis en place pendant une dizaine d'années, même si d'importants facteurs de fragilité n'ont pu encore être surmontés.

1. Des progrès remarquables

L'amélioration de la situation économique observée en 1996 n'est pas seulement le résultat de circonstances conjoncturelles, elle repose aussi sur un effet d'assainissement économique entrepris au cours de la précédente décennie.

A la suite de la crise financière de 1981-1982, le Maroc a pu obtenir un rééchelonnement de sa dette extérieure. L'accord des bailleurs de fonds était toutefois subordonné à la mise en oeuvre d'un programme d'ajustement structurel sous les auspices du Fonds monétaire international : le Maroc s'engageait à réduire ses déficits et à procéder à d'importantes réformes de structures

a) Le retour de la croissance

Alors que le Maroc avait connu en 1995 une baisse exceptionnelle de son PIB de 7,6 % à la suite d'une sécheresse très grave, il connaîtra sans doute une croissance supérieure à 10 % en 1996.

Le taux d'inflation en moyenne annuelle dépassait 8 % dans les années 80, il a été réduit à 5 % par an depuis 1990 et à 3 % en 1996. Le déficit budgétaire , de l'ordre de 12 % en 1983, pourra être contenu à 3 % en 1996.

La baisse du déficit de la balance commerciale (- 8 % en 1996) permettra d'améliorer le taux de couverture des importations par les exportations, soit 68,4 % contre 66 % en 1995. Parallèlement, les investissements étrangers, d'après des sources marocaines, ont progressé de 64 % par rapport à 1995 -et de 25 % par rapport à 1994- pour représenter un montant de 750 millions de dollars.

Le mouvement de réduction de la dette extérieure se poursuit et représente 60 % du PIB contre 69 % en 1995.

L'assainissement économique consacre la réussite d'un véritable effort de réforme économique dont l'objectif, au delà de la nécessaire maîtrise des dépenses publiques, vise à la modernisation en profondeur des structures économiques marocaines.

b) La mutation des structures économiques

La modernisation économique repose sur quatre orientations majeures : la maîtrise de la dépense publique, la libéralisation, la privatisation, le développement des infrastructures.

· La réduction du déficit

Afin de réduire les déficits, le gouvernement a agi à la fois sur les recettes et sur les dépenses. D'une part, il a élargi la base imposable tout en améliorant les ressources fiscales. D'autre part, il a cherché à limiter les dépenses de fonctionnement en réduisant notamment les créations d'emploi dans la fonction publique, passées de 60 000 à 10 000 par an.

· La libéralisation

La libéralisation s'est déclinée sous trois formes :

- réduction des droits de douane liée à l'adhésion du Maroc au GATT ;

- réduction progressive du contrôle des changes et convertibilité du dirham pour les opérations courantes depuis 1993 ;

- remise en cause de l'encadrement des crédits au profit d'un contrôle indirect fondé sur l'utilisation de la réserve monétaire et des taux de refinancement de la Banque centrale ; la loi bancaire de 1993 cherche par ailleurs à décloisonner le secteur bancaire et à unifier le cadre juridique afin de renforcer la protection des épargnants et des emprunteurs ;

- la réforme des marchés de capitaux : gestion du marché confiée à une société privée, la bourse de valeurs de Casablanca, institution d'un organisme de surveillance comparable à la Commission des opérations de bourse (COB) française, mise en place d'un cadre juridique nécessaire à la création des organismes de gestion collective de portefeuilles de valeurs mobilières. La bourse de Casablanca apparaît aujourd'hui à son plus haut niveau depuis le 1er janvier 1996 avec un gain de plus de 40 %. Les investisseurs étrangers reviennent sur ce marché tandis que la création d'un " indice investissable Maroc " [1] par la Société financière internationale consacrait les efforts entrepris depuis 1993 pour réformer le marché financier.

· La privatisation

A la suite de la loi sur la privatisation adoptée en 1989, les premières opérations de cession ont commencé en 1993. Sur un programme initial de 114 ensembles concernés, 41 sociétés et hôtels ont été, à ce jour, vendus au public. Le produit des cessions s'élève à 5,3 milliards de francs provenant à hauteur de 35 % d'investissements étrangers.

· L'effort consacré aux infrastructures

Le Maroc s'est singularisé de longue date par le souci accordé à la modernisation du secteur agricole et au développement des zones rurales tandis que l'Algérie, par exemple, optait pour une industrialisation lourde. Les campagnes ont en effet vocation, pour la monarchie chérifienne, à jouer un rôle stabilisateur tant d'un point de vue social que politique.

Le programme d'irrigation agricole entrepris depuis les années 60 répond à cette préoccupation. Aujourd'hui l'irrigation concerne plus de 10 % des terres arables, soit 800 000 hectares -que les autorités souhaiteraient porter à un million d'hectares en l'an 2000-. Les nouveaux barrages devraient permettre de porter les réserves d'eau de retenue à 14 milliards de mètres cubes.

Mais la priorité dévolue aux infrastructures se traduit aussi par la réalisation d'autres projets : construction d'une autoroute entre Rabat et Larache, réalisation d'un train navette rapide (l'Aouita) et le doublement de la voie Salé-Kénitra, réaménagement des aéroports de Ouarzazate et Rabat-Salé ...

Le Maroc s'est ainsi engagé résolument sur la voie de la modernisation économique ; sans doute lui faut-il encore surmonter d'importants handicaps. Du moins a-t-il pris la mesure des difficultés et de l'effort nécessaire à entreprendre.

2. Une économie encore vulnérable

a) Des facteurs de fragilité

L'économie marocaine connaît trois maux endémiques : la fragilité du secteur secondaire, les incertitudes du cadre juridique et plus encore de l' application de la règle de droit, le poids de la dette.

L'industrie marocaine souffre d'une compétitivité insuffisante liée à un faisceau de facteurs :

-l'étroitesse du marché intérieur (27 millions d'habitants dont le revenu annuel moyen ne dépasse pas 1 300 dollars) ;

- les faiblesses persistantes des infrastructures publiques (transports, électrification, disponibilité des terrains industriels) ;

- les distorsions de nature fiscale - l'agriculture échappe à tous les impôts tandis que le commerce de détail reste exonéré de TVA.

Cette absence de compétitivité se traduit par un déficit commercial récurrent. Les ventes de produits manufacturés ne représentent que 30 % des exportations totales (contre 76 % pour la Tunisie par exemple) ; elles se concentrent par ailleurs à hauteur de 75 % sur les produits textiles -destinés à 80 % au marché européen. Cette faible diversification constitue à coup sûr un facteur de vulnérabilité.

Seconde source de fragilité, les incertitudes du cadre juridique apparaissent préjudiciables au développement économique. Certes, le Maroc a ouvert de vastes chantiers -refonte du droit foncier ou de l'urbanisme ...-mais ne les a pas encore conduits à leur terme. Surtout le mode de fonctionnement de la justice ne garantit pas aujourd'hui la sécurité juridique, indispensable pour les chefs d'entreprise ou les particuliers.

Enfin, le service de la dette , même s'il a singulièrement baissé au cours des dernières années, continue de ponctionner plus du tiers des ressources publiques chaque année.

b) La nécessaire poursuite des réformes

Si les faiblesses de l'économie marocaine ne permettent pas de fonder sur des bases encore durables la croissance retrouvée, elles restent au coeur des préoccupations du pouvoir marocain. Les autorités ont pris en effet la mesure des difficultés et souhaitent imprimer un nouvel élan aux réformes en cours.

En premier lieu, la politique de libéralisation doit se poursuivre et permettre notamment de stabiliser les taux d'intérêt afin de faciliter le recours des entreprises privées au crédit . La suppression attendue du plancher d'effets publics obligatoirement détenus par les banques pourrait constituer un facteur de détente des taux d'intérêt et relancer les crédits bancaires à moyen et long termes.

Ensuite, après l'adoption d'une nouvelle loi sur la société anonyme en octobre 1996, d'un nouveau code du commerce et d'une loi sur la SARL (janvier 1997), le Maroc s'emploie à achever la mise en place des tribunaux de commerce. Même si, dans ce domaine, les pratiques évoluent lentement, les bases d'un cadre juridique plus stable et efficace ont été jetées.

Par ailleurs, la conversion partielle en investissement de la dette marocaine -dont le principe a été posé avec la France avant l'Espagne et sans doute bientôt l'Italie- présente le double avantage d'alléger la dette et de développer les investissements étrangers pour financer les projets industriels et surtout les infrastructures.

Du reste, les concessions privées pour le financement des infrastructures se développeront nécessairement pour satisfaire des besoins croissants. D'après une étude de la Banque mondiale, une croissance de 6 à 7 % appelle un investissement annuel dans les infrastructures de l'ordre de 20 milliards de dirhams alors que l'investissement public ne dépasse pas 13 milliards de dirhams. En outre, le secteur privé paraît également appelé à s'impliquer davantage dans la rénovation et la promotion du secteur du tourisme qui emploie près d'un million de personnes et constitue l'une des principales sources de devises du pays. Or, si les recettes touristiques ont progressé de 16 % par rapport à 1995, cette progression se limite à 1,5 % par rapport à 1994.

Enfin, les pouvoirs publics ont su établir une relation de partenariat et de négociation avec les syndicats et le patronat depuis la conclusion de l' accord social du 1er août 1996.

La réussite des réformes économiques constitue un enjeu décisif pour le Maroc. Elle décidera en effet en partie de la faculté de ce pays à relever le défi du libre échange économique lié à la signature de l'accord d'association avec l'Europe.

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