3. La fiabilité douteuse du mécanisme de compensation

En l'absence d'une compensation, le passage de la taxation des échanges intracommunautaires d'un système d'origine à un système de destination se traduirait par d'importantes modifications des recettes de TVA des États membres. En effet, la TVA serait collectée non plus sur les biens importés, mais sur les biens exportés. Ce phénomène est indépendant de l'effort de rapprochement des taux qui peut être consenti par ailleurs.

Dans l'étude précitée, le CEPII s'est attaché à évaluer ces modifications des recettes de TVA en multipliant le solde commercial intracommunautaire de chaque État membre par son taux de TVA. Les chiffres disponibles sont ceux de 1995, dans une configuration de la Communauté européenne à douze. Deux hypothèses ont été retenues : dans un cas, les taux de TVA sont harmonisés à la moyenne communautaire, soit 18,6 % pour le taux normal et 6,8 % pour le taux réduit ; dans l'autre cas, les taux de TVA appliqués sont à leurs niveaux respectifs de 1996. Les résultats de cette simulation, purement macro-économique, sont retracés dans le tableau ci-après.

Très logiquement, les résultats obtenus dépendent fortement du solde de la balance des échanges intracommunautaires. Les pays qui subissent une perte de recettes seraient ceux qui ont des déficits importants : Espagne, Grèce, France, Portugal et Royaume-Uni. Les bénéficiaires du principe de taxation à l'origine seraient les Pays Bas, l'Allemagne, la Belgique, le Luxembourg, l'Irlande, l'Italie et le Danemark.

Les différences des taux de TVA ont un effet amplificateur : les pays qui appliquent des taux supérieurs au taux de TVA moyen de la Communauté auraient des gains plus importants en cas d'excédents commerciaux ou, inversement, des pertes de recettes plus importantes en cas de déficits. Mais cette simulation est faite toutes choses égales par ailleurs, sans tenir compte des changements des flux commerciaux qui pourraient résulter des différences de taux.

Le mécanisme de compensation proposé par la Commission européenne est donc indispensable afin de préserver les ressources fiscales des États membres et de conserver un caractère national à l'attribution du produit d'un impôt dont le fonctionnement serait devenu purement communautaire.

Toutefois, la Commission européenne estime qu'une réattribution des recettes entre les États membres ne devra en aucun cas être fondée sur des données provenant des déclarations fiscales des assujettis. En effet, une telle solution réintroduirait le suivi physique des biens et nécessiterait de rétablir à des fins de réattribution la distinction entre opérations domestiques et opérations intracommunautaires qui aurait été supprimée au stade de l'imposition.

C'est pourquoi la Commission européenne a proposé de déterminer les recettes revenant à chaque État membre en fonction de la base statistique de la consommation finale taxée sur son territoire.

En pratique, cette réattribution sur une base macro-économique des recettes de TVA serait mise en oeuvre en utilisant les modalités de comptabilisation de la ressource propre TVA, une régularisation a posteriori des montants répartis sur une première estimation intervenant avec un décalage de deux ans.

Toutefois, ce mécanisme de compensation n'apparaît pas suffisamment fiable. Tout d'abord, la détermination de l'assiette de la consommation taxable nécessite de retraiter les données de la comptabilité nationale afin d'en exclure les consommations finales non soumises à la TVA. Ces modalités de calcul conventionnelles pourront toujours être contestées, tandis que les données de base elles-mêmes apparaissent sujettes à caution, tant les différentes comptabilités nationales prennent en compte inégalement l'économie souterraine.

Par ailleurs, au-delà de la question de la qualité statistique des indicateurs, le système de compensation envisagé risque d'avoir pour effet d'inciter les États membres commercialement excédentaires vis-à-vis du reste de la Communauté à relâcher leur vigilance fiscale. En effet, leurs administrations n'auraient plus directement intérêt à veiller à la bonne perception de recettes qui seraient attribuées à d'autres États membres.

Ainsi, compte tenu des montants en jeu, qui pourraient porter sur plus d'un point de PIB pour les pays les plus ouverts aux échanges, cette double incertitude rend inacceptable le mécanisme de compensation proposé par la Commission européenne.

En résumé, le projet de régime commun de TVA présenté par la Commission est, dans son principe, parfaitement en ligne avec l'objet de la Communauté européenne et particulièrement adapté au fonctionnement du marché unique. Il pourrait convenir à un État fédéral mais, en l'état actuel de la construction européenne, il aurait pour chacun des États membres des conséquences insoutenables.

Son entrée en vigueur aujourd'hui entraînerait à la fois des délocalisations d'activités, des pertes de recettes fiscales et une réduction des marges de manoeuvres budgétaires des États membres.

Ainsi, une mise en oeuvre prématurée du régime définitif apparaît de nature à compromettre sérieusement le succès de l'Union économique et monétaire. Or, toute précipitation ou tout défaut de rigueur se retournerait contre la construction européenne en alimentant les critiques de ses détracteurs.

La cohérence du système proposé par la Commission européenne est telle qu'il n'est pas concevable de renoncer à un seul de ses éléments sans devoir renoncer à l'ensemble. C'est pourquoi la présente proposition de résolution demande au Gouvernement de ne pas retenir les propositions de la Commission tant que les conditions pour le passage au régime définitif ne seront pas réunies.

Du reste, au cours de ses entretiens, votre rapporteur a pu constater que cette attitude pragmatique, seule à même de progresser vers une Europe solide, était de plus en plus largement partagée à Bruxelles. Ainsi, le commissaire européen chargé de la fiscalité, M. Mario Monti, semble également considérer que le passage au régime définitif ne peut être aujourd'hui engagé sans risques et que, dès lors, le délai ouvert est suffisamment long pour qu'on ne puisse plus refuser de le consacrer à améliorer le régime transitoire.

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