2. La gestion des collections

La mission première de la RMN est de jouer le rôle de caisse commune pour l'enrichissement des collections des musées nationaux. Il ressort de l'analyse de la Cour des comptes que la mutualisation ne joue pleinement qu'entre les trois grands musées, qui sont le Louvre, Orsay et Versailles. Il apparaît que les acquisitions d'oeuvres d'art opérées entre 1985 et 1994 - soit à peu près 1 milliard de francs sur l'ensemble de la période - ont été à peu près équivalentes aux recettes des musées : la proportion est d'ailleurs plus forte pour les trois grands musées que pour les trente autres de moindre importance. C'est ce qui fait dire à la Cour que la péréquation n'a pas joué en faveur des petits musées mais à l'intérieur de chaque catégorie .

La Cour des comptes s'est aussi préoccupée de ce qu'elle appelle " l'intégrité " des collections. Elle constate que des pratiques diverses se sont instaurées en matières d'inventaires, privilégiant la dimension scientifique de l'opération sur son importance dans la gestion patrimoniale

" Les vérifications exercées par la Cour, si elles ne mettent pas en cause la probité et le dévouement des responsables, ont fait apparaître de graves insuffisances qui compromettent l'efficacité de la gestion administrative des biens dont ils ont la charge et appellent de mesures de redressement ". Elle regrette l'absence de procédure claires pour l'inventoriage des objets et met en lumière un certain nombre de lacunes dans la mise sur inventaires.

a) Les lacunes des inventaires

La Cour souligne de graves lacunes notamment pour les collections importantes léguées dans des conditions inhabituelles, telles les legs Chauchard ou Campana. Sauf pour certaines collections, peu nombreuses, les récolements ne sont jamais systématiques et exhaustifs, aucune trace authentique des opérations n'est conservée. L'enquête fait apparaître de nombreuses inexactitudes dans la localisation des oeuvres. Elle estime que si cette situation résulte pour une bonne part de l'histoire des collections les erreurs les négligences de leurs prédécesseurs n'exonèrent pas totalement les conservateurs actuels de leur pérennisation. La Cour note que des efforts ont été entrepris récemment avec la nomination de conservateurs spécialisés à Versailles, notamment, ou avec le démarrage de campagne de récolement comme au FNAC ; mais elle remarque, en ce qui concerne de dernier organisme, que, sur 60 000 objets 20 000, ont été localisés.

b) Le cas particulier des dépôts

La Cour s'est aussi intéressée aux dépôts. Il s'agit d'opérations consistant à sortir provisoirement des oeuvres des collections auxquelles elles appartiennent, pour confier à un autre établissement le soin de les présenter au public et d'en assurer la conservation : tous organismes confondus, arts classiques et modernes, cela représente environ 100 000 oeuvres déposées.

Un décret du 3 mars 1981, tirant les conséquences d'un certain flou dans les conditions d'attribution des dépôts, avait redéfini les procédures. La réforme avait un double objectif, assurer la sécurité et l'intégrité du patrimoine de l'État, et garantir une plus large diffusion des oeuvres. Elle fixait notamment deux principes : la limitation dans le temps de la durée des dépôts, la mise en place des oeuvres dans des lieux accessibles au public. Des mesures transitoires prévoyaient, cependant, que les dépôts consentis à des collectivités publiques antérieurement à 1981 pourraient être maintenus, même s'ils ne répondaient pas aux nouvelles normes, à condition d'être exposés au public.

Les magistrats de la Cour notent également que le ministère de la culture n'a pas profité de cette occasion pour assurer une cohérence d'ensemble dans les pratiques des administrations : tandis que le décret de 1981 n'était rendu applicable au Musée National d'art moderne qu'en 1992 - aucune réglementation n'avait à cette époque, précise la Cour, été édictée en ce qui concerne le Fonds national d'art contemporain - , le Mobilier National devait faire face à une augmentation de la liste des bénéficiaires, dont le nombre est passé de 452 en 1984 à 534 en 1994 pour plus de mille lieux de dépôts. En outre, si un décret du 23 février 1980 avait posé le principe que les meubles antérieurs à 1800 ne peuvent faire l'objet d'un dépôt 1256 répondant à ce critère sont encore actuellement encore en dépôt, 210 d'entre eux ayant été déposés depuis 1980.

D'une part, la Cour évoque une série " d'errements " dans les formes - absence d'aval du ministre - ou dans les conditions des dépôts - affectation à des logements de fonction - ; d'autre part, elle parle de " grande négligence " dans le suivi par les dépositaires mais aussi de " défaillances de gestion " pour les déposants : faute que soit tenus dans les formes normalisées des registres de dépôts récapitulatifs, faute de campagnes de récolement périodiques, faute de vérifications sur place par des conservateurs, la surveillance de dépôts ne peut être assurée de façon efficace.

En définitive, la Cour des comptes constate que, sur environ 5000 dépôts contrôlés, un nombre important d'oeuvres a échappé à la vigilance de l'administration. Sur les quelque 900 " oeuvres non localisées " fin 1995, à peine une vingtaine était retrouvée un an plus tard.

(millions de francs)

Musée

Déposant

Inscriptions

Contrôlées

Oeuvres

Contrôlées

Oeuvres
déclarées détruites

Oeuvres
déclarées volées

Oeuvres
Non localisées

Total des Oeuvres non présentées

Louvre

1682

1736

28

4

315

347

Orsay

186

186

2

1

23

26

Sèvres

108

1196

4

36

218

258

Cluny

47

281

0

0

249

249

Arts africains et océaniens

217

609

0

0

30

217

Arts et traditions populaires


84


155


0


0


0


0

Compiègne

71

235

0

0

4

4

Picasso

20

233

0

1

0

1

Divers

59

63

0

0

25

25

Non connu

231

231

2

2

28

33

Total

2705

4925

37

44

893

974

c) Les réponses de l'administration

Pour le ministère de la culture, les dépôts récents n'ayant pu être localisés par la Cour sont extrêmement rares.

En effet, parmi les oeuvres qui n'ont pu être récolées, aucune ne correspond à un dépôt postérieur à 1981 et 38 seulement s'appliquent à des dépôts postérieurs à 1945, 351 concernent les dépôts de l'entre deux guerres, le reste est antérieur à 1910, date du premier texte réglementant les dépôts. Avant cette date, il n'était pas obligatoire d'établir un arrêté de dépôt pour les oeuvres figurant sur les inventaires des musées nationaux ; pour ces oeuvres non localisées, la date de disparition ne peut être présumée comme récente.

Ces oeuvres relèvent pour le ministère de quatre catégories : les oeuvres qui ont été recollées depuis l'enquête de la Cour ; les oeuvres dont la disparition s'explique par des catastrophes historiques ( fait de guerre sinistres..), les oeuvres difficilement identifiables du fait du caractère lacunaire de la documentation établie au moment de leur entrée dans les collections ; les objets qui sont en réalité des copies ou des moulages.

*

* *

En dépit des dates déjà quelque peu éloignées des données que comporte le rapport, il a paru important à votre rapporteur de rendre compte de l'enquête de la Cour des Comptes.

Il n'était pas possible d'évoquer tous les sujets abordés dans le rapport. Il a été mis l'accent, d'une part, sur le problème des disparitions dans la mesure où il s'agit d'un sujet ayant retenu l'attention de la presse et dont il convient sans doute de nuancer l'importance. D'autre part, il a semblé également utile d'attirer l'attention sur des considérations de structure, certes moins " médiatiques ", compte tenu de la perspective de réformes législatives toujours en chantier, et de la crise financière que traverse actuellement la Réunion de musées nationaux.

Au sujet des oeuvres, pudiquement qualifiées de " non localisées ", deux points doivent être soulignés :

La Cour a sans doute raison sur le plan des principes : pendant de longues années, les musées ont paré au plus pressé avec les faibles moyens en personnel et en matériel dont ils disposaient ; ils ont négligé les inventaires à caractère purement patrimonial pour privilégier l'étude scientifique des oeuvres dont ils avaient la charge. De son côté, la tutelle n'a pas exercé son rôle de surveillance et de coordination : pas de procédure normalisée de contrôle, pas non plus d'application stricte des textes à certains égards suffisamment rigoureux ;

Mais, l'approche quantitative, la seule possible pour la Cour, ne donne pas une vision exacte des carences constatées. Qu'on le veuille ou non il est une hiérarchie des oeuvres et il ne faut pas traiter des oeuvres d'atelier, des moulages, des objets décoratifs sur le même plan que des oeuvres majeures. De ce point de vue, la liste fournies par la Cour et que l'on n'a pas pu pour des raisons matérielles joindre à ce rapport, devrait être examinée d'un point de vue qualitatif : quelles sont les oeuvres importantes qui ont disparu ? Voilà la vraie question à laquelle seuls des historiens d'art peuvent répondre et avec tout l'effet relatif de la chose jugée à un moment donné de l'histoire de l'art. Il est pour le moins excessif de croire que les collections publiques ne comportent que des chefs-d oeuvre. Et, à cet égard, il faut proportionner les efforts administratifs à l'importance de l'enjeu artistique.

De même, il faudrait plus que cela n'a été fait par la Cour, tenir compte des circonstances historiques et considérer que, seules les disparitions d'oeuvres vues avec certitude après 1945, constituent une faute administrative pour lesquelles des responsabilités peuvent être établies.

En tout état de cause, il est évident que la publication de cette liste joue un rôle utile permettant de clarifier certaines situations confuses ou même de retrouver des oeuvres " non localisées " . 8( * )

Le rapport de la Cour a eu un rôle très positif. Il a obligé l'administration à réagir à un moment où l'informatique donne des moyens sans précédent pour réaliser, à moindre frais et rapidement, des inventaires informatisés, à condition sans doute de distinguer l'inventaire scientifique de celui destiné à suivre le mouvement des oeuvres. Des conservateurs spécialisés ont été nommés spécialement pour cette tâche.

Les modalités de l'action administratives ont également été réformées de façon énergique. Une circulaire a été adressée le 24 juin 1996 pour rappeler à l `ensemble du Gouvernement les règles de gestion et améliorer le contrôle du patrimoine mobilier :

1. seuls, le Fonds national d'art contemporain le Mobilier National ont vocation à effectuer des dépôts ;

2. les dépôts ne peuvent porter que sur des oeuvres postérieures à 1800 et doivent être placées dans des lieux définis par le décret du 23 février 1980 ;

3. des conventions sont passées avec les organismes dépositaires qui désignent des correspondants responsables des dépôts

Enfin, le décret du 20 août 1996 institue une commission de récolement chargée de définir une méthodologie générale, d'organiser le récolement et d'en suivre le déroulement 9( * ) .

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