PRÉSENTATION DES TRAVAUX

par M. Jacques LARCHÉ, Président de la commission des Lois
et M. Charles JOLIBOIS, rapporteur

M. Jacques LARCHÉ, Président .- Mesdames et Messieurs, la commission des Lois a jugé nécessaire, après en avoir délibéré, de consacrer une journée d'auditions publiques à l'étude de ce problème qui a trait de manière générale à la protection de l'enfance. Pour nous, ce n'est pas une routine mais, au contraire, la manière que nous avons de souligner l'importance que nous attachons à ce projet.

C'est cette importance qui nous a conduits à demander à un certain nombre de personnalités éminentes, toutes spécialistes des questions que nous avons à étudier, de nous apporter leurs points de vue, de telle manière que l'on puisse les transformer en une loi utile à la société. Par les informations qu'elles nous donneront, elles nous permettront (puisque, encore une fois, c'est notre souci) de légiférer avec le maximum d'efficacité et, peut-être, dans ce domaine aussi, le maximum de prudence.

En effet, c'est un sujet qui est extraordinairement délicat. Autant la loi est nécessaire, autant il est aussi nécessaire de ne pas outrepasser un certain nombre de limites qui doivent être maintenues, pour éviter que se répande une sorte de psychose sur ces problèmes, dont nous avons quelquefois certaines manifestations et des conséquences pénibles.

Je vais donner la parole à notre ami Charles Jolibois, qui pourra peut-être nous donner l'orientation générale. En effet, le travail que nous accomplissons aujourd'hui n'est pas le seul : en sa qualité de rapporteur, Charles Jolibois a procédé à de nombreuses auditions, et vous en avez d'ailleurs le compte-rendu dans votre dossier. Vous savez que c'est une habitude que nous avons prise maintenant et qui permet à chacun d'entre nous d'apprécier le résultat des entretiens que le rapporteur mène en notre nom. Il va donc nous dire un mot de cette orientation générale avant que nous ne donnions la parole à Mme Cartier, qui est professeur de droit pénal et qui est l'auteur du rapport sur le suivi post-pénal.

Nous avons aussi parmi nous notre collègue et ami, M. Bimbenet, qui doit intervenir pour avis au nom de la commission des Affaires sociales. Nous lui souhaitons bien sûr la bienvenue.

M. Charles JOLIBOIS, Rapporteur .- Monsieur le Président, mes chers collègues, Mesdames et Messieurs, effectivement, j'ai déjà procédé à quelques auditions en ma qualité de rapporteur. Selon l'usage auquel la commission est attachée, de même que moi-même, à titre personnel, je vous ai fait distribuer un compte-rendu de ces auditions. Vous verrez que j'ai déjà entendu M. Delarue, le président de l'Association pour la défense des usagers de l'administration.

J'ai également entendu le bâtonnier de Paris, accompagné d'une délégation d'avocats qui sont particulièrement concernés par ces problèmes de la défense des enfants et qui fréquentent les audiences de ce type d'affaire.

Nous avons entendu ensuite l'association "Enfance et sécurité" et un groupe de psychiatres de l'Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire, du Syndicat des psychiatres français, du Syndicat des psychiatres des hôpitaux, du Syndicat des psychiatres d'exercice public et du Syndicat des psychiatres de secteur.

Nous avons aussi entendu le Conseil français des associations pour les droits de l'enfant, le COFRADE.

Enfin, nous avons entendu les rapporteurs du Comité national d'éthique : M. le Conseiller doyen de la Cour de cassation, Jean Michaud, et M. le Professeur de pédiatrie, Victor Courtecuisse.

Ces auditions n'ont fait que confirmer, comme le disait tout à l'heure le président, la grande délicatesse du sujet, la prudence que nous devons avoir et, probablement et surtout, le caractère extrêmement complexe des problèmes à régler. En effet, nous ne sommes plus dans une législation du type du code pénal, où on décide d'une question qui est celle de la faute d'un inculpé, de l'aspect punition et répression, mais dans cette phase post-pénale dans laquelle viennent plusieurs sortes de conflits : la nécessité de réhabilitation, la nécessité de soins, la nécessité de protection de la société.

Chacun des spécialistes que nous avons entendus a un éclairage souvent particulier quant à sa profession et je crois que, pour l'instant, parmi toutes les difficultés que j'entrevois, il y a celle de faire, dans une loi, la synthèse équilibrée et prudente de tous ces éclairages particuliers. Ce sera notre but, et vous verrez que la journée d'aujourd'hui est consacrée également à l'audition de toutes ces professions, y compris celle des magistrats, qui approchent du plus près ce genre d'affaire.

Mme Marie-Elisabeth CARTIER
Professeur de droit pénal à l'Université de Paris II
(auteur d'un rapport sur le suivi post-pénal)

Mme CARTIER .- Je voudrais commencer par apporter un certain nombre de précisions. Vous m'avez attribué la paternité d'un rapport sur le suivi post-pénal mais, en réalité, c'est plus compliqué que cela : il s'agissait de la présidence d'une commission qui avait été chargée de travailler sur la prévention de la récidive des criminels. C'est dire que le sujet était à la fois plus vaste et plus étroit. En effet, nous ne nous sommes pas limités du tout à la période d'assistance post-pénale et nous avons recherché tous les moyens, au cours de la détention des criminels, permettant d'améliorer leur situation, de mieux les préparer à la sortie et, à la sortie, de trouver les solutions pour les mettre en charge. Nous nous étions donc axés sur les problèmes posés par les criminels.

Il est vrai que j'ai rédigé le rapport, mais j'ai travaillé avec une commission dans laquelle se trouvait un certain nombre de personnes (notamment M. Balier, qui va venir tout à l'heure) et qui a complété ses travaux par une étude plus poussée sur la délinquance sexuelle.

Par conséquent, ces travaux se complètent, mais nous n'avions pas l'intention de traiter les seuls délinquants sexuels et, en réalité, si nous avons proposé un suivi post-pénal, c'était pour l'appliquer à tous les criminels, sans exception. C'est peut-être un peu utopique, mais il me semble qu'un trafiquant de stupéfiants, par exemple, est aussi dangereux quand il sort de prison qu'un délinquant sexuel. Il faut donc peut-être commencer par les délinquants sexuels mais aussi envisager, à long terme, quelque chose d'équivalent pour l'ensemble des criminels qui présentent un danger à la sortie de prison.

Le projet actuel est à la fois plus large et plus étroit, puisqu'il envisage la mise en place d'un suivi post-pénal, non seulement pour les criminels mais aussi pour des personnes condamnées pour délit. L'ordre de mission que nous avons reçu nous limitait aux criminels, mais il est bien évident que nous nous réjouissons de voir que nos suggestions ont été entendues et étendues.

Sur le plan juridique, nous avons rencontré des difficultés pour définir ce que nous avons appelé un suivi post-pénal. L'intitulé a été rejeté par M. Toubon, le Garde des Sceaux qui a suivi M. Méhaignerie, et je crois qu'il avait raison. En effet, le terme " post-pénal " signifie : " après la peine ". Or, la solution à laquelle nous nous sommes arrêtés étant de créer une peine complémentaire, on ne peut pas parler de post-pénal avec une peine complémentaire.

Je dois dire que je n'étais pas du tout satisfaite de l'intitulé issu des travaux qui avaient été présentés par M. Toubon : le terme " suivi médico-social ", qui avait d'ailleurs heurté les psychiatres. Je crois qu'il faut en effet avoir une conception différente de ce suivi et, personnellement, je préfère la formule nouvelle : " suivi socio-judiciaire ". Ce n'est pas parfait, mais c'est certainement mieux, dans la mesure où cela inclut effectivement une injonction de soins et parce que cela s'étend à des mesures d'assistance et de surveillance qui peuvent être bien différentes et qui, à mon avis, sont tout aussi essentielles que celles qui relèvent de l'injonction de soins.

La difficulté que nous avons rencontrée a été de savoir comment mettre en place un suivi post-pénal, puisque nous l'avions appelé ainsi. C'est très difficile, parce qu'il est bien connu en France que, lorsque la peine est terminée, il n'est plus possible d'imposer une nouvelle peine. Nous n'avons pas de sentences indéterminées. Par conséquent, lorsqu'un criminel sort de prison et qu'il a payé sa dette à la société, il doit pouvoir partir librement.

Nous avons donc essayé de trouver une formule juridique qui conviendrait et nous avons pensé à quantité de formules. Nous avions pensé à une condamnation à une peine criminelle assortie d'un sursis qui prendrait effet à la fin de la peine, mais l'idée d'un sursis paraissait inadaptée.

Nous avions pensé aussi (parce que nous avions été particulièrement préoccupés par le phénomène de l'érosion des peines liée aux réductions de peine et aux grâces collectives qui fait que de très nombreux criminels sortent de prison alors qu'ils n'ont pas fait l'intégralité de leur peine) essayer de rentabiliser les réductions de peine (et les juges de l'application des peines avaient d'ailleurs fait des propositions à cet égard), c'est-à-dire de transformer les réductions de peine en suivi post-pénal : la personne sortirait bien de prison quand les réductions de peine auraient fait effet, mais on exploiterait la durée de la réduction de peine pour un suivi post-pénal, ce qui ne contredit pas le fait que les sentences ne peuvent pas être prolongées.

En définitive, après réflexion, nous avons choisi de donner au suivi post-pénal la nature d'une peine complémentaire. Il faut savoir que, dans le nouveau code pénal, il n'y a que des peines. Je crois savoir que l'on avait beaucoup hésité pour savoir si on introduisait un clivage entre peines et mesures de sûreté. Finalement, la notion de mesures de sûreté ne figure pas dans le nouveau code pénal. Il est certain que si l'on avait pu utiliser la formule "mesures de sûreté", les choses auraient été différentes, mais nous n'avons que des peines principales et complémentaires. C'est ainsi que nous nous sommes orientés vers la formule " peine complémentaire ".

Ce que je peux dire au passage sur le projet actuel, c'est qu'il n'utilise pas la formule " peine complémentaire ". Il y a un flou artistique sur la nature de la mesure. Dans le projet précédent, il était dit clairement que c'était une peine complémentaire, mais dans le projet actuel, on ne le dit pas. Cela dit, je pense que tout le monde l'aura compris, puisque c'est la seule formule possible. D'ailleurs, la place où l'on va mettre ce suivi socio-judiciaire est bien située à la fin de la division du code pénal sur les peines complémentaires. Donc je crois que c'est clair.

C'est donc une peine complémentaire qui, comme toute peine, doit être prononcée le jour de la condamnation. On ne peut pas (cela aurait été peut-être une bonne solution) envisager de prononcer ce suivi à la sortie de prison. Il faut que ce soit fait au moment de la condamnation ; c'est notre système juridique qui l'exige.

C'est ainsi que vous indiquez que c'est la juridiction de jugement (nous nous étions intéressés à la cour d'assises et vous vous intéressez aussi au tribunal correctionnel) qui va prononcer cette peine complémentaire de suivi socio-judiciaire. La question que nous nous sommes posée était de savoir si cette mesure devait être obligatoire ou facultative pour la juridiction.

Pour la cour d'assises, nous avions pensé qu'il serait préférable que la mesure soit obligatoire. Il faut bien comprendre que, lorsque la cour d'assises statue, elle va le faire pour quelqu'un qui sortira de prison quinze ou vingt ans après. Par conséquent, elle n'a pas nécessairement entre les mains des éléments suffisants. Les individus changent énormément en prison, et il nous paraissait donc un peu surréaliste de voir la cour d'assises statuer sur une peine complémentaire qui ne prendrait effet que quinze ou vingt ans après.

Cela dit, maintenant que se pose aussi le problème du tribunal correctionnel et que cette peine pourra être prononcée à titre de peine principale, je pense que les questions ne sont pas les mêmes. Je conçois donc que ce soit une décision que prend la juridiction du jugement.

Il faut donc admettre que c'est une peine complémentaire (ne nous voilons pas la face à cet égard). C'est une peine qui a, comme certaines peines complémentaires que nous connaissons, un aspect à la fois de surveillance et de contrôle, et également un aspect d'assistance et, en particulier, d'aide à la réinsertion. Je crois que c'est tout à fait dans la logique d'un certain nombre de peines complémentaires aujourd'hui.

Compte tenu du peu de temps que j'ai, je voudrais simplement faire quelques observations sur le projet tel qu'il a été modifié par l'Assemblée nationale.

Je commencerai par l'intitulé de la mesure, que je trouve meilleur que celui du projet Toubon et meilleur que le nôtre. On pourrait peut-être en trouver d'autres, mais ce n'est pas évident.

Cela dit, je regrette personnellement que cette loi n'ait pas été l'occasion d'envisager, comme nous l'avions fait, le problème d'un suivi socio-judiciaire pour un plus grand nombre de délinquants. Je pense que la façon dont les textes sont rédigés ne serait pas parfaitement adaptée si on veut, dans quelque temps, prévoir un suivi socio-judiciaire pour des délinquants qui ne sont pas des délinquants sexuels. On aurait peut-être pu réfléchir à ce problème de manière plus large que les seuls délinquants sexuels. En effet, même s'ils sont effectivement des délinquants qu'il faut prendre en considération et pour lesquels il faut nécessairement faire beaucoup de choses, je pense qu'un trafiquant de stupéfiants, comme je le disais tout à l'heure, a certainement sur la conscience la mort de quantité de jeunes, exactement comme un délinquant sexuel.

Je voudrais maintenant faire des remarques à partir du projet tel que modifié par l'Assemblée nationale. Je trouve que l'on arrive à des choses un peu surréalistes dans les intitulés. Nous nous sommes dotés d'un nouveau code pénal il y a seulement trois ans et nous allons avoir, si je reprends le projet tel qu'il est donné par l'Assemblée nationale, un " article 131-36-1-1 ". Pour les enseignants, dont je suis, je vous assure que, lorsqu'il faut dire aux étudiants : " article 131-36-1-1" , ce n'est pas facile et qu'ils ne le retiennent pas, pas plus que les praticiens.

Je croyais que le nouveau système de numérotation allait permettre d'éviter les inconvénients actuels, qui consistaient à ajouter des " 1-1-1 ". Je constate que ce n'est pas le cas, puisque l'on va se retrouver avec des numéros comme ceux-là, ce que je déplore vivement. Ne pourrait-on pas essayer d'utiliser des textes existants ? Je ne le sais pas. C'est donc un regret pour les intitulés.

J'en viens à quelques observations ponctuelles. Le premier problème que j'ai évoqué est, notamment, le fait que l'article 131-36-1 alinéa 1er laisse à la juridiction de jugement le soin de fixer la durée du suivi post-pénal. C'est très bien pour les magistrats du tribunal correctionnel, car il est certain que le suivi sera ramené à exécution très rapidement, les peines correctionnelles n'étant pas très longues, mais je me demande si, pour la cour d'assises, le fait de prévoir le suivi pour des années très éloignées, sachant qu'on lui demande également de prévoir l'injonction de soins, est une bonne chose.

Est-ce que l'expertise qui est faite au moment où la cour d'assises statue sera encore valable quinze ou vingt ans après ? J'ai vu qu'il y aura d'autres expertises, bien entendu, et également des possibilités de relèvement, mais je crois qu'il y a un décalage entre le moment de la décision et le moment où celle-ci sera ramenée à exécution.

J'ai une critique à faire sur la sanction de l'inexécution par le condamné de ses obligations. Les députés ont prévu, dans l'article 131-36 alinéa 1, que la décision de condamnation va prévoir la durée de l'emprisonnement pour le condamné qui n'exécuterait pas ses obligations. Il est indiqué que cet emprisonnement ne pourra pas "excéder deux ans en cas de condamnation pour délit et cinq ans en cas de condamnation pour crime" .

Nous avions réfléchi à la question de savoir comment sanctionner la violation de l'inexécution du suivi post-pénal, et nous avions pensé qu'il y aurait une certaine cohérence avec d'autres textes du nouveau code pénal qui sanctionnent la violation d'un certain nombre de peines comme le travail d'intérêt général ou l'interdiction de séjour, c'est-à-dire les article 434-38 et suivants. Nous avions proposé dans notre rapport un texte qui prenait place à la suite de ces articles 434-38 et suivants, qui était rédigé comme le texte sur la violation des obligations de l'interdiction de séjour et qui prévoyait qu'en cas de violation, le condamné pourrait être condamné à une peine de deux ans d'emprisonnement, mais que, pour cela, il devait comparaître devant une juridiction.

Personnellement, je crois qu'il n'est pas souhaitable, tout d'abord, que ce soit la juridiction de jugement qui fixe comme cela, de manière un peu arbitraire, la sanction de la violation de l'inexécution. Premièrement, je pense qu'il serait assez cohérent d'avoir un texte dans le cadre des atteintes à l'autorité de la justice. Deuxièmement, je pense que ce n'est pas le rôle du juge d'application des peines, puisque c'est à lui que l'on a confié le soin de décider de l'exécution de cette peine.

Je pense qu'on en demande trop au juge d'application des peines (je ne sais pas si le président de l'association est là, mais il le dira peut-être) et que son rôle peut être, dans certains cas (on le voit pour le sursis à une mise à l'épreuve ou pour la libération conditionnelle), de prendre des décisions, d'élargir certaines mesures et d'adapter la situation, mais en l'occurrence, c'est autre chose : on demande au juge d'application des peines de faire exécuter une peine d'emprisonnement. Personnellement, je pense que c'est une juridiction qui devrait être chargée de décider de l'exécution de cette peine. Evidemment, cela irait de soi si on considérait que la violation des obligations du suivi post-pénal est une infraction, auquel cas la personne comparaîtrait devant une juridiction.

Au passage, j'indiquerai que, parmi les problèmes que nous avions évoqués, nous nous étions demandés s'il ne serait pas souhaitable, à terme, de réfléchir à la mise en place d'un code de l'exécution des peines et également, peut-être, à l'institution d'une juridiction de l'exécution des peines. Je crois que ce serait une très bonne chose, car cela donnerait une logique et une cohérence aux décisions qui pourraient être prises.

Pour moi - et c'est très important -, il vaut mieux une infraction nouvelle comme la violation des obligations de l'interdiction de séjour, par exemple, et il ne faut pas que ce soit le juge d'application des peines qui soit amené à faire exécuter ces peines.

Je ferai une petite remarque sur l'article 131-36-1-1. Vous parlez de " mesures de surveillance applicables à la personne condamnée à un suivi socio-judiciaire" , et vous dites que ce sont celles qui sont prévues à l'article 132-44. Or, à l'article 132-44, on ne parle pas de "mesures de surveillance" mais de " mesures de contrôle ". Ne serait-il pas souhaitable d'utiliser la même terminologie ? En effet, toutes ces mesures sont, d'une part, des mesures de contrôle et, d'autre part, des mesures d'assistance.

Autre remarque : j'ai vu que l'Assemblée nationale a déplacé le contenu de certaines des mesures du suivi, comme celles qui consistent à s'abstenir de paraître dans des lieux où se trouvent des mineurs ou de fréquenter certains lieux, pour le placer à l'article 136-36-1-1. Auparavant, cette énumération se trouvait dans le code de procédure pénale.

On peut effectivement hésiter, dans la mesure où ce sont des obligations qui font maintenant partie d'une peine complémentaire, à les mettre à la suite de l'ensemble des peines complémentaires mais, d'un autre côté, il y a, dans le code de procédure pénale, des mesures de ce type qui sont prévues dans d'autres situations. Par conséquent, je ne sais pas si le fait d'alourdir encore le code pénal est une très bonne chose.

Par ailleurs, je trouve personnellement bien que le suivi puisse être prononcé comme peine principale. C'est tout à fait logique, puisque c'est ce qu'a voulu le nouveau code pénal. Autrefois, on parlait de peines de substitution et on parle maintenant de peines alternatives. Je crois que, pour des infractions mineures, par exemple celles qui sont commises par des délinquants sexuels, c'est une bonne solution, si tant est, bien entendu, que le suivi soit effectif et que l'on puisse obtenir des solutions.

Je sais que, dans un certain nombre de pays étrangers, même des criminels qui ont commis des crimes graves peuvent voir leur peine (par exemple quinze ans de réclusion) transformée en un suivi qui est effectivement bien mis à exécution. Donc je trouve qu'au moins en matière correctionnelle, il est bon que ce suivi devienne une peine principale.

Il se pose alors le problème de l'inexécution, et c'est pourquoi, personnellement, je pense qu'il faut une sanction particulière de l'inexécution.

Sur le suivi, c'est à peu près tout ce que je voulais dire. Pour une fois, les travaux d'une commission n'ont pas été enterrés. J'avoue que cela m'a fait un grand plaisir. D'habitude, on dit qu'on nomme une commission pour enterrer un problème...

M. le PRESIDENT .- Ce sont des mauvaises langues...

Mme CARTIER .- Je vois qu'à travers les ministres de la Justice successifs, le projet a fait son chemin. Je me réjouis que, pour une fois, il y ait un consensus entre différents ministres, a fortiori après un changement de majorité. C'est une chose qui me satisfait tout à fait.

J'ai regardé ensuite les autres dispositions. Concernant le problème du fichier génétique, je me suis demandée si c'était bien la place du texte, à l'article 78-6 du code de procédure pénale, puisque le texte se trouve dans une partie qui concerne les enquêtes. Je sais bien qu'il se trouve après les textes qui concernent le fichier pour les empreintes digitales, ce qui obéit à une certaine logique, mais je me demande s'il n'y aurait pas une autre place plus adaptée. En fait, ce fichier sera conservé après la condamnation. C'est donc un peu différent.

Sur le fond, j'y suis favorable, mais il est certain qu'il faut prendre le maximum de précautions pour éviter de tomber dans des atteintes aux libertés.

Vous avez vu avec moi ce qui se passe actuellement aux Etats-Unis, où cela devient de la folie, puisque l'on peut maintenant consulter sur Minitel le nom des personnes qui ont été condamnées pour des infractions sexuelles. C'est dramatique, parce que ces gens vont sortir de prison et ne pourront plus rentrer dans un magasin.

J'ajoute que la Cour suprême des Etats-Unis vient d'adopter une solution qui me paraît très dangereuse aussi et qui consiste à créer un suivi des délinquants sexuels civils, c'est-à-dire que ce n'est pas quelque chose qui relèverait d'une juridiction pénale. Cela a été décidé par l'un des Etats américains et la Cour suprême a reconnu que c'était conforme à la Constitution. C'est ainsi qu'un délinquant sexuel pourra à vie, aux Etats-Unis, faire l'objet d'un suivi civil, c'est-à-dire qu'il ne sera pas contrôlé par une juridiction répressive et ne sera pas limité dans le temps. Il sera décidé en fonction de la dangerosité de l'individu.

Ce sont des dérives qui me paraissent extrêmement dangereuses et qui risquent d'ailleurs de se retourner contre les objectifs poursuivis.

Le fichier, c'est autre chose. Je pense qu'il peut renseigner utilement la police et la justice. S'il est entouré de protections, cela rendra des services et évitera peut-être des infractions graves.

Il y a un autre problème qui n'est pas abordé et dont nous avions traité au cours des travaux de la commission. Comme les psychiatres vous le diront, le délinquant sexuel est un délinquant un peu particulier. En effet, quand il a commis l'infraction, il y a une période très brève au cours de laquelle il reconnaît sa culpabilité. C'est la période où il est arrêté. C'est peut-être à ce moment-là qu'il faudrait lui proposer des soins, parce qu'il a conscience de ce qu'il a fait et qu'il serait peut-être disposé à suivre des soins et à se reconnaître comme malade. Ensuite, le délinquant sexuel est quelqu'un qui, très vite, fait ce que les psychiatres appellent un chemin de déni, et si vous le revoyez quelque temps après, il ne reconnaît plus les faits et ne se reconnaît plus comme délinquant. C'est ainsi que, lorsque la juridiction le condamnera, et a fortiori quand il sortira de prison, il estimera qu'il est injuste de lui appliquer un suivi post-pénal.

Le docteur Balier, par exemple, qui était dans un S.M.P.R. situé dans une maison d'arrêt, avait fait observer que c'était une chance de pouvoir rencontrer les délinquants sexuels au lendemain de leur arrestation, parce que c'est un moment où l'on peut encore faire quelque chose et leur proposer des soins (sans qu'il s'agisse d'obligations, bien entendu). A ce moment-là, ils sont parfois prêts à accepter quelque chose qu'ils n'accepteront plus après six mois, un an ou beaucoup plus tard. C'est donc un problème qu'il faudrait peut-être évoquer un jour.

Pour en terminer avec le projet (mais il y aurait peut-être d'autres choses), je voudrais dire que je ne suis pas très favorable au texte sur le bizutage. Je pense que, dans le nouveau code pénal, nous avons des textes modernes qui pourraient, le cas échéant, être adaptés aux phénomènes de bizutage qui sont particulièrement choquants. Par exemple, on sait bien que les coups et blessures volontaires ont toujours été interprétés par la jurisprudence comme pouvant s'appliquer à des mouvements qui, parfois, n'impliquent pas un contact physique entre l'auteur et la victime.

Autrement dit, à mon avis, ces textes trop pointus ne sont pas souhaitables, et il faudrait en revanche essayer de voir les textes qui pourraient s'appliquer ; il y en a un certain nombre.

Enfin, il reste le problème du tourisme sexuel. J'ai constaté qu'on étend la répression du tourisme sexuel non seulement aux Français qui vont à l'étranger (on a apporté là des exceptions à la règle de l'application de la loi pénale dans l'espace, ce qui est tout à fait normal), en admettant que l'on pourrait poursuivre les Français ayant commis ces agissements à l'étranger quand bien même le pays dans lequel ils se sont rendus ne punirait pas ces infractions (ici, on n'exige pas de réciprocité d'incrimination, ce qui ne me choque pas, dans la mesure où il en va de même pour les crimes, et je considère que ces agissements sont très graves), mais également aux simples résidents en France. J'avoue que je ne sais pas bien comment cela va fonctionner. Comment déterminera-t-on quelqu'un qui est résident en France ? Faudra-t-il qu'il ait une carte de séjour ?...

Je crois que si on punissait déjà les Français qui, à l'étranger, ont commis des actes de ce type, ce serait un véritable progrès. Comment fera-t-on pour punir en plus les simples résidents ? Je ne vois pas très bien.

Je ferai une dernière remarque, car j'ai vu que l'on a créé une nouvelle action civile. A mon avis, on développe trop les actions civiles. On se demande vraiment maintenant pourquoi on a un ministère public. Si vous enseignez l'action civile aux étudiants, vous allez être obligé d'énumérer toutes ces associations. Bien entendu, je respecte profondément l'action de ces associations et je conçois qu'elles soient utiles pour aider à la découverte d'infractions, mais je pense que, là aussi, il faudra peut-être essayer de voir comment on pourrait éviter cette énumération d'associations privilégiées qui concurrencent le ministère public.

Enfin - et je terminerai là-dessus -, je suis personnellement très favorable à la réforme de l'article 348-1 du code de la santé publique. C'est un problème qui nous a beaucoup préoccupés, et je crois qu'il a préoccupé aussi M. Boulay et beaucoup de personnes. Vous savez que les délinquants qui sont reconnus pénalement irresponsables, comme dans le passé avec l'article 64 de l'ancien code pénal, échappent à la justice. Ils vont être placés le plus souvent dans des établissements psychiatriques et leur sortie de ces établissements échappe complètement à la justice. Le résultat, c'est qu'on voit sortir, un ou deux ans après, des criminels qui ont commis des actes effroyables.

Bien entendu, j'ai confiance dans la décision des psychiatres, mais il n'en demeure pas moins que, notamment pour les victimes, il y a une inquiétude profonde. Je pense que, comme cela se pratique en Belgique, il serait bon que la justice ait un certain droit de regard sur cette décision de sortie, mais je ne sais pas si elle sera acceptée, parce que cela soulève évidemment beaucoup de problèmes.

Pour conclure, je dirai que ce projet me satisfait, puisqu'il est le prolongement de nos travaux et que je m'en réjouis, sous réserve des critiques que je viens de formuler.

M. le PRESIDENT .- Je vous remercie, Madame. Vous avez déjà résolu un certain nombre de problèmes. En tout cas, vous avez ouvert un certain nombre de pistes qui vont sans aucun doute faciliter notre tâche. Vous avez noté que la terminologie avait une extrême importance. Au-delà de ce qui est proposé, il faudra sans aucun doute que nous réfléchissions, de notre côté, à une modification éventuelle des termes qui ont été suggérés.

Par ailleurs, il est un problème que nous aurons à aborder, c'est celui, dont on débat beaucoup (on en parlait encore ce matin sur les ondes), du bizutage. Vous avez laissé entendre - c'est là votre opinion - qu'il ne vous paraissait pas absolument évident que le bizutage, au sens large, devait être érigée lui-même en délit et qu'il existait dans le code toute une série de dispositions qui permettaient de réprimer ce que ce bizutage, lorsqu'il dépasse le traditionnel, peut avoir de choquant et d'inadmissible.

Peut-être certains d'entre nous souhaiteront vous poser des questions avant que je vous renouvelle nos remerciements et vous rende votre liberté.

M. JOLIBOIS .- Madame le Professeur, je vous remercie beaucoup. La clarté de votre exposé ainsi que son contenu m'ont énormément plu.

Le problème principal que vous avez réglé va véritablement au fond des choses. C'est celui du suivi post-pénal. Deux questions se posent à cet égard : premièrement, est-il ou non une peine complémentaire ? Deuxièmement, si c'est une peine complémentaire, qui doit la prononcer ?

Concernant la première question, vous avez parlé du flou artistique. Il est évident que l'on se heurte à l'opposition des médecins, d'après ce que j'ai compris depuis le début de mes auditions, qui ne veulent en aucun cas, du point de vue déontologique, que l'on puisse considérer que se soigner est une peine. Cela dit, ce n'est pas tout à fait exact, parce que ce n'est pas se soigner qui est une peine ; c'est le fait de ne pas se soigner qui peut donner lieu à une sanction, c'est quand on viole l'obligation de se soigner que l'on a commis une infraction.

Par conséquent, compte tenu de la nouvelle direction prise, je crois qu'il faut dire les choses carrément. Etes-vous sûre que le fait de placer cela dans un chapitre "peine complémentaire" soit suffisant ? C'est une peine complémentaire, d'après vous, et, si j'ai bien compris, vous pensez qu'il est normal que ce soit une peine complémentaire.

Mme CARTIER .- Cela ne peut être qu'une peine complémentaire.

M. JOLIBOIS .- Dans votre analyse du code pénal et de cette suite post-pénale, cela ne peut donc être qu'une peine complémentaire.

Le deuxième point qui est fondamental, c'est que vous nous dites, si j'ai bien compris, que lorsque l'on prononce une peine très longue, aux assises par exemple, il est totalement impossible de prévoir ce que sera la situation médicale ou sociale d'une personne à dix ou vingt ans d'échéance. En revanche, vous dites qu'il n'en va pas de même pour une peine correctionnelle plus courte.

Vous préconisez la création d'un délit consistant dans le fait de ne pas suivre le programme socio-médical fixé par les magistrats (auquel cas une peine serait prononcée au moment où l'infraction serait commise, par une juridiction). En revanche, si l'on retenait la solution du projet de loi, la peine serait prononcée par anticipation au moment où la juridiction prononcerait la peine générale. Dans ce cas, ne croyez-vous pas que la juridiction, au moment où elle prononce la peine générale, aurait tendance, pour assurer la protection de la société, d'en prononcer une qui serait assez forte pour que la personne soit prise sous ce que j'appellerai "une ombrelle" ou un "parapluie pénal", ce qui permettrait de suivre plus tard l'intéressé et de protéger la société ?

Le prononcé de la peine post-pénale au moment de la condamnation ne risquerait-il pas, finalement, selon vous, d'empêcher l'adéquation de cette peine à ce qu'elle devrait être quand on a toutes les données au moment précis ? Ce serait une sorte de peine de protection de la société, mais elle ne serait pas adaptée.

Mme CARTIER .- Il suffit de prévoir une peine fixe en fonction de la nature de l'infraction, et ce ne serait pas la peine qui serait effectivement exécutée. Nous avons proposé, nous, qu'au moment où l'individu va sortir de prison, on fasse de nouvelles expertises et que l'on prenne une décision. On peut alors le relever éventuellement de cette peine : vous aurez certainement, à la veille de leur sortie de prison, des gens qui n'auront plus aucun problème et que l'on peut libérer. Comme il faudra des expertises, des experts pourront peut-être le dire.

Maintenant, s'il y a doute, il faut bien voir que, dans cette peine complémentaire, vous n'avez pas que l'injonction de soins mais aussi des quantités de mesures de contrôle et d'assistance. Vous pouvez considérer que l'injonction de soins rentre dans les mesures d'assistance. C'est une assistance à la réinsertion et une mesure qui est prise pour prévenir la récidive. Or on prévient la récidive dans l'intérêt des victimes, mais aussi dans l'intérêt du délinquant lui-même.

Aujourd'hui, les peines complémentaires sont des mesures qui sont des peines mais qui ont en arrière-plan des mesures de sûreté. Lorsque vous allez interdire à quelqu'un de conduire, si vous prononcez cette peine parce que la personne a provoqué un accident de la circulation, c'est une peine complémentaire, mais vous voyez bien, en arrière-plan, la mesure de sûreté qui est prise : vous allez protéger la société contre cette personne qui ne sait pas conduire et vous allez la protéger elle-même en lui évitant un accident.

Donc je crois que la peine complémentaire a un double visage, en quelque sorte. Elle a un visage de peine (ce sont les mesures de contrôle) et elle a un autre visage qui est l'aspect des mesures de sûreté, même si l'on ne le dit pas. Je pense qu'à ce point de vue, il faudra nécessairement, au moins pour les crimes, revoir la situation à la sortie de prison. C'est inévitable.

Par conséquent, même si la cour d'assises l'a condamné à cinq ans de suivi post-pénal, il n'est pas dit à la sortie qu'il aura vraiment besoin de cinq ans de suivi. De même, il n'aura peut-être pas besoin de soins, mais on peut peut-être essayer de savoir où il habite, ce qu'il fait et qui il voit.

On a souvent évoqué un crime sexuel qui a été commis il y a trois ou quatre ans : deux petites filles ont été tuées près de Perpignan. L'assassin avait été condamné, était sorti de prison et était allé s'installer à Perpignan, libre comme l'air. Personne ne savait où il était. Cela lui a permis de se lier à une famille où il y avait des enfants. S'il y avait eu un simple suivi par la Gendarmerie (il ne s'agit pas de faire comme aux Etats-Unis, c'est-à-dire de mettre des affiches dans toute la ville pour dire : "voilà un délinquant sexuel !"), on aurait pu simplement avertir la famille qu'il y avait un problème. La famille ne pouvait pas imaginer une seule minute que cette personne qu'elle avait introduite dans son intimité était quelqu'un qui était sorti de prison et qui avaient commis plusieurs infractions sexuelles.

Donc je crois qu'il faut voir la peine sous l'angle, à la fois, des mesures de surveillance et des mesures d'assistance avec, peut-être, l'injonction de soins.

Il est certain que le fait de le prononcer au moment de la condamnation n'est pas toujours très réaliste. Il faut nécessairement que l'on revoie la personne au moment de la sortie, du moins pour les criminels.

M. BADINTER .- Madame le Professeur, je voudrais simplement vous poser une question. Comme je n'ai pas encore eu l'occasion de le vérifier en détail (mais je connais l'excellence de votre diagnostic juridique), j'aimerais savoir si vous vous êtes assurée que les éléments de l'infraction dite de "bizutage" sont déjà couverts par les dispositions existantes du code pénal.

Mme CARTIER .- Je peux vous donner des exemples. On a des textes qu'il faudrait pointer systématiquement.

M. JOLIBOIS .- Il y a aussi la mise en danger, dont vous n'avez pas parlé.

Mme CARTIER .- J'avoue que je n'avais pas du tout pensé à la mise en danger. Simplement, comme cela se traduit souvent par des comportements de connotation sexuelle, je pense aux textes sur les exhibitions.

D'un autre côté, il y a des contraventions de violence volontaire, qui ont toujours été interprétées par la jurisprudence de manière extrêmement large, mais cela ne vous paraît peut-être pas suffisant pour certains agissements.

En tout état de cause, je pense qu'il faudrait pointer les textes de manière systématique.

M. JOLIBOIS .- Nous l'avons déjà fait, et il y a une circulaire qui vient de paraître à ce sujet, qui rappelle l'ensemble des textes et dans laquelle on a oublié à mon avis celui sur la mise en danger.

Mme CARTIER .- J'avoue que la mise en danger n'est pas du tout un texte auquel j'aurais pensé.

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