Rapport n° 312 - Proposition de loi tendant à préciser le mode de calcul de la durée maximale de détention provisoire autorisée par le code de procédure pénale


M. Michel DREYFUS-SCHMIDT, Sénateur


Commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale - rapport n°312 - 1997-1998



Table des matières






N° 312

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998

Annexe au procès-verbal de la séance du 25 février 1998

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi de MM. Michel DREYFUS-SCHMIDT, Michel CHARASSE, Guy ALLOUCHE, Robert BADINTER et les membres du groupe socialiste et apparentés tendant à préciser le mode de calcul de la durée maximale de détention provisoire autorisée par le code de procédure pénale,

Par M. Michel DREYFUS-SCHMIDT,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, Charles Jolibois, Robert Pagès, Georges Othily, vice-présidents ; Michel Rufin, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, Paul Masson, secrétaires ; Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José Balarello, François Blaizot, André Bohl, Christian Bonnet, Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel Charmant, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Jean Derian, Michel Dreyfus-Schmidt, Michel Duffour, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Lucien Lanier, Guy Lèguevaques, Daniel Millaud, Jean-Claude Peyronnet, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre Schosteck, Alex Türk, Maurice Ulrich, Robert-Paul Vigouroux.

Voir le numéro :

Sénat : 55 (1997-1998).

Procédure pénale.

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie le mercredi 25 février 1998 sous la présidence de M. Pierre Fauchon, vice-président, la commission des Lois a procédé à l'examen, sur le rapport de M. Michel Dreyfus-Schmidt, de la proposition de loi n° 55 présentée par lui-même et les membres du groupe socialiste et apparentés, tendant à préciser le mode de calcul de la durée maximale de détention provisoire autorisée par le code de la procédure pénale.

Ce texte vise à revenir sur la jurisprudence selon laquelle l'inobservation volontaire des obligations du contrôle judiciaire permet de décerner mandat de dépôt quelle que soit la durée de la peine d'emprisonnement encourue et celle de la détention provisoire antérieurement subie. Il résulte de cette jurisprudence qu'une personne qui serait restée en détention provisoire pour une durée correspondant au maximum autorisé par la loi (six mois, un an ou deux ans selon les cas) pourrait, nonobstant les limites fixées par le législateur, être de nouveau incarcérée.

La proposition de loi précise donc que lorsque, dans une même affaire, la personne mise en examen fait l'objet de plusieurs ordonnances de placement en détention provisoire, la durée cumulée des détentions ne peut excéder le maximum fixé par le code de procédure pénale.

La commission des Lois a adopté cette proposition de loi en l'étendant, sur la proposition de son rapporteur, aux durées spécifiques fixées pour la détention provisoire d'un mineur.

Mesdames, Messieurs,

La création du contrôle judiciaire par la loi du 17 juillet 1970 répondait au souci du législateur de limiter dans toute la mesure du possible le recours à la détention provisoire, atteinte la plus grave qui soit à la liberté (et souvent à l'honneur) d'une personne pourtant présumée innocente.

L'exposé des motifs de ce texte regrettait que le magistrat instructeur n'eut alors le choix qu'entre deux solutions à l'égard d'une personne inculpée : " la faire incarcérer ou la laisser en liberté sans aucun contrôle et sans aucune restriction (...). Il convient que soient instituées des mesures qui permettront d'atteindre les mêmes buts que la détention préventive sans priver l'inculpé de sa liberté ".

Le rapporteur de l'Assemblée nationale, Michel de Grailly, confirmait que " les mesures du contrôle judiciaire (...) (étaient) destinées à remplir, dans la plupart des cas, les fonctions de la détention ".

Au Sénat, nos collègues rapporteurs Edouard Le Bellegou et Marcel Molle écrivaient : " le nouveau régime appelé contrôle judiciaire est donc un régime intermédiaire nouveau qui sera appelé à se substituer dans un grand nombre de cas à la détention ".

Si le contrôle judiciaire peut effectivement apparaître aujourd'hui, après plus d'un quart de siècle de mise en oeuvre, comme un moyen utile permettant d'éviter l'incarcération, la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation a mis en lumière une conséquence imprévue de cette mesure. Le contrôle judiciaire, s'il n'est pas respecté, peut en effet conduire à placer en détention provisoire une personne qui, sans cette inobservation, ne pourrait pas être incarcérée :

- soit parce que, compte tenu de la gravité de l'infraction (punie de moins de deux ans d'emprisonnement ou, en cas de flagrant délit, de moins d'un an), la détention provisoire n'est pas autorisée. Mais la possibilité d'incarcérer l'intéressé en cas de méconnaissance du contrôle judiciaire, " quelle que soit la durée de la peine d'emprisonnement encourue " est expressément prévue par l'article 141-2 du code de procédure pénale ;

- soit parce que les conditions du placement en détention provisoire (risque de pression sur les témoins ou les victimes, risque de fuite de l'intéressé...) ne sont pas remplies. Mais, là encore, le code de procédure pénale a expressément prévu que la détention provisoire puisse être ordonnée lorsque la personne mise en examen se soustrait volontairement aux obligations résultant du contrôle judiciaire (article 144, dernier alinéa) ;

- soit parce que la durée maximale de détention provisoire autorisée par le législateur a été atteinte. A la différence des deux autres hypothèses, la possibilité de décerner mandat de dépôt dans ce cas en se fondant sur la méconnaissance du contrôle judiciaire n'a pas été prévue par le législateur. Elle résulte de la jurisprudence.

C'est sur cette jurisprudence que les auteurs de la proposition de loi n° 55 souhaitent revenir.

I. LES DONNÉES DU PROBLÈME

La proposition de loi n° 55 vise à remédier à une interprétation jurisprudentielle trop restrictive (voire, pour reprendre son exposé des motifs, contraire à l'esprit) des dispositions législatives destinées à limiter autant que possible la détention provisoire.

A. LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES DESTINÉES À ASSURER LE CARACTÈRE EXCEPTIONNEL DE LA DÉTENTION PROVISOIRE

Mesure exceptionnelle, la détention provisoire ne doit être prononcée qu'en ultime recours et pour la durée strictement nécessaire. C'est pour assurer le respect de double impératif que le législateur a énuméré les critères permettant le recours à la détention provisoire et, dans plusieurs hypothèses, fixé des durées maxima, des butoirs.

1. Les critères du placement en détention provisoire

Le souci du législateur de conférer à la détention provisoire un caractère exceptionnel est nettement affirmé par l'article 137 du code de procédure pénale : " la personne mise en examen reste libre sauf, à raison des nécessités de l'instruction ou à titre de mesure de sûreté, à être soumise au contrôle judiciaire ou, à titre exceptionnel, placée en détention provisoire ... ".

La détention provisoire est donc une mesure d'exception au sein même d'un régime exceptionnel.

Le législateur a insisté sur ce point par la loi du 30 décembre 1996 en répétant, au sein de l'article 144 du code de procédure pénale cette fois, que la détention provisoire ne pouvait être ordonnée qu' " à titre exceptionnel ". Cette mesure, selon l'article 144, ne peut se fonder que sur l'une au moins des considérations suivantes :

" 1° Lorsque la détention provisoire de la personne mise en examen est l'unique moyen de conserver les preuves ou les indices matériels ou d'empêcher soit une pression sur les témoins ou les victimes, soit une concertation frauduleuse entre personnes mises en examen et complices ;

" 2° Lorsque cette détention est l'unique moyen de protéger la personne mise en examen, de garantir son maintien à la disposition de la justice, de mettre fin à l'infraction ou de prévenir son renouvellement ;

" 3° Lorsque l'infraction, en raison de sa gravité, des circonstances de sa commission ou de l'importance du préjudice qu'elle a causé, a provoqué un trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public, auquel la détention est l'unique moyen de mettre fin.

" La détention provisoire peut également être ordonnée(...), lorsque la personne mise en examen se soustrait volontairement aux obligations du contrôle judiciaire
. "

La méconnaissance des obligations du contrôle judiciaire est indépendante des autres critères. Elle peut donner lieu à détention en l'absence même d'un risque de concertation frauduleuse, de pression sur les témoins ou les victimes, de fuite de l'intéressé ou de trouble exceptionnel à l'ordre public .

2. La fixation de durées maximales de détention provisoire

Comme le rappelle l'exposé des motifs de la proposition de loi, ces durées varient " selon le passé judiciaire de la personne mise en examen et la gravité de la peine encourue ". Selon l'article 145-1 du code de procédure pénale, elles sont, prolongations comprises, de :

" - six mois lorsque la personne mise en examen n'encourt pas une peine d'emprisonnement supérieure à cinq ans et n'a pas déjà été condamnée pour crime ou délit de droit commun, soit à une peine criminelle, soit à une peine d'emprisonnement sans sursis d'une durée supérieure à un an ;

- un an, lorsque la peine encourue n'excède pas cinq ans d'emprisonnement ;

- deux ans lorsque la peine encourue est inférieure à dix ans d'emprisonnement
. "

Selon l'article 11 de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, la durée maximale est ramenée à deux mois pour les mineurs âgés d'au moins seize ans lorsque la peine encourue n'excède pas sept ans d'emprisonnement (en-deça de seize ans, le mineur ne peut être placé en détention provisoire en matière correctionnelle). En cas de crime la durée maximale est (toujours en tenant compte des éventuelles prolongations) d'un an pour les moins de seize ans et de deux ans pour les mineurs âgés de plus de seize ans.

B. L'INTERPRÉTATION JURISPRUDENTIELLE

Cette interprétation est clairement résumée dans un arrêt de la chambre criminelle du 20 décembre 1983, cité dans l'exposé des motifs de la proposition de loi : l'inobservation volontaire des obligations du contrôle judiciaire permet de décerner mandat de dépôt " quelle que soit la durée de la peine d'emprisonnement encourue et celle de la détention provisoire antérieurement subie ".

Dès le 22 janvier 1981, la chambre criminelle avait cassé un arrêt qui avait énoncé que le maximum de la durée autorisée par le code de procédure pénale ne pouvait " en aucun cas être dépassé, même si, au cours de l'information, il (avait) été ordonné une mesure de contrôle judiciaire dont les conditions n'avaient pas été respectées ". La Cour de cassation avait en effet posé en principe que ces délais " ne font pas obstacle à la mise en détention provisoire d'un inculpé, dès lors qu'il est constaté que celui-ci s'est volontairement soustrait à une obligation du contrôle judiciaire ".

Cette jurisprudence a depuis lors été confirmée par un arrêt du 15 avril 1991, par lequel la Cour de cassation a rejeté le pourvoi contre un arrêt d'une chambre d'accusation ayant affirmé " qu'il n'y avait pas lieu de tenir compte de la détention accomplie antérieurement à la révocation du contrôle judiciaire pour l'application de l'article 145-1 du code de procédure pénale ".

Ainsi, alors même que le contrôle judiciaire avait été conçu pour se substituer à la détention provisoire, il peut être à l'origine d'une incarcération qui n'aurait pas été possible (les délais légaux étant dépassés) sans cette mesure .

C'est sur cette situation paradoxale et imprévue que souhaitent revenir les membres du groupe socialiste et apparentés.

II. LE CONTENU DE LA PROPOSITION DE LOI N° 55

La proposition de loi a pour objet d'empêcher la possibilité de mises en détention provisoire successives, qui conduiraient à ignorer la volonté du législateur de limiter la durée de cette détention.

L'article 1er de cette proposition tend à modifier le premier alinéa de l'article 141-2 du code de procédure pénale qui autorise la mise en détention provisoire d'une personne mise en examen se soustrayant volontairement aux obligations de contrôle judiciaire. La modification proposée consiste à indiquer que cette mise en détention provisoire s'effectue sous réserve des dispositions de l'article 145-1 du code de procédure pénale, qui fixe notamment la durée maximale de la détention provisoire. C'est en fait un simple article de coordination avec l'article 2.

L'article 2 est en effet la principale disposition. Il tend à modifier ledit article 145-1 du code de procédure pénale, afin de préciser que les durées maximales de détention prévues pour ce texte ne peuvent être dépassées même lorsque la personne en cause fait l'objet de plusieurs ordonnances de placement en détention provisoire (y compris en cas de pluralité de mises en examen dès lors qu'il s'agit de la même affaire).

Dans ces conditions, un magistrat ne pourra ordonner la mise en détention provisoire d'une personne pour violation des obligations du contrôle judiciaire que si celle-ci n'a pas déjà, dans la même affaire, été détenue provisoirement pour une durée atteignant le maximum prévu par la loi. L'adoption de cette proposition permettrait d'en revenir à la volonté du législateur en matière de durée de la détention provisoire.

III. LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION DES LOIS

La proposition de loi déposée par les membres du groupe socialiste et apparentés se situe dans la droite ligne du souhait de votre commission des Lois de limiter autant que faire se peut le recours à la détention provisoire.

Elle permettrait tout d'abord, ce qui constitue l'objectif premier de ce texte, d'assurer le respect de l'objectif du législateur de ne pas dépasser une certaine durée.

Elle inciterait également, comme le souligne l'exposé des motifs, à une " accélération des instructions, dont la durée parfois trop longue est souvent dénoncée ".

Certes, votre commission a conscience du fait que le contrôle judiciaire risque de perdre de son efficacité si sa méconnaissance ne donne pas lieu à sanction. Elle considère toutefois qu'une telle objection ne saurait être dirimante :

- d'abord parce que le contrôle judiciaire a été conçu comme une mesure de substitution à la détention provisoire. Dans ces conditions, affirmer que la méconnaissance du contrôle judiciaire doit pouvoir donner lieu à mandat de dépôt alors même que, sans cette méconnaissance, toute détention serait interdite relève d'un contresens téléologique : c'est faire du contrôle judiciaire, théoriquement substitut de la détention, la cause (tout au moins indirecte car la cause directe est l'inobservation du contrôle judiciaire) de l'incarcération ;

- ensuite parce qu'il appartiendra au magistrat instructeur, s'il souhaite que le contrôle judiciaire soit effectivement respecté, d'éviter de maintenir la personne mise en examen jusqu'à la limite de la durée maximale autorisée. Ainsi, la proposition de loi devrait conduire ipso facto à raccourcir la durée moyenne de détention provisoire en incitant le juge d'instruction à recourir plus tôt au contrôle judiciaire .

C'est pourquoi votre commission des Lois a approuvé la proposition de loi n° 55 et a même souhaité la compléter par un article 3 qui modifie l'article 11 de l'ordonnance du 2 février 1945 afin d'étendre son dispositif aux mineurs.

*

Sous le bénéfice de ces observations, votre commission des Lois vous demande d'adopter la proposition de loi dans le texte figurant ci-après.

TEXTE PROPOSE PAR LA COMMISSION

PROPOSITION DE LOI TENDANT À PRÉCISER LE MODE DE CALCUL DE LA DURÉE MAXIMALE DE DÉTENTION PROVISOIRE AUTORISÉE PAR LE CODE DE PROCÉDURE PÉNALE

Article 1 er

Dans le premier alinéa de l'article 141-2 du code de procédure pénale, après les mots : " quelle que soit la durée de la peine d'emprisonnement encourue ", sont insérés les mots : " et sous réserve des dispositions de l'article 145-1 ".

Article 2

L'article 145-1 du même code est ainsi modifié :

I. -  Le deuxième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :

" Si, dans une même affaire, la personne fait l'objet de plusieurs ordonnances de placement en détention provisoire, la durée cumulée des détentions ne peut excéder six mois. "

II. -  Le troisième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :

" Si, dans une même affaire, la personne fait l'objet de plusieurs ordonnances de placement en détention provisoire, la durée cumulée des détentions ne peut excéder un an lorsque la peine encourue est inférieure ou égale à cinq ans d'emprisonnement ou deux ans lorsque la peine encourue est inférieure à dix ans d'emprisonnement. "

Article 3

" L'article 11 de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante est ainsi modifié:

I. Le deuxième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :

Si, dans une même affaire, le mineur fait l'objet de plusieurs ordonnances de placement en détention provisoire, la durée cumulée des détentions ne peut excéder deux mois.

II. Le quatrième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :

Si, dans une même affaire, le mineur fait l'objet de plusieurs ordonnances de placement en détention provisoire, la durée cumulée des détentions ne peut excéder un an.

III. Le cinquième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :

Si, dans une même affaire, le mineur fait l'objet de plusieurs ordonnances de placement en détention provisoire, la durée cumulée des détentions ne peut excéder deux ans. "

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