B. LES ENJEUX DU TRAITÉ D'INTERDICTION COMPLÈTE DES ESSAIS NUCLÉAIRES

Le consensus qui s'est progressivement dégagé, au sein de la communauté internationale, et surtout au sein des 5 puissances nucléaires reconnues, en faveur d'un traité d'interdiction complète des essais nucléaires a permis de lancer à partir de 1993 le processus de négociation au sein de la Conférence du Désarmement.

1. Les objectifs du traité d'interdiction complète des essais nucléaires : lutter contre la prolifération et stopper la course aux armements nucléaires

Le thème de l'interdiction complète des essais nucléaires est pratiquement aussi ancien que les essais eux-mêmes, puisque dès 1954, l'Inde effectuait une proposition de traité d'interdiction. Le contexte politique lié à la guerre froide, mais aussi l'absence de terrain d'entente entre les puissances nucléaires qui souhaitaient maintenir leurs capacités, et les Etats non nucléaires qui poursuivaient un objectif d'élimination totale des armes nucléaires, ont constitué durant plusieurs décennies un obstacle insurmontable pour l'aboutissement d'un tel traité.

Par ailleurs, limités tout d'abord aux Etats-Unis et à l'URSS, qui ont respectivement réalisé leur premier essai le 16 juillet 1945 et le 29 août 1949, les expérimentations nucléaires ont été pratiquées par les nouvelles puissances nucléaires, à savoir le Royaume-Uni en 1952, la France en 1960 et la Chine en 1964.

Depuis 1945, on estime à 2046 le nombre d'essais nucléaires recensés dans le monde. Plus de la moitié d'entre eux (1 030) ont été réalisés par les Etats-Unis et plus du tiers (715) par l'URSS. La France a réalisé 210 essais et le Royaume-Uni et la Chine 45 chacun. Enfin, l'Inde a réalisé un essai nucléaire souterrain en 1974.

Encore très important jusqu'au milieu des années quatre-vingts, le nombre d'essais nucléaires a rapidement décru depuis lors, à la fois pour des raisons politiques liées à la situation internationale et pour des raisons techniques dues aux progrès effectués dans la conception des armes et aux perspectives ouvertes par la simulation.

Ainsi, les Etats-Unis ont cessé leurs essais nucléaires depuis le 23 septembre 1992 et ont annoncé en janvier 1995 le maintien de ce moratoire jusqu'à l'entrée en vigueur du traité d'interdiction complète.

Le dernier essai soviétique remonte à 1990, aucune campagne d'essais n'ayant été réalisée depuis l'effondrement de l'URSS.

Le dernier essai britannique a été réalisé en novembre 1991.

La France, on le sait, avait décrété un moratoire unilatéral sur les essais nucléaires le 8 avril 1992, puis a repris une ultime campagne de 6 essais réalisés entre le 5 septembre 1995 et le 27 janvier 1996, tout en annonçant son intention, à l'issue de cette campagne, de signer le traité d'interdiction complète.

Quant à la Chine, elle a effectué ses deux derniers essais les 8 juin et 29 juillet 1996 avant de rejoindre elle aussi les parties au traité.

Au travers de l'interdiction complète des essais, a été poursuivi un double objectif :

. mettre fin au développement d'engins plus perfectionnés
et donner ainsi un coup d'arrêt, sur le plan qualitatif, à la course aux armements nucléaires,

. empêcher un Etat non-nucléaire de réaliser un arsenal nucléaire crédible.

Contrairement à ce qu'auraient souhaité certains pays, l'interdiction des essais nucléaires ne constitue donc pas une mesure de désarmement, car elle n'implique aucune limitation ou réduction des armes nucléaires. Elle renforce en revanche la lutte contre la prolifération, dans son acception classique, c'est-à-dire contre l'apparition de nouveaux Etats nucléaires, mais aussi dans une acception nouvelle, que l'on a pu qualifier de non-prolifération "verticale" : un frein posé au développement et à l'amélioration qualitative des armes nucléaires et un obstacle au développement de nouveaux types d'armes encore plus évoluées.

Certes, deux limites s'imposent à ces objectifs :

. d'une part, l'absence d'essais en vraie grandeur n'exclut pas la possibilité, pour un Etat non nucléaire, de concevoir et de réaliser une arme nucléaire, même si celle-ci demeure "rustique",

. d'autre part, les puissances nucléaires développent d'importants programmes de simulation permettant, dans une certaine mesure, de se passer d'expérimentations nucléaires tout en conservant la capacité de mettre au point des armes fiables et sûres, sachant que la simulation ne permet pas de développer des concepts nouveaux d'armes en l'absence d'essais nucléaires supplémentaires.

Il n'en demeure pas moins que l'interdiction des essais nucléaires constitue une pièce majeure dans le dispositif de lutte contre la prolifération et qu'elle doit limiter très sérieusement les possibilités sur le plan qualitatif, d'une course aux armements.

2. La négociation du traité : un très large accord qui n'a cependant pas réalisé l'unanimité

Alors que la Conférence du Désarmement avait décidé du mandat de négociation du traité le 10 août 1993, la négociation proprement dite s'est ouverte à Genève en janvier 1994 et s'est poursuivie jusqu'à la transmission d'un texte à l'Assemblée générale des Nations Unies en septembre 1996. Cette négociation a fait apparaître entre les parties des divergences sérieuses qu'il a fallu progressivement tenter de réduire.

Dans un premier temps, les positions défendues par de nombreux Etats non-alignés et celles soutenues par les puissances nucléaires sont apparues inconciliables.

Pour beaucoup d'Etats non-alignés en effet, le renforcement du régime de non-prolifération, qui leur interdit l'accès aux armes nucléaires et "fige" donc la situation au profit des puissances nucléaires, devait impérativement être assorti d'engagement précis de ces derniers en vue d'un désarmement nucléaire progressif.

Pour les puissances nucléaires en revanche, la question de l'interdiction des essais devait être dissociée de celle du désarmement, le traité ne devant en aucun cas les lier sur le rythme et l'ampleur d'un éventuel désarmement nucléaire.

Une opposition de même nature s'est manifestée entre les Etats qui souhaitaient non seulement interdire les explosions nucléaires mais également toutes les activités de recherche, afin de rendre inéluctable l'élimination des armes nucléaires, et les puissances nucléaires qui, dans un premier temps, souhaitaient maintenir la possibilité de réaliser des essais de faible puissance et qui, par ailleurs, entendaient préserver les autres activités expérimentales n'impliquant pas d'explosion nucléaire.

En proposant le 10 août 1995 de consacrer " l'option zéro" , c'est-à-dire l'interdiction complète de toute explosion nucléaire quel qu'en soit le niveau, la France a grandement contribué à débloquer la négociation. En effet, la proposition française a été immédiatement soutenue par les Etats-Unis puis elle a été progressivement acceptée par la suite par la Russie et par la Chine.

Le consensus établi sur "l'option zéro" a permis de poser le socle du traité, à savoir le dispositif qui définit sa portée, et d'aborder les modalités de mise en oeuvre de l'interdiction.

Ce préalable n'avait cependant pas levé tous les obstacles à l'aboutissement de la négociation.

Certaines difficultés, telles que celles concernant le régime d'inspection sur place, ont pu être levées.

La Chine a tenté de faire admettre le principe de l'autorisation des explosions nucléaires effectuées à des fins pacifiques . Une telle clause, qui aurait affaibli considérablement le traité en ouvrant la porte à des essais à des fins militaires camouflées, était inacceptable pour les autres parties mais, afin d'obtenir l'adhésion de la Chine, une clause envisageant le réexamen de la question des explosions dites "pacifiques" 10 ans après l'entrée en vigueur du traité a été adoptée.

L'écueil principal sur lequel s'est heurtée la négociation a résidé dans le lien effectué entre l'entrée en vigueur du traité et l'objectif d'universalité .

A la différence de la solution adoptée pour la convention sur les armes chimiques, dont l'entrée en vigueur a été subordonnée à sa ratification par un nombre minimum d'Etats, une majorité s'est dégagée au sein de la Conférence du Désarmement pour considérer que l'interdiction complète des essais nucléaires ne pouvait prendre force de loi que si l'ensemble des Etats susceptibles de réaliser de tels essais s'engageaient à y renoncer.

Cette exigence d'universalité, dictée par un souci de réalisme, a buté sur la ferme opposition de l'Inde qui, au long de la négociation, a déclaré qu'elle ne signerait pas le traité pour deux raisons de fond :

- l'une générale, à savoir le déséquilibre qui résulterait à ses yeux du traité au détriment des Etats non nucléaires, si les puissances nucléaires ne s'engageaient pas en même temps sur un calendrier contraignant de désarmement nucléaire complet,

- l'autre, plus particulièrement liée à sa situation stratégique vis-à-vis de la Chine.

Il est ainsi apparu que l'exigence d'une ratification au minimum par les 5 puissances nucléaires reconnues et les 3 Etats du seuil préalablement à l'entrée en vigueur du traité ne serait pas satisfaite en raison de la position de l'Inde, cette dernière entraînant par ailleurs une position similaire du Pakistan.

Alors que pour résoudre cette contradiction, certains Etats, dont la France et les Etats-Unis, proposaient une solution médiane qui aurait permis une entrée en vigueur du traité si cette exigence s'avérait durablement ne pas être remplie, la conférence a confirmé le lien entre l'entrée en vigueur du traité et sa ratification par 44 Etats expressément désignés qui disposent de capacités nucléaires significatives . Cette clause laisse bien entendu peser un doute sur les chances d'application effective du traité.

Ce texte ainsi mis au point à Genève a été adopté le 10 septembre 1996 par l'Assemblée générale des Nations Unies. Il a recueilli le vote positif de 158 Etats. L'Inde, le Bhoutan et la Lybie ont voté contre. Cuba, la Tanzanie, la Syrie, le Liban et Maurice se sont abstenus.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page