4. Les moyens à mettre en oeuvre

La France dispose d'un réseau qu'il importe d'exploiter au mieux afin de revitaliser le transport ferroviaire de marchandises et de lui permettre d'absorber une part croissante des trafics.

En l'état actuel des infrastructures et de la compétitivité de la SNCF, il n'est pas apparu à votre commission qu'un développement significatif du fret ferroviaire était possible . En effet, bien qu'il soit à la fois nécessaire et souhaitable, il se heurte à des obstacles techniques qui exigent non seulement des opérations de modernisation de l'infrastructure mais également des modifications des modalités d'exploitation du réseau. D'après les estimations communiquées à votre commission, l'augmentation possible du trafic, compte tenu de l'état des infrastructures, se situe dans une fourchette de 56 à 60 milliards de tonnes-kilomètres, ce qui représente un accroissement de l'ordre de 7 à 14 %.

Votre commission considère qu'en ce domaine il n'existe pas de solution miracle. En effet, le réseau français ne permet pas la réalisation de sauts de productivité majeurs, qu'il s'agisse de l'infrastructure ou du matériel roulant .

Les autoroutes ferroviaires, en raison de leur coût et des ruptures de charge qu'elles engendrent, ne constituent pas des solutions réalistes à l'exception de quelques itinéraires comme le passage des vallées alpines ou pyrénéennes sur lesquels il importerait au demeurant d'en vérifier la rentabilité. En effet, elles impliquent des travaux d'infrastructures très lourds pour offrir un gabarit suffisant permettant de charger des poids lourds sur des wagons plats à roues normales et offrir des fréquences attractives aux transporteurs routiers. Il n'est pas sûr, dans ces conditions, que cette solution soit la mieux adaptée sur le plan technique et la plus performante sur le plan économique, les expériences étrangères n'étant pas très probantes en ce domaine.

Par ailleurs, la construction de nouvelles lignes, outre les contraintes financières et environnementales qu'elles induiraient, nous renverrait à un horizon où la compétition aurait déjà été gagnée par nos partenaires étrangers.

En ce qui concerne le matériel roulant, compte tenu des caractéristiques de notre réseau, il est impossible d'envisager la mise en circulation de double " stacks " qui présenteraient l'inconvénient de ne pas passer sous les ponts et dans les tunnels ou encore la circulation de trains de marchandises aussi longs que ceux existant aux États-Unis compte tenu de la longueur des voies d'évitement.

Pour ces raisons, quatre orientations semblent à votre commission devoir être retenues afin d'offrir au transport ferroviaire de fret de véritables possibilités de développement.

Une modification des conditions d'exploitation du réseau en faveur du fret
Afin de créer les conditions d'un développement du fret ferroviaire, est apparue à votre commission la nécessité de mettre en place des itinéraires dédiés au fret. Il lui semble, en effet, qu'une telle solution, si elle ne correspond pas aux habitudes d'exploitation du réseau, est la seule qui constitue, d'une part, une alternative crédible à une saturation des réseaux routiers sur les mêmes axes et, d'autre part, une riposte aux corridors de fret mis en place par les autres États européens à l'Est de l'Europe.

Le choix de ces itinéraires doit s'appuyer sur plusieurs critères. Ils devront être susceptibles de capter la plus grosse part de l'augmentation prévue des trafics de fret et donc revêtir une importance stratégique pour la desserte ferroviaire fret du territoire national. Il est évident qu'ils seront plus aisément mis en place sur des lignes présentant des caractéristiques techniques adaptées et qui, compte tenu des trafics voyageurs actuels ou futurs et de la mise en service de lignes nouvelles à grande vitesse, accueillent un très faible nombre de trains " grandes lignes ". Enfin, ils devront assurer la plus grande intermodalité possible entre le rail et la route.

En ce qui concerne les trafics européens Nord-Sud , un tel axe serait envisageable sur la ligne existante allant du tunnel sous la Manche jusqu'à Ambérieux près de Lyon en passant par Aulnoye à l'est de Valenciennes, Conflans-Jarny à l'est de Metz et Dijon. Un tel itinéraire permettrait des raccordements vers la Belgique, l'Allemagne et le Bénélux.

Il pourrait également être prolongé vers l'Italie après la traversée de Chambéry et vers la vallée du Rhône après la traversée de Lyon. Une telle solution serait particulièrement pertinente si était mise en place, parallèlement, une liaison dédiée fret sur la rive droite du Rhône afin d'assurer la desserte du port de Marseille.

A moyen terme, cette desserte nord-sud du territoire pourrait être améliorée, d'une part, grâce à la mise en place d'itinéraires alternatifs, afin notamment de contourner Dijon et, d'autre part, grâce à un raccordement vers Mulhouse puis vers la Suisse et l'Allemagne par Besançon et Belfort. Enfin, une meilleure exploitation de la liaison Ambérieux-Modane et de la ligne Mâcon-Genève pour le TGV Paris-Genève qui permettrait de libérer des sillons peut être envisagée.

Votre commission souligne à cet égard que le phasage des investissements TGV recommandé plus haut jouerait un rôle déterminant dans la recherche d'une exploitation du réseau destinée à permettre un développement du fret.

En ce qui concerne les trafics européens Ouest-Est , il serait possible à court terme de consacrer au fret une ligne Le Havre - Metz contournant Paris par Amiens avec des raccordements mixtes pour Strasbourg, l'Allemagne ou la Suisse, puis l'Autriche et la Hongrie.

Par ailleurs, la commission souligne la nécessité de scinder totalement les trafics de voyageurs et les trafics fret au niveau de la grande ceinture de la région parisienne qui interconnecte le réseau étoilé des principales lignes ferroviaires françaises.

Sur ces itinéraires dédiés au fret, il serait ainsi possible de parvenir à des améliorations significatives de qualité des circulations afin de répondre à la demande des chargeurs, notamment dans le domaine du transport combiné.

Des investissements de capacité
Ces modifications des conditions d'exploitation du réseau ferroviaire, si elles sont décisives, doivent être accompagnées d'investissements destinés à accroître la capacité de ce dernier et à remédier aux difficultés liées au passage des grandes agglomérations. En effet, en ces points de territoire, le trafic voyageurs " grandes lignes " ou régional ne peut être modifié et conduit à une saturation des infrastructures qui induit des aléas d'acheminement dont les coûts sont importants pour les trains de fret.

Ces investissements qui accroîtront la rentabilité de l'activité marchandises de la SNCF pourraient permettre une augmentation des péages versés par l'entreprise ferroviaire à RFF.
Votre commission souligne le caractère stratégique de ces investissements qui permettraient à la France de se doter d'un réseau fret capable d'absorber une augmentation des trafics. Certaines des réalisations envisagées dont le coût n'est pas considérable (1 milliard de francs pour la grande ceinture de Paris, 2 milliards pour le contournement de Chambéry ou encore 1 milliard de francs pour le pont Saint-Jean à Bordeaux) revêtent une importance particulière et devraient, à ce titre, être prioritaires.

Par ailleurs, des améliorations techniques pourront être apportées au matériel roulant afin notamment d'accroître la longueur, la vitesse et le tonnage des trains. En effet, la mise en circulation de trains pouvant aller jusqu'à 1.500 kilomètres et atteindre des vitesses de l'ordre de 120 kilomètres/heure permettrait d'accroître la compétitivité du fret ferroviaire. De telles améliorations porteraient sur les locomotives utilisées pour le fret ainsi que sur le système de commande de freins et pourraient résulter de l'installation de la télécommande radio des locomotives. Par ailleurs, les opérations de transbordement pourraient être facilitées grâce à l'automatisation dans les chantiers de transport combiné.

Le renforcement de la priorité fret

Au-delà de ces aménagements, il est apparu à votre commission que la SNCF devait poursuivre son effort de mobilisation en faveur du transport de marchandises. Ceci suppose un changement de stratégie dans l'utilisation du réseau mais également une amélioration de sa productivité qui, aux yeux des opérateurs de transport combiné français demeure largement insuffisante. La fiabilité des liaisons ferroviaires s'avère, en effet, encore insuffisante face à la route dont les taux de fiabilité de l'ordre de 95 à 98 % la rendent totalement adaptée à un fonctionnement des entreprises en flux tendus.

Par ailleurs, il importe de promouvoir une nouvelle conception des infrastructures permettant de garantir leur mixité, c'est-à-dire leur utilisation aussi bien pour des trafics de fret que pour des trafics de voyageurs.

Il semble que, dans ce domaine, des évolutions se fassent jour. Elles sont notamment dictées par des raisons financières. Il est aujourd'hui évident que la construction d'une ligne TGV Lyon-Turin pour le trafic des voyageurs n'est légitime en raison de sa faible rentabilité que s'il s'agit d'une ligne mixte voyageurs-fret se justifiant en raison de l'augmentation prévisible des trafics orientés nord-sud. Votre commission considère que cette perspective qui n'est pas familière à la SNCF doit être désormais systématiquement explorée.

Une amélioration des capacités du transport combiné
Outre l'effort à accomplir sur le réseau ferroviaire, doit être engagée une action d'amélioration des capacités du transport combiné et des plates-formes multimodales . Certains équipements comme le chantier de transport combiné de Lhomme dans le Nord près de Lille fonctionnant à 120 % de leur capacité sont saturés et interdisent de satisfaire une demande en pleine expansion. Par ailleurs, un défaut de coordination des initiatives locales prises en ce domaine compromet l'efficacité de l'effort global d'investissement. Cela avait été souligné par le rapport remis au ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme par M. Philippe Daubresse en avril 1997 et dont les conclusions n'ont pas été pour l'heure exploitées.

Il s'agit donc en ce domaine à la fois de réaliser des investissements de capacités -au demeurant souvent modestes (entre 30 et 40 millions de francs)- afin de remédier aux phénomènes de saturation et d'affirmer une logique nationale de développement.

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