B. UN EFFORT INCERTAIN

Bien qu'insuffisant, l'effort proposé par le gouvernement pour réduire le déficit n'en demeure pas moins incertain, car il repose sur plusieurs paris qui doivent tous être gagnés pour réussir.

1. Un accroissement des dépenses rigides, financé par un surcroît de recettes volatiles, et qui laisse subsister un déficit de fonctionnement important

Les principales augmentations de recettes sont les suivantes (PLF 1999/LFI 1998 révisée)

TVA nette

+ 23,0 milliards de francs

impôt sur le revenu

+ 16,2 milliards de francs

impôt sur les sociétés

+ 12,4 milliards de francs

TIPP

+ 4,7 milliards de francs

ISF

+ 3,6 milliards de francs

recettes non fiscales

+ 19,9 milliards de francs

En contrepartie, les principaux postes de dépenses en augmentation sont les suivants (PLF 1999/LFI 1998)

charges liées à la fonction publique civile et militaire

+ 20,9 milliards de francs 7( * )

emplois-jeunes

+ 7,5 milliards de francs

accroissement de la charge de la dette

+ 2,4 milliards de francs

Si l'impôt sur le revenu est une recette relativement peu sensible à la croissance de l'année de sa perception, cela est déjà moins vrai de l'impôt sur les sociétés. Et il n'en est pas de même de la TVA ou de la TIPP. Ces deux impôts, très sensibles à l'état de la demande intérieure du moment, forment 60 % des recettes de l'Etat L'ISF est, quant à lui, très sensible à la valeur des patrimoines à la fin de l'année précédente.

Or, la situation des valeurs mobilières a été très contrastée au cours des derniers mois.

Face à des augmentations de recettes relativement sensibles à la situation économique, le gouvernement devra financer des augmentations de dépenses souvent très rigides, pratiquement impossibles à comprimer dans un délai rapide, notamment les charges de la fonction publique.

C'est pourquoi il ne pourrait pas ajuster les augmentations de dépenses qu'il a prévues aux augmentations réelles des recettes qui seront constatées en 1999.

Cette rigidité aggravée de la structure des dépenses transparaît dans la présentation du budget sous la forme appliquée aux collectivités locales, et qui laisse apparaître un déficit de fonctionnement élevé, quoiqu'en réduction sensible (à 68,7 milliards de francs en 1999 contre 98,8 milliards de francs en 1998).

Tableau du budget en actions de fonctionnement et d'investissement

(en milliards de francs)

 

Dépenses

 

Recettes

Section de fonctionnement

LFI 1998

PLF 1999

Section de fonctionnement

LFI 1998

PLF 1999

1. Charges à caractère général

63,1

64,5

1. Produits de gestion courante (recettes non fiscales)


134,7


161,2

- Matériel et fonctionnement civils

39,8

43,3

 
 
 

- Fonctionnement des armées

23,3

21,1

 
 
 

2. Charges de personnel

610,7

652,1

2. Impôts et taxes (recettes fiscales)

1.448,2

1.533,3

- RCS civiles

372,8

389,4

 
 
 

- RCS militaires

80,5

82,8

 
 
 

- Pensions civiles et militaires

157,5

179,9

 
 
 

3. Autres charges de gestion courante


546,5


566,9

 
 
 

- Pouvoirs publics

4,4

4,5

 
 
 

- Subventions aux EPA

52,8

48,2

 
 
 

- Interventions

464,1

495,2

 
 
 

- Subventions d'investissement

17,0

18,6

 
 
 

- Garanties (titre I)

1,6

1,5

 
 
 

- Divers (titre I)

1,9

2,0

 
 
 

- CST (hors affectation des recettes de privatisation


4,6


- 3,1

 
 
 

4. Charges financières

248,7

253,3

3. Produits financiers

20,3

22,0

- Intérêts bruts de la dette

248,7

253,3

- Recettes liées à la dette

13,8

16,0

 
 
 

- Intérêts sur prêts du Trésor

6,5

6,0

5 Charges exceptionnelles

0,0

0,0

4. Produits exceptionnels

0,0

0,0

6. Dotations aux amortissements et provisions


0,0


0,0

5. Reprises sur amortissements et provisions


0,0


0,0

7. Reversements sur recettes

233,1

248,5

 
 
 

- Prélèvements CEE

91,5

95,0

 
 
 

- Prélèvements collectivités locales

141,6

153,5

 
 
 
 
 
 

Déficit section de fonctionnement

98,8

68,7

TOTAL

1.702,0

1.785,2

 

1.702,0

1.785,2

 

Dépenses

 

Recettes

Section d'investissement

LFI 1998

PLF 1999

Section d'investissement

LFI 1998

PLF 1999

1. Dépenses d'investissement

159,1

167,9

Déficit section de fonctionnement

- 98,8

- 68,7

- Equipement civil

78,1

81,9

 
 
 

- Equipement militaire

81,0

86,0

 
 
 
 
 
 

Cessions d'immobilisations financières


28,0


17,5

2. Dépenses opérations financières

375,0

299,7

Ressources d'emprunt

604,9

518,8

- Remboursements d'emprunts (et autres charges en trésorerie)


347,0


282,2

 
 
 

- Participations (dotations en capital)

28,0

17,5

 
 
 

- Autres immobilisations financières (désendettement)


0,0


0,0

 
 
 

TOTAL

534,1

476,6

 

534,1

467,6

Source : Direction du budget

La pertinence de la distinction entre section de fonctionnement et section d'investissement laisse apparaître une différence importante de conception budgétaire entre le gouvernement français et certains Etats européens ou non.

Ainsi, le gouvernement considère que :

" La distinction entre dépenses de fonctionnement et dépenses d'équipement ne repose aujourd'hui sur aucune base juridique s'imposant au gouvernement, ni sur aucun fondement méthodologique validé par les comptables nationaux. Cette présentation purement comptable et sans portée réelle n'est donc pas reprise par le gouvernement, qui souligne que, pour la première fois depuis des années, le budget de l'Etat sera en excédent hors charges de la dette ."

Si l'on peut admettre qu'il n'existe aucune méthodologie validée aujourd'hui pour une présentation de cette nature, on ne peut toutefois pas affirmer de façon radicale qu'elle ne repose sur aucune base juridique. En effet, s'il n'existe pas de prescription contraignante en la matière, le paragraphe 3 de l'article 104 C du traité sur l'Union européenne prévoit que dans sa grille d'analyse relative au déficit et dette publics excessifs, la Commission examine notamment " si le déficit public excède les dépenses publiques d'investissement ". Cela suppose naturellement que les Etats membres présentent des comptes de nature à fournir cette information.

En outre, l'exemple de certains pays étrangers montre que la France souffre d'un certain retard méthodologique, lié au vieillissement de l'ordonnance organique de 1959.

Ainsi, en Allemagne , l'article 115 de la loi fondamentale prévoit que l'endettement contracté au cours d'une année ne doit pas excéder l'investissement. Le budget 1999, élaboré par le précédent gouvernement, prévoyait le respect de cette "règle d'or" (57,5 milliards de deutschmark d'investissements pour 56,2 milliards de deutschmark de déficit).

Au Royaume-Uni , le gouvernement travailliste a déposé un projet de "code pour la stabilité budgétaire et fiscale" (code for fiscal stability), sorte de loi de finances programmatique pour les cinq prochaines années.

Les prévisions budgétaires des années 1997-1998 à 2003-2004 y sont présentées en section de fonctionnement et section d'investissement (dépenses courantes et dépenses en capital), la section courante devant connaître un excédent croissant de 5 milliards de livres en 1998-1999 à 14 milliards de livres en 2003-2004.

Deux principes sont sous-jacents à cette méthode :

- " la règle d'or : au cours du cycle économique prévu par la loi le gouvernement n'empruntera que pour investir et non pour financer les dépenses courantes ; et

- la dette publique appréciée en proportion du revenu national sera maintenu à un niveau stable et prudent
" 8( * ) .

Dans sa présentation sur internet du budget 1998/1999, le ministre des finances du Québec se réjouit que :

" Le gouvernement cesse d'emprunter pour "l'épicerie" :

- Il y a quatre ans, le gouvernement devait emprunter pour payer 4,1 milliards de dollars de dépenses courantes ou "dépenses d'épicerie". Aujourd'hui, toutes les dépenses courantes sont payées comptant et le gouvernement enregistre un premier surplus depuis vingt ans.

- Fini de reporter sur les jeunes le fardeau des dépenses actuelles
."

2. Une amélioration du déficit appuyée sur la conjoncture et non sur des réformes : la persistance d'un déficit structurel élevé

Le maintien de charges de structure trop lourdes par rapport au potentiel de recettes à moyen terme se lit aussi dans la persistance d'un déficit structurel encore trop élevé (1,8 % du PIB), soit 159 milliards de francs.

1. Méthode de calcul du solde structurel

Le solde structurel des administrations publiques est calculé en retranchant du solde effectif un solde "conjoncturel", mesurant l'impact mécanique du cycle conjoncturel sur l'évolution des dépenses et des recettes.

Le calcul du solde conjoncturel repose sur une estimation de l'écart entre le PIB effectif et son niveau potentiel ("output gap"). Pour corriger les recettes des effets de la conjoncture, on retient des élasticités au PIB de moyen terme, pour la plupart proches de l'unité. Au sein des dépenses publiques, seules sont corrigées les dépenses induites par le chômage (dépenses d'indemnisation + RMI + dépenses liées à l'emploi hors allégements de charges) 9( * ) .

2. Le solde structurel selon les organisations internationales

La plupart des institutions intéressées par le suivi des politiques budgétaires (gouvernements, OCDE, Commission européenne, FMI) ont développé leurs propres outils.

Quelle que soit la méthode choisie, le "solde structurel" est toujours calculé de façon indirecte, et constitue un résidu. La démarche revient en effet à déduire du solde effectif des administrations publiques une correction (le "solde conjoncturel") mesurant l'impact sur les recettes et sur les dépenses publiques de l'écart entre le niveau effectif du PIB et son niveau potentiel (ou tendanciel).

a) Calcul d'output gap

La première source d'écarts entre les estimations de solde structurel réside dans le calcul de l'output gap. Les soldes structurels calculés par l'OCDE, le FMI ou par la Direction de la prévision sont basés sur la détermination d'un potentiel d'activité estimé à partir d'une fonction de production. La Commission européenne se distingue en utilisant une technique de filtrage.

b) Détermination du solde conjoncturel

Une fois choisie la situation conjoncturelle de référence, il reste à déterminer le périmètre des recettes et des dépenses publiques qui doivent être corrigées de l'impact "mécanique" des fluctuations cycliques de l'activité.

En ce qui concerne les recettes des administrations publiques, le FMI corrige la conjoncture de l'ensemble des postes, tandis que la Commission européenne, l'OCDE (1) et la Direction de la prévision excluent les recettes non fiscales de cette correction. La plupart des institutions internationales se réfèrent aux élasticités des recettes au PIB calculées en 1990 par l'OCDE (Chouraqui et alii, 1990). Ces estimations ont été partiellement remises à jour par l'OCDE en 1995, et sont depuis reprises par les services de la Commission européenne.

Le champ des dépenses publiques censées répondre automatiquement aux fluctuations conjoncturelles est nettement plus restreint : seules les dépenses d'indemnisation du chômage (soit 2,4 % des dépenses publiques françaises en 1996) font l'objet d'une correction par les organisations internationales. La charge retenue par le Direction de la prévision est légèrement plus large, incluant certaines dépenses de la politique de l'emploi.

Pour calculer un taux de chômage cohérent avec le sentier de croissance pris comme référence et déterminer la part conjoncturelle des dépenses de chômage, l'OCDE, la Commission et la Direction de la prévision recourent à la méthode dite du "coefficient d'Okun" dont les estimations varient d'une institution à l'autre. Le FMI retient, quant à lui, comme référence le taux de chômage structurel (NAWRU) cohérent avec son scénario de croissance potentielle.

(1) Cependant, avant 1995, l'OCDE retenait pour le poste (autres recettes" une élasticité unitaire (Chouraqui et alii, 1990).

Le solde structurel des administrations publiques met en quelque sorte en balance des recettes et des dépenses permanentes, hors de l'influence de la conjoncture. L'existence d'un déficit structurel témoigne de ce que l'Etat "vit au-dessus de ses moyens".

Le rapport économique, social et financier (page 143), synthétise parfaitement l'alternative qui se présente pour réduire le déficit structurel :

" Pour diminuer durablement le besoin de financement des administrations publiques, ce qui correspond à une amélioration du solde structurel, il est nécessaire, soit d'augmenter de manière permanente les recettes (mais ceci alourdit encore le taux des prélèvement obligatoires), soit de freiner les dépenses par rapport à la croissance moyenne de la richesse nationale. Le solde structurel est par exemple amélioré lorsque le montant des intérêts payés par l'Etat diminue du fait de la réduction de la part de la dette dans le PIB. De la même façon, une maîtrise forte des dépenses liées à la sécurité sociale améliore le solde structurel des administrations publiques ."

Pour 1999, le solde structurel des administrations publiques françaises s'améliorerait de 0,2 point, à 1,8 % du PIB, ce qui représente un excès de dépenses de 159 milliards de francs .

La lente amélioration du déficit structurel depuis 1997

 

1994

1995

1996

1997

1998

1999

Déficit structurel

- 4,6

- 4,0

- 2,6

- 2,2

- 2,0

- 1,8

Déficit conjoncturel

- 1,1

- 0,9

- 1,5

- 0,8

- 0,9

- 0,5

Alors que de 1994 à 1997, le déficit structurel s'était réduit en moyenne de 0,8 point par an, le gouvernement n'a pas poursuivi cette tendance, ne réduisant ce déficit que de 0,2 point par an depuis.

En revanche, alors que la composante conjoncturelle du déficit était restée assez mal orientée de 1994 à 1997 (plus d'1 % du PIB en moyenne) ; elle est en voie d'amélioration sensible depuis.

Ce constat témoigne de l'appui excessif que le gouvernement prend sur l'amélioration de la situation économique, et de l'insuffisance de l'effort d'adaptation des dépenses au potentiel de recettes publiques (un relèvement des prélèvements obligatoires étant exclu). Ceci entache la réduction du déficit d'une forte sensibilité à la conjoncture.

3. La réduction du déficit de l'ensemble des administrations publiques ne repose pas sur les efforts de l'Etat

Une incertitude supplémentaire provient du pari que prend le gouvernement sur le résultat des administrations publiques autres que l'Etat. Contrairement à la tendance poursuivie jusqu'en 1996, l'assainissement de l'ensemble de nos finances publiques repose en grande partie sur les équilibres, voire les excédents, des collectivités locales, de la sécurité sociale et des organismes divers d'administration centrale (en particulier la CADES).



Cette tendance s'accentue pour 1999, puisque la réduction à - 2,3 % du PIB du déficit public au sens du traité sur l'Union européenne repose sur un excédent de 0,4 % des administrations publiques autres que l'Etat.

Objectifs de solde des administrations publiques en 1999 (% du PIB)

Solde des administrations publiques (total)

- 2,3 %

Etat

- 2,7 %

Collectivités locales

+ 0,15 %

Sécurité sociale

+ 0,1 %

Organismes divers d'administrations centrales

+ 0,15 %

Ce pari est risqué. Si d'aventure la sécurité sociale, les collectivités locales et les ODAC connaissaient en 1999, non pas un léger excédent, mais un léger déficit (0,1 point de PIB chacun), ce qui est plausible, la France se retrouverait en situation de déficit public excessif (3 %) au regard du traité sur l'Union européenne.

Une très légère évolution de la situation (détérioration de la conjoncture, dérapage des dépenses de maladie, excès de charges des collectivités locales...) porterait ainsi un coup très dur à l'échafaudage du gouvernement.

A cet égard, il convient de rappeler que l'article 5 du règlement n° 2466/97 du Conseil du 7 juillet 1997, relatif au renforcement de la surveillance des positions budgétaires ainsi que de la surveillance et de la coordination des politiques économiques, prescrit que le Conseil examine " si l'objectif budgétaire à moyen terme [...] offre une marge de sécurité pour assurer la prévention d'un déficit excessif ." Pour 1999, ce ne semble pas être le cas. Pour que cela le soit "à moyen terme", le gouvernement devra proposer des efforts supplémentaires pour l'Etat.

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