IV. LES ENJEUX À MOYEN TERME

1. L'application de la loi du 10 janvier 1991 dite loi " Evin "

La loi du 10 janvier 1991 prononce l'interdiction totale 5( * ) de toute publicité en faveur du tabac dans la presse écrite.

La loi précise également la notion de publicité indirecte. Elle élargit la définition des moyens indirects de promotion tels que l'utilisation d'une marque, d'un emblème publicitaire ou de tout autre signe distinctif, et vise, par là, à empêcher que le développement de produits dérivés permette le contournement de l'interdiction.

La publicité pour l'alcool ne demeure autorisée que dans la presse écrite pour adultes et la radio, sous réserve du respect de certaines obligations.

Il convient d'indiquer le degré volumique d'alcool, l'origine, la dénomination, la composition du produit, le nom et l'adresse du fabricant, des agents et des dépositaires ainsi que le mode d'élaboration, les modalités de vente et le mode de consommation du produit. Toute publicité en faveur des boissons alcooliques doit, en outre, être assortie d'un message de caractère sanitaire précisant que l'abus d'alcool est dangereux pour la santé.

Les services privés de radiodiffusion sonore peuvent diffuser des messages publicitaires en faveur de boissons dont le degré volumique d'alcool est supérieur à 1,2 ° tous les jours entre 0 H et 17 H, sauf le mercredi où les messages ne sont diffusés qu'entre 0 H et 7 H à des fins de protection des mineurs (décret du 23 septembre 1992).

Divers assouplissements ont été apportés à ce dispositif d'interdiction de publicité .

Le législateur a ainsi adopté, dans le cadre du projet de loi portant diverses mesures d'ordre social du 27 juillet 1993, un amendement autorisant exceptionnellement la retransmission télévisée des compétitions du seul sport mécanique qui se déroulent dans les pays où la publicité pour le tabac est autorisée. Ce texte précise qu'une telle dérogation reste valable jusqu'à l'intervention d'une réglementation européenne.

En outre, alors que la loi prévoyait que seules les affiches et enseignes exposées dans les zones de production et les affichettes à l'intérieur des lieux de vente à caractère spécialisé demeuraient autorisées, un amendement adopté dans le cadre de la loi du 8 août 1994 portant diverses dispositions d'ordre social, a supprimé toute référence à la notion de zone de production et autorise de ce fait la publicité par voie d'affichage pour les boissons alcoolisées.

Impact de la loi Evin sur les ressources publicitaires plurimedias

Les investissements publicitaires plurimédias pour les boissons alcoolisées ont représenté 1,16 milliard en 1992 (dernière année précédant l'entrée en vigueur de la loi), dont un tiers pour la presse écrite. Pour le tabac, ces investissements s'élevaient à 263, 8 millions en 1992, dont 255, 3 millions pour la presse et 8, 4 millions pour l'affichage (source Secodip).

Les investissements publicitaires dans les grands médias en faveur du tabac ont augmenté jusqu'en 1992 et privilégiaient de manière quasiment exclusive le media presse. En 1996, 7,2 millions de francs ont été recensés correspondant pour 2, 6 millions aux publications de presse professionnelles autorisées et pour 4, 6 millions à l'affichage (source Secodip).

Les investissements publicitaires en faveur des boissons alcoolisées ont atteint en 1996 un niveau de 1,09 milliard de francs après une décroissance en 1993 et 1994.

La presse, peu concernée par les nouvelles contraintes imposées par la loi sur ce secteur (interdiction aux seules publications destinées à la jeunesse) a connu une baisse des investissements en faveur de l'alcool dès 1991, suivie d'une reprise depuis 1994. En 1996, elle reste le premier media choisi par les boissons alcoolisées (465 millions), juste devant l'affichage (452 millions).

La loi du 10 janvier 1991 n'a pas eu d'effet sur le support télévisuel, interdit de publicité par le décret de janvier 1987. La télévision recueillait encore en 1995 environ 50 millions de francs, émanant pour moitié des bières sans alcool et pour moitié des panachés.

Le manque à gagner résultant pour la presse écrite de l'application de la loi Evin représenterait 240 millions de francs par an. Son incidence est plus particulièrement sensible pour la presse magazine, car le tabac représentait, en 1991, 74 % de ses recettes publicitaires (y compris les produits dérivés).

Bilan de l'accord de bonne conduite relatif à la retransmission télévisée des événements sportifs

Un code de bonne conduite relatif à la retransmission télévisée des événements sportifs a été proposé aux professionnels ; élaboré sous l'égide du ministère de la jeunesse et des sports fin mars 1995, il vise à assouplir les règles d'interdiction édictées par la loi Evin en opérant une distinction entre les rencontres multinationales et les rencontres franco - étrangères.

Dans le premier cas, le texte précise que "la présence de publicités pour des boissons alcooliques lors de manifestations sportives se déroulant à l'étranger, et dont la retransmission en France serait susceptible, si elle faisait preuve de complaisance, d'engendrer des risques de contentieux, doit susciter la vigilance." Sous cette réserve, une "tolérance" de la publicité pour les marques d'alcool françaises sera donc reconnue dans le cadre des rencontres multinationales se déroulant à l'étranger. En revanche, dans le cas des rencontres franco - étrangères, le texte prévoit une obligation de vigilance

Étude d'impact de la loi

Comme on l'a déjà annoncé l'année dernière, une évaluation de l'impact de la loi du 10 janvier 1991 est actuellement conduite par le Commissariat au plan depuis avril 1997. Le bilan doit être achevé au dernier trimestre de l'année 1998. Cette étude a pour finalité de rechercher si la loi a atteint ses objectifs et d'en apprécier le caractère approprié et proportionné au regard de la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme.

Ces travaux sont menés par une commission composée de représentants des principaux ministères concernés (secrétariat d'État à la Santé, ministère de la Justice, ministère de l'Économie et des Finances, ministère de la Culture, ministère de l'Agriculture, ministère délégué à la Jeunesse et aux Sports), de personnalités qualifiées (juriste, économiste, historien, médecin), d'un représentant du haut comité de la santé publique, d'un représentant d'une association de consommateurs, ainsi que de deux élus.

Celle-ci a procédé à l'audition des professionnels concernés (producteurs, supports publicitaires, organismes de prévention et de prise en charge de l'alcoolisme et du tabagisme) et a confié diverses études à des organismes tiers.

La proportionnalité des mesures aux objectifs visés s'appréciera au regard d'un bilan coûts/avantages de la politique menée. Dans ce cadre, il sera opéré une appréciation du manque à gagner des professionnels supportant les conséquences financières des dispositions législatives, et plus particulièrement des incidences de la loi en matière de recettes publicitaires.

L'évaluation s'attachera ainsi à apprécier l'acceptabilité des mesures édictées par la loi, le rapport final pouvant suggérer des aménagements relatifs à la loi elle-même ou à la politique globale de lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme culturel.

2. L'adaptation de la presse au paysage audiovisuel

Ainsi que votre rapporteur l'a indiqué dans les développements qu'il a consacrés à la situation du secteur, il semble que la presse résiste mieux à la concurrence de la télévision et conforte sa part de marché publicitaire.

La reprise économique, d'une part, et la tendance à la diversification des stratégies " médias " des annonceurs place la presse dans une situation moins défavorable dans sa compétition avec la télévision.

La réforme du mode de financement de l'audiovisuel public annoncé par le gouvernement peut faire espérer un renforcement de cette tendance, même si il est sans doute illusoire d'attendre un report massif des dépenses publicitaires qui ne trouveront plus d'espace sur les télévisions.

En tout état de cause la concurrence continue d'être rude et de légitimer une adaptation des méthodes et des stratégies de la presse qui doit, à l'évidence, s'insérer tôt ou tard dans un univers multimédias

a) Les initiatives tendant à l'offre de service communs

Les initiatives de la presse tendant à présenter une offre commune en fédérant ses services relèvent majoritairement de la presse quotidienne régionale.

Celle-ci s'est en particulier dotée d'outils publicitaires collectifs. La presse quotidienne régionale a ainsi pris l'initiative du couplage en créant dès 1991 le 66-3 (aujourd'hui dénommé PQR 66 ) qui réunit 66 éditeurs régionaux et leurs régisseurs nationaux et constitue ainsi une simplification dans l'utilisation de la presse quotidienne régionale pour une campagne nationale. La publicité nationale est ensuite répartie au prorata des ventes de chacun. Elle propose également des produits publicitaires plurimedias (presse /télévision, presse /affichage, presse/radio).

Cette expérience a été étendue à Internet , le syndicat de la presse quotidienne régionale ayant formé au début de l'année 1998 le GIE Web 66 , constitué avec Real Media Europe, afin de développer le marché publicitaire sur Internet. Ce groupement a vocation à commercialiser de l'espace publicitaire sur Internet, dont le prix sera fonction du nombre de pages effectivement vues. Il regroupe 18 titres (dont La Voix du Nord, Le Parisien, La Dépêche et Sud-Ouest) possédant au total une trentaine de sites sur Internet.

L'objectif du groupement est d'offrir aux annonceurs sur Internet une plate-forme nationale capable de valoriser des audiences régionales . Il permet à ses membres de créer une seule régie publicitaire avec une tarification unifiée et des bilans de campagne publicitaire centralisés.

Au titre des initiatives de regroupement de la presse quotidienne régionale, il convient également de mentionner la création en 1995 du GIE "France Images Régions", réseau des sociétés de production de la presse quotidienne régionale regroupant dix titres. Celui-ci collabore notamment avec TFI et LCI ainsi que pour les décrochages locaux de M6.

Il convient en outre de préciser que la presse hebdomadaire régionale s'est pour sa part récemment dotée d'un site Internet et d'un outil publicitaire commun qui doit permettre à un annonceur de publier ses campagnes nationales dans les 215 titres du Syndicat de la presse hebdomadaire régionale (régie contrôlée à 51 % par les éditeurs et à 49 % par Havas régie).

Il existe par ailleurs une fédération de l'offre de contenus par certains groupes de presse (exemple du site Internet du groupe Sud-Ouest ou projet "Infos on line" du groupe Havas).

b) Le problème des télévisions locales

Face à cette question controversée - qu'il s'agisse des décrochages locaux ou de la situation critique des télévisions locales hertziennes - la presse ne présente pas une attitude uniforme. Tandis que certains sont tentés par l'expérience d'une collaboration, d'autres craignent que la généralisation des télévisions locales ne s'accompagne d'un aménagement des conditions d'accès au marché publicitaire local et que cela affecte en définitive les ressources de la presse.

Des synergies entre la presse et la télévision se sont déjà mainifestées. Les chaînes hertziennes nationales offrant des décrochages régionaux, M6 et France 3, se sont souvent associées à la presse quotidienne régionale pour la collecte d'informations ou la recherche d'une complémentarité de leur offre.

Pour amorcer sa mutation, la presse locale a ainsi choisi de collaborer avec des grands réseaux télévisés pour lesquels elle assure une fonction d'agence régionale correspondante pour le compte de TF 1, de LCI ou de M6, tel est le cas des journaux Sud - Ouest, la Voix du Nord, Ouest - France, l'Est républicain, le Progrès de Lyon, le Télégramme de Brest.

Les éditeurs régionaux sont également associés, comme à Lyon sur TLM ou à Toulouse sur TLT, au capital des chaînes hertziennes locales.

On note que ces interventions sont encadrées par le dispositif anti-concentration prévu par l'article 41-2 de la loi du 30 septembre 1986 relatif à la prohibition du cumul multimédia régional ou local. Dans une même zone géographique déterminée, un groupe de presse local éditeur d'un quotidien d'information politique et générale ne peut se trouver dans plus d'une des situations suivantes :

• être titulaire d'une ou plusieurs autorisations relatives à des services de télévision, à caractère national ou non, diffusés par voie hertzienne terrestre dans la zone considérée

• être titulaire d'une autorisation relative à un service radiophonique dont l'audience potentielle est supérieure à 10 % des audiences potentielles cumulées dans la même zone de l'ensemble des services, publics ou autorisés, de même nature ;

• être titulaire d'une ou plusieurs autorisations relatives à l'exploitation de réseaux distribuant par câble à l'intérieur de cette zone des services de radiodiffusion sonore et de télévision.

Ces limites destinées à préserver le pluralisme local n'apparaissent pas de nature à entraver gravement le développement des initiatives de la presse dans sa participation aux télévisions de proximité. Il n'a pas en conséquence été envisagé d'adapter ce cadre juridique.

Le Gouvernement doit préciser, dans le projet de loi sur l'audiovisuel, actuellement en cours de préparation, ses propositions quant à l'aménagement du cadre législatif applicable aux services de télévision locale.

Le débat va sans aucun doute être relancé par le rapport remis au début du mois de novembre 1998, à la ministre de la Culture et de la Communication par M.M. Michel Françaix , député, et Jacques Vistel , conseiller d'État. Leur étude souligne, selon les information de presse, que la France "marque un certain retard par rapport aux autres pays développés" et que ce bilan "appelle incontestablement, si l'on souhaite aller au devant des goût du public, des réformes importantes ".

MM. Michel Françaix et Jacques Vistel estiment que le principal obstacle au développement des télévisions locales en France est d'ordre financier. Le rapport s'emploie à "examiner comment pourraient-être réunies les conditions permettant aux opérateurs de s'engager dans la création de nouvelles télévisions locales dans un nombre significatif de villes françaises", proposant pour faire face à la pénurie de fréquences hertziennes disponibles, de se demander si des fréquences attribuées aux armées ne pourraient pas être cédées.

Enfin, MM. Françaix et Vistel considèrent que la télévision locale est à leurs yeux "la meilleure voie d'entrée de la presse quotidienne régionale dans l'audiovisuel".

La concertation que le ministère entend organiser à ce sujet au début de l'année prochaine devra notamment traiter du problème de la publicité en faveur de la distribution.

La suppression de l'interdiction de la publicité en faveur de la distribution est souvent présentée comme le préalable à une meilleure viabilité financière des services de télévision locale extrêmement dépendants des revenus publicitaires et souvent considérée comme le remède miracle pour assurer la viabilité des services de télévision de proximité.

Le souci de favoriser le développement de ces services, instruments de citoyenneté et de communication locale, ne doit cependant pas conduire à porter préjudice aux intérêts de la presse.

En effet, l'interdiction de publicité télévisée du secteur de la distribution prévue par le décret du 27 mars 1992 vise notamment à protéger une source importante de revenus de la presse et plus particulièrement de la presse quotidienne régionale. En sauvegardant les ressources nécessaires à la presse écrite pour assurer son équilibre économique et son indépendance, cette disposition contribue ainsi à garantir le pluralisme de l'information.

Les recettes publicitaires des "grands médias" en provenance du secteur de la distribution peuvent être estimés, parrainage exclus, à près de cinq milliards de francs en 1997 (chiffres SECODIP). La presse capte environ 50 % de ces investissements. Le secteur de la distribution constitue environ 15 % des ressources publicitaires de la presse. Les caractéristiques locales de cette publicité conduisent à rendre la presse quotidienne régionale beaucoup plus dépendante de cette source de revenus qui représente 30 % de ses recettes publicitaires.

La publicité en faveur de la distribution ne profite pas au seul secteur de la presse mais également à celui de la radio et de l'affichage, qui recueillent respectivement 17 et 32 % des dépenses de la grande distribution dans les grands médias. Il convient de noter à cet égard que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 21 janvier 1994, a souligné que les décrochages locaux "interdisent le recours à la publicité et au parrainage en vue notamment de ne pas porter atteinte aux conditions pluralistes d'exercice de la liberté de communication par la presse quotidienne régionale et les radios locales."

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