A N N E X E


COMPTES RENDUS
DES RÉUNIONS DE LA COMMISSION

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COMPTE RENDU DES AUDITIONS
DU MERCREDI 16 DÉCEMBRE 1998

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La commission a tout d'abord entendu Mme Gisèle Halimi , présidente de la commission " vie politique " de l'Observatoire de la parité.

Mme Gisèle Halimi a tout d'abord exposé que l'Observatoire de la parité, dont elle a présidé la commission " vie politique ", avait conclu à l'opportunité d'une révision constitutionnelle pour établir dans les faits l'égalité entre les femmes et les hommes, posée par le troisième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.

Observant que l'objection principale à cette révision tenait en la mise en cause de l'universalisme républicain, elle a considéré que celui-ci, tel qu'il avait été établi dans les faits en 1789, n'avait pas aboli l'esclavage, ni instauré la citoyenneté des femmes.

Elle a estimé que jusqu'à l'établissement du droit de vote des femmes à l'initiative du général de Gaulle en 1944, les droits de l'homme n'étaient en la matière que ceux des hommes.

Analysant ensuite les statistiques de présence des femmes dans les assemblées parlementaires depuis 1945, elle a considéré que l'évolution de 6 % d'élues en 1946 à 10,9 % en 1997 n'était pas suffisante et a constaté que le chiffre atteint lors des dernières élections législatives provenait de l'accroissement des candidatures féminines.

Elle en a conclu que l'insuffisante présence des femmes résultait principalement des choix des partis lors de l'investiture des candidats.

Elle a remarqué que, devant l'Observatoire de la parité, tous les responsables politiques avaient exprimé leurs regrets de la faible participation des femmes et que si les partis avaient effectivement mis en oeuvre les responsabilités qu'ils détenaient de l'article 4 de la Constitution, la révision constitutionnelle n'aurait pas été nécessaire.

Mme Gisèle Halimi a fait valoir qu'elle avait été, en 1982, l'auteur de l'amendement ne permettant pas à plus de 75 % de personnes de même sexe de figurer sur une même liste aux élections municipales dans les communes d'au moins 3.500 habitants, et que cet amendement avait été adopté à la quasi-unanimité par chacune des deux assemblées.

Elle a constaté que sans la déclaration de non-conformité à la Constitution de cette disposition, par le Conseil Constitutionnel, l'établissement de listes composées uniquement de femmes n'aurait pas été possible et pris acte du fait que cette décision rendait indispensable une révision de la loi fondamentale, si l'on souhaitait parvenir à la parité des candidatures.

Elle a salué la solennité de la révision constitutionnelle et a approuvé le choix de la modification de l'article 3 de la Constitution relatif à la souveraineté nationale et au suffrage universel, regrettant cependant qu'à cette occasion, ne soit pas également complété l'article 1er de la Constitution afin de préciser que l'égalité devant la loi devait être assurée sans distinction de sexe.

Elle a souligné que l'Assemblée nationale avait adopté le projet de loi constitutionnelle à l'unanimité et précisé que le recours à un référendum, selon la procédure de l'article 11 de la Constitution, n'avait pas été décidé en raison de réserves exprimées sur cette procédure, aussi bien par le Président de la République que par le Premier ministre.

Elle a enfin relevé que le recours à l'article 11 de la Constitution aurait permis d'éviter le veto de l'une des assemblées, ce à quoi M. Jacques Larché, président, a objecté qu'il n'existait pas de droit de veto en matière de révision constitutionnelle, mais simplement des pouvoirs identiques de chaque assemblée.

Mme Gisèle Halimi a considéré que le projet de loi constitutionnelle, aussi bien dans sa rédaction initiale que dans celle adoptée par l'Assemblée nationale, était imprécis et pouvait se prêter à plusieurs lectures contradictoires.

Elle a déploré l'absence du mot " parité ", soulignant que la parité signifiait la réunion de deux moitiés de la population dans l'ensemble des citoyens et qu'un renouvellement de la démocratie pourrait naître de l'adoption de ce principe.

Elle a considéré que la parité était un principe à faire figurer expressément dans la Constitution, alors que " l'égal accès " constituait un moyen pour le législateur de mettre en oeuvre l'égalité des chances.

Elle a estimé que la rédaction de ce projet n'impliquait aucune obligation pour le législateur alors qu'il appartenait à la Constitution, elle-même, de fixer des principes que celui-ci devrait ensuite mettre en oeuvre.

Elle a ensuite observé que le projet n'apportait aucune solution concernant le mode d'établissement de la parité, singulièrement en ce qui concerne les scrutins uninominaux.

Constatant que le Premier ministre s'était engagé à ne pas proposer le scrutin proportionnel aux élections législatives, en conséquence de la révision constitutionnelle éventuelle, elle a estimé que l'absence de toute modification en ce domaine ne permettrait probablement pas d'enregistrer des progrès significatifs quant à la participation des femmes aux assemblées parlementaires.

Evoquant ensuite la proposition formulée par l'Observatoire de la parité tendant à moduler le financement public des partis politiques en fonction du nombre des candidatures féminines, elle a observé que celle-ci n'avait été émise que dans l'hypothèse où l'inscription de la parité dans la Constitution n'aurait pas été retenue.

Elle a enfin considéré que les réticences exprimées par le Sénat au début du siècle sur le droit de vote des femmes appartenaient à un passé révolu et qu'il revenait aujourd'hui à la Haute Assemblée de remédier aux insuffisances du texte proposé par le Gouvernement et l'Assemblée nationale.

M. Guy Cabanel, rapporteur, a souligné que le vote à l'Assemblée nationale sur ce projet de loi avait été acquis à l'unanimité et que le nombre relativement faible des votants, à savoir 82, tenait aux modalités d'application du vote personnel à l'Assemblée nationale.

Il a considéré que si le Président de la République n'avait pas souhaité utiliser la voie référendaire selon la procédure de l'article 11 de la Constitution, il n'avait cependant pas exclu de manière définitive tout recours au référendum en optant pour l'article 89.

En réponse à M. Guy Cabanel, rapporteur, Mme Gisèle Halimi a considéré que la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale n'améliorait que peu le projet initial et a confirmé que la modification qu'elle proposait à l'article 1er de la Constitution n'était pas exclusive d'une révision de son article 3.

Répondant à M. Jacques Larché, président , Mme Gisèle Halimi a regretté que le texte transmis au Sénat permette l'établissement de quotas relevant d'une philosophie différente de celle de la parité, M. Guy Cabanel, rapporteur, observant que selon le doyen Vedel, la parité n'était que l'institution d'un quota de 50 %.

Puis la commission a procédé à l'audition de M. le doyen Georges Vedel.

M. Georges Vedel
a exposé que le projet de loi tendait à l'établissement d'un principe en termes suffisamment imprécis pour laisser ensuite au législateur le choix de retenir une solution ou une autre, le texte soumis au Sénat pouvant aussi bien signifier que le législateur serait contraint d'inscrire l'obligation de parité ou qu'il serait seulement autorisé à le faire.

Il a estimé que si le Constituant adoptait le texte en l'état, il abdiquerait son pouvoir et renverrait la difficulté en premier lieu au législateur, laissant, dans le cadre de la procédure législative, la possibilité à l'Assemblée nationale de statuer définitivement, et en deuxième lieu au Conseil Constitutionnel, auquel il appartiendrait de se prononcer sur ces questions de principe.

M. Georges Vedel a relevé que dans le passé, le Conseil Constitutionnel avait été critiqué en raison de l'interprétation qu'il avait dû faire, par nécessité, des textes fondamentaux établis à une période très ancienne et qu'aujourd'hui, le législateur l'inviterait sciemment à se substituer à lui.

Il a souligné le paradoxe qui tiendrait à ce que la réponse à la question soulevée dépende non de la Constitution mais de son interprétation par le Conseil Constitutionnel, et ce alors que celui-ci se voit parfois reprocher de s'ériger en " gouvernement des juges ".

M. Jacques Larché, président, a relevé que le Sénat exerçait en cet instant son pouvoir constituant et s'est interrogé sur la portée du texte adopté par l'Assemblée nationale.

M. Georges Vedel a considéré que le projet n'avait pas grammaticalement un caractère contraignant.

M. Guy Cabanel, rapporteur, a fait part de sa perplexité sur l'analyse de M. Georges Vedel, considérant que l'ensemble des dispositions de l'article 3 de la Constitution était rédigé en des termes imprécis et laissait au législateur le choix des mesures appropriées.

Il a estimé que l'emploi du verbe " favorise " se situait dans le même esprit que les autres dispositions de l'article 3 de la Constitution.

M. Georges Vedel s'est demandé si la substitution, dans le texte adopté par l'Assemblée nationale, du terme " favorise " par le terme " détermine ", accentuait ou atténuait l'obligation.

Il a observé que lors de la rédaction de la Constitution de 1958, le suffrage universel ne pouvait s'entendre qu'en excluant toute possibilité de quotas et que, dans ces conditions, la question de l'établissement éventuel de discriminations positives pour les élections politiques ne pouvait être établie que par la Constitution.

M. Jacques Larché, président, a observé que le verbe " détermine " faisait partie de ceux employés dans différents articles de la Constitution, contrairement à celui de " favorise ".

A M. Nicolas About , qui lui demandait s'il ne serait pas préférable de prévoir une procédure d'adoption en termes identiques par les deux assemblées des lois électorales, M. Georges Vedel a répondu que cette question relevait d'une appréciation politique et non d'une analyse juridique, rappelant en particulier les propositions faites par une commission installée par M. Pierre Bérégovoy, lorsqu'il était Premier ministre, tendant, d'une part, à exclure toute réforme électorale au cours des deux années précédant une élection et, d'autre part, à instaurer l'adoption de telles réformes par une majorité qualifiée dans chaque assemblée.

M. Patrice Gélard , après avoir exprimé sa convergence d'analyse avec M. Georges Vedel, lui a demandé comment la révision constitutionnelle pourrait se concilier avec les principes établis par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

M. Georges Vedel a estimé que le constituant étant souverain, une révision constitutionnelle ne pouvait pas être considérée comme se heurtant à un principe constitutionnel.

Il a fait valoir que, l'écart entre le principe de l'égalité et son application effective n'étant pas contesté, le problème était plutôt de déterminer le moyen d'apporter un remède à cette situation.

Il a rappelé qu'aucun pays n'avait institué une obligation juridique de parité et a évoqué l'intérêt qu'il y aurait à adopter une modulation financière des règles en vigueur sur le financement public des partis politiques, cette solution lui paraissant pouvoir apporter des résultats positifs dans un délai raisonnable, la présentation de candidates n'apparaissant pas contradictoire avec les succès électoraux et une révision constitutionnelle n'étant pas impérative pour ce faire.

Il a craint que la révision proposée ait pour conséquence que le résultat des élections ne dépende plus du choix de l'électeur lui-même et a souligné le paradoxe qu'il y aurait à distinguer hommes et femmes pour l'éligibilité, ce qui pourrait être analysé comme une forme de racisme.

M. Georges Vedel a souligné le risque que la révision proposée ne suscite des revendications de quotas de la part de certaines catégories de la population, eu égard, par exemple et si l'on entrait dans cette logique, à l'inégalité de la représentation des différentes catégories socio-professionnelles au Parlement.

Il s'est réjoui, en sens inverse, de la décision du Conseil Constitutionnel refusant la notion de " peuple corse ".

A M. Robert Badinter , qui lui a demandé comment, sur un plan technique, la parité pourrait être établie dans les scrutins uninominaux, M. Georges Vedel a évoqué la détermination par le sort de circonscriptions réservées les unes aux hommes et les autres aux femmes.

M. Patrice Gélard a cité les listes de deux candidats par circonscription et M. Robert Badinter a demandé si le texte soumis au Sénat permettrait cette solution, ce à quoi M. Georges Vedel a apporté une réponse positive.

Mme Dinah Derycke , soulignant le décalage entre l'affirmation du principe d'égalité et son application effective, s'est interrogée sur les mesures positives susceptibles d'être prises pour y remédier, en dehors de celles proposées par le projet de loi.

M. Georges Vedel a rappelé que l'égalité ne s'appliquait pas seulement en matière électorale mais a estimé que la loi, tout en ayant pour objectif de la mettre en oeuvre, ne pouvait la substituer dans la pratique à toutes les règles sociales.

Il a souligné que le défaut de représentation des femmes ne résultait pas seulement de l'attitude des hommes, mais peut-être d'une volonté parfois insuffisante des femmes, qu'il appartenait aux uns et aux autres d'agir et qu'il importait de ne pas perdre de vue le principe fondamental du libre choix par l'électeur.

Il a conclu en estimant que la démocratie impliquait que l'électeur choisisse le représentant et non l'inverse.

M. Jean-Pierre Schosteck a estimé que le rythme de la progression de la représentation des femmes au cours des dernières années devait être considéré comme encourageant pour l'avenir sachant qu'elles n'avaient accédé au droit de vote qu'en 1944 et que d'autres catégories avaient connu un processus plus long.

Mme Dinah Derycke a affirmé que les femmes ne constituaient pas une catégorie puisqu'elles représentaient la moitié de l'humanité.

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