Proposition de loi, adoptée par l'assemblée nationale, tendant à limiter les licenciements des salariés de plus de cinquante ans,

SOUVET (Louis)

RAPPORT 165 (98-99) - Commission des Affaires sociales

Table des matières




N° 165

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999

Annexe au procès-verbal de la séance du 26 janvier 1999

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur la proposition de loi, ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, tendant à limiter les licenciements des salariés de plus de cinquante ans ,

Par M. Louis SOUVET,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jean Delaneau, président ; Jacques Bimbenet, Louis Boyer, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Guy Fischer, Jean-Louis Lorrain, Louis Souvet, vice-présidents ; Mme Annick Bocandé, MM. Charles Descours, Alain Gournac, Roland Huguet, secrétaires ; Henri d'Attilio, François Autain, Paul Blanc, Mme Nicole Borvo, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Gilbert Chabroux, Jean Chérioux, Philippe Darniche, Christian Demuynck, Claude Domeizel, Jacques Dominati, Michel Esneu, Alfred Foy, Serge Franchis, Francis Giraud, Claude Huriet, André Jourdain, Philippe Labeyrie, Roger Lagorsse, Dominique Larifla, Henri Le Breton, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Jacques Machet, Georges Mouly, Lucien Neuwirth, Philippe Nogrix, Mme Nelly Olin, MM. Lylian Payet, André Pourny, Mme Gisèle Printz, MM. Henri de Raincourt, Henri de Richemont, Bernard Seillier, Martial Taugourdeau, Alain Vasselle, Paul Vergès, André Vezinhet, Guy Vissac.


Voir les numéros :

Assemblée nationale (11
ème législ. ) : 1236 , 1251 et T.A. 219 .

Sénat : 114 (1998-1999).

Travail.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Le mardi 26 janvier 1999 , sous la présidence de M. Jean Delaneau, président , la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Louis Souvet sur la proposition de loi n° 114 (1998-1999), adoptée par l'Assemblée nationale, tendant à limiter les licenciements des salariés de plus de cinquante ans.

M. Louis Souvet, rapporteur,
a présenté les grandes lignes de son rapport (cf. exposé général).

M. Guy Fischer
a déclaré qu'il ne partageait pas l'analyse du rapporteur sur cette proposition de loi. Rappelant que cette dernière répondait à l'origine à une volonté de justice sociale et de lutte contre le chômage, il a souligné que l'invocation de l'article 40 de la Constitution à l'Assemblée nationale avait fait disparaître l'essentiel de ce texte. Il a regretté que le Gouvernement ait choisi, pour la première fois, d'invoquer l'article 40 de la Constitution avant le débat d'une proposition de loi inscrite à l'ordre du jour en application de l'article 48, alinéa 3, de la Constitution.

M. André Jourdain a souligné que les entreprises ne licenciaient pas par plaisir. Il a déclaré partager l'analyse du rapporteur et s'est étonné qu'il puisse être envisagé que les recettes supplémentaires induites par l'augmentation et l'extension de la " contribution Delalande " aillent à l'Etat et non à l'UNEDIC.

M. Claude Domeizel a indiqué qu'il était opposé au rejet de cette proposition de loi préconisé par le rapporteur. Il a contesté l'analyse de ce dernier pour qui cette proposition de loi répondait avant tout à un impératif politique.

En réponse aux intervenants, M. Louis Souvet, rapporteur, a confirmé que les trois articles de la proposition de loi étaient effectivement d'inspiration gouvernementale et que le Gouvernement avait souhaité donner satisfaction au groupe communiste tout en supprimant les dispositions qui le gênaient.

Il a considéré, comme M. André Jourdain, qu'aucun chef d'entreprise ne licenciait par plaisir et que le licenciement était toujours un constat d'échec. Jugeant anormal que les recettes supplémentaires au titre de la " contribution Delalande " puissent alimenter le budget de l'Etat, il a précisé que ces sommes pourraient néanmoins finalement bénéficier à l'UNEDIC si les partenaires sociaux acceptaient une amélioration de l'indemnisation du chômage des jeunes.

La commission a ensuite examiné les amendements proposés par le rapporteur.

Elle a adopté un amendement de suppression de l'article premier qui assujettissait à la " contribution Delalande " les ruptures de contrat de travail des salariés ayant adhéré à des conventions de conversion.

Elle a adopté un amendement de suppression de l'article 2 qui soumettait à la " contribution Delalande " les licenciements des salariés ayant refusé le bénéfice de la préretraite dans le cadre du FNE.

Elle a enfin adopté un amendement de suppression de l'article 3 qui rendait applicables les dispositions de la présente proposition de loi à toutes les ruptures de contrat de travail intervenant à compter du 1 er janvier 1999.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Adoptée par l'Assemblée nationale le 10 décembre 1998, avec l'accord du Gouvernement, la proposition de loi tendant à limiter les licenciements des salariés de plus de 50 ans a été déposée par M. Alain Belviso et les membres du groupe communiste et apparentés.

Comprenant trois articles, elle vise à étendre le champ de la " contribution Delalande " due pour tout licenciement d'un salarié de plus de 50 ans.

La proposition de loi soumet ainsi à cette contribution les ruptures des contrats de travail des salariés ayant adhéré à des conventions de conversion (article premier) et les licenciements des salariés ayant refusé le bénéfice de la préretraite dans le cadre du fonds national de l'emploi (FNE) (article 2).

Elle prévoit que ces dispositions seront applicables pour toutes les ruptures de contrat de travail intervenant à compter du 1er janvier 1999, c'est-à-dire de manière rétroactive (article 3).

Votre commission a jugé que cette proposition de loi reposait sur des fondements fragiles et contestables : elle a considéré que les prétendus contournements de la " contribution Delalande " par les conventions de conversion et les refus de conventions de préretraite n'étaient pas prouvés. Elle a refusé le procès d'intention fait aux entreprises, globalement considérées par les initiateurs de cette proposition de loi comme ayant un comportement frauduleux.

Votre commission a estimé que cette proposition de loi ne semblait répondre qu'à des considérations très politiques et visait avant tout pour le Gouvernement, qui a demandé l'inscription de ce texte à l'ordre du jour prioritaire du Sénat, à renforcer la cohésion de sa majorité.

Elle a dénoncé la logique de sanction et d'accroissement des charges des entreprises qui animait cette proposition de loi. Elle a enfin exprimé la crainte que cette proposition de loi, qui entendait préserver l'emploi, ne constitue en définitive un véritable frein à l'emploi, notamment pour les salariés âgés de 45 à 50 ans.

Votre commission vous propose par conséquent de supprimer les trois articles du texte, ce qui équivaut à un rejet de la proposition de loi.

I. LA PROPOSITION DE LOI ÉTEND LA " CONTRIBUTION DELALANDE " AUX CONVENTIONS DE CONVERSION ET AUX REFUS DE CONVENTIONS DE PRÉRETRAITE

A. LE DOUBLEMENT PAR VOIE RÉGLEMENTAIRE DE LA " CONTRIBUTION DELALANDE " AU 1ER JANVIER 1999

La " contribution Delalande " a été instituée en 1987 au moment de la suppression de l'autorisation administrative de licenciement. La loi n° 87-518 du 10 juillet 1987 modifiant le code du travail et relative à la prévention et à la lutte contre le chômage de longue durée a instauré cette cotisation supplémentaire - dite " contribution Delalande " du nom de l'auteur de l'amendement qui l'a créée, M. Jean-Pierre Delalande, député du Val d'Oise - due par l'employeur pour toute rupture du contrat de travail d'un salarié âgé de plus de 50 ans (article L. 321-13 du code du travail) 1( * ) .

A l'origine, le montant de cette cotisation, versée au régime d'assurance chômage de l'UNEDIC, était fixé à trois mois de salaire brut.

En 1992, le Gouvernement décida d'augmenter une première fois cette cotisation et de la moduler selon un barème progressif en fonction de l'âge du salarié licencié et de la taille de l'entreprise concernée.

L'article D. 321-8 du code du travail fixe ainsi le montant de la contribution en fonction de l'âge du salarié. Le barème applicable depuis 1992 variait de un à six mois du salaire brut : un mois à 50 ou 51 ans, deux mois à 52 ou 53 ans, quatre mois à 54 ans, cinq mois à 55 ans et six mois pour les salariés âgés de 56 ans et plus.

Conformément à ce qu'avait annoncé à l'Assemblée nationale, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, le 10 novembre dernier, cette cotisation a, de nouveau, été augmentée à compter du 31 décembre 1998.

Le nouveau taux de la contribution, fixé par le décret n° 98-1201 du 28 décembre 1998, est progressif de deux mois de salaire brut à 50 ans à douze mois de salaire brut à 56 et 57 ans. Il est ensuite dégressif à partir de 58 ans.

Le nouveau barème procède pour l'essentiel à un doublement - voire dans certains cas un triplement - de la " contribution Delalande ".

Nouveau barème de la contribution Delalande
pour les entreprises de 50 salariés et plus

Montant de la contribution due

Age du salarié à la date de la fin du contrat de travail

(exprimée en mois de salaire brut)

50

51

52

53

54

55

56

57

58

59 ou +

Barème actuel*

1

1

2

2

4

5

6

6

6

6

Nouveau barème

2

3

5

6

8

10

12

12

10

8

* Ce barème reste applicable aux entreprises de moins de 50 salariés.

Le Gouvernement justifie cette mesure en soulignant que la contribution est, dans le cas d'un salarié de 57 ans, deux moins onéreuse pour l'entreprise qu'une préretraite FNE.

Les entreprises de moins de 50 salariés restent assujetties au barème antérieur. Les entreprises de moins de 20 salariés continuent à être exonérées de la contribution pour la première rupture de contrat de travail d'un salarié âgé d'au moins 50 ans dans une période de douze mois.

Demeurent en outre exclus du champ d'application de la contribution, comme précédemment, les salariés qui, lors de leur embauche intervenue après le 9 juin 1992, étaient âgés de plus de 50 ans et inscrits depuis plus de trois mois comme demandeurs d'emploi.

B. L'EXTENSION DE " LA CONTRIBUTION DELALANDE " AUX CONVENTIONS DE CONVERSION ET AUX REFUS DE CONVENTIONS DE PRÉRETRAITE

L'article L. 321-13 du code du travail prévoit que la " contribution Delalande " n'est pas due dans un certain nombre de cas : licenciement pour faute grave ou lourde, licenciement résultant d'une cessation d'activité de l'employeur pour raison de santé ou de départ en retraite entraînant la fermeture définitive de l'entreprise, licenciement pour fin de chantier, rupture du contrat due à la force majeure...

La contribution n'est notamment pas due en cas de rupture du contrat de travail d'un salarié qui adhère à une convention de conversion et dans le cas où l'employeur conclut avec l'Etat, dans le cadre des actions du Fonds national de l'emploi (FNE), une convention d'allocation spéciale de préretraite (ASFNE).

La présente proposition de loi soumet à la " contribution Delalande " les ruptures des contrats de travail des salariés ayant adhéré à des conventions de conversion et les licenciements des salariés ayant refusé le bénéfice de la préretraite FNE. Ces deux cas d'exonération sont en effet considérés par le Gouvernement et les auteurs de la proposition de loi comme " deux failles " du dispositif. La proposition de loi est présentée par le Gouvernement comme le complément indispensable du doublement de la " contribution Delalande ".

L'article premier de la proposition de loi insère un nouvel alinéa dans l'article L. 321-13 du code du travail afin de prévoir que la " contribution Delalande " est due également pour chaque rupture de contrat de travail intervenue du fait de l'adhésion d'un salarié à une convention de conversion 2( * ) .

Cet alinéa précise également que le montant de cette cotisation tient compte de la participation de l'entreprise au financement de la convention de conversion. Cette disposition vise, selon le rapporteur de l'Assemblée nationale, à permettre au pouvoir réglementaire de moduler de manière spécifique le montant de la cotisation dans ce cas : le montant de celle-ci pouvant être d'autant plus réduit que la participation de l'entreprise au financement de la convention de conversion est importante.

Le financement de l'allocation spécifique de conversion est aujourd'hui assuré par l'employeur du salarié qui adhère à la convention de conversion et par le régime d'assurance chômage. La participation de l'employeur correspond au montant équivalant aux deux mois d'indemnité de préavis qu'il aurait versés au salarié si celui-ci n'avait pas adhéré à la convention de conversion. L'employeur verse également une participation forfaitaire aux frais de fonctionnement de 4.500 francs par adhérent.

La rédaction retenue par l'article premier de la proposition de loi concernant la participation financière de l'entreprise aux conventions de conversion est pour le moins imprécise et peut s'interpréter de deux façons : soit, la référence se fait sur la base de l'article D. 322-2 du code du travail, qui détermine la participation de l'entreprise au sens large du terme, préavis du salarié y compris, soit l'interprétation se fait plus stricte et la participation de l'entreprise se limite au forfait de 4.500 francs.

L'article 2 propose une nouvelle rédaction de l'avant-dernier alinéa de l'article L. 321-13 du code du travail afin de prévoir que la " contribution Delalande " n'est pas due dans le cas où le salarié bénéficie des allocations spéciales de préretraite du FNE 3( * ) .

Cette nouvelle rédaction de l'alinéa signifie a contrario que le refus du salarié de la proposition de préretraite assujettit l'employeur au versement de la " contribution Delalande ".

L'article 3 prévoit que les dispositions de la présente loi entreront en vigueur, de manière rétroactive, au 1 er janvier 1999.

Le doublement et l'extension de la " contribution Delalande " devrait générer des recettes supplémentaires. Cette contribution a ainsi rapporté, en 1997, 1,7 milliard de francs à l'UNEDIC. Selon les estimations de cet organisme, son doublement et son extension devraient générer 1,4 milliards de francs de recettes supplémentaires (cf. encadré ci-dessous).

Les conséquences financières du doublement et de l'élargissement du champ de la " contribution Delalande "

(Estimations de l'UNEDIC)

Situation initiale

En 1997, le montant total encaissé au titre de la " contribution Delalande " s'élevait à 1.665,4 millions de francs. En 1999, le montant encaissé serait de 1,7 milliard de francs hors modifications réglementaires et législatives.

" Doublement " de la contribution à champ constant

Le fichier national des allocataires de l'UNEDIC donne une évaluation du poids des établissements de plus de 50 salariés dans les licenciements de l'ordre de 38 %. Par ailleurs, les informations relatives aux effectifs affiliés au régime permet d'estimer le poids des entreprises de 50 salariés et plus. Compte tenu de ces éléments, on estime à environ 49 % le poids des licenciés issus d'entreprises de 50 salariés et plus.

Pour quelque 13.450 allocataires (sur 27.400 allocataires concernés), la contribution supplémentaire serait alors fortement majorée puisque l'application des nouvelles règles revient à multiplier en moyenne par 2,3 le montant moyen encaissé auparavant (60.830 francs en 1997).

On évalue à 970 millions de francs cette majoration.

Extension du champ aux conventions de conversion 4( * )

La suppression de l'exonération concernerait environ 18.500 bénéficiaires des conventions de conversion âgés de plus de 50 ans. Une fois prises en compte, les exonérations pour les entreprises de moins de 20 salariés (dont c'est le premier licenciement dans l'année) et les autres types d'exonération, le nombre d'allocataires concernés s'établit à 14.100.

De l'augmentation des contributions perçues, il conviendrait de décompter les 4.500 francs versés au titre de la formation par 48 % des entreprises environ 5( * ) . Au total, le supplément de versement des entreprises est estimée à 1.015 millions de francs 6( * ) .

Effet des modifications réglementaires dans l'hypothèse où les entreprises ne modifient pas leur comportement

Les nouvelles mesures devraient permettre ainsi l'encaissement de 1.985 millions de francs supplémentaires, hors toute limitation des licenciements de travailleurs âgés. Au total, le montant perçu au titre de la contribution spéciale des travailleurs âgés serait, sans modification des flux concernés, de 3.685 millions de francs.

Effet d'une hypothèse de limitation de 15 % des licenciements de travailleurs âgés

En l'absence de tout chiffrage précis sur la limitation des licenciements des travailleurs âgés que pourraient provoquer ces modifications réglementaires, il est fait l'hypothèse que 15 % des licenciements pourraient être évités. Le montant perçu ne serait plus alors que de 3.130 millions de francs.

L'effet net des modifications législatives et réglementaires serait alors de 1.430 millions de francs.

Ces estimations sont naturellement fortement dépendantes des hypothèses de comportement des entreprises. Ces hypothèses amènent d'ailleurs à s'interroger sur la nature exacte de cette contribution : la " contribution Delalande " constitue-t-elle une contribution de dissuasion ou une contribution de rendement ?

Dans le premier cas, l'objectif consiste à dissuader, autant que possible, les licenciements des salariés : l'idéal serait donc que le produit de cette contribution soit quasiment nul, ce qui témoignerait de son efficacité.

Dans le second cas, la finalité est toute autre : il s'agit d'accroître le produit d'un prélèvement en majorant son taux et en élargissant son assiette.

Les recettes supplémentaires que le Gouvernement attend de la majoration et de l'extension de la " contribution Delalande " conduisent à penser que l'on se situe plutôt dans le cas d'une contribution de rendement : le Gouvernement semble se faire peu d'illusions quant à l'efficacité réelle du nouveau dispositif et privilégie avant tout le rendement financier de cette contribution.

Le bénéficiaire final de ces recettes supplémentaires n'est cependant pas encore définitivement connu.

D'un strict point de vue juridique, l'UNEDIC est seul bénéficiaire des sommes prélevées au titre de la " contribution Delalande ". L'article L. 321-13 du code du travail prévoit en effet que toute rupture du contrat de travail d'un salarié d'un âge déterminé par décret ouvrant droit au versement de l'allocation d'assurance chômage de l'UNEDIC entraîne l'obligation pour l'employeur de verser aux ASSEDIC la " contribution Delalande ".

Si les recettes supplémentaires iront donc, dans un premier temps, à l'UNEDIC, selon la stricte application de la loi, il n'est cependant pas certain que cet organisme en garde effectivement le bénéfice final.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, a ainsi indiqué le 18 janvier dernier, en marge de ses voeux à la presse, que " pour cette année au moins, la majoration du Delalande était affectée au budget de l'Etat " 7( * ) .

Le Gouvernement semble en réalité décidé à prélever sur les sommes qu'il avance à l'UNEDIC au titre des préretraites FNE - versées par l'UNEDIC pour le compte de l'Etat - une somme équivalente au surcroît de recettes induit par le doublement et l'extension de la " contribution Delalande ".

L'UNEDIC se verrait ainsi privée d'une somme équivalente à la recette supplémentaire que généreront l'augmentation et l'extension de la " contribution Delalande ".

L'objectif poursuivi par le Gouvernement est simple : il s'agit de faire pression sur les partenaires sociaux afin d'obtenir une meilleure indemnisation du chômage des salariés précaires, notamment les jeunes, qui, parce qu'ils n'accumulent que des contrats de courte durée, ne parviennent pas à se constituer des droits à indemnisation au titre de l'assurance chômage. Si les partenaires sociaux acceptaient cette proposition, l'UNEDIC conserverait le bénéfice des recettes supplémentaires au titre de la " contribution Delalande ". Les négociations entre le Gouvernement et les partenaires sociaux se poursuivent actuellement.

Si l'on suit ainsi la logique du Gouvernement, l'amélioration de la prise en charge du chômage des jeunes dépend de recettes assises sur les licenciements des salariés les plus " âgés ". Il faudrait en quelque sorte souhaiter des licenciements massifs de salariés de plus de 50 ans afin de disposer des recettes nécessaires pour mener à bien cette tâche prioritaire que constitue l'amélioration de l'indemnisation des jeunes chômeurs !

II. LA PROPOSITION DE LOI SE FONDE SUR DES ÉLÉMENTS CONTESTABLES ET RÉPOND ESSENTIELLEMENT À DES IMPÉRATIFS POLITIQUES

A. DES FONDEMENTS FRAGILES ET CONTESTABLES

Pour justifier la nécessité de cette proposition de loi, ses auteurs évoquent la nécessité de " mettre fin aux abus et aux contournements " , de " stopper une dérive ".

Ils expliquent ainsi que les conventions de conversion seraient de plus en plus fréquemment utilisées pour échapper au paiement de la " contribution Delalande ". Selon M. Gremetz, rapporteur de l'Assemblée nationale, certaines entreprises feraient ainsi pression sur leurs salariés pour qu'ils adhèrent à une convention de conversion dans le seul but d'éviter le paiement de la contribution.

De même, toujours selon le rapporteur de l'Assemblée nationale, certains employeurs concluraient une convention d'allocation spéciale de préretraite (ASFNE) puis feraient pression sur leurs salariés pour qu'ils renoncent au bénéfice de ce dispositif de préretraite. Ces employeurs seraient alors exonérés du versement de la " contribution Delalande ".

A l'appui de ces affirmations, le rapporteur et le Gouvernement se fondent sur un argument très limité : la part des salariés de plus de 50 ans dans les conventions de conversion serait ainsi passée de 12 % en 1994 à 17 % en 1997, ce qui serait révélateur d'un phénomène généralisé de contournement.

Entrées en convention de conversion par tranche d'âge
(France métropolitaine)

Source : UNEDIC, exploitations annuelles du fichier national des allocataires (FNA)

 

50 ans ou plus

55 ans ou plus

Tout âge

Année

Effectif

% du total

Effectif

% du total

Effectif total

1990

4.277

10,0

451

1,0

42.966

1991

6.734

9,9

784

1,2

68.125

1992

10.659

9,3

1.059

0,9

115.146

1993

16.220

9,0

1.825

1,0

179.320

1994

16.026

10,8

2.824

1,9

147.803

1995

14.908

12,5

3.670

3,1

119.675

1996

18.737

13,8

4.753

3,5

136.217

1997 (e)

21.428

15,8

5.369

4,0

135.793

1998 (e)

20.282

19,1

6.053

5,7

106.188

(e) Estimations provisoires

Les chiffres obtenus par votre rapporteur sur les entrées en conventions de conversion montrent effectivement une progression de la part des plus de 50 ans, part qui est ainsi passée de 11 % en 1994 à 16 % en 1997. En 1998, selon des chiffres encore provisoires qu'il convient d'examiner avec prudence, le nombre d'entrées en convention de conversion de salariés de plus de 50 ans serait en diminution mais leur part dans le total des conventions de conversion augmenterait pour atteindre 19 %, en raison de la forte baisse du total des entrées.

En jugeant que le recours aux conventions de conversion pour les salariés de plus de 50 ans résulte avant tout d'un contournement de la " contribution Delalande ", le Gouvernement semble condamner l'utilisation des conventions de conversion pour ces personnes.

Il apparaît contradictoire à faire porter la " contribution Delalande ", qui procède d'une logique de sanction, sur les conventions de conversion qui ont précisément pour objectif de faciliter le reclassement du salarié dont le licenciement n'a pu être évité.

Ouvertes aux salariés âgés de moins de 57 ans, aptes physiquement à l'exercice d'un emploi et ayant au moins deux ans d'ancienneté dans leur emploi, les conventions de conversion, instituées en 1986, consistent en effet en une prise en charge individualisée et immédiate, durant une période de six mois, des salariés licenciés pour motif économique. Elle sont souvent plus intéressantes financièrement pour le salarié que l'indemnisation au titre de l'assurance chômage.

Le Gouvernement semble considérer qu'il serait presque anormal que des salariés de plus de 50 ans entrent en convention de conversion. Si l'on peut éventuellement s'interroger sur l'utilité réelle de ces conventions pour les personnes âgées de plus de 55 ans, il apparaît surprenant que l'on condamne ainsi l'usage de ces conventions pour des personnes âgées de 50 à 55 ans. Faudrait-il en conclure que ces salariés n'ont aucune chance de se reclasser ?

Votre rapporteur ne peut que refuser une telle logique qui semble se satisfaire de l'exclusion définitive de ces salariés du marché du travail

Taux de reclassement des adhérents de 50 ans et plus
aux conventions de conversion

L'analyse est faite sur les 14 dernières cohortes d'adhérents (de janvier 1995 à avril 1996) et porte sur 23.000 adhérents de 50 ans et plus

Source : rapport Bruhnes, ANPE, octobre 1996

Age

Taux de reclassement

dont taux hommes

dont taux femmes

Bénéficiaires Formation

Bénéficiaires Prestation

Poids relatif

50

41 %

47

34

46 %

58 %

16 %

51

39 %

44

31

45 %

58 %

14 %

52

36 %

43

26

43 %

58 %

14 %

53

35 %

40

26

40 %

56 %

13 %

54

32 %

36

24

36 %

55 %

12 %

55

27 %

30

20

29 %

51 %

12 %

56 et +

18 %

19

17

24 %

44 %

19 %

Total 60 ans et +

33 %

37

26

38 %

55 %

100 %

Total adh 14 cohortes

49 %

54

42

51 %

57 %

 

Pourtant, il apparaît que 33% des personnes de plus de 50 ans parviennent à retrouver un emploi à l'issue de leur convention de conversion. Ce taux est même de 41% à 50 ans et de 39% à 51 ans (contre 49% pour l'ensemble des bénéficiaires de conventions de conversion).

Votre rapporteur considère donc la simple constatation d'une augmentation de la part des salariés de plus de 50 ans dans les entrées en convention de conversion paraît très insuffisant à démontrer un contournement massif et un abus généralisé justifiant une nouvelle intervention du législateur.

Votre rapporteur ne nie pas que peuvent se produire ça et là des abus caractérisés chez certains employeurs peu scrupuleux. Toutefois, ces abus éventuels ne sauraient justifier une sanction collective qui frapperait la totalité des entreprises. Rien ne permet en effet de conclure aujourd'hui à un contournement massif par les entreprises de la " contribution Delalande " par l'utilisation du dispositif de la convention de conversion.

S'agissant des refus de préretraites FNE, l'hypothèses d'abus éventuels revient à reconnaître une certaine négligence de la part des services de l'Etat. En effet, la mise en place d'un dispositif de préretraite suppose que l'employeur conclut avec l'Etat une convention. Cette convention donne lieu à négociation entre l'entreprise et l'administration, afin d'obtenir, en contrepartie de l'aide de l'Etat, un recours maîtrisé aux mesures d'âge et l'amélioration du plan social.

Conventions d'ASFNE de 1993 à mai 1998

 

1993

1994

1995

1996

1997

1/1/1998 au 31/5/1998

Conventions signées

14.574

8.545

5.997

5.906

5.353

1.916

Entrées annuelles (1)

56.345

49.462

23.683

21.015

21.669

9.862

Allocataires en fin de période

174.662

179.219

152.409

128.442

107.789

101.015

(1) Source UNEDIC : statistique de paiements

.


On notera de surcroît que les affirmations concernant d'éventuels abus ne sont étayées par aucun élément précis. La raison en est simple : sur une moyenne de 20.000 entrées en préretraite FNE chaque année, le nombre de refus est extrêmement faible ; il porte sur une soixantaine de salariés par an seulement.

Lorsque l'on aura précisé que le refus du salarié peut, dans certains cas, être motivé par une indemnisation au titre de l'assurance chômage plus avantageuse que la préretraite, on comprendra que le nombre des refus susceptibles de résulter d'une éventuelle pression de l'employeur est, dans l'hypothèse la plus pessimiste, de l'ordre de quelques dizaines à peine.

Dans ces conditions, votre rapporteur est amené à s'interroger sur l'utilité d'une éventuelle intervention du législateur pour réprimer un nombre effectif d'abus qui doit vraisemblablement se compter sur les doigts d'une seule main...

Le procès d'intention fait aux entreprises, globalement considérées par les initiateurs de cette proposition de loi comme ayant un comportement frauduleux, paraît donc inacceptable. Le prétendu contournement de la " contribution Delalande " par les conventions de conversion et les refus de conventions de préretraite est loin d'être avéré.

Dès lors, peut-être faut-il considérer que cette proposition de loi trahit plutôt les craintes du Gouvernement que le doublement par voie réglementaire de la " contribution Delalande " ne génère effectivement, à l'avenir, de tels phénomènes de contournement ?

B. UNE " PRIORITÉ " GOUVERNEMENTALE

La véritable justification des dispositions que comporte cette proposition de loi tient davantage à des nécessités politiques.

Les trois articles de la proposition de loi constituaient en réalité les articles 5, 6 et 7 d'une proposition de loi qui en comportait initialement neuf et qui tendait " à limiter les licenciements et à améliorer la situation au regard de la retraite des salariés de plus de 50 ans ".

Ce texte prévoyait, outre l'extension de la " contribution Delalande ", le droit à la retraite à taux plein avec quarante annuités de cotisation sans condition d'âge et la prorogation et l'extension du dispositif d'allocation de remplacement pour l'emploi (ARPE).

Or, suite à la saisine du Gouvernement, le bureau de la commission des Finances a décidé d'opposer l'article 40 de la Constitution aux articles 1er, 2, 3, 4 et 9 du texte. La proposition de loi s'est donc trouvée amputée de plus de la moitié de ses articles et, aux yeux de ses auteurs, de ses dispositions essentielles : " Vidée d'une grande partie de sa substance, a souligné le rapporteur de l'Assemblée nationale , sa portée en est d'autant réduite et sa cohérence affectée ".

L'article 8, qui instituait une contribution sur les revenus financiers affectée à la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs (CNAVTS), ayant été supprimé par la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale, ne subsistent du texte initial que les dispositions que nous examinons aujourd'hui.

Ces dispositions et l'argumentation qui les sous-tend émanent en réalité des services du ministère de l'Emploi et de la Solidarité. L'extension aux conventions de conversion de la " contribution Delalande " avait d'ailleurs été annoncée par Mme Aubry dès le début du mois de novembre dernier et l'impact financier de cette extension avait été partiellement intégré dans les prévisions budgétaires de la loi de finances pour 1999.

En acceptant cette proposition de loi et en demandant son inscription à l'ordre du jour prioritaire du Sénat, le Gouvernement poursuit un objectif essentiellement politique : il permet, d'une part, à une composante de sa majorité de revendiquer la paternité d'une disposition dont il est en réalité l'auteur et qui constitue le seul reliquat d'une proposition de loi embarrassante pour lui. Il apaise, d'autre part, sa majorité, qui souhaitait une réforme plus large du droit de licenciement. La prochaine étape de cette stratégie pourrait d'ailleurs être la taxation des entreprises qui font un usage jugé " abusif " des contrats à durée déterminée ou de l'intérim.

On remarquera enfin qu'en choisissant la voie d'une proposition de loi, le Gouvernement évite de communiquer au Parlement l'étude d'impact qui accompagne nécessairement tout projet de loi.

III. LA PROPOSITION DE LOI TÉMOIGNE D'UNE LOGIQUE PERNICIEUSE ET RISQUE DE CONSTITUER UN VÉRITABLE FREIN À L'EMPLOI

Relevant d'une logique de soupçon et de sanction, cette proposition de loi n'apporte en réalité aucune solution au problème que constitue le chômage des plus de 50 ans et risque en outre de générer des effets pervers.

A. UNE LOGIQUE DE SANCTION ET D'ACCROISSEMENT DES CHARGES DES ENTREPRISES

La proposition de loi témoigne d'une logique uniquement répressive et se traduit, en définitive, par une nouvelle augmentation des charges des entreprises.

Là où des dispositifs positifs, dynamiques et imaginatifs seraient nécessaires, la proposition de loi ne met en place que des mesures pénalisantes et contraignantes pour les entreprises.

Le problème du chômage des personnes âgées de plus de 50 ans est réel. Même si l'amélioration de la situation de l'emploi profite également aux salariés âgés de plus de 50 ans - les chiffres de l'ANPE pour l'ensemble de l'année 1998 font état d'une baisse de 17,4 % des licenciements des salariés de plus de 50 ans, contre une baisse de 20,4 % pour l'ensemble des salariés - la situation des demandeurs d'emplois de cet âge est préoccupante et mérite une attention soutenue. Ceux qui sont frappés par le chômage après 50 ans et, surtout, après 55 ans ont moins de chance de retrouver un emploi. Le chômage des plus de 50 ans ouvre souvent la voie au chômage de longue durée et, après la fin des droits, à l'exclusion.

Evolution du nombre des licenciements économiques

 

1996

1997

1998

Variation 1998/1997

Licenciements économiques

468.534

422.013

335.759

- 20,4 %

Dont salariés de plus de 50 ans

81.389

80.517

66.501

- 17,4 %

Source : ANPE

Le Sénat ne peut que partager l'objectif de lutter contre cette forme de chômage particulièrement douloureuse. Toutefois, ce problème aigu nécessite une approche globale, qui n'est pas celle de ce texte.

Une action efficace contre le chômage des plus de 50 ans suppose une réflexion préalable sur les raisons qui conduisent les entreprises à licencier ces personnes : coût trop élevé de la main d'oeuvre, adaptation insuffisante à l'emploi et aux technologies nouvelles... Elle nécessite une réforme d'ampleur reposant à la fois sur des exonérations de charges sociales et une formation professionnelle à même d'offrir aux salariés, quel que soit leur âge, les moyens de s'adapter aux mutations de leur environnement professionnel.

Cette politique gagnerait à s'inscrire dans le cadre des axes définis par Les lignes directrices de l'emploi pour 1999, proposées par la Commission européenne en octobre dernier.

La Commission européenne suggère ainsi d'intensifier les efforts " pour développer des stratégies préventives et axées sur la capacité d'insertion professionnelle en se fondant sur l'identification précoce des besoins individuels ". Elle invite les Etats membres à " développer des possibilités d'apprentissage tout au long de la vie, notamment dans les domaines des technologies de l'information et de la communication ". Elle précise que " l'accent sera notamment mis sur la facilité d'accès des travailleurs âgés ".

La présente proposition de loi n'apparaît, à l'évidence, pas à la hauteur de l'enjeu.

Elle amène également à s'interroger sur la cohérence de la politique que mène aujourd'hui le Gouvernement en matière d'emploi des salariés les plus âgés.

Il y a en effet quelque chose de paradoxal à augmenter la " contribution Delalande ", afin de sanctionner les entreprises qui licencient des salariés âgés de plus de 50 ans, tout en encourageant simultanément certaines entreprises à rajeunir leur pyramide des âges par des départs massifs et anticipés de salariés " âgés ". Le Gouvernement semble en réalité disposé à faire preuve de beaucoup de compréhension à l'égard des entreprises qui favoriseront, parallèlement aux départs des salariés " âgés ", la création d'emplois au titre de la réduction du temps de travail 8( * ) ...

Une clarification des objectifs poursuivis par le Gouvernement en ce domaine s'impose à l'évidence. Dans Les lignes directrices pour l'emploi en 1999 , la Commission européenne invite d'ailleurs à " réévaluer d'une manière critique les mesures actuelles incitant les travailleurs à quitter relativement tôt le monde du travail ".

B. DES EFFETS PERVERS SUR L'EMPLOI

S'il est douteux qu'elle contribue à diminuer les licenciements des plus de 50 ans, il est certain que l'augmentation et l'extension de la " contribution Delalande " n'incitera pas à la création d'emplois.

Cette proposition de loi qui entend préserver l'emploi pourrait en effet constituer un véritable frein à l'emploi.

Certes, la contribution Delalande n'est pas due pour les salariés qui, lors de leur embauche après le 9 juin 1992, était âgés de plus de 50 ans et inscrits depuis plus de trois mois comme demandeurs d'emplois.

Cependant, on peut craindre les effets conjugués de l'extension et du doublement de la " contribution Delalande " sur les demandeurs d'emplois approchant la cinquantaine : les entreprises hésiteront à embaucher des salariés ayant un peu moins de 50 ans, craignant d'avoir bientôt à supporter le coût d'un éventuel licenciement ultérieur.

En majorant de manière excessive la " contribution Delalande " et en l'étendant de manière abusive, le Gouvernement prend le risque de dévoyer cette contribution. Afin de protéger les salariés de plus de 50 ans, il choisit en définitive de fragiliser les salariés âgés de 45 à 50 ans. Les conséquences humaines et sociales d'un tel choix pourraient bientôt se révéler très douloureuses.

*

* *

Pour l'ensemble de ces raisons, votre commission vous propose d'adopter trois amendements de suppression des trois articles de cette proposition de loi. Leur adoption amènerait à un rejet de la proposition de loi.

EXAMEN DES ARTICLES

Article premier
Assujettissement à la " contribution Delalande " des ruptures de contrats de travail des salariés de plus de cinquante ans ayant adhéré à une convention de conversion

Objet : Cet article assujettit à la " " contribution Delalande " les ruptures de contrats de travail de salariés âgés de plus de cinquante ans ayant adhéré à une convention de conversion.

I - Le dispositif proposé


La loi n° 87-518 du 10 juillet 1987 modifiant le code du travail et relative à la prévention et à la lutte contre le chômage de longue durée a institué une contribution supplémentaire -dite " contribution Delalande " du nom de l'auteur de l'amendement qui l'a créée, M. Jean-Pierre Delalande, député du Val d'Oise- due par l'entreprise au régime d'assurance chômage de l'UNEDIC en cas de licenciement d'un salarié de plus de cinquante ans.

Cette cotisation, prévue par l'article L. 321-13 du code du travail, avait pour objet de mieux protéger ces salariés contre le licenciement. Son taux était fixé initialement à trois mois de salaire brut du salarié licencié.

La cotisation fut augmentée une première fois par l'article 31 de la loi n° 92-722 du 29 juillet 1992 portant adaptation de la loi n° 88-1088 du 1 er décembre 1988 relative au revenu minimum d'insertion et relative à la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale et professionnelle qui institue également une modulation de la contribution en fonction de l'âge du salarié et de la taille de l'entreprise concernée.

Conformément à ce qu'avait annoncé à l'Assemblée nationale, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, le 10 novembre dernier, cette cotisation a de nouveau été augmentée à compter du 31 décembre 1998.

L'article D. 321-8 du code du travail fixe le montant de la contribution en fonction de l'âge du salarié. L'ancien barème applicable avant la parution du décret n° 98-1201 du 28 décembre 1998 variait de un à six mois du salaire brut : un mois à 50 ou 51 ans, deux mois à 52 ou 53 ans, quatre mois à 54 ans, cinq mois à 55 ans et six mois pour les salariés âgés de 56 ans et plus.

Le nouveau taux de la contribution, fixé par le décret n° 98-1201 du 28 décembre 1998, est progressif puis dégressif : deux mois de salaire brut à 50 ans, trois mois à 51 ans, cinq mois à 52 ans, six mois à 53 ans, huit mois à 54 ans, dix mois à 55 ans, douze mois à 56 ans et 57 ans, dix mois à 58 ans et huit mois à 59 ans.

Le nouveau barème témoigne pour l'essentiel d'un doublement - voire dans certains cas d'un triplement - de la " contribution Delalande ".

Les entreprises de moins de 50 salariés demeurent assujetties sur le barème antérieur.

L'article L. 321-13 du code du travail, qui constitue le fondement législatif de la " contribution Delalande ", prévoit que toute rupture du contrat de travail d'un salarié d'un âge déterminé par décret ouvrant droit au versement de l'allocation d'assurance chômage de l'UNEDIC entraîne l'obligation pour l'employeur de verser aux ASSEDIC une cotisation dont le montant est fixé par décret dans la limite de douze mois de salaire brut calculé sur la moyenne mensuelle des salaires versés au cours des douze derniers mois travaillés. Ce montant peut varier selon l'âge auquel intervient la rupture et la taille de l'entreprise concernée.

L'article L. 321-13 du code du travail prévoit en outre que cette cotisation n'est pas due dans un certain nombre de cas :

1.  licenciement pour faute grave ou lourde ;

2.  licenciement résultant d'une cessation d'activité de l'employeur, pour raison de santé ou de départ en retraite, qui entraîne la fermeture définitive de l'entreprise ;

3.  rupture d'un contrat de travail, par un particulier, d'un employé de maison ;

4.  licenciement visé à l'article L. 321-12 du code du travail, c'est-à-dire à la fin d'un chantier ;

5.  démission trouvant son origine dans un déplacement de la résidence du conjoint, résultant d'un changement d'emploi ou d'un départ en retraite de ce dernier ;

6.  rupture du contrat due à la force majeure ;

7.  rupture du contrat de travail d'un salarié qui était, lors de son embauche intervenue après le 9 juin 1992, âgé de plus de cinquante ans et inscrit depuis plus de trois mois comme demandeur d'emploi ;

8.  première rupture d'un contrat de travail intervenant au cours d'une même période de douze mois dans une entreprise employant habituellement moins de 20 salariés ;

9.  licenciement pour inaptitude lorsque l'employeur justifie, par écrit, de l'impossibilité où il se trouve de donner suite aux propositions de reclassement du médecin du travail ou lorsque l'inaptitude à tout poste dans l'entreprise a été constatée par le médecin du travail.

En outre, l'employeur qui conclut avec l'Etat une convention d'allocation spéciale de préretraite (ASFNE) et qui en propose le bénéfice aux salariés concernés est dispensé du versement de la " contribution Delalande ".

La contribution est due au moment de l'ouverture du droit au versement de l'allocation chômage. Lorsqu'un des salariés est reclassé sous contrat à durée indéterminée dans les trois mois suivant l'expiration du délai-congé prévu en cas de rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié, l'employeur peut demander aux ASSEDIC le remboursement de la " contribution Delalande " qu'il a acquittée.

L'article premier de la présente proposition de loi assujettit à la " contribution Delalande " les ruptures de contrats de travail des salariés qui adhèrent à une convention de conversion.

La cotisation n'était pas due auparavant dans ce cas puisque l'entrée en convention de conversion n'est juridiquement pas considérée comme une période de chômage et n'ouvre donc pas droit à une allocation du régime d'assurance chômage.

D'origine conventionnelle, le dispositif des conventions de conversion a été mis en place en compensation de la suppression de l'autorisation administrative de licenciement. Il a été consacré et généralisé par la loi du 30 décembre 1986 relative aux procédures de licenciement. Le dispositif (articles L. 321-5 à L . 321-15 et article L. 322-3 du code du travail) a fait l'objet de plusieurs modifications. Il est mis en oeuvre dans le cadre du régime d'assurance conversion géré par l'UNEDIC. Il a été prorogé plusieurs fois, en dernier lieu par une convention du 1 er janvier 1997 pour une durée de trois ans, jusqu'au 31 décembre 1999.

La convention de conversion est, pour le salarié, un droit inscrit dans le code du travail. Les entreprises, quelle que soit leur taille, doivent en effet proposer à l'ensemble des salariés concernés par une procédure de licenciement économique, quel que soit leur nombre, la possibilité d'adhérer à une convention de conversion afin de les aider à se reclasser. Conçue pour prévenir le chômage de longue durée, la convention de conversion consiste dans la prise en charge individualisée et immédiate, durant une période de six mois, des salariés licenciés pour motif économique.

Pour pouvoir bénéficier d'une convention de conversion, le salarié doit être âgé de moins de 57 ans, être apte physiquement à l'exercice d'un emploi et avoir au moins deux ans d'ancienneté dans son emploi 9( * ) .

En cas d'adhésion à la convention de conversion, le contrat de travail est rompu d'un commun accord entre les parties. La rupture qui ne comporte pas de préavis ouvre droit au versement d'une indemnité dont le montant correspond à l'indemnité de licenciement légale ou conventionnelle qu'il aurait perçue s'il avait effectué son préavis et du solde de ce qu'aurait été l'indemnité de préavis si celui-ci avait été supérieur à deux mois (les deux premiers mois contribuant à financer l'allocation de conversion). Le salarié n'est cependant pas inscrit comme demandeur d'emploi. Il est, en effet, considéré comme stagiaire de la formation professionnelle continue et bénéficie d'une allocation spécifique de conversion, différente de l'allocation d'assurance chômage, pendant la période de conversion, c'est-à-dire jusqu'à son reclassement et au maximum pendant six mois. Il reçoit une allocation égale à 83,4 % du salaire antérieur pendant les deux premiers mois puis à 70,4 % pendant les quatre mois suivants. La durée de cette allocation est validée au titre de l'assurance vieillesse et des assurances complémentaires.

Le financement de l'allocation spécifique de conversion est assuré par l'employeur du salarié qui adhère à la convention de conversion et par le régime d'assurance chômage. La participation de l'employeur correspond au montant équivalant aux deux mois d'indemnité de préavis qu'il aurait versés au salarié si celui-ci n'avait pas adhéré à la convention de conversion. En cas de licenciement de moins de dix salariés dans un délai de trente jours, un quart de la participation peut être pris en charge par l'Etat. L'employeur verse également une participation forfaitaire aux frais de fonctionnement de 4.500 francs par adhérent.

Le salarié en convention de conversion bénéficie d'un bilan d'évaluation et d'orientation et d'actions de formation. A cet effet, des unités techniques de reclassement (UTR) ont été mises en place au sein de l'ANPE. Elles sont chargées d'assurer l'accompagnement et le reclassement des adhérents à la convention. Ceux-ci peuvent également recourir aux cellules de reclassement éventuellement mises en place par les entreprises ayant procédé à leur licenciement. Après la réalisation d'un bilan avec le salarié, les actions à engager en vue d'un reclassement sont déterminées (sessions de recherche d'emploi, sensibilisation à la création d'entreprise, évaluation en milieu de travail,...) et des actions de formation, dont la durée ne doit pas excéder 300 heures, peuvent être proposées. En 1996, 52 % des adhérents ont bénéficié d'une formation. Pour plus de 40 % d'entre eux, il s'agissait d'une formation technique assurée par un organisme de formation.

Le présent article premier insère un nouvel alinéa dans l'article L. 321-13 du code du travail afin de prévoir que la " contribution Delalande " est due également pour chaque rupture de contrat de travail intervenue du fait de l'adhésion d'un salarié à une convention de conversion.

Cet alinéa précise également que le montant de cette cotisation tient compte de la participation de l'entreprise au financement de la convention de conversion. Cette disposition vise, selon le rapporteur de l'Assemblée nationale, à permettre au pouvoir réglementaire de moduler de manière spécifique le montant de la cotisation dans ce cas : le montant de celle-ci pouvant être d'autant plus réduit que la participation de l'entreprise au financement de la convention de conversion est importante.

Cette rédaction est pour le moins imprécise et peut s'interpréter de deux façons : soit, la référence se fait sur la base de l'article D. 322-2 du code du travail, qui détermine la participation de l'entreprise au sens large du terme, préavis du salarié y compris, soit l'interprétation se fait plus stricte et la participation de l'entreprise se limite au forfait de 4.500 francs.

II - La position de votre commission

Cet article a été longuement analysé par votre rapporteur dans l'exposé général du présent rapport. On se contentera par conséquent de rappeler ici brièvement les raisons qui motivent l'opposition de votre commission à cette disposition.

Votre commission a jugé qu'aucun élément précis ne permettait de conclure aujourd'hui à un contournement massif par les entreprises de la contribution Delalande par l'utilisation du dispositif de la convention de conversion.

Même si des abus peuvent se produire ça et là chez certains employeurs peu scrupuleux, ils ne sauraient justifier à eux seuls une sanction collective qui frapperait la totalité des entreprises.

Votre commission s'est refusé en outre à condamner l'utilisation des conventions de conversion, qui constituent un outil précieux d'aide au reclassement, pour les salariés âgés de plus de 50 ans.

Elle a considéré par conséquent que la véritable origine de cet article - et de l'ensemble de la proposition de loi - tenait davantage à des impératifs politiques - visant à assurer la cohésion de la majorité gouvernementale - qu'à de réels motifs de fond.

Elle a enfin exprimé la crainte que cette proposition de loi qui entendait préserver l'emploi ne constitue en définitive un véritable frein à l'emploi, notamment pour les salariés âgés de 45 à 50 ans.

Pour ces raisons, votre commission vous propose d'adopter un amendement de suppression de cet article.

Art. 2
Assujettissement à la " contribution Delalande " des licenciements de salariés ayant refusé le bénéfice d'une préretraite ASFNE

Objet : Cet article étend le champ de la " contribution Delalande " aux licenciements de salariés ayant refusé le bénéfice d'une préretraite dans le cadre du Fonds national de l'emploi.

I - Le dispositif proposé


L'avant-dernier alinéa de l'article L. 321-13 du code du travail prévoit que l'employeur qui conclut avec l'Etat une convention d'allocation spéciale du FNE et qui en propose le bénéfice aux salariés concernés est dispensé du versement de la " contribution Delalande ".

Dans le cadre d'un plan social, une entreprise peut conclure avec l'Etat une convention d'allocation spéciale du Fonds national de l'emploi (ASFNE) permettant à des salariés âgés de bénéficier d'un retrait anticipé du marché du travail tout en percevant une allocation spécifique jusqu'à la liquidation de leur pension de retraite. Cette disposition évite à ceux-ci d'être licenciés pour motif économique.

Pour en bénéficier, le salarié doit adhérer volontairement à la convention s'il remplit les conditions d'âge (au moins 57 ans, par dérogation 56 ans), d'ancienneté dans l'entreprise (au moins un an), de durée de cotisation (au moins 10 ans d'appartenance à un ou plusieurs régimes de sécurité sociale) et ne plus exercer d'activité professionnelle.

Il perçoit alors une allocation qui s'élève à 65 % du salaire antérieur de référence pour la part du salaire inférieure au plafond de sécurité sociale et à 50 % pour la part du salaire comprise entre une et deux fois ce plafond. Il perçoit cette allocation jusqu'à 60 ans ou au-delà, pour atteindre le nombre de trimestres de cotisation requis afin de bénéficier de la retraite à taux plein mais au plus tard à 65 ans.

Le salarié et son employeur contribuent tous deux au financement de l'allocation. La participation du salarié est égale à la part de l'indemnité conventionnelle dépassant le montant de l'indemnité légale de licenciement ou, si elle est supérieure, celui de l'indemnité conventionnelle de départ ou de mise à la retraite. Elle est plafonnée forfaitairement. La participation financière de l'employeur au dispositif ASFNE est un élément-clé de la négociation avec la Direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle. Elle est fixée en fonction de la qualité du plan social, de la taille de l'entreprise et de la capacité contributive de l'entreprise : ces taux sont en général compris entre 12 % et 15 % pour les entreprises de moins de 500 salariés, et entre 15 % et 23 % pour celles de 500 salariés et plus, ou appartenant à un groupe d'importance nationale.

Le présent article propose une nouvelle rédaction de l'avant-dernier alinéa de l'article L. 321-13 du code du travail afin de prévoir que la " contribution Delalande " n'est pas due dans le cas où le salarié bénéficie d'une allocation spéciale de préretraite du FNE.

Cette nouvelle rédaction de l'alinéa signifie a contrario que le refus par le salarié de la proposition de préretraite assujettit l'employeur au versement de la " contribution Delalande ".

II - La position de votre commission

Cet article a été longuement analysé par votre rapporteur dans l'exposé général du présent rapport. On se contentera par conséquent de rappeler ici brièvement les raisons qui motivent l'opposition de votre commission à cette disposition.

Votre commission a relevé que les affirmations des initiateurs de la proposition de loi concernant d'éventuels abus n'étaient étayées par aucun élément précis.

Elle a souligné que le nombre des refus de préretraite FNE était extrêmement faible : il concernait une soixantaine de salariés par an pour un total de plus de 20.000 entrées annuelles en conventions d'ASFNE.

Après avoir constaté que le refus du salarié pouvait, dans certains cas, être motivé par une indemnisation au titre de l'assurance chômage plus avantageuse que la préretraite, votre commission a estimé que le nombre des refus susceptibles de résulter d'une éventuelle pression de l'employeur était, dans l'hypothèse la plus pessimiste, de l'ordre de quelques dizaines à peine.

Dans ces conditions, votre commission s'est refusé à une intervention législative destinée uniquement à sanctionner quelques très rares abus éventuels.

Elle vous propose par conséquent d'adopter un amendement de suppression de cet article.

Art. 3
Date d'application des articles premier et 2

Objet : Cet article prévoit que les articles premier et 2 sont applicables pour toutes les ruptures de contrat de travail intervenant à compter du 1 er janvier 1999.

I - Le dispositif proposé


Cet article prévoit que les dispositions de la présente loi entreront en vigueur, de manière rétroactive, au 1 er janvier 1999.

Le rapporteur de l'Assemblée nationale justifie cet article en arguant de la nécessité d'éviter que des entreprises ne profitent, afin d'échapper au paiement de la " contribution Delalande ", du délai d'adoption de la proposition de loi pour multiplier les départs en convention de conversion.

II - La position de votre commission

Par coordination avec les amendements qu'elle propose aux articles premier et 2 de la présente proposition de loi, votre commission vous propose d'adopter un amendement de suppression de cet article.

Elle considère de surcroît que cet article introduit une rétroactivité qui poserait en pratique de redoutables problèmes d'application et serait vraisemblablement source de nombreux contentieux.



1 Pour une présentation détaillée de la " contribution Delalande ", voir le commentaire de l'article premier.

2 Pour une présentation détaillée des conventions de conversion, voir le commentaire de l'article premier.

3 Pour une présentation détaillée des conventions d'allocations spéciales de préretraite FNE, voir le commentaire de l'article 2.

4 L'impact de l'extension de la " contribution Delalande " aux refus de conventions de préretraite ASFNE n'a pas été intégré en raison de son montant financier négligeable.

5 Ce chiffrage se réfère à la seconde interprétation de la proposition de loi selon laquelle la participation de l'entreprise se limite au forfait de 4.500 francs.

6 En intégrant les deux mois de préavis à la participation financière de l'entreprise et donc en les déduisant de la contribution, l'extension aux conventions de conversion ne rapporterait plus que 575 millions de francs.

7 Le Figaro, 19 janvier 1999.

8 L'accord cadre sur le temps de travail, l'emploi et la formation qui vient d'être négocié chez PSA Peugeot Citroën est à cet égard significatif : il comporte un engagement de 5.600 embauches, dont 3.000 embauches au titre de la réduction du temps de travail (RTT). Le groupe PSA anticipe parallèlement une aide publique au titre des départs anticipés de salariés âgés, après négociation d'un accord sectoriel sur le sujet : le constructeur automobile souhaite en effet rajeunir sa pyramide des âges grâce au départ de 12.500 personnes sur cinq ans, dont un tiers serait remplacé par des embauches (source : Liaisons sociales).

9 En 1996, la jurisprudence a étendu de fait l'accès au dispositif à tout licencié pour motif économique, quelle que soit son ancienneté.



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