Projet de loi constitutionnelle relatif à la Polynésie française et à la Nouvelle-Calédonie

LANIER (Lucien)

RAPPORT 2 (1999-2000) - commission des lois

Table des matières




N° 2

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000

Annexe au procès-verbal de la séance du 6 octobre 1999

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi constitutionnelle, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, relatif à la Polynésie française et à la Nouvelle-Calédonie ,

Par M. Lucien LANIER,

Sénateur,

(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Mme Dinah Derycke, MM. Pierre Fauchon, Charles Jolibois, Georges Othily, Michel Duffour, vice-présidents ; Patrice Gélard, Jean-Pierre Schosteck, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, secrétaires ; Nicolas About, Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José Balarello, Jean-Pierre Bel, Christian Bonnet, Robert Bret, Guy-Pierre Cabanel, Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel Charmant, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Gérard Deriot, Gaston Flosse, Yves Fréville, René Garrec, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Jean-François Humbert, Pierre Jarlier, Lucien Lanier, Simon Loueckhote, François Marc, Jacques Peyrat, Jean-Claude Peyronnet, Henri de Richemont, Simon Sutour, Alex Türk, Maurice Ulrich.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (11
ème législ. ) : 1624 , 1665 et T.A. 340 .

Sénat : 425 (1998-1999).


Territoires d'outre-mer.

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie le 6 octobre 1999 sous la présidence de M. Jacques Larché, président, la commission des Lois a examiné, sur le rapport de M. Lucien Lanier, le projet de loi constitutionnelle relatif à la Polynésie française et à la Nouvelle-Calédonie, adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 10 juin 1999.

Après avoir regretté que le projet de loi constitutionnelle traite de deux sujets distincts alors qu'il était initialement exclusivement consacré à la définition du nouveau statut constitutionnel de la Polynésie française, M. Lucien Lanier a rappelé la genèse de l'article premier tendant à préciser, dans l'article 77 de la Constitution, la composition du corps électoral restreint admis à participer aux élections aux assemblées de province et au congrès de la Nouvelle-Calédonie, sa définition ayant donné lieu à deux interprétations divergentes résultant de l'ambiguïté liée à l'identification du tableau annexe visé tant par l'Accord de Nouméa que par l'article 188 de la loi organique du 19 mars 1999. Ayant souligné la nécessité de relativiser la portée de cette divergence dont les effets ne commenceraient à se concrétiser qu'à compter des élections de 2009, le rapporteur a préconisé que la commission des Lois confirme la position prise lors de l'examen de la loi organique statutaire calédonienne en adoptant conforme l'article premier.

Sur le second volet du projet de loi constitutionnelle consacré à la Polynésie française, M. Lucien Lanier a observé que le nouveau cadre constitutionnel proposé, constitutif d'une étape décisive située dans le prolongement de l'évolution statutaire de ce territoire vers une autonomie renforcée, s'inspirait du dispositif imaginé pour la Nouvelle-Calédonie tout en s'en démarquant sur des points essentiels tels que l'avènement d'une nouvelle catégorie juridique, le pays d'outre-mer, l'ancrage au sein de la République ou encore l'absence de conséquence de la reconnaissance d'une citoyenneté polynésienne sur la composition du corps électoral.

M. Lucien Lanier ayant souligné la nécessité d'observer une attitude pragmatique permettant de préserver la paix et de favoriser l'évolution des collectivités d'outre-mer dans le respect de leurs spécificités, la commission des Lois a adopté conforme le projet de loi constitutionnelle relative à la Polynésie française et à la Nouvelle-Calédonie.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi constitutionnelle relatif à la Polynésie française et à la Nouvelle-Calédonie, aujourd'hui soumis à votre examen, a été adopté par l'Assemblée nationale en première lecture le 10 juin 1999.

Constitué de quatre articles, il comporte, comme l'indique son intitulé, deux volets distincts : le premier tend à compléter l'article 77 de la Constitution fondant le statut constitutionnel de la Nouvelle-Calédonie pour préciser la définition du corps électoral admis à participer aux élections aux assemblées de province et au congrès (article 1 er ) ; le second définit dans un nouveau titre XIV le régime constitutionnel qui sera applicable à la Polynésie française lorsque l'adoption du présent texte l'aura fait sortir de la catégorie des territoires d'outre-mer (articles 2 à 4). C'est ce dernier volet qui constitue le coeur de la réforme constitutionnelle proposée, l'article premier n'ayant été inséré que pour revenir sur une réserve d'interprétation résultant de la décision du Conseil constitutionnel n° 99-410 DC du 15 mars 1999.

Moins d'un an après l'adoption du statut de la Nouvelle-Calédonie traduisant en termes juridiques l'Accord de Nouméa et conformément à l'exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle relatif à la Nouvelle-Calédonie 1( * ) qui évoquait la possibilité pour d'autres territoires d'outre-mer de bénéficier d'une évolution institutionnelle comparable, la Polynésie française est à son tour sur le point de franchir une étape décisive, aboutissement d'un cheminement qui lui est propre. Si en effet Nouvelle-Calédonie et Polynésie française partagent la même aspiration à une large autonomie, toute autre comparaison ne paraît pas pertinente tant les différences sont marquées, qu'il s'agisse de leur histoire respective, de leurs situations géographiques, du contexte économique ou culturel, ou encore des perspectives d'avenir.

Alors que la loi constitutionnelle n° 98-610 du 20 juillet 1998 relative à la Nouvelle-Calédonie est venue entériner un accord politique, l'Accord de Nouméa du 5 mai 1998, concluant une négociation longue et difficile entre les partenaires des Accords de Matignon-Oudinot qui recherchaient une solution consensuelle se substituant au " référendum-couperet " prévu par la loi du 9 novembre 1988, la présente réforme constitutionnelle se situe, concernant la Polynésie française, dans le prolongement logique de son évolution institutionnelle même s'il s'agit cette fois de créer un cadre résolument novateur.

I. LA POLYNÉSIE FRANÇAISE : DU TERRITOIRE D'OUTRE-MER AU PAYS D'OUTRE -MER

Si l'évolution statutaire et institutionnelle polynésienne est mue, du moins depuis 1946, par le débat relatif à l'autonomie, le présent projet de loi doit permettre à la Polynésie française de franchir une étape décisive pour laquelle le cadre du titre XII de la Constitution qui régit les collectivités territoriales était devenu trop exigü bien que contenant des dispositions spécifiques pour les territoires d'outre-mer leur permettant de disposer d'une " organisation particulière tenant compte de leurs intérêts propres dans l'ensemble des intérêts de la République ".

A. LE FIL D'ARIANE DE L'ÉVOLUTION STATUTAIRE POLYNÉSIENNE : LE DÉBAT SUR L'AUTONOMIE

1. 1843-1945 : un siècle de statut colonial

Après l'établissement, au printemps 1843, d'un protectorat français sur les îles de la Société et les Tuamotu répondant à la demande formulée le 9 septembre 1842 par la Reine Pomaré IV, ce protectorat englobe également les îles Gambier dès 1844, l'archipel des Marquises étant en revanche directement annexé au cours de cette période à la suite de la prise de possession par l'amiral Dupetit-Thouars.

Quarante ans plus tard, le roi Pomaré V qui a succédé à sa mère en 1877 et qui, contrairement à celle-ci, est francophile et sans descendance directe, cède son territoire à la France par un traité conclu le 29 juin 1880 et ratifié le 30 décembre de la même année. Tahiti et ses dépendances deviennent ainsi une colonie française à laquelle l'archipel des Australes est intégré en 1900. Un décret du 28 décembre 1885 organise ainsi les Établissements français de l'Océanie réunissant Tahiti et les îles de la Société, les Tuamotu, Tubuaï et Rapa aux Australes, les Marquises et l'archipel des Gambier, placés sous l'autorité d'un Gouverneur assisté d'un conseil privé consultatif. Un autre décret du même jour organise une représentation locale en instituant un conseil général 2( * ) qui formulera le célèbre " voeu de 1898 " demandant pour la première fois l'autonomie 3( * ) . Cette demande est relayée une trentaine d'années plus tard par une requête du conseil d'administration, le " mémoire du 4 juin 1929 ", déposée auprès de l'inspection des colonies et tendant à ce que soit accordée aux Établissements français de l'Océanie une véritable autonomie administrative et financière 4( * ) .

2. 1946-1984 : l'accès au statut de territoire d'outre-mer et la conquête de l'autonomie interne

A l'issue de la deuxième guerre mondiale qui a provoqué de profonds bouleversements, s'amorce la décolonisation avec la création de l'Union française par le titre 8 de la Constitution du 27 octobre 1946 , les articles 74 à 79 instituant la catégorie spécifique des territoires d'outre-mer. Devenue territoire d'outre-mer , la Polynésie française connaîtra quatre statuts successifs en moins de quarante ans avant d'accéder en 1984 à un véritable statut d'autonomie interne.

L'innovation principale du statut du 25 octobre1946 est l'instauration d'un assemblée représentative territoriale de vingt membres chargée des " intérêts propres du Territoire " ainsi que la représentation de la Polynésie au Parlement avec la création d'un siège de député et d'un siège de sénateur. Cette assemblée avait pour principale attribution le vote du budget présenté par le Gouverneur, représentant de l'État et chef de l'administration territoriale. A partir de cette période la revendication autonomiste, jusqu'alors exprimée de façon occasionnelle et émanant d'une élite, devient une demande populaire tahitienne sous la bannière d'un personnage charismatique, Pouvana'a, élu député de la Polynésie française en 1951 et reconduit en 1956 puis élu sénateur en 1971.

Dix ans plus tard, la loi-cadre Defferre du 23 juin 1956 fait un pas supplémentaire vers l'autonomie, son article premier soulignant la nécessité d' " associer plus étroitement les populations d'outre-mer à la gestion de leurs intérêts propres ". En application de cette loi-cadre, le nouveau statut de la Polynésie française est défini par un décret du 22 juillet 1957 qui, supprimant le système du double collège électoral, accroît les attributions de l'assemblée territoriale et le domaine de compétence du territoire en matière économique et fiscale. Un exécutif local est institué, le conseil de gouvernement, constitué de ministres élus par l'assemblée locale et présidé par le Gouverneur qui reste le chef du territoire.

Cependant, l'avènement de la Vème République met fin un an et demi après son instauration à ce régime qui amorçait un début de décentralisation politique au bénéfice du territoire d'outre-mer des Établissements français de l'Océanie. L'ordonnance n° 58-1337 du 23 décembre 1958 , alors même que le titre XII de la Constitution du 4 octobre 1958 fonde la Communauté, opère une réduction de l'autonomie administrative précédemment accordée : le Gouverneur est replacé au centre des institutions locales et le conseil de gouvernement, de gouvernement local redevient un conseil privé aux compétences élargies.

Ce statut devait résister pendant vingt ans en dépit de la montée en puissance du mouvement autonomiste et des voeux émis par l'assemblée territoriale, en particulier celui de 1967 demandant " le retour à l'autonomie interne sur la base du statut de 1957 ".

A la suite de négociations menées à Paris par M. Daniel Millaud, un accord intervient le 4 mars 1977 qui aboutit à la loi n° 77-772 du 12 juillet 1977 dotant la Polynésie française de l' " autonomie administrative et financière ". Au Gouverneur apparu en 1885 succède un " haut-commissaire de la République " ; est par ailleurs reconnue au Territoire une compétence de droit commun, l'État n'exerçant plus qu'une compétence d'attribution. L'assemblée territoriale et le conseil de gouvernement voient leurs pouvoirs renforcés. Enfin, une procédure conventionnelle entre l'État et le Territoire tendant à apporter une aide technique financière à la Polynésie française est mise en place dans le cadre de la loi de finances 5( * ) . Bien qu'approuvé à l'unanimité par l'assemblée territoriale et esquissant un régime de type parlementaire, le statut de 1977 recèle des ambiguïtés et n'est pas à la mesure des ambitions autonomistes.

3. 1984-1996 : de l'autonomie interne à l'autonomie pleine et entière

L'alternance de 1981 offre l'occasion d'une nouvelle avancée statutaire vers davantage d'autonomie, mouvement d'autant plus aisé à engager que notre collègue M. Gaston Flosse, alors député de la Polynésie française, avait lui-même déposé, le 13 mai 1980, une proposition de loi en faveur d'une plus large autonomie. La réforme de 1984 consacre ainsi " l'autonomie interne ".

L'article 1 er de la loi n° 84-820 du 6 septembre 1984 portant statut de la Polynésie française dispose que " le Territoire de la Polynésie française constitue, conformément aux articles 72 et 74 de la Constitution, un Territoire d'outre-mer doté de l'autonomie interne dans le cadre de la République et dont l'organisation particulière et évolutive est définie par la présente loi. Le Territoire de la Polynésie française s'administre librement par ses représentants élus ". La Polynésie française est autorisée à faire usage de signes distinctifs marquant sa personnalité à côté des emblèmes de la République.

Si la répartition des compétences entre État et territoire n'évolue pas sensiblement, la tutelle administrative du haut-commissaire disparaît : il n'exerce plus désormais qu'un contrôle de légalité a posteriori sur les actes émanant des autorités territoriales. L'innovation majeure est le transfert de la présidence du conseil de gouvernement à un président élu par l'assemblée territoriale, qui soumet à l'approbation de celle-ci la composition dudit conseil et est responsable devant elle. Ce mécanisme de double investiture disparaîtra cependant avec la loi du 12 juillet 1990 modifiant le statut de 1984 pour renforcer les pouvoirs du gouvernement territorial ainsi que les pouvoirs propres du président du gouvernement qui devient un acteur essentiel du dispositif institutionnel.

La réforme constitutionnelle du 25 juin 1992 vient renforcer les garanties offertes aux territoires d'outre-mer en matière statutaire pour la préservation de leur organisation particulière et de leurs intérêts propres : toute modification de leur statut relève désormais de la loi organique . C'est ainsi qu'après la loi organique du 20 février 1995 modifiant ponctuellement le statut de 1984, la loi organique du 12 avril 1996 complétée par une loi ordinaire du même jour a opéré une refonte statutaire globale.

Comme le soulignait le rapport de votre commission des Lois 6( * ) sur ces deux projets de loi examinés conjointement, la réforme statutaire de 1996 a consacré une " autonomie pleine et entière " se substituant à l'autonomie interne : " La notion d'autonomie constitue la clef de voûte de la réforme statutaire. Nombreuses sont les dispositions qui en consacrent l'importance. Concourent en particulier au renforcement de cette autonomie les nouveaux transferts de compétence consentis aux autorités territoriales . " Outre les aspects symboliques liés à la terminologie institutionnelle ou à la possibilité de créer une décoration polynésienne venant compléter les signes distinctifs spécifiques, ce nouveau statut dote la Polynésie française d'un domaine public maritime et d'un droit d'exploration et d'exploitation des ressources maritimes.

Les transferts opérés ont notamment concerné le domaine des communications et celui des relations internationales, sur ce dernier point au bénéfice du président du gouvernement de la Polynésie française. Nombreux sont enfin les cas où les autorités territoriales, qu'il s'agisse de l'assemblée de la Polynésie française ou du conseil des ministres, doivent être consultées par les autorités de la République.

Comme l'indiquait déjà la décision n° 96-373 DC du 9 avril 1996 du Conseil constitutionnel en annulant plusieurs dispositions de la loi organique statutaire et en particulier celle reconnaissant au conseil des ministres de la Polynésie française le pouvoir d'organiser un régime discrétionnaire d'autorisation préalable à la réalisation d'opérations de transfert de propriété, il n'était guère possible d'envisager un nouvel élargissement de l'autonomie répondant aux préoccupations des autorités polynésiennes sans changer de cadre constitutionnel.

B. LA NÉCESSITÉ D'UNE RÉVISION CONSTITUTIONNELLE

Bien que le contexte et les perspectives soient très différents de ceux qui ont présidé à la réforme constitutionnelle opérée au mois de juillet 1998 en faveur de la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, comme cela figurait en filigrane dans le statut de 1996, aspire à son tour à une émancipation institutionnelle qui nécessite une nouvelle fois de modifier la Constitution.

Comme le souligne le rapport pour avis de l'assemblée de la Polynésie française du 1 er avril 1999 sur l'avant-projet de loi constitutionnelle relatif à la Polynésie française, " la mise en oeuvre des réformes souhaitées par les Polynésiens ne pouvait être conduite dans le cadre devenu trop étroit du titre XII de la Constitution qui régit les collectivités territoriales et ce, malgré les dispositions spécifiques prévues pour les territoires d'outre-mer qui leur permettent de disposer d'une organisation particulière tenant compte de leurs intérêts propres dans l'ensemble des intérêts de la République ".

Le projet de loi constitutionnelle, dans ses articles 2 à 4, propose donc d'insérer après le titre XIII intitulé " Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie " un nouveau titre XIV consacré à la Polynésie française. Les dispositions figurant à l'article 4, qui définit le contenu du statut constitutionnel propre à la Polynésie française, sont suffisamment dérogatoires par rapport à celles applicables aux autres collectivités territoriales de la République pour ne pas être insérées au titre XII.

Si le cadre constitutionnel ainsi proposé s'inspire à certains égards des principes applicables à la Nouvelle-Calédonie en vertu de l'article 77, il s'en démarque sur des points essentiels. Seule représentante de la catégorie juridique nouvelle dénommée " pays d'outre-mer " alors que la Nouvelle-Calédonie n'entre désormais dans aucune catégorie, la Polynésie française voit son ancrage au sein de la République réaffirmé sans limitation dans le temps à la différence du régime définit pour la Nouvelle-Calédonie qui ouvre une période de transition au terme de laquelle une consultation sur l'accession à la pleine souveraineté sera organisée.

Le rapport pour avis de l'assemblée de la Polynésie française sur l'avant-projet de loi constitutionnelle souligne d'ailleurs que " la réforme à venir ne constitue pas une rupture avec notre passé. Elle prolonge ce dernier en renforçant les bases de notre autonomie et elle fixe les limites de celle-ci. Nous savons qu'au-delà de ces limites, c'est l'indépendance, et nous n'en voulons pas. " La première phrase du texte proposé pour l'article 78 elle-même dispose que la Polynésie française se gouverne librement et démocratiquement " au sein de la République ". Parallèlement, la notion d' " autonomie " reçoit pour la première fois une consécration constitutionnelle .

Comme pour les territoires d'outre-mer en vertu de l'article 74 ou pour la Nouvelle-Calédonie aux termes de l'article 77, le texte proposé pour l'article 78 confère une portée organique aux dispositions d'ordre statutaire et prévoit l'obligation de consulter préalablement l'assemblée de la Polynésie française . Il paraît en effet cohérent de reconnaître à la Polynésie française, comme cela a été le cas pour la Nouvelle-Calédonie, des garanties équivalentes à celles dont bénéficient depuis 1992 les territoires d'outre-mer en matière de hiérarchie des normes.

Le principe de nouveaux transferts de compétences de l'État vers la Polynésie française, concrétisant un progrès supplémentaire vers davantage d'autonomie, est également posé. L'article 78 renvoie ainsi à la loi organique le soin d'en établir la liste ainsi que les conditions de mise en oeuvre (calendrier, modalités, conséquences financières). Certaines matières , d'essence régalienne, sont cependant expressément exclues de toute possibilité de transfert ; le texte proposé en fournit la liste : " la nationalité, les garanties des libertés publiques, les droits civiques, le droit électoral, l'organisation de la justice, le droit pénal, la procédure pénale, les relations extérieures, la défense, le maintien de l'ordre, la monnaie, le crédit et les changes ".

La sanctuarisation de ces matières n'est toutefois pas absolue ; elle ne fait pas table rase de l'existant : en effet, dans certains des domaines visés tels que le droit pénal ou les relations extérieures, les autorités polynésiennes disposent d'ores et déjà de pouvoirs statutairement reconnus et organisés. Si les compétences directement liées à l'exercice de la souveraineté doivent continuer à relever exclusivement de l'État, ce qui est cohérent avec l'affirmation solennelle selon laquelle la Polynésie française demeure " au sein de la République ", il convient de préserver les acquis statutaires de la Polynésie française.

En outre, ce mécanisme de cliquet , expressément énoncé pour les matières touchant à la sphère régalienne, doit s'appliquer a fortiori aux autres matières déjà exercées par la Polynésie française : il serait en effet incohérent de prévoir une garantie constitutionnelle tendant à préserver certaines seulement des avancées statutaires en matière de transferts de compétences, celles intervenues dans les matières les plus sensibles, et de permettre à l'État de reprendre d'une main ce qu'il a précédemment cédé de l'autre pour les autres matières. En outre, si à la différence de l'article 77 consacré à la Nouvelle-Calédonie la rédaction proposée pour l'article 78 ne mentionne pas expressément le caractère irréversible des transferts de compétence, ce principe est sous-jacent car indissociable d'un dispositif consacrant la valeur constitutionnelle de la notion d' " autonomie " : toute remise en cause d'un transfert de compétence qui serait imposée à la Polynésie française constituerait une atteinte au principe d' " autonomie " fondant son nouveau statut constitutionnel de pays d'outre-mer.

Outre la définition du cadre juridique des transferts de compétence, l'article 78 confie à la loi organique le soin de fixer :

• les règles d'organisation et de fonctionnement des institutions polynésiennes et en particulier les conditions dans lesquelles certaines catégories d'actes de l'assemblée délibérante, ayant le caractère de lois du pays , pourront être soumises avant publication au contrôle du Conseil constitutionnel.

Il s'agit d'instituer au bénéfice de l'assemblée délibérante de la Polynésie française un pouvoir normatif autonome : la possibilité d'adopter des actes ayant valeur législative dénommés " lois du pays ". Observons que cette dénomination, qui figure dans l'Accord de Nouméa mais n'a pas été reprise à l'article 77 relatif à la Nouvelle-Calédonie, est désormais consacrée par le texte proposé pour l'article 78. La reconnaissance de ce pouvoir normatif autonome dévolu à l'assemblée délibérante dans des matières relevant de la compétence de la Polynésie française nécessitait une révision de la Constitution dans la mesure où cela constitue une dérogation au principe d'indivisibilité de la République inscrit à l'article premier.

• les conditions dans lesquelles le délégué du Gouvernement a la charge des intérêts nationaux et du respect des lois.

Cette mention, ajoutée par le Conseil d'État, est inspirée de celle figurant à l'article 72 de la Constitution concernant les collectivités territoriales de la République. La Polynésie française appartenant désormais à une catégorie juridique qui n'est pas englobée dans le titre XII de la Constitution, cette précision est apparue nécessaire.

• les règles relatives à la citoyenneté polynésienne et aux conséquences qui lui sont attachées en matière d'accès à l'emploi, de droit d'établissement ou encore de patrimoine foncier.

Il s'agit, comme cela a été admis pour la Nouvelle-Calédonie, de permettre l'adoption de mesures tendant à préserver le marché local du travail et le développement de l'activité économique. Il s'agit également d'autoriser les restrictions en matière d'accession à la propriété foncière pour tenir compte de la rareté de la terre, en particulier de la terre exploitable. En revanche, la citoyenneté polynésienne, contrairement à la citoyenneté calédonienne, n'aura aucun effet restrictif sur le corps électoral : tous les citoyens français installés en Polynésie française et remplissant les conditions requises pour être électeur pourront participer aux scrutins locaux.

Instaurer la double possibilité de déroger au principe d'égalité devant la loi et d'apporter des restrictions au droit de propriété nécessitait une autorisation du pouvoir constituant : tel est l'objet de cette disposition qui renvoie à la loi organique la charge de fixer les critères de citoyenneté polynésienne permettant de fonder ces restrictions.

• les conditions dans lesquelles la Polynésie française pourra intervenir dans le domaine des relations internationales , par dérogation au principe selon lequel les relations extérieures constituent une matière réservée à l'État et ne peuvent faire l'objet d'un transfert.

La marge de manoeuvre concédée aux autorités polynésiennes dont le cadre juridique sera fixé par la loi organique ne concerne que le fait d'être membre d'une organisation internationale, de disposer d'une représentation auprès des États du Pacifique ou encore de négocier avec ces derniers des accords, dans le domaine de compétence dévolu à la Polynésie française. La signature de ces accords ainsi que leur approbation ou leur ratification resteraient en revanche soumises aux procédures actuellement en vigueur. Cette disposition ménage aux autorités polynésiennes, dans le domaine de compétence de la Polynésie française, le pouvoir d'initier et de mener des négociations avec des États situés dans la même zone géographique sans nécessairement agir sur délégation des autorités de la République comme l'exige l'article 40 du statut actuel (loi organique du 12 avril 1996).

Consciente de la nécessité de doter dans les meilleurs délais la Polynésie française d'un statut constitutionnel lui permettant d'affirmer sa spécificité au sein de la République et consacrant son autonomie pour favoriser son développement, votre commission des Lois vous proposera d'adopter conformes les articles 2 à 4 du projet de loi constitutionnelle soumis à votre examen.

II. LA DÉFINITION DU CORPS ÉLECTORAL ADMIS À PARTICIPER AUX ÉLECTIONS AUX ASSEMBLÉES DE PROVINCE ET AU CONGRÈS DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE

L'article premier du projet de loi constitutionnelle tend à préciser, dans la Constitution, un des critères de définition de la composition du corps électoral admis à participer aux élections aux institutions locales de la Nouvelle-Calédonie, c'est-à-dire aux assemblées de province et au congrès. Il est proposé à cet effet de compléter l'article 77 de la Constitution.

Observons que cette disposition, tout en réglant une question controversée, est étrangère au coeur du projet de loi constitutionnelle qui vise à doter la Polynésie française d'un statut constitutionnel.

Il s'agit de revenir sur l'interprétation donnée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 99-410 DC du 15 mars 1999 lorsqu'il a examiné la conformité à la Constitution de l'article 188 de la loi organique devenue la loi n° 99-209 du 19 mars 1999 organique relative à la Nouvelle-Calédonie qui fixe la composition du corps électoral restreint admis à participer aux élections aux assemblées de province et au congrès. Rappelons que cet article 188 7( * ) traduit en termes juridiques les orientations définies sur ce sujet par le point 2.2.1. du document d'orientation de l'Accord de Nouméa 8( * ) .

Le débat porte en réalité sur le point de savoir quel est le tableau annexe qui est visé à l'article 188 du statut organique , étant rappelé qu'un tableau annexe est un document qui recense les personnes remplissant les conditions générales pour être électeur mais pas les conditions spécifiques requises pour les élections considérées.

Selon l'interprétation résultant de la décision précitée du Conseil constitutionnel, il s'agit du tableau annexe courant, c'est-à-dire celui qui est révisé annuellement en intégrant les personnes au fur et à mesure de leur arrivée en Nouvelle-Calédonie, que cette arrivée soit antérieure ou postérieure à la consultation du 8 novembre 1998 tendant à l'approbation de l'Accord de Nouméa. L'inscription au tableau annexe comme condition pour participer aux élections au congrès et aux assemblées de province correspond donc ici à une simple formalité, la seule condition de fond étant de pouvoir justifier d'une durée de résidence de dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l'élection.

Aux termes de l'article 1 er du projet de loi constitutionnelle soumis à votre examen, la référence au tableau annexe visé à l'article 188 renvoie au tableau annexe arrêté en vue de la consultation du 8 novembre 1998 et non au tableau annexe courant, c'est-à-dire au tableau annexe recensant les personnes arrivées en Nouvelle-Calédonie entre 1989 et 1998. Ces personnes, qui n'ont pas pu prendre part à la consultation du 8 novembre 1998 dans la mesure où elles ne justifiaient pas alors de dix ans de résidence sur le territoire, pourront participer à l'élection des membres des assemblées de province et du congrès au fur et à mesure qu'elles rempliront cette condition de dix années de résidence. Ainsi, celles entrées en Nouvelle-Calédonie au début de l'année 1998 ne pourront accéder à la qualité d'électeur pour ces élections locales qu'en 2008 : elles ne participeront donc pas au scrutin de 2004 9( * ) mais seulement à celui de 2009.

C'est seulement pour l'échéance électorale de 2009 que la différence d'interprétation apparue pour la définition du corps électoral aux élections locales commencera à se concrétiser, mais de façon encore marginale. Sachant que le statut calédonien actuel a un caractère transitoire et pourra être reconsidéré au terme d'une période de quinze à vingt ans, soit à compter de 2014, date qui correspond au premier renouvellement des assemblées locales où la différence de définition du corps électoral spécial sera significative puisque concernant les personnes entrées en Nouvelle-Calédonie entre 1999 et 2004, il semble que le problème de la divergence d'interprétation relative à la composition du corps électoral doive être raisonnablement relativisé.

L'interprétation qui avait été celle de votre commission des Lois lors de l'examen du projet de loi organique statutaire au début de l'année 1999, approuvée par le Sénat, correspondant à celle résultant de l'article premier du présent projet de loi constitutionnelle, elle vous propose de confirmer cette position en adoptant conforme cette disposition.

*

Sous réserve de ces observations, votre commission des Lois vous propose d'adopter le projet de loi constitutionnelle relatif à la Polynésie française et à la Nouvelle-Calédonie dans le texte de l'Assemblée nationale.

EXAMEN DES ARTICLES

Article premier
(Art. 77 de la Constitution)
Définition du corps électoral pour les élections
aux assemblées de province et au congrès de la Nouvelle-Calédonie

Ce premier article a pour objet de régler une question incidente par rapport au coeur du dispositif du projet de loi constitutionnelle consacré à la Polynésie française  : il s'agit de préciser, au sein même de la Constitution, la définition du corps électoral admis à participer aux élections aux assemblées de province et au congrès de la Nouvelle-Calédonie.

Il est ainsi proposé de compléter l'article 77 de la Constitution qui confie au législateur organique le soin de déterminer les règles relatives à la citoyenneté et au régime électoral applicables en Nouvelle-Calédonie " dans le respect des orientations définies " par l'accord de Nouméa et " selon les modalités nécessaires à sa mise en oeuvre ", afin de revenir sur l'interprétation donnée par le Conseil constitutionnel de l'article 188 de la loi n° 99-209 du 19 mars 1999 définissant le corps électoral admis à participer aux élections au congrès et aux assemblées de province.

Dans sa décision n° 99-410 DC du 15 mars 1999, le Conseil constitutionnel a en effet formulé une réserve d'interprétation concernant la définition de ce corps électoral spécial. Il a estimé qu'il devait être compris comme étant un " corps électoral glissant " : " il ressort des dispositions combinées des articles 188 et 189 que doivent notamment participer à l'élection des assemblées de province et du congrès les personnes qui, à la date de l'élection, figurent au tableau annexe mentionné au I de l'article 189 et sont domiciliées depuis dix ans en Nouvelle-Calédonie, quelle que soit la date de leur établissement en Nouvelle-Calédonie, même postérieure au 8 novembre 1998 ".

Le Conseil constitutionnel a ainsi considéré que le tableau annexe auquel il est fait référence à l'article 188 était celui visé à l'article 189, révisé annuellement et recensant l'ensemble des personnes établies en Nouvelle-Calédonie quelle que soit la date de leur arrivée ayant la qualité d'électeur au regard du droit électoral général mais ne remplissant pas les conditions requises pour participer à l'élection des assemblées locales.

Or, cette interprétation ne correspond pas à celle qui ressort des travaux parlementaires lors de la discussion du projet de loi organique statutaire : ceux-ci font apparaître que le corps électoral restreint pour les élections au congrès et aux assemblées de province, prévu par l'article 77 de la Constitution, était alors conçu comme ne devant prendre en compte, pour l'application de la condition de dix ans de résidence, que les personnes entrées en Nouvelle-Calédonie entre 1989 et 1998, c'est-à-dire celles inscrites au tableau annexe arrêté en vue de la consultation du 8 novembre 1998.

Le rapport de notre collègue Jean-Jacques Hyest fait au nom de la commission des Lois du Sénat 10( * ) , dans son commentaire de l'article 177 du projet de loi organique, devenu l'article 188 de la loi statutaire, indique ainsi :

" Faisant référence au tableau annexe mentionné au I de l'article 178 devenu l'article 189 de la loi statutaire , c'est-à-dire le tableau annexe des électeurs non admis à participer au scrutin et pris en considération pour dresser la liste électorale spéciale à l'élection du congrès et des assemblées de province, ce b) de l'article 177 devenu l'article 188 de la loi statutaire pouvait être interprété comme prévoyant une intégration progressive dans la liste figurant sur ce tableau des personnes nouvellement domiciliées en Nouvelle-Calédonie dans l'attente de remplir la condition de dix ans de domiciliation pour accéder à la qualité d'électeur. Or, selon les informations délivrées à votre rapporteur, l'intention sous-jacente à l'Accord de Nouméa n'est pas d'instaurer un corps électoral glissant, s'enrichissant au fil du temps des personnes dont l'inscription serait progressivement portée au tableau annexe et qui en sortiraient pour devenir des électeurs au moment où elles pourraient justifier de dix ans de résidence. Aussi l'Assemblée nationale, sur proposition de sa commission des Lois et avec l'accord du Gouvernement, a-t-elle préféré supprimer ce renvoi au I de l'article 178 afin de lever toute ambiguïté. Reste cependant à déterminer quel est le tableau annexe visé par l'article 177 qui aura vocation à se vider de sa substance au fur et à mesure que les personnes qui y seront inscrites pourront justifier de dix années de résidence en Nouvelle-Calédonie et accéderont ainsi à la qualité d'électeur. Selon le rapport de l'Assemblée nationale, il s'agit du tableau annexe prévu en 1988 pour le référendum de 1998 et arrêté à cette date, retenue comme date de référence. Le tableau annexe visé est celui qui a été établi en application de l'article premier du décret n° 90-1163 du 24 décembre 1990 pris pour la mise en oeuvre des articles 2 et 3 de la loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988 en vertu de l'article 7 du décret n° 98-733 du 20 août 1998 portant organisation de cette consultation. "

Le rapport établi par M. René Dosière au nom de la commission des Lois de l'Assemblée nationale est tout aussi explicite 11( * ) sur ce point : " A quel tableau annexe fait-on référence dans l'accord de Nouméa ? Il est clair qu'il s'agit du tableau qui a été constitué en vue de la consultation référendaire de 1998. Figurent sur ce tableau - et sont donc exclues de la liste électorale spéciale - les personnes qui ne respectent pas la condition fixée par l'article 2 de la loi référendaire du 9 novembre 1998, c'est-à-dire celles qui n'ont pas eu leur domicile en Nouvelle-Calédonie de la date du référendum du 9 novembre 1988 jusqu'à la date de consultation, qui aurait dû être celle relative à l'autodétermination, de 1998. ... Les personnes installées en Nouvelle-Calédonie, après le référendum de 1998 jusqu'à la consultation de 1998, pourront donc voter aux élections provinciales dès qu'elles auront rempli la condition de domicile. Les premières retrouveront ce droit de suffrage en 1999, les dernières à la fin de 2008. "

Ainsi, alors qu'il s'agissait au moment de la révision constitutionnelle d'autoriser la définition d'un corps électoral restreint pour les élections au congrès et aux assemblées de province, le législateur organique a précisé lors de l'examen des textes statutaires que ce corps électoral devait être conçu comme étant figé, en prenant comme référence la liste des personnes inscrites au tableau annexe dressé en vue de la consultation du 8 novembre 1998 tendant à l'approbation de l'Accord de Nouméa.

Observons en outre que retenir le critère du tableau annexe glissant reviendrait à rendre difficilement intelligibles certaines des conditions alternatives figurant à l'article 188 dont le libellé reproduit pourtant fidèlement les termes de l'Accord de Nouméa. En effet, quelle serait la portée de la référence au tableau annexe pour la deuxième catégorie visée (être inscrit au tableau annexe et justifier de dix années de résidence en Nouvelle-Calédonie à la date de l'élection) s'il s'agit du tableau annexe courant, c'est-à-dire celui qui s'enrichit chaque année des personnes entrées en Nouvelle-Calédonie qui ne remplissent pas les conditions requises pour participer au scrutin local, sachant que cette condition est précisément le fait de pouvoir justifier d'une durée de résidence de dix ans ? En revanche, si le tableau annexe est celui arrêté en 1998, la référence à ce tableau retrouve une signification substantielle puisque la condition de résidence ne s'applique alors qu'aux personnes entrées en Nouvelle-Calédonie entre 1989 et 1998.

Cela aurait de même pour effet de vider de son sens le troisième critère alternatif retenu au c) de l'article 188 (nécessité pour la personne atteignant la majorité après la consultation du 8 novembre 1998 d'avoir un de ses parents inscrit au tableau annexe et de justifier de dix années de domicile à la date de l'élection). Si le tableau annexe en question était le tableau courant, il suffirait à cette personne de se prévaloir de l'application du b) de l'article 188 pour accéder à la qualité d'électeur (être elle-même inscrite au tableau annexe et justifier de dix années de domicile en Nouvelle-Calédonie à la date de l'élection). En revanche, si le tableau annexe ici visé est celui qui a été établi en vue de la consultation du 8 novembre 1998, le troisième critère mentionné au c) concernant l'inscription de l'un des parents reprend son sens dans la mesure où la personne concernée n'ayant atteint l'âge de la majorité qu'après le 8 novembre 1998, il lui est impossible d'être inscrit sur ce tableau ; seul le recours au critère de l'inscription de l'un de ses parents lui permettra d'accéder à la qualité d'électeur.

Enfin, pourquoi les signataires de l'Accord de Nouméa auraient-ils éprouvé la nécessité d'indiquer que les électeurs à la consultation du 8 novembre 1998 feraient partie du corps électoral spécial aux élections aux assemblées de province et au congrès si la seule condition applicable était le fait de pouvoir justifier d'une durée de résidence de dix ans en Nouvelle-Calédonie ? En effet, les électeurs ayant participé à cette consultation remplissaient obligatoirement, dès 1998, cette condition de résidence.

Afin de sortir de l'impasse créée par la décision du Conseil constitutionnel, l'avant-projet de loi constitutionnelle transmis au Conseil d'État proposait une disposition à caractère interprétatif revenant à une conception figée du corps électoral précisant que les personnes justifiant de dix ans de résidence en Nouvelle-Calédonie à la date de l'élection accèdent à la qualité d'électeur à condition d'avoir été inscrites, le 8 novembre 1998, au tableau annexe.

Le Conseil d'État a préféré, ce qui paraît de meilleure méthode, commuer cette disposition interprétative en disposition normative en proposant de compléter l'article 77 de la Constitution pour préciser que le tableau annexe de référence pour déterminer le corps électoral admis à participer aux élections des assemblées locales (congrès et assemblées de province) est celui qui a été établi en vue de la consultation du 8 novembre 1998.

Lors de l'examen du texte en première lecture, l'Assemblée nationale a adopté sur l'article premier un amendement d'ordre rédactionnel proposé par sa commission des Lois. Le libellé de cet article reste cependant perfectible : il eût été préférable, au lieu de faire référence aux " assemblées de province " et au " congrès ", de retenir une dénomination générique (assemblées délibérantes des provinces et de la Nouvelle-Calédonie) comme le fait actuellement l'article 77 ; par ailleurs , l'expression " du corps électoral aux assemblées de province et au congrès " constitue une ellipse qui désigne en réalité " le corps électoral admis à participer aux élections aux assemblées délibérantes des provinces et de la Nouvelle-Calédonie ".

En dépit de cette rédaction qui n'apparaît pas très heureuse, votre commission des Lois, estimant nécessaire de trancher la question de la définition du corps électoral spécial dans les meilleurs délais, vous propose de confirmer l'interprétation approuvée par le Sénat lors du vote de la loi organique statutaire relative à la Nouvelle-Calédonie et d'adopter l'article premier sans modification .

Articles 2 et 3
Renumérotation des titres XIV, XV et XVI de la Constitution
et insertion d'un nouveau titre XIV

L'article 2, purement formel, renumérote les trois derniers titres de la Constitution pour permettre l'insertion d'un nouveau titre consacré à la Polynésie française après celui regroupant les dispositions relatives à la Nouvelle-Calédonie.

Ce nouveau titre XIV serait intitulé, aux termes de l'article 3 : " Dispositions relatives à la Polynésie française ".

Votre commission des Lois vous propose d'adopter les articles 2 et 3 sans modification .

Article 4
(Art. 78 de la Constitution)
Dispositions relatives à la Polynésie française

L'article 4 rétablit un article 78 au sein de ce titre XIV, regroupant les dispositions fondant le nouveau statut constitutionnel de la Polynésie française.

Comme pour la Nouvelle-Calédonie, ces dispositions sont donc rassemblées sous un titre nouveau, distinct de celui consacré aux collectivités territoriales (titre XII : articles 72 à 75).

Le premier alinéa de l'article 78 qualifie la Polynésie française de " pays d'outre-mer " tout en précisant qu'elle demeure " au sein de la République ". La Polynésie n'appartiendrait donc plus désormais à la catégorie des territoires d'outre-mer, l'appartenance à cette catégorie juridique résultant à ce jour de l'article 1er de la loi organique n° 96-312 du 12 avril 1996 portant statut d'autonomie de la Polynésie française.

L'article 72 de la Constitution disposant que " toute autre collectivité territoriale " que les communes, les départements ou les territoires d'outre-mer " est créée par loi ", on pouvait s'interroger sur la nécessité de faire figurer cette nouvelle appellation dans la Constitution. La mention du maintien de la Polynésie " au sein de la République " et l'absence de disposition envisageant à terme une accession à la pleine souveraineté, à la différence de ce qui est prévu par l'article 77 de la Constitution pour la Nouvelle-Calédonie, aurait pu conduire à faire figurer le nouveau statut constitutionnel de la Polynésie sous le titre XII dans un article distinct (par exemple dans un article 74 bis). Toutefois, le caractère dérogatoire de ce nouveau statut, inspiré de celui désormais applicable à la Nouvelle-Calédonie, est de nature à justifier l'insertion d'un titre spécifique à la Polynésie française. Il convient en outre de rappeler que la quatrième partie du Traité de Rome et la décision d'association du 25 juillet 1991 prise pour son application utilisent l'expression de " pays d'outre-mer " puisqu'ils définissent le régime communautaire applicable aux " pays et territoires d'outre-mer " (PTOM).

Le premier alinéa de l'article 78 reprend des mentions figurant actuellement à l'article 1er de la loi statutaire du 12 avril 1996 12( * ) : les notions d'" autonomie " et d'" intérêts propres ". Si la notion d' " intérêts propres " figure déjà à l'article 74 de la Constitution relatif aux territoires d'outre-mer, celle d' " autonomie " sera nouvelle et de nature à justifier, en l'absence d'accord politique comparable à l'accord de Nouméa, un statut constitutionnel dérogatoire. L'expression " La Polynésie française se gouverne librement et démocratiquement " marque d'emblée une avancée vers davantage d'autonomie : le statut actuel affirme simplement que la Polynésie française " exerce librement et démocratiquement, par ses représentants élus, les compétences qui lui sont dévolues ".

Ce même alinéa renvoie à la loi organique, prise " après avis de l'assemblée de la Polynésie française ", le soin de définir son statut. Le libellé retenu par le projet de loi constitutionnelle appelle deux observations :

- il consacre tout d'abord dans la Constitution l'existence de l' " assemblée de la Polynésie française ". Comme cela a été souligné dans le commentaire de l'article premier pour la Nouvelle-Calédonie, il eût été également préférable à l'article 4 d'utiliser le terme générique d' " assemblée délibérante " plutôt que de figer, au niveau constitutionnel, la dénomination retenue par le statut actuellement en vigueur ;

- par ailleurs, on peut s'interroger sur le champ d'application et la portée de l'expression " après avis " de l'assemblée :

L'article 74 de la Constitution, qui prévoit l'obligation de consulter l'assemblée territoriale sur les lois organiques statutaires des territoires d'outre-mer, utilise l'expression " après consultation " : cela signifie que sur tout projet de loi de cette nature le Gouvernement doit consulter l'assemblée territoriale sur les points qui seront soumis au Parlement ; mais l'avis recueilli ne le lie pas : le projet de loi soumis au Parlement peut intégrer ou non les modifications proposées par cette assemblée, il peut correspondre au texte de l'avant-projet ayant fait l'objet de la consultation ou consister dans une rédaction différente. En outre, bien qu'il soit arrivé au Conseil d'État de refuser de rendre lui-même son avis avant d'avoir eu connaissance de celui de l'assemblée territoriale intéressée, il n'est pas exigé que l'avis de l'assemblée territoriale soit fourni avant l'adoption du projet de loi en Conseil des ministres.

Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il suffit, mais il est nécessaire, que cet avis soit " porté à la connaissance des parlementaires (...) avant l'adoption en première lecture de la loi par l'Assemblée dont ils font partie " (décision du 27 juillet 1984).

La procédure prévue à l'article 78 pour la Polynésie française doit s'entendre de même comme une simple obligation de consultation préalable, conformément à ce qui est prévu pour la Nouvelle-Calédonie. Les expressions " après consultation ", figurant à l'article 74, et " après avis ", figurant à l'article 77 et dans la rédaction proposée pour l'article 78, doivent être interprétées comme ayant une portée équivalente : si la consultation est obligatoire, l'absence d'avis émis dans un délai imparti par la loi organique ne saurait bloquer la procédure et l'avis rendu dans ce délai est un avis simple.

Concernant le champ de l'obligation de consulter l'assemblée de la Polynésie française , on observera qu'en dehors du domaine statutaire ne figure pas dans le projet de loi constitutionnelle de disposition faisant référence au principe dit de " spécialité législative " qui, se déduisant pour les territoires d'outre-mer de l'article 74 de la Constitution, suppose une consultation de l'assemblée locale délibérante sur tous les projets de loi ou d'ordonnance touchant à l'organisation particulière de ces territoires ainsi qu'une mention expresse dès lors que ces textes introduisent, modifient ou suppriment des dispositions spécifiques à ces territoires. Pareille mention a également été omise à l'article 77 pour la Nouvelle-Calédonie mais, bien que dépourvues de fondement constitutionnel, les dispositions statutaires (article 90 de la loi organique du 19 mars 1999) prévoyant l'obligation de consulter le congrès sur les projets de textes modifiant des dispositions spécifiques à la Nouvelle-Calédonie n'ont pas été censurées par le Conseil constitutionnel. Il faut donc considérer qu'implicitement la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française continuent à bénéficier des mêmes garanties constitutionnelles que lorsqu'elles appartenaient à la catégorie des territoires d'outre-mer.

La fin du premier alinéa de l'article 78 précise que la loi statutaire déterminera les compétences de l'État qui seront transférées à la Polynésie française , le calendrier et les modalités de ces transferts, notamment la répartition des charges en résultant. Sont ainsi repris pour partie les termes de l'article 77 concernant la Nouvelle-Calédonie. L'article 78 se situe cependant en retrait dans la mesure où il ne prévoit pas que les transferts opérés seront définitifs. Les transferts de compétences de l'État vers la Nouvelle-Calédonie traduisant dans la réalité institutionnelle le principe d' " autonomie " désormais consacré par la Constitution, il ne sera pas envisageable de revenir sur les transferts opérés sans méconnaître ce principe.

• En cohérence avec la volonté de se maintenir " au sein de la République ", le deuxième alinéa de l'article 78 énumère les matières insusceptibles d'être transférées : " la nationalité, les garanties des libertés publiques, les droits civiques, le droit électoral, l'organisation de la justice, le droit pénal, la procédure pénale, les relations extérieures, la défense, le maintien de l'ordre, la monnaie, le crédit et les changes " ; cette sanctuarisation des matières réputées régaliennes est cependant prévue " sous réserve des compétences déjà exercées en ces matières par la Polynésie française ", c'est-à-dire celles résultant de la loi organique statutaire du 12 avril 1996.

• Au-delà du cadre juridique des transferts de compétence (matières concernées, calendrier, répartition des charges afférentes), les quatre derniers alinéas de l'article 78 énoncent ce que la loi organique statutaire devra également définir :

1) Les règles d'organisation et de fonctionnement des institutions de la Polynésie française et les conditions dans lesquelles certaines catégories d'actes de l'assemblée de la Polynésie française, ayant le caractère de lois du pays , pourront être soumises au contrôle du Conseil constitutionnel avant publication :

Le quatrième alinéa de l'article 78 reproduit fidèlement les termes du troisième alinéa de l'article 77 pour :

- renvoyer à la loi organique la définition des règles relatives à l'organisation et au fonctionnement des institutions polynésiennes. Les règles statutaires régissant la Polynésie française relèvent aujourd'hui déjà de la loi organique en vertu de l'article 74 de la Constitution relatif au régime juridique des territoires d'outre-mer ;

- prévoir que certains actes émanant de l'assemblée de la Polynésie française, dénommés comme en Nouvelle-Calédonie " lois du pays " (expression qui, consacrée par l'Accord de Nouméa pour la Nouvelle-Calédonie trouve ici son origine dans la transformation de la Polynésie française, territoire d'outre-mer, en pays d'outre-mer), pourront être soumis au contrôle du Conseil constitutionnel avant leur publication. A l'instar de ce qui a été accepté pour la Nouvelle-Calédonie, l'assemblée délibérante polynésienne disposerait désormais d'un pouvoir normatif initial et autonome dans les matières relevant de la compétence de la Polynésie française, ce qui nécessite une révision de la Constitution dans la mesure où cela heurte le principe du caractère indivisible de la République inscrit dans son article premier. Certaines délibérations dénommées " lois du pays " ne pourront ainsi être contestées qu'en amont devant le Conseil constitutionnel, à l'instar de ce qui est prévu pour les lois de la République.

2) Les conditions dans lesquelles le délégué du Gouvernement a la charge des intérêts nationaux et du respect des lois :

Cette mention ne figurait pas dans l'avant-projet de loi : elle a été insérée par le Conseil d'État pour consacrer dans la Constitution l'existence du haut-commissaire en Polynésie française.

Traditionnellement, les lois statutaires organiques comportent des dispositions prévoyant l'existence d'un haut-commissaire, dépositaire des pouvoirs de la République et représentant le Gouvernement, chargé de veiller à l'exercice régulier des compétences dévolues aux institutions locales ainsi qu'à la légalité des actes qu'elles édictent. Concernant les départements et les territoires d'outre-mer, ces dispositions font écho au dernier alinéa de l'article 72 de la Constitution aux termes duquel " le délégué du Gouvernement a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois ". Le Conseil d'État s'est donc manifestement inspiré de l'article 72 alors même que la référence au délégué du Gouvernement ne figure pas au titre XIII regroupant les dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie.

Dans la mesure où le deuxième alinéa définit un bloc de compétences réservées à l'État et n'ayant pas vocation à être transférées à la Polynésie française, il peut paraître logique de faire figurer à l'article 78 la mention du délégué du Gouvernement, chargé des intérêts nationaux et du respect des lois qui préciseront la répartition des compétences.

3) Les règles relatives à la citoyenneté polynésienne et à ses effets dans divers domaines (accès à l'emploi, droit d'établissement, patrimoine foncier) :

Comme l'article 77, l'article 78 habilite le législateur organique à définir le régime applicable en matière de " citoyenneté " locale et ses conséquences en matière d'accès à l'emploi. Le texte proposé pour l'article 78 ajoute cependant deux références : celle du " droit d'établissement pour l'exercice d'une activité économique " et celle de l' " accession à la propriété foncière ".

La notion de citoyenneté polynésienne pourra ainsi être retenue pour édicter des règles discriminatoires en matière d'accès à la propriété immobilière et en matière économique pour pouvoir s'établir et exercer une activité en Polynésie. De telles règles portant atteinte au principe d'égalité, la possibilité d'édicter de telles dérogations est subordonnée à une habilitation constitutionnelle.

On peut cependant s'interroger sur la compatibilité d'une modification de la Constitution autorisant des discriminations en matière de droit d'établissement avec le principe de non discrimination résultant actuellement du jeu combiné de l'article 132 § 5 de la quatrième partie du Traité de Rome 13( * ) et de l'article 232 de la décision d'association du 25 juillet 1991 14( * ) Notons toutefois que ce dernier article atténue la portée du principe en offrant aux autorités compétentes des PTOM la possibilité d'établir des réglementations dérogatoires " en faveur des habitants et des activités locales ", ces dérogations devant être " limitées à des secteurs sensibles dans l'économie du PTOM concerné " et s'inscrire " dans le but de promouvoir ou de soutenir l'emploi local ". Ces dérogations sont accordées par la Commission sur demande des autorités compétentes du PTOM concerné et après concertation dans le cadre du partenariat Commission - État membre - PTOM.

La décision du Conseil du 24 novembre 1997 portant révision à mi-parcours du régime d'association des PTOM a maintenu l'exigence de non-discrimination en matière de droit d'établissement. Une déclaration annexée au Traité d'Amsterdam prévoit cependant un réexamen de ce régime d'ici février 2000, les évolutions envisagées devant en particulier comporter des aménagements à la liberté d'établissement afin de permettre aux PTOM de mieux préserver l'emploi local.

4) Les conditions dans lesquelles la Polynésie française pourra intervenir dans le domaine des relations internationales :

Par dérogation au deuxième alinéa selon lequel " les relations extérieures " restent une compétence étatique insusceptible d'être transférée, le dernier alinéa dispose que la loi organique déterminera les conditions dans lesquelles la Polynésie française pourra " être membre d'une organisation internationale ", " disposer d'une représentation auprès des États du Pacifique " et " négocier avec ces États, dans son domaine de compétence, des accords internationaux dont la signature et l'approbation ou la ratification sont soumises aux dispositions des articles 52 et 53 " de la Constitution.

Pareille disposition ne figure pas à l'article 77 relatif à la Nouvelle-Calédonie alors même que le nouveau statut prévoit que, dans les domaines de compétence de la Nouvelle-Calédonie, le congrès peut autoriser le président du gouvernement à négocier, dans le respect des engagements internationaux de la République, des accords avec un ou plusieurs États, territoires ou organismes régionaux du Pacifique et avec les organismes régionaux dépendant des institutions spécialisées des Nations-Unies. Ce statut prévoit également que la Nouvelle-Calédonie peut, avec l'accord des autorités de la République, être membre, membre associé d'organisations internationales ou observateur auprès de celles-ci (articles 29 et 31 de la loi organique du 19 mars 1999, non remis en cause par le Conseil constitutionnel).

En outre, il résulte aujourd'hui de l'article 40 de la loi organique du 12 avril 1996 portant statut d'autonomie de la Polynésie française que les autorités de la République peuvent délivrer pouvoir au président du gouvernement pour négocier et signer des accords dans les domaines de compétence de l'État ou du territoire avec un ou plusieurs États, territoires ou organismes régionaux du Pacifique et avec les organismes régionaux dépendant des institutions spécialisées des Nations-Unies, ces accords étant soumis à ratification ou approbation dans les conditions prévues aux articles 52 et 53 de la Constitution. Ce même article prévoit que le président du gouvernement peut être autorisé par les autorités de la République à représenter ce dernier au sein des organismes régionaux du Pacifique ou des organismes régionaux du Pacifique dépendant d'institutions spécialisées des Nations-Unies.

Le deuxième alinéa de l'article 78 garantissant la pérennité de ces compétences en matière de relations internationales telles que définies par le statut actuellement en vigueur (régime juridique d'autorisation émise par les autorités de la République), son dernier alinéa ouvre la porte à de nouvelles avancées statutaires en la matière :

- la Polynésie française pourrait être membre d'une organisation internationale. Cette mention figure d'ailleurs également dans le nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie, sans habilitation expresse en la matière de l'article 77 de la Constitution, le point 3.2.1 de l'Accord de Nouméa y faisant cependant explicitement référence ;

- elle pourrait disposer d'une représentation auprès des États du Pacifique et non plus seulement auprès des organismes régionaux du Pacifique ;

- qu'il s'agisse de représentation ou d'accords internationaux, la rédaction proposée pour l'article 78 renvoie à la loi organique le soin de déterminer " les conditions " dans lesquelles la Polynésie française exercera ses compétences ; le terme " conditions " est tout à la fois neutre et imprécis, il ne fixe a priori aucune limite à l'étendue de la compétence susceptible d'être confiée à la Polynésie française : alors qu'une procédure d'autorisation est aujourd'hui en vigueur (article 40 de la loi du 12 avril 1996), la loi organique pourrait désormais aller jusqu'à prévoir une capacité d'initiative exercée librement par la Polynésie française dans son domaine de compétence en matière de négociation d'accords internationaux.

Pareille latitude d'action ne doit cependant pas aller jusqu'à vider de sa portée le principe énoncé par le deuxième alinéa de l'article 78 qui fait des " relations internationales " l'apanage de l'État. Cela explique que la rédaction proposée pour l'article 78 ne renvoie à la loi organique que pour la négociation des accords, la signature, qui constitue une formalité valant simple authentification ou engagement selon les cas, demeurant de la compétence des autorités étatiques, sauf délégation accordée aux autorités polynésiennes ce qui correspond au régime prévu par l'article 40 du statut actuel.

D'un point de vue formel, observons enfin que le renvoi aux articles 52 et 53 de la Constitution concernant la " signature " des accords n'est pas très heureuse dans la mesure où ces dispositions ne traitent que des procédures d'approbation et de ratification.

Sous réserve des observations qu'elle vous soumet, votre commission des Lois vous propose d'adopter sans modification l'article 4 qui, à l'Assemblée nationale, avait subi deux légères modifications rédactionnelles.

*

TABLEAU COMPARATIF




1 L'exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle n° 937 (A.N.) relatif à la Nouvelle-Calédonie s'achève par la phrase suivante : " Une démarche analogue pourra être suivie afin de favoriser l'évolution institutionnelle d'autres territoires d'outre-mer ".

2 Initialement constitué de 18 membres répartis en deux collèges, l'un européen, l'autre tahitien, il sera remplacé en 1903 par un conseil d'administration composé majoritairement de hauts fonctionnaires et de seulement trois membres élus.

3 Dans sa séance du 23 novembre 1898, à l'occasion de l'examen du budget, le conseil général émet le voeu suivant : " Dans l'intérêt même de son budget la colonie est prête à prendre à sa charge toutes les dépenses dites de souveraineté, sauf bien entendu les dépenses militaires, si, de son côté, la Métropole consent à l'affranchir d'une tutelle onéreuse et préjudiciable à son développement en lui accordant l'autonomie administrative et financière qu'avec la plupart de nos autres possessions elle réclame depuis si longtemps ".

4 Le conseil d'administration demandait son remplacement par " une assemblée délibérante de 16 membres élus au suffrage universel pour 6 ans qui déciderait des impôts, des emprunts ... et connaîtrait des questions d'ordre administratif, économique et financier dont elle serait saisie par le Gouverneur ou sur proposition du tiers de ses membres ".

5 Trente-sept conventions seront conclues entre 1977 et 1982.

6 Rapport n° 214 (1995-1996) fait au nom de la commission des Lois par M. Lucien Lanier, p. 13.

7 Article 188 : "
I. - Le congrès et les assemblées de province sont élus par un corps électoral composé des électeurs satisfaisant à l'une des conditions suivantes :

" a) Remplir les conditions pour être inscrits sur les listes électorales de la Nouvelle-Calédonie établies en vue de la consultation du 8 novembre 1998 ;

" b) Être inscrits sur le tableau annexe et domiciliés depuis dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l'élection au congrès et aux assemblées de province ;

" c) Avoir atteint l'âge de la majorité après le 31 octobre 1998 et soit justifier de dix ans de domicile en Nouvelle-Calédonie en 1998, soit avoir eu un de leurs parents remplissant les
conditions pour être électeur au scrutin du 8 novembre 1998, soit avoir un de leurs parents inscrit au tableau annexe et justifier d'une durée de domicile de dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l'élection.

" II. - Les périodes passées en dehors de la Nouvelle-Calédonie pour accomplir le service national, pour suivre des études ou une formation ou pour des raisons familiales, professionnelles ou médicales ne sont pas, pour les personnes qui y étaient antérieurement domiciliées, interruptives du délai pris en considération pour apprécier la condition de domicile. "

8 Point 2.2.1. de l'Accord de Nouméa du 5 mai 1998 publié au J.O. du 27 mai 1998, p. 8042 : " Comme il avait été prévu dans le texte signé des accords de Matignon, le corps électoral aux assemblées des provinces et au Congrès sera restreint : il sera réservé aux électeurs qui remplissaient les conditions pour voter au scrutin de 1998, à ceux qui, inscrits au tableau annexe, rempliront une condition de domicile de dix ans à la date de l'élection, ainsi qu'aux électeurs atteignant l'âge de la majorité pour la première fois après 1998 et qui, soit justifieront de dix ans de domicile en 1998, soit auront eu un parent remplissant les conditions pour être électeur au scrutin de la fin 1998, soit, ayant eu un parent inscrit sur un tableau annexe justifieront d'une durée de domicile de dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l'élection. "

9 Les premières élections ont eu lieu le 9 mai 1999 et la durée du mandat des membres des assemblées de province et du congrès est de cinq ans.

10 Rapport au nom de la commission des Lois du Sénat, n° 180, p. 222.

11 Rapport fait au nom de la commission des Lois de l'Assemblée nationale n° 1275, p. 190-191.

12
Article 1er 2ème alinéa de la loi organique du 12 avril 1996 : " La Polynésie française est, au sein de la République, un territoire d'outre-mer doté d'un statut d'autonomie, qui exerce librement et démocratiquement, par ses représentants élus, les compétences qui lui sont dévolues par la présente loi. La République garantit l'autonomie de la Polynésie française ; elle favorise l'évolution de cette autonomie, de manière à conduire ce territoire d'outre-mer au développement économique, social et culturel, dans le respect de ses intérêts propres, de ses spécificités géographiques et de son identité . "

13
L'article 132 § 5 stipule que " dans les relations entre les États membres et les pays et territoires, le droit d'établissement des ressortissants et sociétés est réglé conformément aux dispositions et par application des procédures prévues au chapitre relatif au droit d'établissement et sur une base non discriminatoire ".

14
L'article 232 stipule que " les autorités compétentes des PTOM traitent sur une base non discriminatoire les ressortissants, sociétés et entreprises des États membres ".



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