B. LES MÉCANISMES AUJOURD'HUI PROPOSÉS AUX FRANÇAIS SONT INSUFFISANTS

Les mécanismes en place sont aujourd'hui insuffisants pour faire face aux nouveaux enjeux de l'épargne retraite.

1. L'épargne retraite en France : l'absence de produits adaptés

Au cours des vingt années qui vont du milieu des années soixante au milieu des années quatre-vingt, l'amélioration considérable des régimes de prévoyance et de retraite, le développement des placements immobiliers et l'amélioration continue du niveau de vie ont détourné les Français de l'épargne financière.

La disposition d'un capital apparaît aujourd'hui de plus en plus nécessaire : accident, maladie, chômage, établissement d'un enfant, grosse réparation du logement, départ à la retraite, dépendance...

En l'absence de produit spécifique d'épargne retraite, les Français utilisent à l'heure actuelle deux systèmes : le premier dans un cadre individuel -l'assurance vie- et le second -l'épargne salariale- dans un cadre collectif.

Il convient de noter que les différents produits proposés ne sont pas véritablement adaptés à la constitution d'une épargne en vue de la retraite.

a) L'assurance vie

Le succès de l'assurance vie a été l'une des tendances majeures des dix dernières années : le chiffre d'affaires de l'assurance vie et capitalisation a été multiplié par plus de quatre, progressant à un rythme annuel de 17 %. La Cour des comptes indique ainsi que " l'assurance vie a représenté jusqu'à 70 % des flux d'épargne financière des ménages (1996). Parallèlement le stock de capitaux gérés s'est accru de 228 milliards de francs à près de 2.200 milliards de francs, montant qui représente environ 17 % du patrimoine financier des ménages français (contre 3 % en 1974). En raison notamment des obligations légales, ces sommes ont été surtout investies en obligations, qui forment près de 70 % de l'actif financier de la branche, les trois quarts des emprunts d'Etat étant financés par l'assurance-vie. " 10( * ) .

Les compagnies d'assurances proposent actuellement plus d'un millier de contrats d'" épargne-retraite ", qui sont en fait des contrats d'assurance vie.

L'assurance vie se divise en trois branches :

- l'assurance décès : si le titulaire du contrat meurt avant une date donnée (assurance décès temporaire) ou à n'importe quel moment (assurance vie entière) , ses proches recevront un capital. Si l'assuré est encore en vie à la date fixée par le contrat assurance vie temporaire, les primes versées restent acquises à l'assureur.

- l'assurance à " capital différé " ou " en cas de vie " : si l'assuré est encore en vie à une date fixée (qui peut être la date de la mise à la retraite) il reçoit un capital ou une rente viagère. Certains contrats prévoient qu'en cas de décès, les primes versées seront remboursées aux proches de l'assuré.

- l'assurance " mixte " : elle allie les deux formes citées précédemment. En cas de décès à une date fixée, les proches de l'assuré reçoivent un capital. Si l'assuré est encore en vie, il touche un capital ou une rente viagère. Les contrats d'assurance mixte se révèlent très peu avantageux. L'assuré paie pour avoir deux garanties : l'une en cas de décès, l'autre en cas de vie.

Le développement de l'assurance vie a été favorisé par les PEP-assurances (plans d'épargne populaire), lancés en 1990. A l'échéance (huit ou dix ans minimum), les souscripteurs peuvent bénéficier d'une sortie sous forme de rente, qui à l'inverse de celle perçue en sortie d'un contrat d'assurance vie classique sera totalement défiscalisée (hors contributions sociales de 10 %). Le PEP a connu un démarrage avantageux puisque 610 milliards de francs y avait été déposés en 1997.

L'assurance vie -dont le succès auprès de nos compatriotes reste très important (un ménage sur deux dispose d'un contrat)- a fait l'objet, ces dernières années, de modifications législatives en cascade, afin de diminuer son attrait fiscal. L'assurance française a connu en 1998 une année difficile, enregistrant une baisse de 14 % de son chiffre d'affaires.

Seuls les gros contrats sont toutefois concernés par la taxation de 7,5 % introduite en 1998 sur les revenus à la sortie, dont demeurent exemptés les contrats conclus dans le cadre d'un PEP et ceux investis en unité de compte composée d'au moins 50 % d'actions (" DSK "). Par rapport à d'autres formes d'épargne, les avantages fiscaux, tant sur les plus-values que lors de la transmission, demeurent donc intéressants.

Mais les contrats proposés ne permettent pas réellement d'assurer une véritable " épargne retraite ". Par ailleurs, les assurés ne bénéficient pas des abondements de leur entreprise, comme ils peuvent le faire dans le cadre de l'épargne salariale.

b) L'épargne salariale

L'épargne salariale représente en France plus de 200 milliards de francs. Le salarié pourra soit se constituer une épargne (salaire différé qui lui sera utile quelques mois ou quelques années plus tard), soit se constituer un capital, c'est-à-dire un patrimoine financier qui lui sera utile pour générer des produits financiers.

Différents mécanismes existent :

- l'intéressement sélectif dans l'entreprise ou " stock-options " (plan d'options sur actions de la loi du 31 décembre 1970). Ce système bénéficie le plus souvent aux seuls cadres dirigeants ;

- les plans d'actionnariat de la loi du 27 décembre 1973 ; seules 55 entreprises y ont aujourd'hui recours.

Ces deux instruments ont pour vocation de développer l'actionnariat des salariés.

Trois instruments d'épargne ont pour vocation d'aider le salarié à se constituer un capital diversifié :

- la participation des salariés aux résultats de l'entreprise (ordonnance du 17 août 1967 - ordonnance n° 86-1134 du 21 octobre 1986 - loi du 25 juillet 1994, devenus articles L. 442-1 à L. 442-7 du code du travail) : la participation est obligatoire pour les entreprises de plus de 50 salariés  (20,6 milliards de francs en 1997) ;

- l'intéressement des salariés à l'entreprise (ordonnance du 21 octobre 1986), qui est un système facultatif  (13,9 milliards de francs en 1997) ;

- les plans d'épargne entreprise (PEE) (ordonnances du 17 août 1967, du 21 octobre 1986 et loi du 25 juillet 1994) . Ces plans sont facultatifs à la différence de la participation. Le plan d'épargne entreprise est un système d'épargne collectif ouvrant aux salariés d'une entreprise la faculté de participer, avec l'aide de celle-ci, à la constitution d'un portefeuille de valeurs mobilières. Certains plans, à long terme, peuvent se transformer en rente.

Les FCPE (fonds communs de placement en entreprise) constituent la forme principale d'investissement des sommés placées sur les PEE. Ils tendent à devenir la forme principale de gestion de l'épargne salariale. En 1998, leur encours global était de 238 milliards de francs 11( * ) .

La transformation de l'épargne salariale en épargne retraite, ou plus encore la confusion entre épargne salariale et épargne retraite, largement entretenue par le Gouvernement, n'est pas pour autant satisfaisante : elle détourne la participation de son objet. De plus, l'épargne n'est pas suffisamment " longue " pour réellement prendre en compte la spécificité de la retraite.

En revanche, l'institution d'une véritable épargne retraite en France pourrait s'inspirer des mécanismes mêmes de l'épargne salariale (place de la négociation sociale, versements du salarié, abondements de l'employeur, incitations fiscales et sociales), afin que les salariés modestes puissent réellement épargner pour leur retraite.

2. Les mécanismes de retraite supplémentaire mis en place dans certaines entreprises ne sont pas à la hauteur des enjeux

Il existe aujourd'hui trois principaux mécanismes de retraite supplémentaire dans le cadre de l'entreprise, chacun étant désigné par le numéro de l'article du code général des impôts fixant le régime fiscal applicable à ses contrats.

C'est pour cette raison que l'on peut considérer que les fonds de pension existent déjà en France.

Qu'est-ce qu'un fonds de pension ?

Un " fonds de pension " est la traduction française littérale de " pension fund ". Il s'agit bien d'un " fonds de retraite ".

Il existe une infinité de définitions d'un fonds de pension. Pour M. Patrick Turbot, " un fonds de pension est un système d'épargne accumulée au nom d'un individu pendant la vie active, permettant de lui verser un revenu après sa retraite et jusqu'à son décès ". Les exemples étrangers montrent une grande hétérogénéité.

Le terme " fonds de pension " est ainsi un terme générique qui regroupe des systèmes obligatoires et facultatifs, à cotisations définies ou à prestations définies, à sortie en rentes ou en capital, financés par le salarié, l'entreprise ou les deux, avec des avantages fiscaux à l'entrée ou à la sortie, gérés à l'extérieur ou au sein de l'entreprise, sous forme d'actions ou d'obligations.

Un régime à prestations définies est un régime où l'employeur s'engage à verser une pension en rapport avec le salaire, non déterminée par la manière dont le régime est financé,

Un régime à cotisations définies est un régime où les prestations dépendent de l'épargne collectée par le régime.

L'évolution des Etats-Unis montre un passage progressif du système des prestations définies à celui de cotisations définies.

Dans le cas d'une gestion interne, les réserves sont provisionnées au bilan de l'entreprise et utilisées par celle-ci comme des fonds propres.

Dans le cas d'une gestion externe, un fonds de pension gère les sommes versées par les entreprises.

Le mécanisme dit " de l'article 39 " (ou " retraite chapeau ") consiste en des prestations définies. L'entreprise s'engage à verser au salarié, au moment de son départ à la retraite et à la condition qu'il soit encore employé par elle à cette date, une retraite supplémentaire généralement calculée par référence au dernier salaire. Seul l'employeur en supporte le financement, les versements étant intégralement déductibles du bénéfice imposable, sauf en cas de gestion interne.

Le mécanisme dit " de l'article 82 " s'apparente à une assurance vie ordinaire : l'entreprise verse les primes d'un contrat d'assurance vie qu'elle a souscrit au profit d'un salarié ou d'une catégorie de salariés. Ces versements sont assujettis à l'impôt sur le revenu.

Enfin, le mécanisme dit " de l'article 83 " est à cotisations définies. L'adhésion des salariés d'une même catégorie est obligatoire dans le cadre d'un accord d'entreprise. Employeur et salariés participent au financement, leurs versements étant exonérés d'impôt sur le revenu dès lors qu'ajoutés aux cotisations d'assurance vieillesse obligatoires, ils n'excèdent pas 19 % de huit fois le plafond annuel de la sécurité sociale, soit un peu moins de 264.000 francs.

Les régimes à cotisations définies et les régimes à prestations définies en France : résumé des principales différences

 

Retraites à cotisations définies

Retraites à prestations définies

1. Nature de l'engagement de l'employeur

Un niveau de versements

Un niveau de prestations

2. Droits des salariés

Droits patrimoniaux sur un capital

Droits à pension

3. Gestion par l'assureur

Comptes individuels

Fonds collectif

4. Financement du fonds

Versements employeur et salariés

Versements employeur seulement

L'ensemble de ces mécanismes représenterait 120 milliards de francs. Ces sommes ne bénéficient que de façon marginale à l'ensemble de l'économie, l'essentiel étant placé dans des produits obligataires.

De plus, chacun de ces mécanismes présente des inconvénients sérieux pour le salarié s'agissant de la portabilité de ses droits dans une autre entreprise, alors même que les évolutions économiques et sociales constatées au cours des dernières décennies tendent à accroître la mobilité, voulue ou simplement consentie, des salariés.

Enfin, ces mécanismes ne bénéficient qu'aux salariés des entreprises les ayant mis en place, en général de grandes entreprises.

Il est ainsi nécessaire de mettre en place en France de véritables fonds de pension , susceptibles de répondre aux enjeux de l'épargne retraite, pour que les salariés de l'ensemble des entreprises soient couverts et pour que l'économie française dispose d'un meilleur financement dans le cadre d'une " mondialisation partagée " et non d'une " mondialisation subie ".

La loi du 25 mars 1997 créant les plans d'épargne retraite, dite " loi Thomas ", permettait cette mise en place.

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