N° 167

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000

Annexe au procès-verbal de la séance du 19 janvier 2000

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant l' adhésion du Gouvernement de la République française à la convention internationale de 1989 sur l' assistance ,

Par M. André BOYER,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Serge Vinçon, Guy Penne, André Dulait, Charles-Henri de Cossé-Brissac, André Boyer, Mme Danielle Bidard-Reydet, vice-présidents ; MM. Michel Caldaguès, Daniel Goulet, Bertrand Delanoë, Pierre Biarnès, secrétaires ; Bertrand Auban, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Daniel Bernardet, Didier Borotra, Jean-Guy Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Robert Calmejane, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Marcel Debarge, Robert Del Picchia, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Jean-Claude Gaudin, Philippe de Gaulle, Emmanuel Hamel, Roger Husson, Christian de La Malène, Philippe Madrelle, René Marquès, Paul Masson, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Jean-Luc Mélenchon, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. René Monory, Aymeri de Montesquiou, Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Michel Pelchat, Xavier Pintat, Bernard Plasait, Jean-Marie Poirier, Jean Puech, Yves Rispat, Gérard Roujas, André Rouvière.

Voir le numéro :

Sénat : 107 (1999-2000).

Traités et conventions .

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi d'un projet de loi autorisant l'adhésion de la France à la convention internationale sur l'assistance, signée à Londres le 28 avril 1989.

Cette convention a pour objectif de moderniser le droit de l'assistance en mer et de remplacer à terme la convention du 23 septembre 1910 relative à l'unification de certaines règles en matière d'assistance et de sauvetage maritimes, qui faisait jusqu'à présent référence. Cette convention de Londres est en vigueur depuis le 14 juillet 1996 après que quinze Etats l'ont ratifiée.

Son principal apport est d'introduire le souci de protection de l'environnement dans un domaine du droit maritime qui était, jusque là, uniquement tourné vers l'organisation des rapports de droit privé entre l'assisté et l'assistant. Cette innovation intervient après que nombre de pays côtiers ont souffert de catastrophes écologiques comme celles du Torrey Canyon en 1967, de l'Amoco Cadiz en 1978, de l'Exxon Valdez en 1989, pour les plus importantes et tout récemment du naufrage de l'Erika.

Pour mieux comprendre l'enjeu de cette convention, votre rapporteur dégagera d'abord les grandes lignes de l'évolution du transport maritime mondial et de l'organisation de l'action de l'Etat en mer. Il analysera, ensuite, les dispositions de la convention de 1989 au regard du droit antérieur.

I. LE NOUVEAU CONTEXTE DE L'ASSISTANCE EN MER

Les dernières décennies ont connu une forte évolution du transport maritime, à laquelle l'action de l'Etat en mer a dû s'adapter. Elle a aussi incité les Etats à approfondir la coopération internationale.

A. LES DANGERS DE LA CROISSANCE DU TRANSPORT MARITIME

Le transport maritime a profondément évolué depuis la fin des années 1950 où fut lancé pour la première fois un navire marchand de plus de 100 000 tonnes. Depuis cette date, les navires ont connu une forte évolution, tant de leur tonnage et que de leurs structures. Durant les années 1960, les bateaux se sont spécialisés de manière croissante. Les premiers porte-conteneurs sont apparus, ainsi que les navires " Ro-Ro " (Roll-on/Roll-off), spécialisés dans le chargement-débarquement. De même des modes spécifiques de transport ont été développés pour le gaz, le pétrole ou les produits chimiques à une échelle inconnue jusqu'alors.

La flotte mondiale a crû très fortement . Elle est passée de 118 millions de tonnes en 1958 à plus de 406 millions de tonnes en 1978. Cette croissance s'explique surtout par l'augmentation du transport des hydrocarbures. Depuis cette date, le tonnage s'est stabilisé et le nombre des constructions neuves a beaucoup diminué. Ainsi, depuis la fin des années 1970 l'âge moyen des navires s'est constamment accru pour être d'environ 15 ans aujourd'hui. Ce vieillissement a des implications importantes pour la sécurité et l'environnement, les vieux bateaux étant plus vulnérables à la corrosion et aux risques de cassure. Ils prennent, en outre, rarement en compte les dernières normes de fabrication et de sécurité.

La France est un des pays les plus concernés par l'accroissement du transport maritime et plus particulièrement celui des produits dangereux. En effet, la Manche, voie naturelle vers les grands ports d'Europe du Nord et vers le Rhin, représente 18 % du trafic maritime mondial car c'est la. Elle dessert plus particulièrement Le Havre, 2 e port français et 1 er pour les conteneurs, et Rouen, 1 er port céréalier d'Europe. Le trafic annuel en Manche s'élève à 275 millions de tonnes de produits dangereux dont 15 % d'hydrocarbures. C'est aussi une voie de trafic passagers extrêmement importante puisqu'en 1998, près de 20 millions de personnes ont traversé le Pas-de-Calais par voie de mer. Calais est d'ailleurs le 1 er port européen de transport de passagers avec 18 millions de personnes transportées. Enfin, les activités de pêche sont particulièrement intenses et Boulogne-sur-Mer est le 1 er port de pêche en Europe.

B. L'ACTION DE L'ETAT EN MER

L'action de l'Etat en mer recouvre un domaine très vaste puisque la France exerce sa souveraineté sur près de 10 millions de km² de zones économiques exclusives dans le monde. L'Etat a en grande partie la responsabilité de la sécurité du transport maritime et des activités de loisir, le sauvetage des personnes et des biens et la prévention et la lutte contre la pollution.

L'action de l'Etat en mer est assurée en France par près de dix ministères, ce qui explique qu'une coordination des moyens soit nécessaire au niveau national et au niveau local.

1. La coordination de l'action de l'Etat en mer

Au niveau national, l'action de l'Etat en mer est dirigée par le Premier ministre. La coordination est assurée par le Secrétariat général de la mer. Il a pour fonction de coordonner l'action des préfets maritimes, de s'assurer de la mise à jour de l'ensemble des plans d'urgence et d'intervention, de participer à la rédaction de règlements internationaux ou nationaux, notamment dans les domaines de la sécurité et de la pollution. Il a également une mission d'évaluation et de prospective au service de la définition de la politique maritime. Un organisme spécialisé dans le secours maritime, le secmer, est rattaché au secrétariat général à la mer.

Au niveau régional, le préfet maritime est le représentant direct du Premier ministre, il a autorité de police administrative générale en mer, conformément au décret du 9 mars 1978 et originellement du règlement du 7 Floréal an VIII (mai 1800). Il a pour mission de veiller aux intérêts maritimes français et au maintien de l'ordre public en mer. Il est responsable de la sauvegarde des personnes et des biens, de la prévention des pollutions marines et de la mise en oeuvre des moyens de lutte. Il fait respecter les réglementations nationale et internationale dans les eaux françaises de sa circonscription maritime.

Il existe trois préfets maritimes en métropole, un par façade, à Toulon, Brest et Cherbourg. Ils sont également les commandants des régions maritimes militaires. Outre-mer, ces fonctions sont exercées par les préfets ou les hauts-commissaires de la République, assistés par le commandant de la zone maritime.

2. Les principaux acteurs

Habituellement, chaque administration agit indépendamment pour ce qui concerne les activités relevant de ses compétences, tout en restant en lien avec le préfet maritime.

Le ministère de la défense est un acteur important. La Marine nationale est responsable de l'action de l'Etat en haute-mer du fait de la taille et du nombre de ses bâtiments. Elle dispose également d'un important réseau de sémaphores qui permet la surveillance rapprochée des côtes. La gendarmerie nationale, et notamment la gendarmerie maritime, y participe également au moyen d'une quarantaine de vedettes et d'hélicoptères.

Le ministère de l'économie et des finances intervient à travers les douanes qui agissent dans les espaces maritimes du littoral pour lutter contre les trafics illicites. Les douanes ont organisé un service aéromaritime autour de trois centres opérationnels disposant de 63 vedettes et 20 aéronefs, dont deux spécialement équipés pour la télédétection des pollutions marines.

L'administration des Affaires maritimes , dépendant du ministère des transports, est chargée du sauvetage, de la sécurité des navires et du contrôle des pêches. Pour accomplir ces missions, elle dispose de cinq centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage (CROSS) et de cinq autres centres de moindre importance. Elle dispose également de 8 patrouilleurs et 26 vedettes. Dans le cadre de ses missions, plus de 10 000 personnes ont été secourues en 1997.

Enfin, la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM), association reconnue d'utilité publique et soutenue par l'Etat, a une action essentielle avec ses 40 canots tous temps, 120 vedettes rapides d'intervention et ses 480 canots pneumatiques répartis sur plus de 250 stations en France et outre-mer.

3. Les missions d'assistance et de lutte contre les pollutions

L'accroissement du transport de produits dangereux et la catastrophe de l'Amoco Cadiz ont conduit l'Etat à prendre des mesures spécifiques en vue d'assister les navires en danger et de prévenir et lutter contre les pollutions.

Ainsi, en Manche, l'Organisation maritime internationale (OMI) a créé en 1972 le " DST ", ou dispositif de séparation du trafic , qui permet de déterminer des chenaux de navigation où les navires ne circulent que dans un sens. Il a pour vocation de prévenir les collisions dans une zone très fréquentée et de maintenir au large les navires à risques. Les navires transportant des hydrocarbures ou des substances dangereuses ont l'obligation de se signaler aux autorités maritimes dans les eaux territoriales françaises. Ils ont aussi interdiction de naviguer à moins de 7 milles des côtes sauf dans les chenaux d'accès aux ports.

Par ailleurs, pour faire face à des situations d'urgence, le préfet maritime dispose d'équipes d'intervention héliportées qui sont à même de se rendre à bord d'un navire pour lui prêter assistance ou sauver l'équipage. Le préfet maritime a de plus la possibilité de mettre en demeure l'armateur ou le propriétaire du navire de prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre fin au danger dans un délai qu'il détermine, en vertu de l'article 16 de la loi du 7 juillet 1976. Passé ce délai, ou même d'office en cas d'urgence, l'Etat fait exécuter les mesures imposées par la situation, aux frais, risques et périls de l'armateur. Pour faire face à ces situations, la Marine nationale affrète à l'année trois remorqueurs d'intervention qui sont constamment en alerte auprès de la société " Abeille International ". Ainsi, au cours de l'année 1999, le bâtiment Abeille-Flandre, qui s'est porté au secours de l'Erika, a procédé à 36 missions d'intervention. Parmi ces interventions, ont été recensées 4 alertes (appareillage et stand-by à proximité de navires marchands en avarie et ayant remis en route, dont un pétrolier), 15 escortes (navires marchands en avarie mineure devant être escortés le long des côtes françaises), 12 sauvetages, dont un pétrolier. En 20 ans, l'Abeille-Flandre est intervenu 768 fois, permettant le sauvetage de 197 navires dont 12 pétroliers, 7 transporteurs chimiques, 2 ferries et 38 chalutiers.

Enfin, en matière de lutte contre la pollution , des moyens spécifiques de télédétection sont mis en oeuvre pour lutter contre les pollutions volontaires (rejets illicites ou " dégazages "). Le préfet maritime a la responsabilité directe de lutte contre les pollutions accidentelles, des " marées noires ", dans le cadre du plan Polmar-mer qu'il déclenche. Ce plan, défini dans chaque préfecture maritime, a pour objectif de coordonner les moyens préparés et stockés à l'avance tout le long du littoral. Il permet également au préfet maritime de faire appel à des moyens dont il ne dispose pas en temps normal. La lutte le long du rivage est organisée dans le cadre des plans Polmar-terre et relève des préfets de département. Le préfet maritime peut faire appel aux experts du CEDRE, Centre de documentation et d'expérimentation de recherches sur les pollutions accidentelles des eaux, association créée en 1978. Un plan spécifique, le plan Nucmar, est également prévu pour faire face à un accident survenant lors du transport maritime de matières radioactives. Il permet une intervention dans et au-delà des eaux territoriales. Il n'a jusqu'à présent jamais été mis en oeuvre.

C. LA COOPÉRATION INTERNATIONALE DANS LE CADRE DE L'ORGANISATION MARITIME INTERNATIONALE (OMI)

L'organisation maritime internationale est le lieu privilégié de la coopération en matière de transport maritime. Elle a permis la conclusion de nombreuses conventions visant à améliorer la sécurité et la protection de l'environnement.

1. L'Organisation maritime internationale (OMI)

L'organisation maritime internationale, dont le siège est à Londres, est une institution spécialisée du système des Nations unies. La convention portant création de l'OMI a été adoptée à Genève, le 17 mars 1948. Elle est aujourd'hui composée de 157 Etats membres et deux membres associés.

L'organe directeur de l'OMI est l'assemblée qui réunit tous les Etats membres une fois tous les deux ans. Elle adopte le budget pour l'exercice biennal suivant. Elle adopte également des résolutions et des recommandations techniques.

Entre les sessions de l'assemblée, le Conseil prépare le budget et le programme de travail de l'OMI. L'essentiel du travail technique est réalisé par cinq comités spécialisés en matière de sécurité maritime et de protection du milieu marin notamment. Il est composé de 32 membres élus au sein de trois collèges selon l'importance de leurs intérêts maritimes. Le secrétariat de l'Organisation, composé d'environ 300 personnes, est dirigé par un Secrétaire général. Un Canadien, M. William A. O'Neil, a été élu à ce poste en 1990.

Le budget de l'OMI est d'environ 56,3 millions de dollars pour l'exercice biennal 2000-2001. Il est stable depuis 1996. Ce budget est partagé entre les 157 Etats membres essentiellement en fonction de la taille de leur flotte de commerce. Le Panama et le Libéria, qui ont les deux plus importantes flottes du monde, ont une quote-part qui s'élève respectivement à 12,46 % et 10,8 %. Ni la France, ni le Royaume-Uni, ni l'Allemagne ne font partie des dix premiers contributeurs.

2. L'action en faveur de la sécurité et contre la pollution

En 1948, lorsque la convention créant l'OMI a été adoptée, la pollution marine était regardée comme un problème local ne touchant que les zones portuaires et quelques routes maritimes très fréquentées. Toutefois, du fait de l'accroissement du transport pétrolier, une première convention relative à la prévention de la pollution de la mer par les hydrocarbures a été adoptée en 1954 (Oilpol 1954).

Le trafic a fortement augmenté durant les années 1960 et 1970, de telle sorte qu'il est devenu nécessaire de réglementer les dégazages. C'est cependant la catastrophe du Torrey Canyon en 1967 qui fut l'occasion de la première prise de conscience, au niveau mondial, des risques très importants de pollution que provoquait le transport, à grande échelle, de pétrole par voie maritime.

En 1973, une nouvelle convention fut adoptée avec un champ d'application élargi touchant tous les produits dangereux. De nouveaux accidents ont ensuite conduit à convoquer une conférence sur les problèmes de sécurité spécifiques aux tankers et à la prévention de la pollution. Cette conférence a abouti à la conclusion d'un protocole (Marpol 78) qui, fusionné à la convention de 1973, a donné le texte de référence en la matière, la convention Marpol 73/78 .

A la suite du naufrage de l'Exxon Valdez en 1989, et sous la pression américaine, un amendement à la convention Marpol a été adopté en 1990 afin d'exiger qu'à l'avenir les pétroliers soient équipés d'une double coque ou d'un dispositif de sécurité équivalent. En 1990, a été également conclue une convention (" convention OPRC90 ") visant à coordonner les moyens de prévention et de lutte contre les pollutions.

II. LES APPORTS DE LA CONVENTION DE 1989 AU DROIT DE L'ASSISTANCE

Le droit de l'assistance, et surtout de l'assistance en mer, est défini depuis très longtemps par la coutume. Il fait partie des traditions des " gens de mer " : milieu hostile, la mer est spontanément un lieu de solidarité entre marins en cas de danger.

Le droit de l'assistance en mer a été codifié par la convention internationale signée à Bruxelles le 23 septembre 1910 (convention internationale pour l'unification de certaines règles en matière d'assistance et de sauvetage maritime) et repris en droit français dans les lois n° 545 du 7 juillet 1967 et n° 1173 du 22 décembre 1984 et le décret n° 65 du 19 janvier 1968, notamment.

Ces textes, essentiellement la convention de 1910, servent de fondement au droit de l'assistance. Ils en fixent les grands principes qui ne sont pas modifiés par la convention de 1989 soumise à notre examen. Celle-ci vient compléter et " moderniser " des dispositions qui pour l'essentiel datent du début du siècle et devaient être adaptées à l'évolution du transport maritime.

A. LES GRANDS PRINCIPES DU DROIT DE L'ASSISTANCE

Il s'agit tout d'abord de délimiter le champ et les conditions d'application du droit de l'assistance avant d'en expliquer les grands principes.

1. Champ et conditions d'application

On relèvera, au préalable, que l'assistance ne s'applique pas à tous les " navires ". En effet, un certain nombre d'entre eux sont traditionnellement exclus du champ d'application de la convention de 1910 qui régissait le droit de l'assistance maritime.

Tout d'abord, les épaves sont normalement exclues du champ de l'assistance. Leur sauvetage relève d'ailleurs en droit français d'une législation distincte. Cette situation juridique pourrait être amenée à évoluer avec l'adoption de la nouvelle convention.

Ensuite, un certain nombre de navires ne sont pas concernés par les règles de l'assistance, celles-ci ayant essentiellement pour objet les navires de commerce. Ainsi en est-il des navires de guerre et des navires d'Etat exclusivement affectés à un service public (article 14, convention de 1910). Toutefois, depuis un protocole du 27 mai 1967, il est possible d'étendre ces dispositions aux navires de guerre. Ce protocole n'a pas été ratifié par la France. Les navires de guerre posent d'ailleurs un problème spécifique : ils sont peu concernés par l'assistance en mer étant rarement en situation dangereuse. L'évaluation de la rémunération d'assistance est difficile car ils n'ont pas de valeur marchande et n'ont pas de cargaison à sauver. La Marine nationale n'a eu ces dernières années qu'exceptionnellement recours à des remorqueurs privés et préfère recourir à ses propres remorqueurs militaires. Dans le cas où elle aurait recours à une société privée, la Marine s'inscrit normalement dans un cadre juridique français, ses bâtiments bénéficiant d'un privilège de juridiction qui lui permet de régler les contentieux judiciaires en France. La Marine nationale a elle-même peu d'occasions d'effectuer certaines opérations d'assistance car ses navires n'ont pas l'équipement nécessaire. Elle fait, en revanche, appel à des remorqueurs affrétés spécialement. Enfin, entre navires de guerre et dans le cadre de l'OTAN, chacun des Etats membres de l'Alliance s'engage à procurer gratuitement son assistance à des navires en difficulté d'un autre Etat membre.

Le droit de l'assistance s'applique lorsqu'un navire porte secours à un autre navire en danger de perte . L'assistance fait l'objet d'une réglementation spécifique qui ne s'applique qu'à certaines conditions .

- L'assistance doit être prêtée à un navire . Le mot doit être entendu de façon large. La loi du 7 juillet 1967 précise que " tous les engins flottants sont assimilés, selon le cas, aux navires ou aux bâtiments de navigation intérieure ". Elle ne distingue plus cependant entre objets flottants amarrés à poste fixe ou non. La loi estime que, dans la mesure où il s'agit de porter assistance à un engin flottant en danger de se perdre, la référence à son amarrage ne présente plus d'intérêt. Dans cette logique, les plates-formes pétrolières pourraient faire l'objet d'une assistance. Or tel n'est pas le cas dans la convention de 1989 qui exclut expressément, dans son article 3, de son application " les plates-formes fixes ou flottantes ni aux unités mobiles de forage au large lorsque ces plates-formes ou unités sont affectées, là où elles se trouvent, à l'exploration, à l'exploitation ou à la production de ressources minérales du fond des mers ".

- L'assistance doit être prêtée par un navire en mer et suppose une aide matérielle effective .

- Le navire assisté doit être en danger de se perdre. Si la notion de péril est nécessaire, celui-ci ne doit pas forcément être. C'est le cas d'un navire ayant perdu son hélice ou son gouvernail qui, même par mer calme est à la merci des événements de mer. Toutefois, selon la jurisprudence (com. Cass. 23 avril 1969), il n'est pas nécessaire que le navire assistant soit dans une situation périlleuse, la situation délicate de l'assisté suffit.

En revanche, il n'y a pas assistance lorsque l'assistance se confond avec l'exécution d'un autre contrat en cours au moment où se produit le péril. Au mieux, le péril donnera lieu à une indemnité pour services exceptionnels (article 12 de la loi de 1967), qui sera calculée comme l'indemnité d'assistance. Il n'y a pas non plus d'assistance lorsque le navire secouru a raisonnablement refusé l'assistance (article 11).

2. Les principes du droit de l'assistance

a) obligation et gratuité du sauvetage des personnes

Le premier principe est l'obligation qui est faite de sauver les personnes (article 10 de la convention de Londres de 1989). Il s'agit d'une obligation personnelle du capitaine qui n'engage pas le propriétaire du navire. Cette obligation existe en droit français depuis 1790 pour les capitaines des navires de guerre (aujourd'hui article 245-1° du Code de justice militaire) et de manière plus récente (1916) aux articles 83 et 85 du Code pénal et disciplinaire de la marine marchande. Ainsi le code dispose que " Tout capitaine qui, alors qu'il peut le faire sans danger sérieux pour son navire, son équipage, ou ses passagers, ne prête pas assistance à toute personne, même ennemie, trouvée en mer en danger de se perdre, est puni d'un amende de 180 à 10.800 francs et d'une peine d'emprisonnement de 1 mois à 2 ans. "

Le sauvetage de l'équipage ne donne pas droit à une rémunération. Il est gratuit. Ce principe est affirmé avec force dans tous les textes (article 9 de la convention de 1910, article 17 de la loi de 1967 et article 16 de la convention de 1989).

Néanmoins, tous ces textes réservent le cas où le sauveteur de vies humaines qui a participé aux services rendus à l'occasion de l'accident ayant donné lieu aux opérations d'assistance a droit à une part équitable du paiement alloué à l'assistant pour avoir sauvé le navire ou d'autres biens.

b) la rémunération du sauvetage du navire et de la cargaison

Contrairement au sauvetage des personnes, le sauvetage du navire et de la cargaison donne lieu à une rémunération. Cette rémunération est aléatoire quant à son versement même et quant à son importance.

Ainsi, la rémunération n'est due que si le sauveteur a réussi l'opération d'assistance . C'est la signification de la clause anglaise " no cure no pay ". Cette clause, marquant le caractère aléatoire du sauvetage d'un navire en danger, explique le niveau élevé des rémunérations d'assistance. En effet, le contrat de sauvetage est à la charge des assureurs, la dépense occasionnée étant classée dans les avaries communes, tandis qu'un simple remorquage constitue une dépense d'armement supportée par l'armateur . C'est pourquoi la rémunération de l'assistance est due, même si les navires assistés et assistants appartiennent au même propriétaire (article 13, loi de 1967, article 5, convention 1910).

Selon la convention de 1910 (article 7) et la loi de 1967 (article 15), toute convention d'assistance peut être annulée ou modifiée par le juge à la requête d'une des parties, si l'autre a abusé de la présence du danger pour faire signer un contrat inéquitable.

En l'absence de convention, la rémunération est fixée par le juge selon des critères donnés par la loi . Le juge doit prendre en considération la peine prise par le sauveteur : dépense faite, avaries subies, danger encouru, spécialisation du matériel utilisé, danger encouru par le navire assisté, succès obtenu par le sauveteur et utilité du résultat. Ce sont en fait toutes les circonstances de l'opération d'assistance qui sont examinées par le juge du fond et qui lui permettront de fixer le montant de la rémunération.

La rémunération est une fraction de la chose sauvée (navire et cargaison). La limite supérieure de la rémunération est la valeur de la chose sauvée (article 2, convention de 1910, article 10, loi de 1967), elle ne peut en aucun cas lui être supérieure . En pratique, elle varie entre 2 et 60 %. La proportion est d'autant plus importante que la valeur de la chose sauvée est faible.

Cette rémunération est partagée ensuite entre les sauveteurs . Le capitaine et l'équipage du ou des navires ont en général droit à 5 à 10 % de la rémunération (article 6, convention 1910, article 14, loi 1967).

Il est toutefois très difficile de connaître les montants et la répartition des rémunérations d'assistance, ces éléments étant le plus souvent fixés par des tribunaux arbitraux plutôt que judiciaires, dont les décisions sont rarement publiées.

B. APPORTS ET LIMITES DE LA NOUVELLE CONVENTION SUR L'ASSISTANCE

Le dispositif traditionnel issu de la convention de 1910 et de la loi de 1967 était ancien et se révélait, à certains égards, dépassé pour faire face aux évolutions les plus récentes du transport maritime , soit, essentiellement, l'accroissement des transports de produits polluants ou dangereux comme les hydrocarbures et donc l'augmentation du nombre des dégâts causés à l'environnement.

La nouvelle convention a été signée dans le cadre de l'OMI (Organisation maritime internationale) à Londres, le 28 avril 1989, lors d'une conférence diplomatique. Elle est l'aboutissement d'un processus de révision du droit existant qui avait été initié par la France après la catastrophe de l'Amoco Cadiz.

1. Les enjeux de la négociation

A la suite de la catastrophe de l'Amoco Cadiz, la France a souhaité faire profondément évoluer le droit de l'assistance pour tenir compte de la nouvelle menace pour l'environnement et le littoral.

En effet, le droit de l'assistance était resté jusqu'à ce moment un droit presque exclusivement privé, le sauvetage de la cargaison concernant des intérêts privés et étant effectué le plus souvent par des moyens privés. Le transport maritime de produits chimiques dangereux, de matières radioactives ou encore d'hydrocarbures, ont cependant fait apparaître que le transport maritime ne concernait pas que des intérêts privés, et qu'un tiers parti, l'Etat côtier, pouvait ou devait intervenir comme représentant et garant de l'intérêt général.

Le capitaine du navire devait pouvoir décider seul et rapidement de demander ou d'accepter une éventuelle opération d'assistance et, d'autre part, l'Etat côtier devait être en mesure d'imposer une telle opération et toutes les autres mesures nécessaires pour éviter une pollution.

Après la catastrophe de l'Amoco Cadiz, la France a d'ailleurs décidé d'affréter en permanence de puissants remorqueurs de haute mer pour intervenir sur réquisition du préfet maritime. C'est ainsi que les bâtiments " Abeille Flandres " et " Abeille Languedoc " sont respectivement à la disposition des préfets de l'Atlantique (Brest) et de la Manche (Cherbourg). Si l'intervention de l'Etat est justifiée par ses pouvoirs de police à l'égard des bâtiments battant son pavillon et, dans les eaux territoriales, à l'égard des navires étrangers, l'intervention ainsi requise ne remplira pas forcément les conditions juridiques de l'assistance et ne donnera donc pas lieu systématiquement à une rémunération. Le droit d'intervention de l'Etat côtier en haute mer est un droit d'autoprotection reconnu par la convention de Bruxelles du 21 novembre 1969 et son protocole du 2 novembre 1973 , mais il s'exerce sur le navire qui cause la pollution et non pas sur le navire assistant. Il peut s'appliquer lorsqu'il existe un danger grave et imminent de pollution qui justifie qu'il ne soit pas procédé aux consultations préalables.

Il avait donc semblé nécessaire que fussent reconnus non plus seulement un droit d'intervention mais aussi la notion " d'assistance imposée " permettant de donner des instructions à un assistant pour qu'une opération soit entreprise sans attendre, au risque d'une pollution, que les conditions juridiques de l'assistance soient remplies. Des propositions en ce sens, formulées successivement par la France, le Mexique, l'Uruguay et l'Allemagne, n'ont toutefois pas recueilli un accord suffisant au conseil juridique de l'OMI, qui s'est refusé à introduire dans la nouvelle convention des normes trop contraignantes et au surplus de droit public, alors que la convention de 1989 vise à régir les rapports de droit privé entre assistés et assistants.

2. Les apports de la convention de 1989

La volonté de l'OMI dans le cadre de cette convention a été de réviser la convention de 1910 pour la moderniser, tout en restant dans son cadre limité, des rapports de droit privé entre assistés et assistants.

Le principal apport de la convention est l'évolution des objectifs de l'opération d'assistance . Les assistants doivent être incités à la prévention et à la réduction des dommages dus à la pollution .

Tout d'abord, la protection de l'environnement est désormais prise en compte parmi les critères d'évaluation de la rémunération (article 13 § 1b).

Ensuite, dans son article 14 , la convention de 1989 reconnaît à l'assistant le bénéfice d'une " indemnité spéciale ", " si l'assistant a effectué des opérations d'assistance à l'égard d'un navire qui par lui-même ou par sa cargaison menaçait de causer des dommages à l'environnement et n'a pas pu obtenir en vertu de l'article 13 (Rémunération normale d'assistance) une rémunération équivalant au moins à l'indemnité spéciale calculée conformément au présent article, il a droit de la part du propriétaire du navire à une indemnité spéciale équivalant à ses dépenses telles qu'ici définies. "

Selon le § 2 de l'article 14, en cas de succès, une majoration de l'indemnité spéciale pourra être décidée dans la limite de 30 % des dépenses engagées par l'assistant. C'est la règle de principe . Malgré l'opposition de certains pays du Sud et notamment des pays latino-américains, les juges pourront, si c'est " équitable et juste ", selon les critères qui déterminent le montant de la rémunération d'assistance, accorder une majoration allant jusqu'à 100 % des dépenses engagées. Ces dépenses recouvrent " les débours raisonnablement engagés par l'assistant dans les opérations d'assistance " et les dépenses en matériel et personnel.

Il est précisé que cette indemnité spéciale n'est versée que dans la mesure où elle excède la rémunération pouvant être obtenue par l'assistant en vertu de l'article 13 qui fixe le montant normal de la rémunération d'assistance.

Il en résulte que l'indemnité spéciale est un mécanisme qui vise à pallier la non-rémunération ou la rémunération partielle d'une opération d'assistance qui aurait entièrement ou partiellement échoué (et où cette rémunération ne couvrirait pas la totalité des frais engagés). L'indemnité spéciale est donc incitative dans la mesure où elle offre une chance supplémentaire à l'assistant de rentrer dans ses frais lorsqu'il y a un risque de pollution.

Toutefois, une règle d'interprétation a été adoptée par la conférence diplomatique à l'initiative de la France et des Etats-Unis pour rendre indépendantes la rémunération d'assistance et l'indemnité spéciale. Selon cette " interprétation commune ", le tribunal qui fixe la rémunération d'assistance et l'indemnité spéciale n'est pas tenu de calculer la valeur maximale du navire et des autres biens sauvés avant de fixer l'indemnité spéciale. En clair, cela veut dire que l'indemnité et la rémunération sont autonomes, la rémunération ne pouvant dépasser la valeur du navire et de la cargaison. Cette solution affirme l'avènement d'une conception nouvelle favorisant la protection de l'environnement au-delà des limites habituelles des intérêts privés concernés pour l'opération d'assistance. Des moyens supérieurs à la valeur des biens menacés peuvent être engagés dans la mesure où un intérêt supérieur, l'environnement, est en cause.

Par ailleurs, et dans cette même logique, la convention, dans son article 9, marque une avancée dans la reconnaissance du droit des Etats côtiers d'intervenir dans les opérations d'assistance . Ainsi, il dispose que : " aucune disposition de la présente convention ne porte atteinte au droit de l'Etat côtier concerné de prendre des mesures, conformément aux principes généralement reconnus du droit international, afin de protéger son littoral ou les intérêts connexes contre la pollution (...) résultant d'un accident de mer (...), et notamment un droit d'un Etat côtier de donner des instructions concernant les opérations d'assistance ". Cet article représente une satisfaction de principe pour les Etats qui souhaitaient une reconnaissance de leur droit d'intervention sans toutefois le consacrer positivement dans le texte.

Enfin, la convention reconnaît au capitaine le pouvoir de conclure le contrat d'assistance au nom du propriétaire du navire et au nom du propriétaire des biens se trouvant à bord (article 6§2).

3. L'évolution du champ d'application de la convention et les réserves émises par la France

La convention de 1989 consacre un élargissement substantiel du champ d'application du droit de l'assistance par rapport à la convention de 1910. A cet égard, la dénomination de " convention sur l'assistance ", sans autre précision, est significative. En 1910, il s'agissait d'une " convention pour l'unification de certaines règles en matière d'assistance et de sauvetage maritime ". En fait, c'est la spécificité de l'assistance en mer qui tend à disparaître.

Selon la convention de 1989 , l'assistance n'est plus limitée à une action menée à partir d'un navire, mais concerne " tout acte ou activité pour assister un navire " (article 1 er ). Il peut donc s'agir d'opérations menées à partir de la terre ou par des plongeurs.

Ensuite, l'assistance a non seulement pour objet les navires, mais également " tout autre bien en danger " . Par " Navire " , la convention entend " tout bâtiment de mer, bateau ou engin ou toute structure capable de naviguer " . Par " Bien " , la convention entend " tout bien qui n'est pas attaché de façon permanente et intentionnelle au littoral et comprend le fret en risque " . Les juristes s'accordent donc à dire que la convention n'exclut pas de son champ d'application les navires échoués, abandonnés par leur équipage ou coulés, ainsi que l'enlèvement des épaves . Il faut relever que l'incorporation des épaves dans le droit de l'assistance constitue un bouleversement dans le droit maritime traditionnel et dans la législation française qui maintenaient un régime distinct.

A ce sujet, et conformément à l'article 30, paragraphe 1d de la convention, la France se réserve le droit de ne pas appliquer les dispositions de ladite convention lorsque est en cause un bien culturel présentant un intérêt préhistorique, archéologique ou historique et qui se trouverait au fond de la mer. En effet, la France ne souhaite pas que le droit de l'assistance interfère avec le droit français protégeant les biens culturels.

La convention ne s'applique pas aux plates-formes et unités de forage (article 3) et aux navires de guerre ou autres navires non commerciaux appartenant à un Etat ou exploités pour lui (article 4). La possibilité reste néanmoins ouverte pour chaque Etat de déclarer que la convention leur est applicable. Ce n'est pas le cas de la France.

Par ailleurs, étant donné le caractère très extensif de la notion de " bien " et l'applicabilité de la convention dans toutes les eaux navigables, maritimes ou non, la convention prévoit également, dans son article 30 1a et b, la possibilité de réserves à ce propos. Ainsi, la France, en ratifiant la convention, se réservera le droit de ne pas l'appliquer lorsque les opérations d'assistance, soit, ont lieu dans les eaux intérieures et que tous les navires en cause sont des bateaux de navigation intérieure et soit lorsque les opérations d'assistance ont lieu dans les eaux intérieures et qu'aucun navire n'est en cause. En effet, la France a voulu cantonné la convention à un domaine limité, il ne lui a pas semblé cohérent qu'elle s'applique en dehors du champ traditionnel. Le cas d'école d'un camion au milieu du lac Léman ne peut pas relever d'une convention qui a pour fondement le droit de l'assistance en mer.

L'article 30 prévoit également qu'une réserve d'application est possible lorsque toutes les parties intéressées sont des nationaux de cet Etat. Cette possibilité n'a pas été utilisée par la France.

En matière de règlement des créances et des actions liées au paiement de la rémunération d'assistance ou de l'indemnité spéciale, la convention protège de la saisine et de toute mesure de justice les cargaisons non commerciales appartenant à un Etat qui sont protégées par l'immunité souveraine (article 25). Il en est de même des cargaisons humanitaires données par un Etat (article 26).

Enfin, et surtout, la convention de 1989 ne s'applique qu'aux relations de droit privé entre assisté et assistant. A ce titre, et comme presque la totalité des conventions internationales de droit privé, elle est d'application supplétive . Son application est donc soumise à l'assentiment des parties, celles-ci choisissant dans leur contrat la loi qui leur serait applicable

Ce caractère supplétif marque un relatif recul par rapport à la convention de 1910 , dont il ne faut cependant pas exagérer la portée. L'essentiel du droit de l'assistance relève du droit coutumier et il paraît difficile de se soustraire à un droit reconnu depuis plus d'un siècle.

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