III. LA POSITION DE LA COMMISSION DES LOIS : UNE CRÉATION OPPORTUNE DEVANT ÊTRE A LA FOIS APPROFONDIE ET TEMPÉRÉE

Votre commission des Lois a, après réflexion, accepté la création de la nouvelle autorité tout en souhaitant la modification du texte sur quelques points.

A. ACCEPTER LA CRÉATION DE LA NOUVELLE AUTORITÉ

Votre Commission des Lois a adhéré aux principes posés par le texte non sans s'être interrogée sur l'opportunité de la création de cette nouvelle autorité indépendante.

1. Une création générant des interrogations

Votre commission s'est posée plusieurs questions s'agissant du principe de création de la Commission nationale de déontologie de la sécurité.

a) Faut-il créer une nouvelle autorité indépendante ?

De prime abord, votre commission des Lois s'est montrée très circonspecte à l'égard de la création d'une nouvelle autorité indépendante .

Ces autorités non dotées de la personnalité morale, appartenant à l'administration de l'État, mais échappant à tout contrôle hiérarchique, ont connu un important développement dans les vingt dernières années. Ce mouvement semble d'ailleurs connaître une réelle accélération à l'heure actuelle. La dernière autorité ayant vu le jour a été la Commission consultative du secret de la défense nationale créée par la loi n° 98-567 du 8 juillet 1998. Est en cours d'examen par le Parlement la création d'un Médiateur ou Défenseur des enfants et aucune question de fond n'est actuellement abordée sans que ne soit évoquée la création d'une nouvelle autorité.

Ces autorités ont été créées dans divers domaines :

- domaine économique : Commission des opérations de bourse, Conseil de la concurrence ;

- domaine de la communication et des transmissions : Conseil supérieur de l'audiovisuel, Autorité de régulation des télécommunications ;

- domaine des libertés publiques : Commission nationale informatique et liberté, Commission nationale des interceptions de sécurité ;

- domaine politique : Commission des sondages, Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.

- action administrative : Médiateur de la République, bientôt Défenseur des enfants.

À l'exception du Médiateur de la République, elles sont de composition collégiale, et leurs membres sont désignés de manière à garantir leur indépendance.

Elles sont souvent dotées d'un pouvoir de décision individuel, voire d'un pouvoir réglementaire et d'un pouvoir de sanction leur permettant de réguler un secteur (Commission des opérations de bourse, Conseil de la concurrence, Conseil supérieur de l'audiovisuel, Autorité de régulation des télécommunications). Elles n'exercent parfois en revanche qu'une autorité morale, étant dotées d'un simple pouvoir d'avis ou de recommandation (Commission nationale des interceptions de sécurité, Commission consultative du secret de la défense nationale, Médiateur) .

La présente commission nationale se rattacherait à cette deuxième catégorie d'instance exerçant une autorité morale.

Votre commission des Lois est réticente devant la multiplication de telles autorités constituant des démembrements de l'autorité de l'État qui se dépouille progressivement de prérogatives qu'il devrait assumer.

b) Le pouvoir disciplinaire et la justice ne sont-ils pas suffisants ?

Dans le cas présent, votre commission s'est demandé si la création d'une nouvelle instance en matière de déontologie de la sécurité ne devait pas être interprétée comme la faillite conjuguée du pouvoir disciplinaire et du pouvoir judiciaire pour sanctionner les abus de comportement commis par les acteurs de la sécurité.

Elle s'est en outre interrogée sur l'indépendance de la notion d'atteinte à la déontologie par rapport à une infraction pénale ou à une faute disciplinaire . Une faute déontologique peut-elle échapper à toute sanction pénale ou disciplinaire ? Le code de déontologie de la police nationale énonce en effet dans son article 6 que " tout manquement aux devoirs définis par le présent code expose son auteur à une sanction disciplinaire, sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale ". Pourquoi dans ces conditions mettre en place un organe spécifique pour faire respecter les règles déontologiques ?

c) A quelles règles déontologiques se référer ?

Enfin votre commission s'est demandé à quelles règles déontologiques une telle instance serait censée se référer.

Certains corps possèdent des codes de déontologie ou du moins sont soumis, comme les gendarmes ou les douaniers, à un ensemble de règles déterminées supposées connues des agents.

Ces règles ne sont cependant pas uniformes et le secteur privé y échappe entièrement. L'exercice des activités privées de surveillance, de gardiennage et de transport de fonds est soumis par la loi n° 83-629 du 12 juillet 1983 à un agrément préfectoral, conditionné essentiellement par l'absence de certaines condamnations disciplinaires ou pénales.

Il pourrait être paradoxal de voir la Commission nationale saisie de réclamations de particuliers pour des manquements à des règles déontologiques en grande parties non définies.

d) N'y a-t-il pas une suspicion injustifiée à l'égard des forces de sécurité ?

Votre commission a enfin craint que la création d'une telle Commission ne soit interprétée comme une suspicion à l'égard des forces de sécurité, au risque de démobiliser ces dernières .

Des sondages récents démontrent cependant que la police inspire confiance à une majorité des Français. A la question : " que vous inspire spontanément la police ? ", posée en septembre 1999, 53% des personnes interrogées ont répondu " de la confiance " et 22% " de la sympathie ", alors que 42% se déclaraient prêtes à excuser les bavures policières au regard de la difficulté des conditions d'exercice de la tâche 1 ( * ) .

2. Une création cependant opportune

En dépit de ces interrogations, votre commission a considéré que la création d'une telle autorité apparaissait justifiée.

a) Un recours pouvant être utile aux citoyens

Votre commission a constaté que cette Commission nationale présenterait l'avantage d'être plus accessible aux citoyens que ne le sont actuellement le pouvoir disciplinaire ou la justice. Elle pourrait être ainsi un recours utile pour de nombreuses personnes qui n'ont pas à l'heure actuelle la possibilité réelle de faire entendre leur voix.

L'autorité hiérarchique et les corps de contrôle ont pour vocation première de fonctionner de manière interne à l'administration. Même si les corps de contrôle sont saisis de réclamations auxquelles il est fréquemment donné suite, ils ne sont pas véritablement adaptés à cet effet. La procédure manque de transparence, les citoyens peuvent ignorer à quelle instance s'adresser, et ne sont pas systématiquement informés des suites données à leur réclamation.

Quand à la justice , elle est lourde à mettre en oeuvre si bien que les citoyens hésitent souvent à porter plainte. Les affaires jugées mineures sont fréquemment classées . Quand aux affaires graves, elles sont examinées dans des délais souvent tout à fait excessifs . Il a ainsi fallu attendre le 25 mars 1999 pour qu'un jugement soit rendu en première instance sur des faits intervenus lors d'une garde à vue, en novembre 1991 à Bobigny. Ces mêmes faits ont d'ailleurs valu à la France d'être condamnée pour torture par la Cour européenne des droits de l'Homme, le 28 juillet 1999, avant même que le jugement de la Cour d'appel de Versailles en date du 1 er juillet ne soit devenu définitif.

La Commission pourrait en outre mettre en exergue des comportements qui, pris individuellement, ne sont pas susceptibles de sanctions disciplinaires ou pénales mais heurtent régulièrement les citoyens dans leur vie quotidienne .

Votre commission a donc considéré que cette commission pourrait être une instance de recours utile au citoyen.

b) Un bon accueil de la part des acteurs de la sécurité

Votre rapporteur a en outre constaté lors des auditions effectuées que la création d'une telle instance rencontrait notamment un bon accueil de la part de la totalité des syndicats de policiers. Ces derniers ne considèrent en effet pas la création d'un organe de régulation de la déontologie comme une marque de suspicion à leur encontre, mais comme un instrument permettant de développer la transparence de l'ensemble des forces de sécurité au service d'une amélioration de la confiance du citoyen à leur égard.

c) Une intervention complémentaire de celles du pouvoir disciplinaire ou de la justice

La Commission n'aurait pas pour vocation de se substituer au pouvoir disciplinaire ou à la justice . Sa destination première n'est pas de sanctionner les écarts mais d'élaborer des recommandations pour éviter qu'ils ne se reproduisent.

En tout état de cause, elle n'a ni la possibilité d'engager elle-même des poursuites disciplinaires, ni celle de saisir directement les corps de contrôle ministériels. Mais elle pourra utilement faire circuler l'information entre l'administration et les citoyens, tant en relayant auprès de l'administration les réclamations qu'en permettant l'information des citoyens sur les suites données à celles-ci.

S'agissant de la justice, il est admissible que la Commission puisse mener des investigations en cas de poursuite judiciaires, à partir du moment où une priorité reste reconnue à la justice concernant les demandes de communication de documents et les vérifications sur place.

d) Un rôle positif des parlementaires

Votre commission a considéré qu'un filtre était utile pour éviter un afflux de requêtes abusives risquant de paralyser l'action de la Commission nationale.

Elle s'est cependant, dans un premier temps, interrogée sur l'efficacité réelle du filtre résultant de la saisine par l'intermédiaire des parlementaires , estimant que ces derniers n'avaient pas les moyens de vérifier le bien fondé d'une demande et pourraient être conduits malgré eux à transmettre des dénonciations calomnieuses.

Elle a néanmoins considéré que les parlementaires seraient en mesure d'écarter les réclamations manifestement irrecevables, étant bien précisé que la transmission des autres réclamations ne préjugerait en rien de l'appréciation pouvant être donnée sur le fond de l'affaire.

Votre commission a en définitive estimé que le rôle de médiation entre les forces de sécurité et les citoyens attribué aux parlementaires ne pouvait que renforcer positivement les liens entre la représentation nationale et les citoyens au service d'une amélioration de la transparence des forces de sécurité.

Votre commission des Lois a donc en définitive souscrit à la saisine de la Commission nationale par l'intermédiaire des parlementaires.

e) La détermination d'un socle de règles déontologiques communes

Grâce à l'expérience qu'elle pourra acquérir et à son large champ de compétence, la Commission sera en mesure d'influer par ses propositions sur les règles déontologiques et de faire émerger un socle de règles commun à l'ensemble des acteurs publics et privés de la sécurité.

* 1 Sondage CSA/Reader's Digest Sélection, réalisé les 15 et 16 septembre 1999 auprès d'un échantillon représentatif de 1002 personnes âgées de 18 ans et plus.

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