B) Recherche et développement liée à la prise en compte des accidents graves

Les accidents graves impliquant la fusion du coeur -cas de Three Miles Island- ont été étudiés dans le passé, pour les réacteurs en exploitation, dans le but d'en évaluer les conséquences radiologiques et de mettre au point des procédures destinées à les limiter en protégeant la fonction de confinement de l'enceinte, qui était dimensionnée surtout pour résister aux surpressions de l'accident de perte de fluide de refroidissement primaire par l'existence d'une grosse brèche.

Pour le projet EPR, les accidents graves doivent être pris en compte dès le stade de la conception : l'ambition est de réduire la probabilité de ces accidents d'un facteur de 10 -5 à 10 -6 événements par réacteur et par an, et d'éviter toute évacuation permanente des populations au voisinage de la centrale. Pour cela, il faut rendre impossible un certain nombre de séquences accidentelles dont on ne pourrait pas maîtriser les conséquences, tels que, par exemple, les accidents de réactivité par dilution accidentelle du bore, la fusion du coeur à haute pression, la détonation globale d'hydrogène dans l'enceinte. En conséquence, le projet doit être doté de dispositifs spéciaux. A cet effet, il importe donc de pouvoir prédire le déroulement des séquences accidentelles avec fusion du coeur et de démontrer l'efficacité des dispositifs retenus pour que soit assurée en permanence la fonction de confinement des produits radioactifs.

La stratégie générale de recherche du CEA l'a conduit à établir des modélisations des phénomènes physiques à partir de considérations théoriques et d'expériences introduites dans des codes de calcul.

Compte tenu de la complexité des phénomènes, une méthode en deux temps est couramment utilisée, faisant appel à deux catégories d'outils :

1 - Les codes intégraux ou codes scenarii

Caractérisés par des modélisations simplifiées, ils permettent de calculer la totalité de la séquence accidentelle et de faire des études paramétriques grâce à des temps de calculs raisonnables. Dans ces codes, il existe de nombreuses options que les utilisateurs doivent renseigner et qui concernent souvent des points que les études physiques n'ont pas encore permis de déterminer. Les études paramétriques permettent alors d'avoir une idée des incertitudes induites par le choix de telle ou telle option.

2 - Les codes mécanistes

Ils vont traiter d'un problème particulier mais en intégrant la meilleure physique raisonnablement utilisable. Ces codes peuvent cependant être d'un emploi lourd. Qualifiés sur des expériences à caractère analytique, ils doivent permettre de faire les extrapolations à l'échelle d'un réacteur et de renseigner les " options utilisateurs " des codes précédents. Cependant, dans l'avenir, compte tenu de l'accroissement de la puissance de calcul des ordinateurs et des progrès dans les analyses physiques, les deux approches tendront à converger.

Ces codes doivent être validés par des expériences.

Dans certains cas, ces expériences peuvent être éloignées de la réalité par l'échelle ou par l'emploi de matériaux simulants qui permettent des essais à moindre coût et une meilleure instrumentation. Ces expériences, complétées par des expériences de caractère plus global mettant en jeu des matériaux réels, peuvent être utilisées pour divers objectifs :

• une meilleure compréhension des phénomènes physiques,

• une meilleure appréciation des incertitudes,

• l'aide à la détermination et à la qualification de modélisations simples,

• la qualification des outils de calculs mécanistes,

• l'aide à la détermination des " options utilisateurs " des codes intégraux.

L'utilisation des codes intégraux et des études de sensibilité associées doivent permettre, au-delà des analyses de sûreté, d'aider à la définition des besoins de R & D.

Plusieurs thèmes de R & D peuvent être identifiés :

a) Les études de scenarii

Ces études nécessitent l'utilisation de codes intégraux qui sont utilisés dans des processus itératifs conjointement pour faire les études de projet et définir les bons choix de R & D. Outre la participation au développement du code ESCADRE de l'IPSN, le CEA qualifie le code MAAP, code américain utilisé par EDF et FRAMATOME, sur les expériences PHEBUS qui décrivent la dégradation d'une portion d'assemblage de combustible. Il effectue également des calculs comparatifs ESCADRE, MAAP.

b) Les études relatives au corium

Les études relatives au corium, produit résultant de la fusion des différents éléments constitutifs du coeur du réacteur et de leur interaction avec les structures qu'ils rencontrent, comportent trois volets principaux :

Þ le corium interne au circuit primaire,

Þ le corium hors cuve,

Þ l'interaction corium eau.

Ce corium interagit avec les matériaux de structure de la cuve et avec le béton de l'enceinte hors cuve et les matériaux de récupération. Ceci se passe à très haute température, dans la gamme des 2000°C à 3000°C, et les chercheurs doivent traiter les problèmes de fusion-solidification de mélanges faisant intervenir des diagrammes de phases complexes.

-- Corium interne au circuit primaire

Lorsque le coeur commence à fondre sous l'effet de la puissance résiduelle due à la désintégration des produits de fission, et ne peut plus être refroidi, il va progresser vers le bas et s'écouler dans le fond de la cuve. Les études du comportement de ces bains de corium en fond de cuve permettront de déterminer la façon dont les parois de la cuve vont fondre et ses modes de rupture. Ceci doit permettre de définir l'instant de rupture ainsi que la dynamique d'ouverture de la brèche, ce qui donnera les conditions initiales de sortie du corium en dehors de la cuve. Cette connaissance est nécessaire pour évaluer le comportement de ce corium dans le puits de cuve et définir ainsi les conditions initiales de récupération hors cuve.

A cet effet, on développe le code de calcul mécaniste TOLBIAC, qui décrit la convection naturelle en trois dimensions d'un corium formé d'oxydes et de métaux qui peuvent se stratifier. Ce code décrit également les phénomènes d'oxydation des métaux, la formation de croûtes, l'ablation des parois. Couplé au code de mécanique CASTEM, il permet de décrire la ruine de la cuve.

Pour la détermination des coefficients de transfert de chaleur à la paroi, on utilise le dispositif BALI, où le corium est remplacé par de l'eau salée et où les expérimentations simulent la puissance résiduelle en utilisant l'effet Joule. Pour la tenue mécanique du fond de cuve, on utilise l'expérience RUPTHER, qui reproduit les conditions de rupture d'acier de cuve à haute température.

-- Corium hors cuve

Le corium sorti de la cuve doit être arrêté définitivement et refroidi. Pour cela, il faut placer à l'intérieur de l'enceinte un dispositif de récupération. Divers concepts sont possibles. Le projet EPR a choisi comme solution de référence le concept d'étalement de ce corium sur une surface déportée hors du puits de cuve. Diverses évolutions ont eu lieu au cours de l'avant-projet ; la dernière consiste à faire mélanger le corium avec du béton sacrificiel pour abaisser la température de solidification, et donc favoriser l'étalement hors cuve du corium. Dans le dessin actuel, le refroidissement est assuré par noyage par le dessus du corium étalé grâce à un système passif et le radier est protégé par une petite circulation d'eau qui assure le maintien d'une température convenable.

Le CEA, après avoir utilisé le code américain MELTSPREAD, qui décrit l'étalement dans des configurations monodimensionnelles, a développé un code bidimensionnel THEMA en réutilisant de nombreux développements déjà mis en oeuvre dans le code TOLBIAC. Pour valider THEMA, on utilise des expériences, effectuées en matériaux simulants ou en matériaux réels, réalisées au CEA ou dans des laboratoires étrangers.

Deux programmes principaux pour les études d'étalement sont conduits au CEA : CORINE, qui utilise des matériaux simulants à bas point de fusion (métal de WOOD, HITEC etc..), et VULCANO, qui permet l'étalement de 150 kg de matériau prototypique (corium sans produits de fission). Ces essais permettent d'étudier la physique de l'étalement et de la solidification de matériaux complexes. Dans VULCANO, l'utilisation de matériaux réels permet en plus l'étude des interactions avec différents supports (béton, céramique etc..).

Par ailleurs, différentes études-support, plus analytiques, relatives à la connaissance des propriétés physiques et physico-chimiques de ces mélanges complexes, sont en cours.

-- L'interaction entre le corium et l'eau

Le corium chaud entrant en contact avec de l'eau se disperse en gouttes et provoque une vaporisation de l'eau. Dans certaines conditions, en particulier par le passage d'une onde de pression, le film de vapeur qui entoure les gouttes peut être déstabilisé, ce qui provoquerait une interaction thermique avec fragmentation des gouttes en très fines particules, générant un échange thermique violent avec l'eau et la propagation d'une onde de pression qui peut avoir des conséquences mécaniques néfastes pour les structures environnantes. Nous serions en présence du phénomène d'explosion de vapeur. Son intensité va dépendre bien évidemment du phénomène lui-même, mais également de la quantité de fluide en présence. Il est l'objet de nombreuses études depuis des années et, si des évaluations du risque peuvent être faites, celles-ci demandent encore à être affinées. C'est pourquoi le CEA développe un code mécaniste MC3D multicomposant, multiphasique, qui décrit l'ensemble du phénomène en tridimensionnel. Ce code très complexe est qualifié sur des expériences analytiques françaises et étrangères. En particulier, le CEA a réalisé l'expérience BILLEAU, où des sphères métalliques portées à plus de 2000°C sont versées dans de l'eau froide. L'expérience MICRONIS, relative à l'étude du comportement d'une goutte de corium, est en cours. Les expériences réalisées au CCR ISPRA avec les matériaux réels FARO et KROTOS fournissent une base de validation au cas où le corium tombe dans l'eau. Ce type de situation est étudié au CEA dans l'expérience ANAIS.

MC3D, qui calcule l'énergie libérée lors de l'interaction, couplé au code de dynamique rapide PLEXUS, qui calcule les conséquences mécaniques, devra permettre de modéliser les interactions corium-eau dans toutes les situations.

c) Les études relatives à l'enceinte de confinement

Une fois le corium arrêté et refroidi à l'intérieur de l'enceinte, il faut encore assurer deux fonctions :

• continuer à évacuer la puissance résiduelle sur le long terme ;

• éviter que, tout au long du transitoire accidentel, on ait atteint localement des concentrations d'hydrogène susceptibles de conduire à des détonations.

L'atmosphère de l'enceinte, en cas d'accident grave, est constituée d'air, de vapeur d'eau, d'aérosols et de gaz dont certains sont combustibles, comme l'hydrogène provenant de l'oxydation par l'eau des métaux et le monoxyde de carbone provenant de la décomposition du béton. Les phénomènes de condensation de vapeur vont jouer un grand rôle dans la distribution des différents composants de cette atmosphère. La connaissance du terme source hydrogène et de sa dynamique est essentielle et fait l'objet d'études à l'IPSN et en Allemagne.

Pour limiter la concentration en hydrogène, on peut agir sur la taille de l'enceinte et avoir recours à des dispositifs de mitigation : des recombineurs ou des igniteurs, qui consomment de l'hydrogène.

Dans l'avant-projet EPR, l'évacuation de la puissance résiduelle est assurée par une aspersion. Une solution alternative utilisant des condenseurs a été un moment envisagée, puis rejetée.

La taille de l'enceinte, la position et le nombre des dispositifs mitigateurs doivent être déterminés à partir de calculs qui fourniront la distribution en transitoire d'hydrogène. Pour contrôler les calculs du projet, le CEA développe, pour le compte de l'IPSN, le code TONUS qui décrit en tridimensionnel les phénomènes de convection-condensation dans l'ensemble des compartiments de l'enceinte. Ce code décrit aussi les phénomènes de combustion, déflagration et détonation de l'hydrogène et les conséquences mécaniques qui en résultent pour l'enceinte.

Plusieurs types d'expériences sont en cours pour la validation du code :

• des expériences à caractère analytique : COPAIN pour la description des phénomènes de condensation sur les parois en présence d'incondensables, et DYNASP pour l'étude de l'aspersion ;

• une expérience globale, MISTRA, d'une capacité d'une centaine de mètres cubes, munie ou non de compartiments, où pourront être reproduites la vapeur d'eau, de l'hydrogène simulé par de l'hélium, avec présence d'aspersion et production d'aérosols. Une instrumentation spéciale permettra les mesures locales de température, pression, concentration en hydrogène et vitesse des gaz dans la totalité de la maquette ;

• des expériences composants, concernant en particulier l'efficacité des recombineurs, en présence de vapeur d'eau, dans l'installation KALI H2, et des condenseurs dans KALI EVU.

Un programme de tenue du béton et de peaux d'étanchéité aux conditions d'accidents graves est en cours de définition.

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