C - Quelle réglementation pour ces plantes ?

Après avoir présenté le dispositif européen en la matière on examinera la réglementation de ces plantes mise en place par la France depuis 1992 qui doit être appréciée de façon positive même si, au fil du temps, un certain nombre d'insuffisances ont pu être mises en évidence, des propositions pouvant être avancées pour améliorer l'articulation entre expertise et décision politique.

a - Présentation du dispositif européen : "le labyrinthe du transgénique"

Celui-ci se présente, selon un schéma extrait du bilan d'activités de 1996 de la Commission du génie biomoléculaire, de la façon suivante :

On notera l'extrême complexité de ce schéma.

La procédure implique :

- l'évaluation par les autorités nationales du pays où est présentée la demande,

- l'évaluation par les autorités des quatorze autres pays,

- la consultation de trois comités scientifiques européens.

Ce quasi-labyrinthe est très sévèrement critiqué par les entreprises qui souhaitent mettre sur le marché des variétés transgéniques. Ainsi la durée moyenne pour obtenir une autorisation est d'environ 27 mois dans l'Union européenne, contre 10 mois en moyenne aux Etats-Unis et au Canada, et de 7 mois en Argentine.

Outre la longueur, les entreprises formulent à cette organisation un autre grief majeur : l'impossibilité de prévoir sous quel délai interviendra une décision, que celle-ci soit négative ou positive.

Il semble indispensable que cette organisation soit revue dans le sens de la simplification, étant entendu que cela n'implique pas du tout un relâchement des contrôles. De même, un délai maximal devrait aussi être prévu afin d'apporter une certaine sécurité aux entreprises demanderesses. Ce délai trop long n'apporte aucune garantie supplémentaire en terme de santé ou d'environnement. Je proposerai donc des modifications de ce dispositif.

b - Le dispositif français

La réglementation relative à la dissémination d'organismes génétiquement modifiés est basée sur la directive européenne 90/220 du 23 avril 1990. Sa transcription en droit français a été réalisée par la loi n° 92-654 du 13 juillet 1992 relative au contrôle de l'utilisation et de la dissémination des organismes génétiquement modifiés et modifiant la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement.

Cette loi prévoit que la dissémination confinée de ces organismes génétiquement modifiés, c'est-à-dire leur utilisation en laboratoires notamment, est du ressort de la Commission du génie génétique tandis que leur dissémination volontaire dans l'environnement est de la responsabilité de la Commission d'étude de la dissémination des produits issus du génie biomoléculaire, dite, en raccourci, Commission du génie biomoléculaire (C.G.B.).

Concernant plus spécifiquement les plantes transgéniques, le décret n° 93-117 du 18 octobre 1993 fixe les conditions applicables à la dissémination volontaire dans l'environnement et à la mise sur le marché de plantes génétiquement modifiées. L'arrêté du 21 septembre 1994 détermine les éléments nécessaires au dossier de demande de dissémination volontaire dans l'environnement et de mise sur le marché de plants, semences ou plantes génétiquement modifiés.

Les autorisations pour la recherche et le développement ainsi que pour la mise sur le marché sont délivrées par le ministre de l'agriculture après accord du ministre de l'environnement. Il faut noter que l'information du public est réalisée au niveau des mairies des communes où sont effectuées les disséminations.

Les plantes génétiquement modifiées font l'objet, comme toutes les plantes, d'une analyse de leur comportement agronomique et, après avis du Comité technique permanent de la sélection des plantes cultivées (C.T.P.S.), sont inscrites au catalogue officiel des variétés. Cette inscription correspond en fait à la délivrance de l'autorisation de mise sur le marché des plantes. L'avis du C.T.P.S. est fondé sur des essais agronomiques réalisés en général sur deux ans. L'avis du Conseil supérieur d'hygiène publique est également requis et porte sur les aspects " alimentaires " du dossier.

Un système de biovigilance qu'il est nécessaire de conforter par voie législative permet le suivi des autorisations accordées.

Ainsi que l'a noté Mme Marie-Angèle Hermitte, la C.G.B. a élargi sa compétence en créant des groupes de travail ad hoc , organisant sa réflexion sur des problèmes généraux telles que les résistances aux herbicides.

Le travail de la C.G.B. a été particulièrement sérieux et rigoureux. Son bilan est donc tout à fait positif. Elle a fait preuve d'une grande ouverture d'esprit dans la mesure où elle a réellement dialogué avec les demandeurs d'autorisation. Elle a assuré un contrôle très sérieux des dossiers qui lui étaient soumis.

Mais des insuffisances se sont fait jour au fil du temps.

c - Quelques insuffisances

Le panel de citoyens a clairement remis en cause la façon dont fonctionne cette commission, en particulier le fait que la société civile ne soit que peu associée à ses travaux.

Afin d'améliorer ce fonctionnement et de répondre à cette demande légitime des citoyens, deux solutions sont envisageables :

- élargir la composition de la Commission du génie biomoléculaire et prévoir deux collèges, comme le propose le panel des citoyens : un collège de scientifiques qui devrait confronter ses avis avec un collège général composé d'agriculteurs, de consommateurs et de membres d'associations de protection de l'environnement ;

- donner à la Commission du génie biomoléculaire un rôle d'expertise scientifique et donner à une autre instance le rôle du collège général.

La première solution évite de créer une structure supplémentaire et permet une meilleure lisibilité des procédures. Elle permet une confrontation d'avis au sein d'une même structure, ce qui évite des affrontements souvent peu constructifs entre instances et d'avoir ainsi un avis unique, ce qui favorise la prise de décision.

La deuxième solution permet de clarifier ce qui relève d'avis scientifiques de ce qui relève d'un avis " sociétal ". Au niveau international, cela nous permet également de garder une instance qui puisse faire valoir ses avis sur des éléments scientifiques, les seuls actuellement reconnus à ce niveau.

Je penche plutôt pour cette deuxième solution de créer une Commission citoyenne donnant l'avis global de la société. Cette commission aurait plus pour vocation de détecter les problèmes que pose le développement des biotechnologies et de peser les risques et avantages pour la santé humaine, la sécurité alimentaire, l'environnement, de proposer les mesures permettant d'informer le consommateur et bien cerner les enjeux de la maîtrise des biotechnologies dans un contexte de compétition internationale.

En contrepartie, dans le cadre de la simplification des procédures, il serait bon de prévoir un temps limite d'examen des dossiers par l'Union européenne et les instances nationales.

Dans cette hypothèse la composition de la C.G.B. devrait être revue. En effet, siègent dans cette commission un représentant des consommateurs et des associations de défense de l'environnement. Outre la difficulté présentée par leur désignation quand on sait par exemple qu'il existe en France dix-neuf organisations de consommateurs reconnues comme représentatives, il convient de se demander si une commission à but scientifique doit comprendre des représentants de ces secteurs.

Après avoir recueilli de nombreux avis en la matière, je pense finalement que non ; c'est également l'avis du panel de citoyens. Cela ne disqualifie naturellement pas ces organisations. Je pense qu'il serait plus adéquat que la C.G.B. ne rassemble que des scientifiques. De même, il ne me semble pas utile qu'un homme politique, en l'occurrence un membre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, fasse partie de cette commission. Je propose donc que toutes ces personnes fassent partie de la Commission citoyenne.

Il serait sans doute aussi utile que les scientifiques membres de la C.G.B. puissent avoir des avis différents sur un certain nombre de problèmes. A cet égard, il faut noter qu'à ma connaissance, aucun membre de cette commission n'a utilisé les dispositions de l'avant-dernier alinéa de l'article 1er de la loi du 13 juillet 1992, qui dispose que " les membres de la commission peuvent joindre une contribution personnelle au rapport annuel ". L'utilisation de cette disposition pourrait permettre l'expression de jugements critiques et constructifs sur le fonctionnement de la C.G.B. et aussi sur la procédure d'autorisation des plantes transgéniques.

Mais, au-delà de ces insuffisances, il paraît nécessaire de remettre en route très rapidement la C.G.B.

En effet le problème de la paralysie de la C.G.B. se pose depuis le mois de février 1997, suite à la démission de M. Axel Kahn. Quatorze mois après, il devient très urgent de procéder à la fois à la nomination des nouveaux membres de cette commission ainsi que de son président : il conviendrait que cela soit chose faite au plus vite. Il convient donc de pérenniser la C.G.B. telle qu'elle est actuellement, bien qu'insuffisante, afin de ne pas paralyser l'instruction des dossiers. Il m'a été d'ailleurs indiqué, de ce point de vue, que des entreprises françaises avaient déjà déposé des demandes dans d'autres pays européens compte tenu de cette situation.

d - Améliorer l'articulation entre expertise et décision politique : comment prendre des décisions politiques dures sur des certitudes scientifiques molles ?

L'amélioration de l'articulation entre expertise et décision politique est certainement indispensable dans la mesure où, par exemple, concernant ce dossier des plantes génétiquement modifiées, on sent très bien la difficulté de compréhension de nos concitoyens vis-à-vis de décisions scientifiquement fondées mais incomprises.

Il est patent que les avis de la C.G.B. ont été, au fil du temps, de moins en moins consultatifs, sans que l'on puisse d'ailleurs le lui reprocher, et de plus en plus décisionnels. Il est ainsi arrivé que l'échelon politique s'en remette de fait à l'avis de cette commission, qui, à juste titre, ne pouvait pas évaluer les incidences proprement politiques de ses propres avis.

Ce hiatus entre expertise et décision politique s'exprime de façon très importante dans le cas des organismes génétiquement modifiés. En effet leur irruption dans l'actualité a, semble-t-il, considérablement renforcé le sentiment que la science semble devenir de plus en plus lointaine et mystérieuse alors même qu'elle intervient de plus en plus dans la vie de tous les jours. On a aussi l'impression que face à cette situation, le citoyen souhaite de plus en plus savoir comment on décide, quels sont les paramètres sur lesquels se fondent les décisions.

Il y a là, je pense, le souhait que l'évolution des sciences n'ait pas pour résultat une diminution des choix possibles et l'installation de mécanismes de prise de décision opaque. La demande d'étiquetage des aliments issus d'un processus faisant intervenir des plantes transgéniques est l'illustration de cette position.

C'est pour ces raisons qu'il faut très distinctement faire la différence entre l'expertise et la décision.

Les experts se doivent tout d'abord de faire l'état des connaissances. Ensuite ils doivent répondre aux questions qui leur sont soumises par les politiques. Leur rôle n'est pas dès lors de rentrer dans un débat de nature politique consistant à déterminer ce qui est bon ou non pour une société donnée. Il faut en effet se garder de la situation où l'expert peut être soumis à la tentation de porter un jugement d'ordre moral ou politique en défendant une décision.

Ce serait alors, in fine , au politique, dépositaire du pouvoir et de l'intérêt collectif, de faire, malgré les incertitudes et les ignorances scientifiques, le choix qu'il proposera à ses concitoyens. Il pourrait aussi s'efforcer de faire comprendre que toute décision est intrinsèquement pleine d'incertitude mais que le risque est inhérent à la vie.

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