Rapport d'information n° 37 (2000-2001) de M. Alain LAMBERT , fait au nom de la commission des finances, déposé le 19 octobre 2000

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N° 37

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001

Annexe au procès-verbal de la séance du 19 octobre 2000

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur l'étude menée sur la réforme de l'ordonnance organique n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances ,

Par M. Alain LAMBERT,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Alain Lambert, président ; Jacques Oudin, Claude Belot, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Roland du Luart, Bernard Angels, André Vallet, vice-présidents ; Jacques-Richard Delong, Marc Massion, Michel Sergent, François Trucy, secrétaires ; Philippe Marini, rapporteur général ; Philippe Adnot, Denis Badré, René Ballayer, Jacques Baudot, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Gérard Braun, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Jean Clouet, Yvon Collin, Jean-Pierre Demerliat, Thierry Foucaud, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Claude Haut, Alain Joyandet, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Michel Mercier, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Pelletier, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Henri Torre, René Trégouët.

Finances publiques.

SOMMAIRE

Pages

AVANT-PROPOS 7

INTRODUCTION 9

CHAPITRE PREMIER : REDONNER SENS AUX LOIS DE FINANCES 12

I. METTRE EN PLACE UN BUDGET DE MISSIONS 12

A. UN BUDGET TROP CENTRÉ SUR LA DÉTERMINATION DES MOYENS SANS RÉELLE RELATION AVEC LES FINALITÉS ET LES PERFORMANCES DES ACTIONS PUBLIQUES 13

1. L'abandon significatif des " blancs " ou budgets de programme 13

2. Les " bleus " ou la consécration de l'anomie budgétaire 15

a) Malgré leur réforme... 15

b) ...les " bleus " ne constituent en rien le support d'une budgétisation par objectifs... 16

c) ... et constituent le support d'une budgétisation de moyens. 18

3. Les " jaunes ", un effort méritoire mais insuffisant pour combler les lacunes de l'information budgétaire 18

a) Les objectifs poursuivis par les " jaunes " témoignent d'une insatisfaction face aux documents budgétaires... 18

b) ... mais ne sont pas atteints en pratique 19

B. POUR UNE BUDGÉTISATION PAR OBJECTIFS 20

1. Malgré les difficultés, des efforts de budgétisation par objectifs sont engagés 21

2. La budgétisation par objectifs doit permettre d'apprécier les performances des actions publiques 25

3. La budgétisation par objectifs ne doit pas négliger le recensement exhaustif des moyens 27

a) Le niveau d'agrégation des crédits doit permettre un débat sur les moyens 27

b) Le regroupement des crédits par titre doit permettre de distinguer les dépenses ordinaires des dépenses patrimoniales. 29

II. MIEUX PRENDRE EN COMPTE LA DIMENSION TEMPORELLE DU BUDGET 31

A. LA PRATIQUE BUDGÉTAIRE A BEAUCOUP RESTREINT LA PLURIANNUALITÉ 32

1. Si la pluriannualité est strictement encadrée dans l'ordonnance du 2 janvier 1959... 32

2. ... son échec provient essentiellement d'une pratique restrictive... 34

3. ... et s'est prolongé par l'insuccès des autres tentatives pour développer la dimension pluriannuelle des finances publiques 35

a) Les lois de programme et les contrats de plan 35

b) La loi d'orientation quinquennale relative à la maîtrise des finances publiques 36

B. PLUSIEURS FACTEURS MILITENT EN FAVEUR D'UNE MEILLEURE PRISE EN COMPTE DE LA DURÉE PAR LES DOCUMENTS BUDGÉTAIRES 37

1. La construction européenne impose l'élaboration d'un cadre pluriannuel pour la politique budgétaire 37

2. Les carences en matière de pluriannualité dégénèrent en " myopie budgétaire " 38

3. Les propositions de votre commission : adopter un cadre budgétaire tenant compte de la durée 39

a) Limiter les autorisations pluriannuelles aux seules dépenses qui en relèvent par nature 39

b) La réforme comptable 41

c) Le débat d'orientation budgétaire 41

d) Le maintien des lois de programme 42

e) Réconcilier finances publiques et moyen terme 42

(1) Des projections économiques et budgétaires à moyen terme 42

(2) Une présentation pluriannuelle des objectifs, des coûts et des résultats 42

(3) Une évaluation à moyen terme des prélèvements obligatoires 43

(4) De vraies études d'impact pluriannuelles 43

(5) Admettre une pluriannualité de gestion 44

III. INSTAURER UN VRAI SYSTÈME COMPTABLE 44

A. LES RÈGLES DE COMPTABILITÉ BUDGÉTAIRE DE L'ORDONNANCE 44

1. L'ordonnance du 2 janvier 1959 pose des principes qui concernent principalement la comptabilité budgétaire 44

2. La logique de la comptabilité de caisse 46

B. LES ENTORSES COMPTABLES AU PRINCIPE DE L'ANNUALITE DE CAISSE 47

1. La période complémentaire, une entorse mineure au principe de l'annualité dont les conséquences sont importantes 47

2. L'utilisation condamnable des comptes d'imputations provisoires 49

C. LES COMPARAISONS INTERNATIONALES ÉTABLISSENT LA NATURE ET L'AMPLEUR DU RETARD PRIS PAR L'ETAT FRANÇAIS EN MATIÈRE DE COMPTABILITÉ PUBLIQUE 50

1. La comptabilité publique doit contribuer à la réforme de l'Etat 50

2. Les réformes engagées à l'étranger au cours de la dernière décennie montrent les voies d'une modernisation 51

3. Les handicaps et les insuffisances du système financier et comptable français sont parfaitement identifiés 52

4. Les vecteurs de réforme de la comptabilité de l'Etat 55

D. L'INTRODUCTION DE CONCEPTS ISSUS DE LA COMPTABILITÉ PRIVÉE 59

1. Le rapprochement de la comptabilité publique et de la comptabilité privée 59

2. Pour une meilleure gestion de l'Etat : le suivi interne de l'exécution budgétaire et des coûts 62

E. ACCROÎTRE LA PERTINENCE DES INFORMATIONS COMPTABLES 63

1. La comptabilisation des dépenses et des recettes selon la méthode de l'exercice respecte le principe d'annualité... 63

2. ... elle pose cependant des difficultés techniques non négligeables 64

3. La mise en oeuvre d'une comptabilité patrimoniale 65

F. CONJUGUER LA QUALITÉ DES INFORMATIONS COMPTABLES ET LE SUIVI DE L'AUTORISATION PARLEMENTAIRE 66

1. Le maintien d'une comptabilité de caisse... 66

2. ... doit s'accompagner d'un encadrement de la période complémentaire ... 67

3. ... et d'une comptabilité financière établie selon les principes de l'exercice et comportant un bilan évaluant l'actif et le passif de l'Etat 68

IV. COMPLÉTER L'INFORMATION DE LA NATION ET DU PARLEMENT 70

A. L'INFORMATION FOURNIE AVEC LES PROJETS DE LOI DE FINANCES DE L'EXERCICE DOIT ÊTRE ENRICHIE 70

1. Deux annexes relatives aux ressources publiques 71

2. Une mise en perspective des dépenses 71

B. L'INFORMATION FOURNIE AVEC LES PROJETS DE LOI DE FINANCES RECTIFICATIVE DOIT ÊTRE PLUS COMPLÈTE 72

C. L'INFORMATION FOURNIE AVEC LES PROJETS DE LOI DE RÈGLEMENT DOIT MIEUX RENDRE COMPTE DE L'UTILISATION DES CRÉDITS OUVERTS PAR LES LOIS DE FINANCES 72

D. L'INSTAURATION D'UNE INFORMATION PLUS RÉGULIÈRE 73

1. Un rapport associé au programme de stabilité 73

2. Un rapport d'orientation budgétaire 73

E. LE PROBLÈME PARTICULIER DES MOYENS DE SIMULATION DU PARLEMENT 74

1. Des moyens autonomes 74

2. Un " droit de tirage " sur les administrations 75

CHAPITRE II : RÉÉQUILIBRER LES POUVOIRS EN MATIÈRE DE FINANCES PUBLIQUES 76

I. DESSERRER LES CONTRAINTES DE GESTION INUTILES 77

A. LA SIMPLIFICATION DE LA NOMENCLATURE BUDGÉTAIRE 77

1. La spécialisation par chapitre : une contrainte devenue inadaptée 77

2. Affirmer la spécialisation des crédits par programme 79

B. UNE GESTION PLUS SOUPLE DES EMPLOIS PUBLICS 80

1. La gestion des emplois publics : une procédure rigide 80

2. Préférer une gestion plus souple accompagnée d'une information plus réaliste 81

C. LA RECONNAISSANCE SOUS CONDITIONS DES ANNULATIONS DE CRÉDITS COMME OUTILS DU PILOTAGE BUDGÉTAIRE 82

1. L'annulation des crédits, une pratique politiquement et juridiquement douteuse... 82

2. ... qui invite à imaginer des solutions équilibrées 87

II. REFONDER LE PRINCIPE D'UNIVERSALITÉ DES LOIS DE FINANCES 88

A. LES COMPTES SPÉCIAUX DU TRÉSOR ET LES BUDGETS ANNEXES CONSTITUENT-ILS VRAIMENT UNE ATTEINTE AU PRINCIPE D'UNIVERSALITÉ ? 88

B. AFFIRMER L'UNIVERSALITÉ EN MATIÈRE DE RECETTES 89

1. Les problèmes créés par la pratique budgétaire 89

2. Définir le champ des ressources autour des exigences d'exhaustivité, de transparence, et de signification économique 91

a) Les ressources permanentes 93

b) Les ressources exceptionnelles 94

3. La question de l'autorisation unique de perception 95

4. La question du champ de l'évaluation des recettes 96

5. La question de l'affectation 97

a) Consacrer la notion de " prélèvement sur recettes " 97

b) Etendre cette notion à tous les " satellites " de l'Etat 98

C. RÉTABLIR L'UNIVERSALITÉ EN MATIÈRE DE DÉPENSES 99

1. Réintégrer les fonds de concours 99

2. Prendre en compte les artifices budgétaires 100

a) Dépenses fiscales et ressources affectées aux " satellites " de l'Etat 100

b) La frontière de la libre administration des collectivités territoriales 102

c) La frontière du financement de la sécurité sociale 103

3. Evaluer les dépenses liées au remboursement de la dette de l'Etat 105

III. RESPECTER STRICTEMENT LES AUTORISATIONS PARLEMENTAIRES 107

A. LES PRINCIPES VISANT À AFFIRMER L'AUTORITÉ DU PARLEMENT... 107

1. La règle de l'autorisation préalable des crédits 107

2. La règle du caractère limitatif des crédits 107

3. La règle de l'annualité des crédits 108

B. ... SONT, EN PRATIQUE, SÉRIEUSEMENT MIS EN QUESTION 108

1. Les crédits évaluatifs et provisionnels 109

2. Les crédits globaux, une amodiation apportée à la règle de spécialisation des crédits 112

3. Deux exceptions supplémentaires apportées au principe de la spécialisation des crédits, les transferts et les virements. 114

4. Les décrets d'avances 116

5. La majoration des crédits des comptes d'affectation spéciale 119

6. Les reports de crédits 120

IV. AFFIRMER L'OBLIGATION DE SINCÉRITÉ 125

A. LA SINCÉRITÉ : UN PRINCIPE ESSENTIEL DE LA COMPTABILITE GÉNÉRALE 125

B. L'EXÉCUTIF EST FRÉQUEMMENT CRITIQUÉ POUR SES MANQUEMENTS AU RESPECT DU PRINCIPE DE SINCÉRITÉ 127

C. LA JURISPRUDENCE A PROGRESSIVEMENT DÉFINI UNE OBLIGATION DE SINCÉRITÉ APPLIQUÉE AUX COMPTES DES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES 128

D. LE PRINCIPE DE PERMANENCE DES NORMES COMPTABLES DOIT ÊTRE AFFIRMÉ 129

E. LA SINCÉRITE DOIT TROUVER SA PLACE DANS LA LOI ORGANIQUE RELATIVE AUX LOIS DE FINANCES 131

1. Consacrer solennellement le principe de sincérité 131

2. Faire certifier les comptes de l'Etat 131

V. CONSACRER LE CONTRÔLE SUR LES FINANCES PUBLIQUES 133

A. UNE MISSION FONDAMENTALE 133

1. Une responsabilité politique éminente 133

2. Le contrôle parlementaire doit être universel 135

B. VERS UNE PLEINE RECONNAISSANCE DES MISSIONS DE CONTROLE ET D'ÉVALUATION 136

1. Le contrôle parlementaire doit avoir sa place dans la loi organique 136

2. Le contrôle parlementaire doit être renforcé 137

a) Aménager les relations avec la Cour des comptes 138

b) Envisager la reconnaissance juridique des moyens des rapporteurs 140

VI. AMÉLIORER LES CONDITIONS D'EXAMEN DES LOIS DE FINANCES PAR LE PARLEMENT 141

A. TIRER LES CONSÉQUENCES EN MATIÈRE DE PROCÉDURE DES MODIFICATIONS APPORTÉES AU CONTENU DES LOIS DE FINANCES 142

1. Les votes sur les recettes 142

2. En dépenses : un vote par programme 142

B. MIEUX DÉFINIR LE RÉGIME DES INITIATIVES PARLEMENTAIRES EN MATIÈRE BUDGÉTAIRE 145

C. COMBLER LES LACUNES DE PROCÉDURE APPARUES AU COURS DE LA PRATIQUE BUDGÉTAIRE 146

1. Un délai pour le dépôt du projet de loi de règlement 146

2. Assurer la continuité de l'Etat en cas de rejet mais sans inflation des dépenses 147

3. Faut-il pouvoir discuter des dépenses sans avoir approuvé les recettes ? 147

D. ACCROÎTRE LES OCCASIONS DE DÉBATS 148

1. Le débat d'orientation budgétaire 148

2. Voter chaque prélèvement sur recettes 148

3. Discuter de chaque programme 149

EXAMEN EN COMMISSION 149

ANNEXES 165

CONTRIBUTIONS DE LA COUR DES COMPTES AUX RÉFLEXIONS SUR LA RÉVISION DE L'ORDONNANCE DE 1959 RELATIVE AUX LOIS DE FINANCES 166

LISTE DES AUTEURS DE CONTRIBUTIONS ECRITES 240

COMPTES-RENDUS DES AUDITIONS 241

AVANT-PROPOS

Au début de 1999, le bureau de votre commission a mandaté votre président en vue de travailler à la préparation d'une réforme de l'ordonnance 59-2 du 2 janvier  1959 portant loi organique relative aux lois de finances. L'objectif de cette mission d'information était de permettre à votre commission de réunir les éléments nécessaires à cette ambition.

Dans un premier temps, votre président, rapporteur en cette occasion, a saisi le Premier président de la Cour des comptes, par une lettre du 25 mai 1999, en vue d'une étude sur le sujet. La Cour a rendu ses premières conclusions le 1 er décembre 1999. A la demande de la commission des finances de l'Assemblée nationale, elle en a rendu des secondes le 31 mars 2000. Ces deux contributions, précieuses dans le débat qui s'ouvre, sont publiées en annexe du présent rapport.

Votre rapporteur a engagé ses propres travaux. Il a mené 17 auditions du 5 avril au 29 juin 2000. Leurs comptes-rendus figurent également en annexe.

Votre rapporteur a également souhaité procéder à des comparaisons internationales. Il a notamment reçu à cette fin une contribution du Conseiller financier au Royaume-Uni, et des documents, jusqu'alors confidentiels, que le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et Mme la secrétaire d'Etat au budget, ont bien voulu lui faire parvenir. Il a également bénéficié des réflexions en cours au sein de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE).

La méthode retenue a consisté, dans un premier temps, à établir un texte de réforme de l'ordonnance organique. Votre rapporteur a bénéficié de 11 contributions écrites analysant ce document de travail. Ce dernier a été réalisé d'abord par comparaison avec le droit en vigueur, puis également par comparaison avec la proposition n° 2540 de loi organique relative aux lois de finances, déposée le 11 juillet 2000 sur le bureau de l'Assemblée nationale par le rapporteur général du budget.

Le 11 juillet dernier, le Président de l'Assemblée nationale et le rapporteur général du budget, sont venus présenter la proposition de loi au Président du Sénat peu avant son dépôt.

Votre commission a pris la décision de s'inscrire dans la démarche proposée par le Président de l'Assemblée nationale et son rapporteur général. C'est pourquoi votre rapporteur n'a pas souhaité rendre un texte public, ni a fortiori , déposer une proposition de loi concurrente.

En revanche, votre commission a souhaité faire état de sa réflexion et de ses propres propositions, en vue de se préparer en amont à la discussion de la proposition n° 2540, qui est actuellement examinée par une commission spéciale présidée par le Président de l'Assemblée nationale 1 ( * ) .

C'est pourquoi, dans un second temps, votre rapporteur a élaboré le présent rapport d'information, qui est le résultat des travaux ainsi décrits.

Il tient, à ce titre, à remercier l'ensemble des personnalités qu'il a auditionnées ou consultées par écrit. Qu'elles soient conscientes d'avoir pris, et de pouvoir prendre encore, part à une des plus grandes démarches réformatrices de la Vème République.

INTRODUCTION

L'histoire des propositions de réforme de l'ordonnance organique relative aux lois de finances est aussi longue et abondante que stérile.

L'une des plus ambitieuses et des plus complètes avait été rédigée en 1980 par Laurent Fabius, à la suite de la censure par le Conseil constitutionnel de la loi de finances pour 1980 2 ( * ) . Elle avait essentiellement pour but d'affirmer davantage l'autorité du Parlement, les auteurs qualifiant l'ordonnance de " texte de conception technocratique et largement antiparlementaire ".

Sans doute, les rédacteurs du texte avaient-ils mal perçu que ce qu'ils considéraient comme un défaut grave du dispositif organique était en réalité considéré par l'exécutif comme une de ses principales qualités. La mise à l'écart du Parlement est en effet une des principales sources de la longévité d'un texte qui, il faut le concéder, a mis un terme aux dérives de la décision budgétaire sous la IV ème République.

D'ailleurs, élu un an plus tard, presque jour pour jour, Président de la République, l'un des plus éminents signataires de la proposition de loi, François Mitterrand, l'a bien vite oubliée. Vingt ans après le dépôt de ce texte, une seule réforme, très mineure et portant sur un point de procédure, a été votée en 1995, afin d'adapter l'ordonnance aux révisions constitutionnelles de cette année-là.

Mais depuis vingt ans, le monde et les finances publiques ont changé, et ces vingt années ont sans doute également changé la vision des signataires de la proposition de loi, entre-temps confrontés aux difficultés de la gestion gouvernementale.

Les finances publiques ont changé. Leur poids s'est considérablement accru, pour atteindre plus de la moitié de la richesse nationale, et la forte croissance de la dette publique a montré qu'il ne suffisait pas d'écarter le Parlement pour éviter une gestion déséquilibrée.

Les finances publiques sont devenues plus complexes. La montée en charge de la sécurité sociale et des collectivités locales fait du budget de l'Etat un élément certes important, mais qui n'est plus le seul dans le panorama des finances publiques ; le tout constitue un système où les éléments sont désormais en interrelation confuse ; les modalités d'intervention de l'Etat se sont affinées et ses démembrements ont encore réduit la pertinence du budget comme document censé retracer les enjeux financiers de l'intervention de l'Etat.

Le monde a changé et reste en mouvement.

La compétition internationale s'est accentuée à mesure que progressait la globalisation, et les finances publiques sont devenues un enjeu dans cette concurrence.

L'Europe s'est intégrée, et l'avènement de l'euro n'est pas seulement un événement monétaire majeur. C'est aussi un événement pour les finances publiques, dont témoigne le " pacte de stabilité et de croissance ".

La hausse des prélèvements obligatoires et la satisfaction très relative ressentie par les citoyens devant le fonctionnement des services publics attisent l'attente de justifications et de transparence.

L'Etat n'est donc plus perçu comme puisant son autorité de lui-même. Il doit rendre des comptes, et le sentiment prévaut qu'il ne le fait pas assez. La coexistence de ce sentiment avec la permanence figée de l'ordonnance organique de 1959 - notre constitution financière - conduit naturellement à s'interroger sur d'éventuelles interférences entre ces deux phénomènes.

Un consensus s'est progressivement forgé pour répondre par l'affirmative à cette interrogation.

Les témoignages recueillis par votre rapporteur vont le plus souvent en ce sens.

Les travaux de l'Assemblée nationale, ceux du groupe de travail sur l'efficacité de la dépense publique et le contrôle parlementaire (janvier 1999) et la proposition de loi organique de M. Didier Migaud (juillet 2000), confirment également ce consensus.

Les travaux de votre commission des finances, dans le cadre de son enquête sur l'élaboration et l'exécution des lois de finances, ont manifesté avec éclat que, sous son aspect budgétaire, le mode de fonctionnement traditionnel de l'Etat n'était plus accepté 3 ( * ) .

La réforme de la constitution financière de l'Etat aura lieu. Elle doit avoir deux objectifs.

Le premier est de moderniser la gestion publique, en faisant des lois de finances des outils efficaces de décision et de pilotage du budget de l'Etat ; bref, de réaffirmer toute la portée des lois de finances.

Le second est de rééquilibrer les pouvoirs en matière de finances publiques, dans le strict respect de l'initiative gouvernementale et de l'interdiction pour le Parlement de dégrader le solde du budget de l'Etat.

Ces deux objectifs sont complémentaires. L'un ne doit pas être privilégié par rapport à l'autre. Cette opinion partagée est sans doute la raison pour laquelle cette réforme va enfin voir le jour.

CHAPITRE PREMIER :

REDONNER SENS AUX LOIS DE FINANCES

Les lois de finances constituent l'acte solennel par lequel le Parlement arrête l'essentiel des prélèvements obligatoires et décide de leur allocation.

Le consentement à l'impôt par le Parlement, acte majeur en démocratie, devrait être pleinement éclairé. Il ne l'est pas suffisamment.

Les modes actuels de présentation des lois de finances altèrent, en effet, leur lisibilité. La finalité des crédits n'apparaît pas de façon satisfaisante. Les perspectives de long terme sont insuffisamment prises en compte. L'information fournie par l'exécutif est d'une médiocre qualité, souvent abstraite et juridique ; elle fait obstacle à la volonté d'apprécier les enjeux concrets.

La réforme de l'ordonnance organique doit s'attacher à remédier à ces graves lacunes tant elles provoquent un malaise réel.

Progresser vers une budgétisation par objectifs, mieux prendre en compte la dimension temporelle des finances publiques, rénover le système comptable, en faire le support des informations indispensables à une gestion éclairée des deniers publics, tels sont les quatre objectifs d'une réforme du contenu des lois de finances.

En bref, remédier à ce qu'on est tenté d'appeler l'anomie budgétaire devient une impérieuse et urgente nécessité.

I. METTRE EN PLACE UN BUDGET DE MISSIONS

Des tentatives de rénovation de la présentation budgétaire ont été déjà engagées en France, sans succès. Elles témoignaient d'une réelle insatisfaction face à un budget sans repères et sans finalités évidentes. Elles voulaient également tracer la voie d'une meilleure gestion publique.

Ces efforts doivent être repris. Le budget ne peut plus être l'addition de moyens, coupés des objectifs poursuivis par l'action publique et votés sans considération des résultats obtenus. L'avènement d'un budget de missions ne doit pas naturellement conduire à occulter toute appréciation des moyens . Mais le débat sur les moyens ne doit plus être détaché des finalités poursuivies et son enrichissement doit être aussi un objectif de la réforme.

A. UN BUDGET TROP CENTRÉ SUR LA DÉTERMINATION DES MOYENS SANS RÉELLE RELATION AVEC LES FINALITÉS ET LES PERFORMANCES DES ACTIONS PUBLIQUES

Les lois de finances manquent cruellement de mise en perspective . Si cette situation ne résulte pas seulement des dispositions de l'ordonnance organique, celle-ci l'a toutefois favorisée. En centrant exclusivement les lois de finances sur la définition et l'autorisation des moyens des ministères, elle a conduit à oublier que les moyens budgétaires doivent être justifiés par les finalités et les performances de l'action publique. Si les demandes des ministères dépensiers sont arbitrées par le ministre de l'économie et des finances en prenant en considération leurs besoins réels et leurs performances, il n'en apparaît hélas rien de vraiment substantiel au stade du projet de loi de finances lui-même.

Le Parlement et l'opinion publique sont donc appelés à apprécier les dépenses de l'Etat sans connaître avec un niveau de précision suffisant leur usage ni, " a fortiori ", leur utilité .

La présentation des crédits dans les projets de loi de finances et les documents budgétaires qui leur sont associés n'opèrent pas un rattachement satisfaisant de ces crédits aux objectifs poursuivis et, encore moins, aux résultats acquis.

Les initiatives prises en la matière dans les années 70 ont été abandonnées, et les documents budgétaires aujourd'hui produits, malgré quelques améliorations de présentation, sont loin de permettre une lecture dynamique du budget.

1. L'abandon significatif des " blancs " ou budgets de programme

Sous-produits de l'effort de rationalisation des choix budgétaires adaptée du " Planning programming budgeting system " et qui visaient à doter la France d'un budget d'objectifs et d'une gestion des moyens, à partir d'un contrôle des résultats, les " budgets de programme " dits " blancs budgétaires " ont été mis en oeuvre à partir de 1978. Une circulaire de la direction du budget leur assignait en 1979 trois objectifs :

• favoriser la prise de décision en établissant une corrélation entre le niveau des moyens et les objectifs poursuivis ;

• assurer un meilleur contrôle de l'efficacité de la dépense en prenant en compte les résultats obtenus ;

•  améliorer la gestion des services par l'affirmation de leurs responsabilités en matière de résultats et de coûts de leurs activités.

Plusieurs caractéristiques des budgets de programme doivent être mises en évidence.

Ces budgets de programme ne découlaient en rien d'une prescription de l'ordonnance organique. Résultant de directives de la direction du budget, ils n'ont jamais constitué davantage qu'un élément facultatif d'information du Parlement.

La diversité des objectifs poursuivis par leur élaboration doit, en outre, être soulignée. Il s'agissait, d'une part, d'éclairer la prise de décision budgétaire et, d'autre part, d'introduire une modernisation de la gestion publique, en réunissant les instruments permettant l'instauration de " centres de responsabilité ".

Si la volonté d'éclairer la prise de décision budgétaire grâce à ces budgets de programme était principalement destinée aux décisions prises par l'exécutif, cette mise en relation des moyens, des finalités et des performances des différentes actions publiques était aussi un préalable à une restauration du sens de l'autorisation parlementaire .

Parallèlement, cette rénovation de l'autorisation parlementaire appelait des conséquences pratiques sur les fonctions de l'administration, allant dans le sens de davantage de responsabilités.

La structure des budgets de programme

Les " blancs " comportaient trois parties :

- La première partie était consacrée à une présentation générale du ministère et à la nomenclature détaillée de la structure de programme, divisée en un nombre variable de domaines -de trois à dix- eux-mêmes subdivisés en un groupe de programmes -de trois à huit- ;

- La deuxième partie des blancs comportait différents tableaux récapitulatifs comparant les dotations affectées au titre de la loi de finances initiale et des deux années antérieures :

. par domaine et par groupe,

. par domaine et par nature de charges.

- Enfin, la troisième partie était consacrée à une présentation détaillée par domaine et par groupe de programmes.

Ces documents étaient sans doute perfectibles . Les tableaux récapitulant les dotations budgétaires portaient sur des séries chronologiques réduites à trois années et peu significatives. Les comparaisons pouvant être faites à partir de ces tableaux manquaient de pertinence ; les chiffres afférents aux années antérieures à celle de chaque budget de programme étaient ceux des budgets votés (autorisation) et non ceux des lois de règlement (dépenses effectives).

Cependant, ils comportaient des informations utiles telles qu'une description du groupe et des objectifs pour l'année, un tableau des coûts sur trois années, avec une distinction entre les sources de financement (Etat, autres financements dont fonds de concours) ainsi qu'un tableau comportant, sauf exception, des indicateurs de moyens (effectifs budgétaires...), parfois des indicateurs d'activité, et plus rarement des indicateurs de résultats pertinents.

Il est particulièrement regrettable que la présentation de ces documents ait été abandonnée ; subsiste seul, mais selon une périodicité variable, le budget de programme du ministère de l'économie et des finances.

En pratique toutefois, les " blancs " étaient rarement déposés au Parlement en même temps que le projet de loi de finances et tous les documents annexes, de sorte qu'ils ne contribuaient pas vraiment à la préparation de la loi de finances initiale car produits trop tard pour clarifier les débats parlementaires.

2. Les " bleus " ou la consécration de l'anomie budgétaire

a) Malgré leur réforme...

La présentation des crédits dans les " bleus budgétaires " constitue aujourd'hui l'essentiel de l'information brute donnée par le gouvernement sur le montant et la destination des crédits. Ces " bleus " ont, en outre, une vraie portée juridique : la répartition des crédits par chapitre lie le gouvernement dans l'exécution du budget, sous les réserves rappelées dans le chapitre 2 du présent rapport.

Afin de mieux faire apparaître les missions imparties aux ministères, la direction du budget a entrepris, en 1994, une réforme de ces annexes explicatives.

La modernisation des documents budgétaires s'est traduite par la suppression des actions figurant jusqu'ici dans les bleus, et leur remplacement par des regroupements plus globaux dénommés agrégats. A chacun de ceux-ci sont associés des indicateurs destinés à apporter des éléments d'appréciation et de comparaison sur leurs activités et leur bilan coût-efficacité.

Ainsi, après une récapitulation des crédits et leur présentation par chapitre et article, les " bleus " comportent une récapitulation des crédits par agrégat.

Leur nombre est variable, allant de trois à huit, pour les ministères dont les budgets sont les plus importants.

Chaque agrégat est accompagné d'un tableau faisant apparaître le montant des crédits, tant en autorisations de programme qu'en crédits de paiement, suivi de la liste des chapitres et articles dans lesquels sont répartis ces crédits.

Enfin, suivent deux paragraphes. Le premier, intitulé " contenu de l'agrégat ", comporte, d'une part, la liste des services dont les moyens sont regroupés dans l'agrégat et, d'autre part, les dépenses couvertes par les dotations affectées à ce même agrégat. Le second paragraphe concerne les indicateurs.

b) ...les " bleus " ne constituent en rien le support d'une budgétisation par objectifs...

La direction du budget prévoyait trois types d'indicateurs concernant respectivement les moyens (effectifs mis en oeuvre, équipements immobiliers, nombre de micro-ordinateurs, taux de déconcentration des crédits...), les activités (nombre d'actes effectués, d'activités opérationnelles...) et, enfin, les résultats (performances, objectifs atteints, qualité des services rendus...).

En pratique, les indicateurs de résultats sont généralement inexistants. L'absence d'objectifs chiffrés rendrait d'ailleurs leur exploitation peu probante.

En l'état actuel des choses, l'intérêt des agrégats est essentiellement d'ordre pédagogique. En revanche, pour un lecteur extérieur, les bleus n'apportent que des informations succinctes sur les projets des ministères et sur le rapport coût-efficacité de l'utilisation de leurs dotations budgétaires.

Les " bleus " ne peuvent nullement être assimilés à des rapports d'activité des ministères concernés.

Il convient par ailleurs de s'interroger sur le choix des agrégats dès lors qu'ils ne correspondent pas aux programmes inscrits dans les " blancs ".

c) ... et constituent le support d'une budgétisation de moyens.

Outre la répartition des crédits par chapitre, les bleus constituent le support juridique de la distinction entre services votés et mesures nouvelles.

Formant 93 % de l'ensemble des dépenses du budget général, les services votés constituent le minimum de moyens que le gouvernement juge nécessaire à la poursuite des missions de l'Etat. Au-delà, ce sont les moyens supplémentaires, qu'il est demandé au Parlement de voter chaque année par ministère, et dénommés " mesures nouvelles ".

Aucune explication de la distinction entre les deux types de moyens n'est fournie dans les bleus, et elle reste mystérieuse. Où se trouve la lisière entre moyens indispensables et moyens qui ne le sont pas ? Les bleus ne le disent pas.

En revanche, c'est bien sur des moyens nouveaux, sans considération des objectifs, ni débat sur les moyens indispensables, que le Parlement doit se prononcer chaque année.

3. Les " jaunes ", un effort méritoire mais insuffisant pour combler les lacunes de l'information budgétaire

Les besoins exprimés par le Parlement en matière d'information sur les finalités de l'action publique ont donné lieu à l'édiction d'obligations successives de produire et d'annexer aux projets de loi de finances des documents supplémentaires dénommés " jaunes ".

Le fondement juridique des " jaunes " est double. Il se trouve à titre principal dans l'alinéa 2 de l'article premier de l'ordonnance et, à titre secondaire, dans le dernier alinéa de son article 32. Leur origine réside clairement dans le mécontentement manifesté par le Parlement face à l'information insuffisante donnée par les " bleus ".

A l'expérience, les " jaunes " ne satisfont pas pleinement les besoins d'information qui ont justifié leur création. Pour autant, ils ne sont pas dépourvus de mérites, même s'ils peuvent être améliorés.

a) Les objectifs poursuivis par les " jaunes " témoignent d'une insatisfaction face aux documents budgétaires...

L'un des objectifs des " jaunes " consiste à identifier l'ensemble des moyens consacrés à une politique publique donnée. Il s'agit de dépasser les cloisonnements ministériels résultant de la présentation des " bleus ", mais aussi de faire apparaître les crédits consacrés à un objectif particulier.

Les données retracées dans les " bleus " sont relatives aux crédits de l'année à venir comme à ceux relatifs au budget de l'année en cours. Les " jaunes " visent, pour plusieurs d'entre eux, à élargir ce cadre temporel afin de situer le financement des politiques dans une perspective plus longue, en tenant compte des événements pouvant survenir après les lois de finances initiales. Ils peuvent ainsi avoir vocation à rendre compte des modifications intervenues dans le cadre des lois de finances rectificatives ou de la consommation effective des crédits.

Parmi les 23 " jaunes " annexés au projet de loi de finances pour 1997, on peut distinguer ceux comportant de simples états récapitulatifs de ceux consistant en des rapports ; ils contiennent des commentaires et des données quantitatives de nature non budgétaire " éclairant " les données budgétaires qu'ils compilent.

b) ... mais ne sont pas atteints en pratique

L'intérêt des " jaunes " est donc réel. Mais leur capacité à satisfaire les besoins qui ont justifié leur instauration est encore limitée.

Leur principale faiblesse résulte de leur caractère quelque peu adventice. Issus le plus souvent d'initiatives parlementaires, leur instauration répond à une logique du coup par coup. Comblant un " vide " ponctuel ressenti à un instant donné, ils ne peuvent, en l'état, être considérés comme apportant toute l'information faisant défaut dans le champ des finances publiques .

Dans une réponse du 20 juin 1997, à une question de votre commission, la Cour des comptes les qualifie " d'ensemble peu homogène ". Ils concernent, en effet, les sujets les plus variés, ont une périodicité variable et se présentent sous différentes formes : rapports, états récapitulatifs et listes.

Dans la même réponse, la Cour des comptes a considéré, à juste titre, que informations comprises dans les " jaunes " sont " d'inégale qualité ".

Leur contenu informatif est en effet assez variable. Mais ils partagent tous, comme d'ailleurs les " bleus ", la même lacune, celle d'être presque exclusivement axés sur la description des moyens, et d'être dénués d'indicateurs d'objectifs et de résultats .

A titre d'exemple, les informations suivantes, portant sur les moyens, ne sont pas systématiquement recensées :

la proportion des crédits en provenance de chaque ministère par rapport à l'effort total consacré à l'objet du " jaune ", 4 ( * )

le détail des chapitres concernés par la contribution de chaque ministère à l'objet du jaune, afin de mesurer la pertinence des crédits affichés,

la précision que les crédits recensés concernent exclusivement ou non l'objet du " jaune ",

la prise en compte de la dépense fiscale.

Dans certains cas, les crédits recensés par les " jaunes " apparaissent manquer d'exhaustivité.

Il s'agit d'abord des fonds de concours, dont l'évaluation est très variable selon les documents. Il s'agit aussi de la prise en compte des interventions des organismes tiers. Bien que ne réalisant pas directement la mobilisation de crédits de l'Etat, elles mériteraient néanmoins d'être recensées lorsqu'elles viennent à l'appui des interventions de l'Etat et qu'elles sont financées par prélèvements obligatoires.

Enfin, si l'accroissement bienvenu des commentaires n'est pas parvenu à compenser les déficiences de la présentation des crédits, il n'a pas davantage permis une présentation systématique reliant les crédits aux objectifs et aux résultats.

B. POUR UNE BUDGÉTISATION PAR OBJECTIFS

Il apparaît aujourd'hui souhaitable de modifier en profondeur notre système budgétaire en l'orientant vers une budgétisation par objectifs.

Sans sous-estimer les exigences d'une telle réforme, celle-ci doit viser deux buts prioritaires, une rénovation de la vie démocratique du pays et une amélioration des conditions de la gestion publique.

1. Malgré les difficultés, des efforts de budgétisation par objectifs sont engagés

A très juste titre, le rapport de la " mission comptabilité patrimoniale " présenté le 30 juin 1998 par le trésorier-payeur-général Jean-Jacques François 5 ( * ) recommandait la mise en place d'une nomenclature budgétaire par objectifs. Cet aspect doit être placé au coeur de la réforme de l'ordonnance de 1959. Les difficultés qui l'accompagnent ont été décrites par la " mission d'analyse comparative des systèmes de gestion de la performance et de leur articulation avec le budget de l'Etat " dont les conclusions ont été présentées dans un rapport de l'inspection générale des finances de février 2000. Le principal frein à une présentation du budget par objectifs réside dans l'état d'avancement très inégal de l'analyse des coûts par objectifs.

La présentation du problème dans le rapport de l'inspection générale
des finances 1

Une présentation du budget associant crédits budgétaires d'une part, et résultats escomptés ou atteints d'autre part, suppose la résolution de deux préalables techniques :

la mise en place d'une articulation effective entre la nomenclature budgétaire et la structure des objectifs assignés au gestionnaire de crédits ;

•  la ventilation des crédits budgétaires entre les objectifs de performance, à l'issue d'un processus de répartition analytique des coûts.

L'état d'avancement très inégal dans l'analyse des coûts par objectifs constitue dans la plupart des pays visités le principal frein à une présentation opérationnelle du budget de l'Etat par objectifs. (....)

En Suède et en Finlande, les éléments sur les coûts qui figurent dans les documents budgétaires des agences sont principalement issus d'une analyse en termes de coût standard par processus et de charge prévisionnelle d'activité. Il s'agit donc d'un enrichissement de la logique traditionnelle de présentation des moyens (inputs), qui ne peut s'assimiler à une présentation des crédits par objectifs, aujourd'hui absente. (....)

Ces limites dans l'utilisation de la comptabilité analytique à des fins de présentation des crédits par objectifs se retrouvent dans des pays où l'organisation administrative est moins morcelée. Ainsi, aux Pays-Bas, la présence d'indicateurs d'efficience à l'appui de 65 % des lignes budgétaires fournit déjà une information sur la productivité " physique " de l'administration ou, éventuellement, sur l'efficacité financière dans la gestion des interventions. (....)

De la même manière, le regroupement des chapitres et rubriques du budget opéré en Italie n'a pas atteint l'objectif initial qui consistait à créer des " unités prévisionnelles de base " par grandes fonctions 2 ... L'absence de développement d'indicateurs de résultats limite de toutes les façons singulièrement l'exercice à l'heure actuelle.

Les tentatives d'articulation entre les crédits et les objectifs dans les trois pays les plus orientés vers les mesures d'efficacité socio-économique (Etats-Unis, Canada, Royaume-Uni) se révèlent à ce stade assez théoriques et pauvres en résultats. Au Canada, l'insistance du Conseil du Trésor à une présentation des ressources en fonction des engagements de résultats bute sur l'incapacité actuelle des instruments comptables à mettre en face de chaque objectif des dépenses prévues ou engagées. (...) Il en est de même au Royaume-Uni, pays dans lequel l'affectation des ressources aux différents objectifs poursuivis par les ministères se réalise à un niveau élevé de la structure d'objectifs, et n'emprunte que rarement les voies d'une répartition analytique rigoureuse des crédits.

L'exemple des Etats-Unis, pays qui a cherché de la manière la plus ancienne à articuler les objectifs de performance avec les moyens budgétaires s'agissant du budget de l'Etat, est le plus éclairant quant aux limites de l'exercice...

1 Extraits du rapport de la Mission d'analyse comparative des systèmes de gestion de la performance et de leur articulation avec le budget de l'Etat. Inspection générale des finances. Février 2000.

2 Les 6000 chapitres et rubriques qui constituaient le budget en Italie ont été regroupés en 1100 unités prévisionnelles de base (UPB) qui constituent les unités de vote. Les UPB sont elles-mêmes regroupées et mises sous la responsabilité d'environ 200 centres administratifs et 168 centres de responsabilité et centres de coûts, dont la gestion est confiée à un dirigeant identifié.

Ce tableau assez sombre des résultats obtenus dans différents pays ne doit pas masquer l'essentiel : autour de la France se généralise un modèle de budgétisation par objectifs qui n'est pas celui de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 .

Il est indispensable que notre " constitution financière " prenne en compte ce mouvement, difficile mais réaliste.

Des nuances positives se dégagent cependant du tableau plutôt pessimiste dépeint par le rapport précité.

Les progrès en cours selon le rapport de l'inspection
générale des finances
1

En revanche, la plupart des départements ministériels utilisent les facultés octroyées par le GPRA 2 pour consolider, agréger ou désagréger leurs programmes de manière à faire apparaître une cohérence entre moyens et objectifs par fonctions, sous la forme de documents annexés au budget. Des progrès réels sont observés dans une proportion significative d'agences. (....)

Les difficultés à traiter le problème de l'articulation entre les moyens et les résultats sous l'angle de la présentation du budget ne conduisent cependant pas à infirmer toute validité de l'exercice. (...) La focalisation sur les résultats et la nécessité de justifier l'octroi de crédits budgétaires par la poursuite d'objectifs finaux entrent progressivement dans les moeurs dans des pays de culture administrative et politique aussi différents que le Royaume-Uni, la Suède, les Etats-Unis ou l'Italie.

Les initiatives conduites avec plus ou moins de succès en matière de présentation du budget par objectifs ont en particulier contribué à insérer la dépense publique dans une vision sectorielle globale. Ce processus a notamment conduit à affaiblir dans certains pays, lorsqu'elle avait cours, la pertinence de la distinction entre services votés et mesures nouvelles, si l'on reprend la terminologie française. (....)

Dans la plupart des pays visités où cette orientation a été mise en oeuvre, les problèmes techniques rencontrés dans l'articulation entre les moyens et les résultats ne conduisent pas à abandonner toute volonté d'évoluer vers des formes plus ou moins achevées de budgétisation en fonction des objectifs. Les Pays-Bas, la Suède, le Royaume-Uni, et l'Italie sont ainsi engagés dans un processus progressif d'évolution de leur nomenclature budgétaire en ce sens (....).

Les quatre pays concernés font de la présentation du budget de l'Etat par objectifs une déclinaison spécifique des réformes engagées en matière comptable. (....)

De la même manière, au Royaume-Uni, le projet " ressources accounting and budgeting " (RAB) consiste à étendre au niveau ministériel les pratiques de comptabilité analytique développées par les agences. La présentation du budget en fonction des buts et objectifs de performance définis dans les PSA 3 est envisagée comme un produit parallèle à la réforme comptable, qui vise à l'horizon 2002 à comptabiliser les dépenses et les ressources selon un mode analytique. (....)

Il en est de même aux Pays-Bas, pays dans lequel l'évolution de la présentation du budget fait l'objet de travaux concomitants aux réflexions sur le système comptable. L'évolution attendue de la structure du budget vers une mise en regard systématique des programmes conduits par les ministères avec les ressources financières et humaines qui leur sont affectés est l'occasion d'une liaison avec les finalités des politiques publiques. Elle est le second versant de la réforme comptable, qui poursuit les mêmes objectifs et vise notamment à structurer les rapports annuels des départements ministériels de la même façon que les documents budgétaires de la loi de finances.

1 Extraits.

2 Le " Government Performance and Results Act " est la loi américaine du 3 août 1993 qui a introduit la budgétisation par objectifs aux Etats-Unis.

3 " Public Service Agreements "

Les exemples étrangers ne sont pas les seuls. Ainsi, en France, plusieurs pratiques se sont développées en marge de l'ordonnance organique et parfois en marge de la présentation budgétaire, allant dans le sens d'une budgétisation par objectifs.

Votre commission des finances a été à l'origine de l'une d'entre elles. C'est à son initiative que la direction générale de l'aviation civile a dû parachever sa comptabilité analytique afin de justifier le niveau des redevances encaissées par le budget annexe de l'aviation civile en contrepartie des coûts de la mission de navigation aérienne 6 ( * ) . L'exercice consistait bien à mettre en relation les recettes, les coûts et les crédits destinés à une mission particulière de l'Etat.

De la même manière, le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie a mis en place un système de contrats d'objectifs et de moyens qui concerne d'ores et déjà deux de ses directions, la direction générale des impôts (DGI) et la direction des relations économiques extérieures (DREE).

Le contrat d'objectifs et de moyens
de la direction générale des impôts
1

Les projets de modernisation de la direction générale des impôts sont, à ce stade, formalisés dans le contrat d'objectifs et de moyens conclu entre la DGI et la direction du budget qui concerne la période 2000-2002.

Sur le plan des objectifs, il s'agit d'abord d'améliorer les performances de la DGI, ensuite d'en améliorer l'efficience.

Le volet " moyens " du contrat en découle ; il prévoit l'affectation des gains d'efficacité réalisés.

Le contrat ici examiné constitue, en soi, un facteur d'amélioration important de la gestion publique. Il répond au souhait d'une clarification des coûts et des résultats des missions du ministère. En ce sens, il est exemplaire.

A. Les objectifs en matière de performances

Les objectifs retenus consistent à améliorer les performances de la DGI au regard du dysfonctionnement du système déclaratif et sous l'angle de ses rapports avec les usagers.

Un objectif de respect spontané des obligations déclaratives est énoncé.

Il sera mesuré à travers les indicateurs suivants qui concernent l'assiette et le recouvrement de la TVA, principal impôt géré par la DGI. (....)

B. Les objectifs en matière d'efficience

L'amélioration de l'efficience de la DGI doit résulter en premier lieu de progrès de productivité physique.

Ceux-ci sont décrits ainsi que suit. (....)

Les gains d'efficacité bruts devraient atteindre 3.228 emplois sur la période 2000-2002.

Le contrat d'objectifs et de moyens prévoit les conditions d'utilisation de ces gains. Une partie d'entre eux seraient conservés à la DGI pour être réaffectés aux objectifs mentionnés plus haut et pour contribuer à l'amélioration des qualifications. Une autre partie serait représentative des gains d'efficacité nets qui, au total, porteraient sur 1.380 emplois en trois ans.

1 Extraits du rapport n° 89 sur le projet de loi de finances pour 2000 présenté par le rapporteur spécial des crédits des services financiers, M. Bernard Angels.

L'analyse du contrat d'objectifs et de moyens de la DGI est pleine d'enseignements : les objectifs poursuivis dans le cadre de sa mission sont indiqués ; les résultats acquis et attendus sont explicités à partir de données quantitatives et qualitatives précises ; la traduction budgétaire de ces éléments est clairement mentionnée.

2. La budgétisation par objectifs doit permettre d'apprécier les performances des actions publiques

La nomenclature budgétaire arrêtée par les lois de finances doit garantir la lisibilité des actions publiques.

Comme la proposition de loi organique déposée à l'Assemblée nationale, votre commission incline donc à considérer que la présentation des crédits par objectifs constituerait un réel progrès de transparence.

Dans la proposition de loi organique déposée à l'Assemblée nationale, cette ambition prend la forme d'une rénovation de la nomenclature budgétaire. En effet, les crédits seraient désormais affectés à des programmes . Ces programmes regrouperaient les crédits destinés à atteindre des objectifs cohérents .

Cette proposition novatrice pourrait permettre de mettre en concordance les moyens attribués à l'Etat et les différentes finalités qu'il poursuit. Le coût budgétaire de chaque grande mission serait désormais identifié. Ses variations dans le temps seraient appréhendées et, naturellement, des comparaisons s'établiraient entre les objectifs affichés, les résultats obtenus et les coûts supportés par la Nation.

Idéalement, la répartition des crédits entre les différents programmes devrait correspondre à une présentation du budget par mission. Il ne s'agit pas ici de consacrer la présentation budgétaire des " bleus " regroupant les crédits au sein d'agrégats. Il s'agit de préférer à ce compte-rendu organique des crédits, un compte-rendu fonctionnel.

Deux écueils doivent toutefois être évités : l'opacité introduite par une globalisation excessive des crédits ; l'éclatement des crédits servant un même objectif.

Cet éclatement, qui est aujourd'hui la règle, interdit d'identifier les moyens alloués à une action publique. Toute revue de performances en devient impossible. Comme la nomenclature actuelle ne permet pas de mettre en relation les responsables réels d'une action publique avec les moyens mis à leur disposition, elle interdit toute appréciation des coûts complets des missions ainsi que toute comparaison entre les objectifs, les résultats et les coûts.

Cette situation a été pleinement illustrée par les travaux censés préparer la réforme du ministère de l'économie et des finances 7 ( * ) . Une partie fondamentale de ces études visait à identifier les coûts réels des missions fiscales du ministère. Les résultats de ce travail préalable sont éclairants quant aux lacunes de notre cadre budgétaire. Ces résultats n'auraient pu être obtenus par l'addition des crédits présentés dans le cadre des agrégats du " bleu ". Il convient d'en tenir compte en instaurant une budgétisation par objectif.

3. La budgétisation par objectifs ne doit pas négliger le recensement exhaustif des moyens

a) Le niveau d'agrégation des crédits doit permettre un débat sur les moyens

Cette préoccupation n'exclut pas qu'au sein de chaque programme doive subsister une répartition des crédits permettant d'appréhender la nature des grandes catégories de dépenses de l'Etat.

Sur ce point, la proposition de loi organique élaborée par le rapporteur général de l'Assemblée nationale opère une globalisation particulièrement poussée des crédits. Les chapitres étant supprimés, cinq titres permettraient de les décliner : les dépenses de personnel, les dépenses de fonctionnement autres que celles de personnel, les dépenses de transfert, les dépenses d'investissement et les dotations aux pouvoirs publics. Votre commission considère que si la nomenclature budgétaire doit être bâtie sur le souci de simplifier la gestion publique, elle doit aussi, en fixant un cadre précis d'imputation des crédits, fournir un minimum d'informations pertinentes et offrir l'occasion d'amendements ciblés.

Ces exigences ne sont d'ailleurs pas contradictoires. La suppression des chapitres comme unités d'exécution des lois de finances apparaît comme une simplification utile. Elle n'empêche cependant pas que le gouvernement continue de fournir, à titre d'information, la répartition des crédits entre les chapitres qui subsisteront probablement comme référentiels de gestion.

La question du choix d'une nomenclature obéissant à une forte exigence de pertinence est essentielle. Il est clair que la " présentation " des crédits par programmes ne saurait empêcher le débat sur les moyens . Il n'est pas indifférent de connaître la répartition des " inputs " de chaque fonction étatique (dépenses de personnel, d'investissements...) et de disposer du détail des modalités de l'action publique (gestion directe, subventions, prêts...). Ces données doivent pouvoir être débattues et le Parlement doit être en mesure de rendre ses arbitrages. En bref, la budgétisation par objectifs n'a pas pour vocation à écarter du débat le choix des moyens mis en oeuvre.

Votre commission recommande donc que la réforme de la nomenclature budgétaire s'inspire de ces finalités, notamment en retenant une nomenclature raisonnablement diversifiée dans ses rubriques.

Cette diversification est d'autant plus nécessaire qu'elle répondrait aux attentes de votre commission.

Elle appelle à une plus grande exhaustivité des charges recensées par les lois de finances. Elle souhaite en particulier que soient inscrites dans le budget de l'Etat des opérations financières que, jusqu'à présent, il ne retrace pas (les dépenses de remboursement de la dette de l'Etat en particulier). Ce souci d'exhaustivité pourrait conduire à des confusions si la nomenclature budgétaire devait manquer de rubriques. C'est aussi pour conjurer ce risque qu'une nomenclature adaptée doit être imaginée.

b) Le regroupement des crédits par titre doit permettre de distinguer les dépenses ordinaires des dépenses patrimoniales.

Votre commission sollicite également une nomenclature permettant de distinguer clairement les dépenses ordinaires, récurrentes par nature , et les dépenses plus exceptionnelles que l'on peut regrouper, par commodité, sous le vocable de dépenses en capital.

En effet, si la nomenclature budgétaire doit favoriser la lisibilité des actions publiques, elle doit aussi permettre de vérifier la soutenabilité de la politique budgétaire.

Sur ce point, un important débat s'est ouvert au sein de votre commission. Un assez large consensus s'est dégagé pour que, à l'instar des règles applicables aux collectivités territoriales, les lois de finances comportent une présentation du budget permettant de distinguer deux catégories d'opérations, les dépenses de fonctionnement et les dépenses d'investissement.

De nombreux spécialistes du budget de l'Etat récusent la pertinence de la distinction entre ces deux types de dépenses. Il est vrai que, sur un plan strictement économique, certaines dépenses finançant des biens durables semblent peu productives et ne constituent pas ce " détour de production " qui, définissant les opérations d'investissement des agents économiques, permettrait à l'Etat de hausser le niveau de ses capacités de production. L'exemple des dépenses d'équipement militaire est souvent cité en ce sens. Il est exact qu'en revanche certaines dépenses récurrentes peuvent apparaître, quant à elles, satisfaire ce dernier critère. Pour certains, il en irait tout particulièrement ainsi des dépenses de fonctionnement du ministère de l'éducation nationale.

Cette approche paraît, à l'examen, assez vaine et pourrait être dangereuse. Elle conduirait en effet à justifier le financement de dépenses répétitives par l'emprunt au prétexte que la rentabilité de ces dépenses serait élevée. Ce raisonnement reviendrait, d'une part, à invoquer une donnée difficilement quantifiable, la rentabilité desdites dépenses, et, d'autre part, à éluder la question des contraintes financières dans lesquelles s'inscrit la gestion publique.

La distinction entre les dépenses de fonctionnement et d'investissement doit donc reposer sur des critères comptables simples plutôt que s'attacher à restituer une réalité économique plus intuitive qu'établie fermement. En toute hypothèse, elle appelle une redéfinition de la typologie des charges de l'Etat prenant mieux en compte la distinction entre les dépenses répétitives qu'il assume et les dépenses qui lui procurent un bien durable.

Faut-il aller plus loin et souhaiter que la loi organique pose une règle limitant le montant des emprunts aux dépenses d'investissement ?

Affecter des emprunts au financement de dépenses répétitives constitue en effet un appel à la répétition de ces emprunts au risque, finalement, d'enclencher un mécanisme d'inflation de la dette et d'éviction des dépenses de biens durables.

La " règle d'or "

La règle susmentionnée existe dans plusieurs pays où elle est appliquée à l'Etat. L'article 115 de la loi fondamentale en Allemagne, la " règle d'or " mise en oeuvre au Royaume-Uni, règle selon laquelle sur la durée d'un cycle économique, le gouvernement est tenu de limiter l'emprunt au montant des investissements, en sont deux exemples. En outre, sans être une règle formelle, le rapport entre l'emprunt et l'investissement est l'un des critères d'appréciation de la politique budgétaire dans le cadre de la surveillance multilatérale mise en place au sein de l'Union économique et monétaire.

L'article 104 C alinéa 3 du traité de Maastricht prévoit ainsi que la Commission européenne, en cas de non respect des critères de convergence, examine si le déficit public excède les dépenses publiques d'investissement. Le règlement n° 1466/97 du 7 juillet 1997 du Conseil européen relatif à la surveillance des politiques économiques et budgétaires exige également que les programmes de stabilité ou de convergence fournissent le montant des dépenses publiques d'investissement, parmi les informations demandées sur " les variables économiques importantes qui sont susceptibles d'influer sur la réalisation " de ces programmes 8 ( * ) .

Ainsi, l'introduction de la " règle d'or " dans la loi organique ne manquerait pas de justifications.

Il convient toutefois d'approfondir ce débat qui doit prendre en compte les critères de soutenabilité de la politique budgétaire et certains problèmes techniques.

Il faut, à ce propos, observer qu'en Allemagne, certains observateurs considèrent cette règle comme excessivement laxiste puisque susceptible de déboucher sur une progression du ratio dette/PIB.

Sans doute convient-il également de peser l'intérêt d'autres critères de soutenabilité tels le niveau du solde primaire ou l'évolution des soldes structurel et conjoncturel.

Enfin il faut tenir compte des contraintes techniques, comme la prise en compte des amortissements et des provisions sur biens durables, pour vérifier le respect de cette éventuelle règle nouvelle. En effet, autant l'extériorisation de ces données financières se conçoit aisément, autant le lien entre l'autorisation parlementaire et ces données pose de sérieuses difficultés.

II. MIEUX PRENDRE EN COMPTE LA DIMENSION TEMPORELLE DU BUDGET

Le principe d'annualité budgétaire qui s'applique sous la forme d'un vote annuel du budget constitue un fondement essentiel de la démocratie parlementaire. Il donne une forte substance au consentement du peuple à l'impôt, consacré par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 . Il vise à assurer le contrôle parlementaire sur l'action du gouvernement. D'emblée, le concept de pluriannualité apparaît comme fondé sur des bases fragiles. En votant des crédits pour les années à venir, le Parlement ne se lierait-il pas les mains, dès lors qu'il ne pourrait plus constater chaque année l'utilité de la dépense publique pour l'année à venir ? Si le Parlement, comme il se doit, peut défaire ce qu'il a fait, quelle peut être la portée de la pluriannualité ?

A ces questions, l'ordonnance a apporté ses réponses. Elle tient peu compte de la dimension pluriannuelle. Mais la pratique a accentué cette situation en limitant encore la gestion pluriannuelle des finances publiques. En témoigne également l'insuccès des initiatives prises pour la développer, cet insuccès n'étant d'ailleurs pas strictement hexagonal. Si ces constats conduisent votre commission des finances à maintenir l'annualité de la plupart des autorisations données par les lois de finances, elle ne cache pas l'intérêt d'affirmer une meilleure prise en compte du temps. Les gestionnaires peuvent avoir besoin de s'appuyer sur des perspectives excédant l'année. Les " décideurs " doivent pouvoir appréhender dans le temps l'environnement de leurs décisions et leurs effets. Actuellement, l'horizon des lois de finances est au plus, d'une année. Tout le monde sait cette perspective temporelle trop courte. Elle est devenue en effet synonyme de " myopie " budgétaire.

A. LA PRATIQUE BUDGÉTAIRE A BEAUCOUP RESTREINT LA PLURIANNUALITÉ

1. Si la pluriannualité est strictement encadrée dans l'ordonnance du 2 janvier 1959...

L'annualité est un principe essentiel de la comptabilité et du droit des finances publiques. L'ordonnance du 2 janvier 1959 rappelle donc que " la loi de finances de l'année prévoit et autorise, pour chaque année civile , l'ensemble des ressources et des charges de l'Etat " (article 2) et que " l'autorisation de percevoir les impôts est annuelle " (article 4).

En conséquence, les dispositions dérogatoires au principe d'annualité et introduisant des perspectives pluriannuelles sont peu nombreuses, même si elles sont réaffirmées à de nombreuses reprises, dès lors qu'elles s'écartent du droit commun et des principes fixés par elle.

La pluriannualité dans l'ordonnance : des dispositifs dérogatoires, limités aux engagements financiers et aux dépenses d'investissement

La pluriannualité a été introduite dans l'ordonnance organique, mais de manière restrictive. Le sixième alinéa de l'article premier indique que : " les plans approuvés par le Parlement, définissant des objectifs à long terme, ne peuvent donner lieu à des engagements de l'Etat que dans les limites déterminées par des autorisations de programme votées dans les conditions prévues par la présente ordonnance . Les autorisations de programme peuvent être groupées dans des lois dites " lois de programme ". ".

Les occasions de mise en oeuvre de la pluriannualité sont ensuite énoncées par le cinquième alinéa de l'article 2 sous la forme d'exceptions : " Seules les dispositions relatives à l'approbation de conventions financières, aux garanties accordées par l'Etat, à la gestion de la dette publique ainsi que de la dette viagère, aux autorisations d'engagement par anticipation ou aux autorisations de programme peuvent engager l'équilibre financier des années ultérieures . Les lois de programme ne peuvent permettre d'engager l'Etat que dans la limite des autorisations de programme contenues dans la loi de finances de l'année. ". En effet, l'article 17 rappelle le principe de droit commun selon lequel : " Sous réserve des dispositions concernant les autorisations de programme, les crédits ouverts au titre d'un budget ne créent aucun droit au titre du budget suivant ".

Le caractère pluriannuel des dispositions contenues dans les lois de finances se limite essentiellement à des dépenses spécifiques - les engagements internationaux de la France, la gestion de sa dette - et à certaines procédures - les autorisations de programme mentionnées à l'article premier -. Les autorisations de programme sont définies à l'article 12 comme " la limite supérieure des dépenses que les ministres sont autorisés à engager pour l'exécution des investissements prévus par la loi. "

Il faut également citer le second alinéa de l'article 11 qui mentionne des " dispositions spéciales prévoyant un engagement par anticipation sur les crédits de l'année suivante et (...) des exceptions au principe de l'annualité qui pourraient y être apportées par le décret prévu à l'article 16 ". Celui-ci vise essentiellement les conditions de clôture de l'exercice, soit la période complémentaire permettant de mettre en oeuvre les opérations de régularisation. Si l'existence d'une période complémentaire constitue une entorse formelle à la lettre du principe de l'annualité budgétaire, elle n'a pour autant pas de portée pluriannuelle. Elle n'est qu'un aménagement technique du principe d'annualité rendu nécessaire par les contraintes pratiques liées aux opérations de régularisation afin de permettre l'établissement définitif des comptes de l'Etat.

Enfin, les articles 31 et 32, qui définissent le contenu du projet de loi de finances ainsi que la liste des documents annexés, introduisent la notion d'échéancier et d'" échelonnement sur les années futures des paiements résultant des autorisations de programme ".

A l'époque de l'élaboration de l'ordonnance du 2 janvier 1959, le système des autorisations de programme se justifiait notamment par la nécessité de pouvoir engager des investissements en bénéficiant d'une garantie de disposer des ressources nécessaires à la réalisation des projets. Le cadre annuel s'avérait déjà mal adapté au financement des grands projets d'investissement de l'Etat.

Le système institué par l'ordonnance apparaît rationnel dans sa conception : les autorisations de programme, qui permettent d'engager les dépenses, sont valables " sans limitation de durée jusqu'à ce qu'il soit procédé à leur annulation " (article 12), alors que les crédits de paiement qui leur sont associés sont votés chaque année dans la loi de finances. Les autorisations de programme sont donc complétées annuellement par des crédits de paiement constituant le plafond des dépenses pouvant être mandatées, et qui, à ce titre, sont les seuls pris en compte pour le calcul de l'équilibre du budget. Ils peuvent couvrir des autorisations de programme votées les années précédentes ou la première tranche des autorisations de programme votées dans le budget de l'année. Les modalités de mise en oeuvre des dépenses d'investissement combinent donc un élément de pluriannualité - les autorisations de programme - avec un respect du principe du vote annuel des crédits par le Parlement . Si l'engagement peut être pluriannuel, le paiement reste solidement ancré dans les limites de l'exercice budgétaire.

2. ... son échec provient essentiellement d'une pratique restrictive...

Les dispositions pluriannuelles prévues par l'ordonnance de 1959 et relatives aux dépenses d'investissement n'ont pas été utilisées de manière efficace, ni de manière conforme à l'esprit de l'ordonnance organique.

L'absence de limitation de la durée de validité des autorisations de programme a entraîné l'existence d'autorisations de programme dites " dormantes " , c'est à dire non utilisées depuis plusieurs années, mais toujours valides juridiquement. Cette situation a été fréquemment dénoncée dans les rapports de la Cour des comptes. Désormais, ces autorisations de programme " dormantes " semblent faire régulièrement l'objet d'annulations dès lors que quatre années sans engagement des crédits correspondants se sont écoulées.

Les autorisations de programme ont également été détournées de leur logique initiale en étant régulées par les crédits de paiement . Elles ne sont pas utilisées souvent comme un instrument de programmation et d'engagement des dépenses sur plusieurs années. Elles ne fournissent alors qu'une information relative aux crédits de paiement nécessaires, dans les années ultérieures, pour le financement des dépenses d'investissement.

Malgré cette utilisation limitée et insuffisante des autorisations de programme, votre commission considère qu'elles demeurent un bon outil de programmation et de suivi des opérations d'investissement. Elle suggère donc de ne modifier ce système qu'à la marge, appelant, pour le reste, à une meilleure pratique, afin que se mette en place une véritable dimension pluriannuelle des finances publiques.

3. ... et s'est prolongé par l'insuccès des autres tentatives pour développer la dimension pluriannuelle des finances publiques

a) Les lois de programme et les contrats de plan

L'ordonnance organique de 1959 ne permet pas d'engager des dépenses pluriannuelles hors les autorisations de programme. Cependant, les gouvernements successifs ont créé ou utilisé plusieurs instruments afin d'introduire une programmation budgétaire de moyen terme et d'introduire une dimension pluriannuelle dans l'attribution des crédits.

Les lois de programme, prévues par l'article 34 de la Constitution, " déterminent les objectifs de l'action économique et sociale de l'Etat ". Elles contiennent des prévisions d'autorisations de programme pour plusieurs années. Les lois de programmation constituent une variante de cet instrument, en étendant les prévisions pluriannuelles aux crédits de paiement.

Force est de constater que la programmation des dépenses prévue par ces lois s'est généralement réduite à un simple effet d'affichage . Depuis 1960, en France, et à l'instar de nombreux autres pays, des lois de programmation militaire déterminent pour plusieurs années (en général, cinq ans) les dépenses d'équipement militaire. Or, le bilan de l'exécution de ces lois de programmation militaire dresse le constat de la faible portée de leurs dispositions. En particulier, au cours de la décennie écoulée, l'objectif de réduction du déficit budgétaire a provoqué chaque année de nombreuses annulations de crédits d'équipement du ministère de la défense. Dans un rapport 9 ( * ) , la Cour des comptes constate que " le montant des crédits effectivement disponibles pour le paiement des dépenses en capital n'a qu'un lointain rapport avec celui des crédits ouverts en loi de finances initiale, et, plus encore, avec celui des crédits annoncés lors de la présentation au Parlement ".

Caricaturant à peine, on peut dire que la pluriannualité est devenue une sorte d'outil de communication permettant au gouvernement de rechercher de simples effets d'annonce.

Les contrats de plan Etat-région sont un autre instrument utilisé par l'Etat afin de prendre en compte la dimension pluriannuelle de ses engagements financiers dans le cadre de financements croisés avec les collectivités territoriales. Si ces contrats sont généralement peu affectés par la régulation budgétaire, l'Etat n'est cependant pas lié par le montant et l'échéancier des crédits qu'il inscrit dans ces contrats. Il peut modifier en cours d'exécution les modalités de sa participation financière. Ainsi, il a décidé notamment de prolonger d'une année les contrats de plan prévus initialement pour la période 1994-1999. Une telle décision révèle une conscience faible de l'Etat quant à la portée de ses engagements.

Il est hautement souhaitable de clarifier une situation qui, actuellement, est confuse. Il ne saurait être reproché au gouvernement de manquer à un engagement dès lors que le manquement résulterait du refus du Parlement de voter les crédits nécessaires. En revanche, le Parlement ne saurait être tenu pour responsable de ne pas voter ces crédits dès lors que le gouvernement, qui connaît précisément les engagements de l'Etat, ne les lui propose pas. Il serait utile qu'un " jaune " déposé suffisamment tôt récapitule chaque année les différents crédits nécessaires à la couverture des engagements de l'Etat et explique, le cas échéant, pourquoi de tels crédits ne sont pas inscrits dans le projet de loi de finances.

b) La loi d'orientation quinquennale relative à la maîtrise des finances publiques

Pour la mise en oeuvre d'une stratégie budgétaire de moyen terme dans la perspective du respect des critères de convergence de Maastricht, une loi d'orientation quinquennale relative à la maîtrise des finances publiques a été votée le 24 janvier 1994 10 ( * ) . Cette loi fixait un échéancier volontariste pour le redressement des finances publiques, et s'accompagnait d'un rapport sur les orientations budgétaires de la France à moyen terme.

Cette loi disposait que chaque projet de budget devait être présenté avec " un rapport présentant une projection quinquennale du budget de l'Etat pour l'année du projet de loi de finances et les années suivantes ". Une telle loi quinquennale était une initiative intéressante. Elle est restée inappliquée.

Ce qu'une loi ordinaire peut faire une autre loi ordinaire peut le défaire. C'est pourquoi la prise en compte de la pluriannualité n'a d'avenir que si elle figure dans la loi organique.

B. PLUSIEURS FACTEURS MILITENT EN FAVEUR D'UNE MEILLEURE PRISE EN COMPTE DE LA DURÉE PAR LES DOCUMENTS BUDGÉTAIRES

1. La construction européenne impose l'élaboration d'un cadre pluriannuel pour la politique budgétaire

La convergence imposée aux pays de l'Union européenne pour la mise en oeuvre de la monnaie unique a conduit la France à se placer dans une perspective pluriannuelle d'assainissement de ses finances publiques. Auparavant, il convient de rappeler que la France était l'un des seuls pays de l'OCDE à ne pas disposer d'un outil public d'analyse de la dépense à moyen terme.

La procédure des " plans de convergence " mise en oeuvre en application du traité sur l'Union européenne, a été renforcée lors du Conseil européen d'Amsterdam du 17 juin 1997. Dans le cadre de la surveillance multilatérale des politiques budgétaires en phase III de l'Union économique et monétaire - c'est-à-dire pour les Etats ayant adopté l'euro -, ceux-ci doivent présenter des " programmes de stabilité pluriannuels " indiquant les prévisions de solde des administrations publiques 11 ( * ) pour l'année en cours et, au minimum, les trois années suivantes, ainsi que les mesures devant être mises en oeuvre pour atteindre une situation budgétaire excédentaire ou proche de l'équilibre.

L'Union économique et monétaire a donc été un facteur déterminant pour la mise en oeuvre d'une programmation en matière d'évolution des finances publiques.

La présentation des programmes de stabilité s'articule néanmoins difficilement avec le vote de la loi de finances par le Parlement. Comme l'a souligné M. Christophe Blanchard-Dignac, alors directeur du budget, lors de son audition par la commission des finances, " L'articulation avec le programme de stabilité connaît un problème de date, celui-ci ne correspond pas au calendrier parlementaire ".

Votre commission incline donc à approuver la rédaction de l'article 4 de la proposition de loi organique déposée par notre collègue député Didier Migaud, qui indique que " le gouvernement transmet aux commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat le programme de stabilité, ainsi que son actualisation annuelle. Le cas échéant, il transmet également à ces commissions, dès leur adoption par le Conseil de l'Union européenne, les recommandations adressées à la France sur le fondement des articles 99 et 104 du traité instituant la Communauté européenne ".

Votre commission considère cependant qu'à l'article 6 de la proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale, il n'est pas nécessairement opportun de rappeler que les projets de loi de finances sont préparés " au vu des orientations définies par le programme de stabilité ". Elle ne remet certes pas en cause la nécessité d'inscrire les projets de loi de finances dans une perspective pluriannuelle, mais elle considère que le calendrier budgétaire rend difficile le fait de se caler si étroitement sur les orientations définies par le programme de stabilité.

L'actualisation de ce programme a en effet lieu fin décembre, à un moment où les paramètres du projet de loi de finances de l'année suivante ne peuvent plus être modifiés. Faudrait-il donc se référer à l'ancien programme de stabilité, périmé au moment même du vote de la loi ?

Ce décalage dans le temps des deux exercices rend un renvoi trop ferme au " programme de stabilité " peu opportun.

Votre rapporteur rappelle toutefois que le Sénat avait cherché à résoudre cette difficulté par le vote d'une résolution du 23 avril 1998 12 ( * ) . Votée à une très forte majorité 13 ( * ) , cette résolution demandait notamment au gouvernement :

" - (...) de produire à l'appui du projet de loi de finances de l'année le programme de stabilité notifié par lui et, au moins une fois par an, une présentation des programmes des autres Etats membres. "

La concordance des calendriers doit donc être recherchée de manière à établir une loi de finances et un programme de stabilité cohérents entre eux, et non divergents comme c'est le cas aujourd'hui.

2. Les carences en matière de pluriannualité dégénèrent en " myopie budgétaire "

Les finances de l'Etat souffrent d'un déficit de mise en perspective temporelle. Or, à moyen-long terme, la situation des finances publiques sera affectée par l'accroissement considérable du nombre de retraités au cours de la prochaine décennie. Le coût des départs en retraite des fonctionnaires aura inévitablement des conséquences très lourdes sur le budget de l'Etat. Le vieillissement de la population conduira également à une croissance significative des charges du budget de l'Etat et des organismes de sécurité sociale. Cette situation parfaitement connue, maintes fois analysée, commande absolument d'avoir une vision claire des engagements déjà souscrits par l'Etat pour les années à venir. Si les intérêts de la dette sont versés annuellement, ils n'en constituent pas moins une charge pluriannuelle. Si les traitements et pensions sont versées annuellement, l'embauche d'un fonctionnaire se traduit par une charge appelée à perdurer sur une très longue période. La pluriannualité ne répond donc pas seulement à une obligation européenne, mais à une exigence naturelle pour prendre en compte des situations de fait qui ont par nature une dimension pluriannuelle.

Votre commission considère que la pluriannualité est largement insuffisante, pour ce qui relève de la programmation stratégique du budget de l'Etat, de l'évolution de ses grands postes de dépense, ainsi que de l'incidence à moyen terme des mesures, notamment fiscales, dont le vote est demandé au Parlement. La pluriannualité doit permettre une mise en perspective de la politique budgétaire de l'Etat, afin que le peuple, par l'intermédiaire de ses représentants, ait une connaissance précise des orientations budgétaires définies par l'exécutif.

3. Les propositions de votre commission : adopter un cadre budgétaire tenant compte de la durée

Votre commission ne souhaite pas généraliser les dispositions pluriannuelles remettant en cause le principe de l'autorisation annuelle de dépenser, en dehors des dépenses dont la nature même implique l'engagement de crédits sur plusieurs années.

Elle recommande donc de maintenir les dispositions contenues dans le dernier alinéa de l'article premier de l'ordonnance du 2 janvier 1959, disposant que les plans approuvés par le Parlement, définissant des objectifs à long terme, ne peuvent donner lieu à des engagements de l'Etat que dans les limites déterminées par des autorisations pluriannuelles.

En revanche, le maintien de l'annualité en terme d'autorisation doit s'accompagner d'une véritable vision à moyen terme des effets de cette autorisation.

a) Limiter les autorisations pluriannuelles aux seules dépenses qui en relèvent par nature

Votre commission propose, comme le rapporteur général du budget de la commission des finances de l'Assemblée nationale, de changer la dénomination " autorisations de programme " en " autorisations pluriannuelles ". Elle considère les autorisations pluriannuelles comme un outil de financement de bien ou de service devant être employé sans adjonction. S'appliquant aux dépenses en capital, elles devraient pouvoir également comprendre des dotations affectées aux dépenses de fonctionnement courant.

En revanche, contrairement à la proposition issue de l'Assemblée nationale, votre commission estime que les autorisations pluriannuelles ne doivent pas comporter de dépenses en personnel, qui doivent être maintenues dans la tradition de l'autorisation annuelle de la dépense. Ainsi, les autorisations pluriannuelles doivent être réservées aux seules dépenses qui se répartissent sur plusieurs années de par leur nature même, comme les investissements, ou encore certaines dépenses d'intervention ou de fonctionnement courant, tels les prestations de services ou les contrats de fourniture s'étendant sur plusieurs années. L'ouverture des autorisations pluriannuelles aux dépenses de personnel peut engendrer des effets très pervers. Or, votre commission considère que ce sont des outils spécifiques qui doivent permettre de gérer les dépenses de personnel dans une perspective pluriannuelle (sous la forme de " contrats d'objectifs et de moyens " et d'une mise en oeuvre effective de la gestion prévisionnelle des ressources humaines dans l'administration notamment).

Les autorisations pluriannuelles doivent être assorties d'un échéancier fixant le montant des crédits de paiement nécessaires pour couvrir les engagements qu'elles représentent pour l'exercice en cours et les exercices ultérieurs. L'article 39 de la proposition de loi organique déposée à l'Assemblée nationale prévoit que le vote par programme porte " à la fois sur les dotations affectées à ce programme et sur l'échéancier de crédits de paiement associé aux autorisations pluriannuelles dont est, le cas échéant, doté ce programme ". Votre commission considère que l'échéancier des crédits de paiement ne peut avoir qu'une valeur indicative. En effet, le vote de l'échéancier ne lui confère pas un statut clairement défini : il apparaît peu réaliste de penser que cet échéancier prend, à compter de son vote par le Parlement, une valeur définitive et impérative pour les années à venir. Ce que le Parlement a fait dans une loi de finances, il peut le défaire dans une loi de finances ultérieure. Dès lors, le vote de l'échéancier devient pratiquement sans conséquence : le gouvernement actualisera naturellement chaque année l'échéancier des crédits de paiement, le vote de l'échéancier actualisé étant appelé alors à confirmer ou annuler l'adoption du précédent.

En revanche, la consommation des crédits de paiement et l'engagement des autorisations pluriannuelles doivent faire l'objet d'une information précise , afin de renforcer le caractère de programmation de l'échéancier des crédits de paiement. Votre commission reprend donc à son compte la proposition du rapporteur général du budget de la commission des finances de l'Assemblée nationale en suggérant qu'une annexe explicative présente, pour chaque programme, l'échéancier des crédits de paiement associé aux autorisations pluriannuelles . Cette annexe devrait faire apparaître distinctement le dernier échéancier, les révisions intervenues (celles-ci ne pouvant dépasser les indexations sur les prix sauf disposition spéciale d'une loi de finances), et l'échéancier associé aux autorisations pluriannuelles nouvelles demandées dans le projet de loi de finances de l'année.

Votre commission soutient également l'idée de rendre caduque toute autorisation pluriannuelle non engagée dans un délai de trois ans, afin de réduire le volume des autorisations pluriannuelles dites " dormantes ".

b) La réforme comptable

L'Etat sera appelé à financer des engagements, et, en particulier, les pensions de retraite des fonctionnaires, qui ne figurent actuellement pas dans ses documents budgétaires et comptables. La réforme de sa comptabilité doit donc impérativement prendre en considération cette dimension , notamment en établissant un hors-bilan exhaustif et en introduisant les concepts d'amortissement et de provision , qui permettront d'informer le peuple et ses représentants sur les charges futures, éventuelles ou certaines, auxquelles l'Etat devra faire face.

Cette question se pose également pour les conséquences, à plus court terme, des mesures prévues par les lois de finances. Leur estimation au delà de l'exercice qu'elles couvrent n'est le plus souvent pas disponible. Cette carence restreint considérablement la visibilité des décideurs publics que sont notamment les parlementaires, à qui est ainsi imposée une véritable myopie budgétaire.

c) Le débat d'orientation budgétaire

L'évolution des finances publiques à moyen terme ne fait pas l'objet d'une projection satisfaisante et détaillée. La pratique du débat d'orientation budgétaire a constitué un réel progrès. Votre commission propose donc d'institutionnaliser cette pratique, dans les limites fixées par la Constitution, et d'étendre son champ à l'ensemble des finances publiques. Elle considère qu'il doit notamment indiquer les évolutions prévisibles et souhaitées par le gouvernement de chacun des grands postes du budget de l'Etat, en recettes et en dépenses.

d) Le maintien des lois de programme

Votre commission ne partage pas l'avis du rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale lorsqu'il propose de ne pas conserver , dans ce même alinéa, la mention des lois de programme . En effet, votre commission considère que, dès lors que l'article 34 de la Constitution indique que " des lois de programme déterminent les objectifs de l'action économique et sociale de l'Etat ", il convient, par souci de cohérence, de définir ce que peut être le contenu de ces lois de programme. La solution retenue par l'Assemblée nationale vide en fait de son sens la notion de loi de programme, qui ressemblerait dès lors à une " coquille vide ".

Votre commission ne considère pas que l'apport des lois de programme à la dimension pluriannuelle des finances publiques ait été décisif. Cependant, elle remarque que la faible portée des lois de programme et des lois de programmation résulte surtout de la pratique qui en a été faite, et ne signifie pas nécessairement que ces outils sont inutiles, notamment s'agissant des crédits d'équipement militaire. C'est la raison pour laquelle votre commission propose de conserver la mention des lois de programme, qui peuvent grouper des autorisations pluriannuelles, afin de déterminer, selon les termes de la Constitution, les objectifs de l'action économique et sociale de l'Etat.

e) Réconcilier finances publiques et moyen terme
(1) Des projections économiques et budgétaires à moyen terme

Votre commission propose que le projet de loi de finances de l'année soit accompagné d'un rapport définissant l'équilibre économique et financier de la Nation, détaillant les résultats connus des lois de finances en cours d'exécution, les perspectives d'avenir et, en particulier, les différents choix du gouvernement en matière de finances publiques, en présentant de façon précise l'ensemble des hypothèses et des résultats des projections associées au projet de loi de finances de l'année. Elle suggère que ce rapport contienne également une projection des finances publiques couvrant l'année précédente, l'exercice en cours et les trois exercices suivants, réalisée selon les concepts de la comptabilité nationale utilisés pour décrire les opérations des administrations publiques, et assortie d'une projection des dépenses et des recettes de l'Etat sur la même période, selon les concepts de la comptabilité de caisse.

(2) Une présentation pluriannuelle des objectifs, des coûts et des résultats

En outre, votre commission propose que chaque ministère présente un plan pluriannuel d'objectifs, détaillant, pour chaque programme, les objectifs, les résultats obtenus et attendus et son coût, portant sur la dernière année d'exécution connue, l'année en cours et les trois années suivantes. Elle se distingue ainsi de la proposition de loi déposée par le rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale, qui ne propose pas que les plans d'objectifs fournis par les ministères portent sur une période postérieure à l'année d'exécution de la loi de finances .

On rappellera que, en Allemagne, un plan financier portant sur cinq ans et réactualisé chaque année présente l'évolution des dépenses de l'Etat, ventilées en une quarantaine de fonctions.

(3) Une évaluation à moyen terme des prélèvements obligatoires

Pour la même période de trois ans, il est également souhaitable que le gouvernement présente une liste par catégorie des prélèvements obligatoires, assortis de leur évaluation.

(4) De vraies études d'impact pluriannuelles

Les conséquences budgétaires à moyen terme des décisions publiques sont mal évaluées, en dépit d'études d'impact souvent lacunaires qui accompagnent désormais les textes soumis au Parlement par le gouvernement. Aux Etats-Unis, toutes les dispositions législatives et les amendements ayant des conséquences financières doivent être accompagnés d'une évaluation de leurs incidences financières pour les trois années suivantes. En particulier, l'exécutif doit fournir au Congrès les conséquences financières des mesures qu'il propose, ainsi que les hypothèses qui ont conduit à cette évaluation . Cette disposition évite que des mesures engageant des dépenses ou des recettes sur plusieurs années ne soient prises au vu de leur seul impact budgétaire sur l'année à venir, sans prendre en compte leur montée en charge.

L'impact des mesures budgétaires et fiscales proposées par le gouvernement devrait être considéré sur plusieurs années. Le rapporteur général du budget de la commission des finances de l'Assemblée nationale propose que chacune des dispositions du projet de loi de finances affectant les ressources et les charges de l'année fasse l'objet d'une évaluation chiffrée de son incidence au titre de l'exercice considéré et, le cas échéant, des exercices suivants. Il est indispensable en effet que les parlementaires disposent, à l'occasion de leur vote, d'une idée précise des conséquences financières d'une mesure. Votre commission considère que cette évaluation devrait, comme aux Etats-Unis, être motivée et accompagnée d'une explicitation des hypothèses retenues pour ce calcul, afin que les parlementaires puissent discuter de ce coût, et évaluer l'impact financier des amendements qu'ils proposent lors de la discussion budgétaire.

(5) Admettre une pluriannualité de gestion

Votre commission considère également que la pluriannualité peut être développée au sein de l'administration de manière souple et contractuelle : elle ne peut qu'encourager par exemple les contrats d'objectifs mis en oeuvre entre la direction du budget et les ministères " dépensiers ", permettant à ces derniers de bénéficier d'une visibilité sur plusieurs années concernant l'utilisation de leurs crédits. Si la loi organique ne peut consacrer ces pratiques, elle ne saurait les interdire, dès lors qu'elles sont motivées par un souci de bonne gestion publique et qu'elles ne se mettent pas en place au détriment de l'information du Parlement.

L'administration a également développé plusieurs outils permettant de développer la pluriannualité des dépenses au niveau déconcentré, même si celle-ci demeure fragmentaire et expérimentale.

Les " centres de responsabilité " mis en place à partir de 1989 et appliqués à l'ensemble des services déconcentrés à compter de 1995, ont ainsi introduit une certaine souplesse en matière de gestion des crédits. Les contrats de service, mis en oeuvre par une circulaire du 12 juillet 1996, comportent également quelques progrès en matière de pluriannualité budgétaire.

III. INSTAURER UN VRAI SYSTÈME COMPTABLE

L'ordonnance organique est au moins autant un texte comptable qu'un texte relatif aux lois de finances elles-mêmes. Cependant, si les règles qu'elle édicte sont assez détaillées en matière de comptabilité budgétaire, elle délègue à des textes de moindre valeur le soin de fixer les normes de comptabilité publique. Cette situation est peut-être à l'origine des retards pris en France pour élaborer un système financier satisfaisant, retards dénoncés par le rapport de M. Jean-Jacques François sur la comptabilité patrimoniale de l'Etat. C'est pourquoi, il importe que la réforme de l'ordonnance organique soit l'occasion d'apporter sur ce sujet les précisions qui s'imposent.

A. LES RÈGLES DE COMPTABILITÉ BUDGÉTAIRE DE L'ORDONNANCE

1. L'ordonnance du 2 janvier 1959 pose des principes qui concernent principalement la comptabilité budgétaire

L'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances traite en réalité aussi bien des lois de finances que des comptes de l'Etat, et porte donc aussi bien sur les aspects comptables que budgétaires. Elle résout ainsi le problème du champ de la compétence du législateur organique. On sait que le législateur ordinaire n'a pas compétence pour intervenir dans le domaine de la comptabilité du fait de la rédaction de l'article 34 de la Constitution. Très normalement, les compétences limitées de la loi ordinaire n'étant pas une contrainte pour le législateur organique, l'ordonnance n'hésite pas à formuler de longs développements comptables.

La disposition essentielle relative à la comptabilité est contenue dans l'article 16, qui fixe le mode d'imputation des recettes et des dépenses et donne son fondement à la comptabilité de caisse en vigueur actuellement . Plusieurs autres articles concernent directement ou indirectement la comptabilité de l'Etat, notamment les articles 18 à 30 qui posent le principe de l'unité des comptes de l'Etat et précisent les nombreuses exceptions (budgets annexes, comptes d'affectation spéciale et autres comptes spécifiques) qui sont apportées à ce principe. Cependant, si ces derniers articles définissent la structure et le périmètre des comptes de l'Etat, et fixent les modalités d'affectation comptable des recettes et des dépenses, ils ne traitent qu'indirectement des pratiques comptables à proprement parler.

Le vote de la loi de règlement constitue l'acte démocratique par lequel le peuple, par ses représentants, approuve les comptes de l'Etat. L'article 35 note que le projet annuel de loi de règlement " constate le montant définitif des encaissements de recettes et des ordonnancements de dépenses se rapportant à une même année. (...) Il établit le compte de résultat de l'année ". L'article 36 indique qu'il est accompagné notamment " d'un rapport de la Cour des comptes et de la déclaration générale de conformité entre les comptes individuels des comptables et la comptabilité des ministres ". La comptabilité publique a pour objet principal de retracer de manière systématique les opérations réalisées au moyen de fonds publics, en vue de vérifier leur conformité aux autorisations données par le Parlement . La loi de règlement permet donc à ce dernier d'approuver l'exécution par le gouvernement de l'autorisation délivrée par lui dans le cadre du vote de la loi de finances initiale, et, le cas échéant, des lois de finances rectificatives.

Enfin, l'article 45 de l'ordonnance relatif aux décrets d'application indique que des décrets en Conseil d'Etat pris sur le rapport du ministre des finances " contiendront notamment toutes dispositions de nature à assurer la bonne gestion des finances publiques relatives à la comptabilité publique. Ils régleront la présentation comptable du budget général, des budgets annexes et des comptes spéciaux, et notamment la nomenclature des dépenses ordinaires et en capital, des investissements et des prêts, et le plan comptable de l'Etat. "

Les principaux articles relatifs à la comptabilité de l'Etat (articles 16 et 45) renvoient à des décrets d'application. Plus généralement il est renvoyé à des décrets à de nombreuses autres reprises. Cependant, ces renvois concernent seulement l' application des dispositions contenues dans la loi organique. Il s'agit donc du pouvoir réglementaire détenu par le gouvernement pour les besoins de l'exécution budgétaire, et non pas de compléments apportés au texte de l'ordonnance, à la différence de ce qui est prévu pour la comptabilité. Les décrets prévus aux articles 16 et 45 sont en effet les seuls décrets qui sont appelés à préciser les dispositions édictées par la loi organique .

En conséquence, si les aspects comptables constituent une part importante du texte proprement dit de l'ordonnance organique de 1959, ils n'y ont cependant pas fait l'objet de tous les développements souhaitables. La plupart des normes régissant la comptabilité publique relèvent ainsi du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général de la comptabilité publique, révisé à plusieurs reprises.

2. La logique de la comptabilité de caisse

L'article 16 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 fixe le mode d'imputation des recettes et des dépenses et donne son fondement à la comptabilité de caisse.

Dans ce système, les dépenses et les recettes sont rattachées à l'exercice budgétaire au cours de laquelle elles ont été effectivement payées ou encaissées, quelle que soit la loi de finances qui en a autorisé l'exécution. Dès lors, aucune opération ne peut être imputée à un exercice lorsque celui-ci est échu. Ce système permet donc d'arrêter les écritures comptables peu après la fin de l'année et fait apparaître clairement les flux monétaires. Il présente cependant le défaut de conduire à des imputations erronées et peut inciter les ordonnateurs à différer le règlement de certaines dépenses, de façon à dissimuler ou à réduire artificiellement le déficit de l'année considérée.

En dépit de ses défauts, et, en particulier, de la liberté trop grande accordée au gouvernement par la période complémentaire quant à l'imputation des crédits, la comptabilité de caisse présente l'intérêt de permettre un suivi précis de l'autorisation budgétaire et du déroulement de son exécution. Elle a donc pour objet certes limité mais essentiel, de suivre les autorisations budgétaires données par le Parlement. Elle permet également à la situation budgétaire de refléter correctement la trésorerie de l'Etat pour l'exercice.

B. LES ENTORSES COMPTABLES AU PRINCIPE DE L'ANNUALITE DE CAISSE

1. La période complémentaire, une entorse mineure au principe de l'annualité dont les conséquences sont importantes

L'article 16 de l'ordonnance organique de 1959 adopte le principe de la comptabilité de caisse, mais prévoit, dans son quatrième alinéa, la possibilité d'instituer une période complémentaire (" Un décret en Conseil d'Etat pris sur le rapport du ministre des finances fixe les modalités d'application des principes qui précèdent et les conditions dans lesquelles les exceptions peuvent y être apportées, notamment en ce qui concerne les opérations de régularisation . "). Il contredit donc les règles de droit commun relatives à la spécialisation des exercices et spécialement, les dates de comptabilisation des produits et des charges.

Cette fiction juridique, motivée par des considérations pratiques, permet d'imputer à une année donnée des opérations réellement achevées au début de l'année suivante.

La Cour des comptes émet régulièrement, à l'occasion de ses rapports sur l'exécution des lois de finances, des critiques sur les opérations financières menées par l'Etat durant la période complémentaire.

Le rapport de votre commission intitulé " En finir avec le mensonge budgétaire - Enquête sur la transparence très relative des comptes de l'Etat " indique que " le pilotage politique de la fin d'exercice est avéré et accepté ". Lors de son audition par la commission, M. Jacques Bonnet, président honoraire de la première chambre de la Cour des comptes, a ainsi constaté que " même en respectant strictement les règles de la comptabilité publique, il est possible de faire varier les soldes dans des proportions pas tout à fait négligeables, et permettant dans les nuances de gris d'avoir celle à la mode lorsque l'on présente les comptes de l'Etat ".

Un rapport daté du 1 er juin 1999 et rédigé conjointement par la direction du budget et la direction générale de la comptabilité publique, consacré aux conditions d'une éventuelle suppression de la période complémentaire, indique que : " par sa durée et son contenu, la période complémentaire permet d'assurer un pilotage à la marge d'un objectif d'exécution budgétaire. Une fois les recettes fiscales connues, les opérations réciproques, certaines recettes du collectif et l'intervention du comptable dans le visa des ordonnances peuvent être utilisées pour approcher un objectif et lisser les résultats budgétaires, comme le ferait une entreprise via d'autres vecteurs comptables ". Dans une note commentant ce rapport, le directeur du budget et le directeur général de la comptabilité publique indiquent que, dans l'éventualité d'une suppression de la période complémentaire, " la marge de manoeuvre permettant d'infléchir le solde budgétaire tendanciel, dans le strict respect de la réglementation, [serait] fortement amoindrie " et que, " dès lors, le " pilotage " à la marge du solde [serait] rendu difficile ".

2. L'utilisation condamnable des comptes d'imputations provisoires

Lorsqu'à l'occasion de l'encaissement d'une recette ou du paiement d'une dépense, la nature de l'opération est mal identifiée, l'imputation de celle-ci se fait dans un premier temps sur un compte d'imputation provisoire, et dans un second temps, au moyen d'une imputation définitive effectuée par débit ou crédit du compte d'imputation provisoire.

La Cour des comptes souligne, dans son rapport sur l'exécution des lois de finances pour l'année 1999, que cette pratique altère l'exactitude du solde budgétaire et met en cause les principes comptables et les règles de comptabilisation des opérations budgétaires de l'Etat.

" Lorsque les deux étapes sont réalisées avant le 31 décembre, la recette (ou la dépense) (...) vient augmenter le total des recettes ou des dépenses budgétaires. Il n'en va pas de même si seule l'imputation provisoire a pu être réalisée avant le 31 décembre : dans ce cas, le compte d'imputation provisoire de recettes présente un solde créditeur (débiteur pour un compte d'imputation provisoire de dépenses). Deux situations peuvent alors se présenter :

- soit l'imputation définitive est réalisée au cours des opérations d'inventaire et de régularisation postérieures à la clôture (31 décembre de l'année n pour les recettes fiscales, 31 janvier de n+1 pour les recettes non fiscales) mais antérieures à l'arrêté des comptes (signature du compte général de l'administration des finances - CGAF - par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en avril n+1). Les recettes imputées provisoirement au 31 décembre sont alors intégrées dans les recettes budgétaires de n ;

- soit l'imputation définitive est réalisée pendant l'exercice n+1. Les recettes imputées provisoirement au 31 décembre n sont, dans ce cas, des recettes budgétaires de n+1. Le choix de l'une ou l'autre méthode a donc potentiellement des effets sur le montant des recettes de n et n+1 et sur le solde budgétaire de ces deux années. La conclusion est la même pour les dépenses imputées provisoirement.

A titre d'information, on peut rappeler que la comptabilité privée connaît également les comptes d'imputation provisoire (identifiés comme " comptes transitoires ou d'attente "), mais " ce procédé de comptabilisation ne sera utilisé qu'à titre exceptionnel " 14 ( * ) , et les comptes transitoires ou d'attente doivent nécessairement être soldés avant l'arrêté des comptes afin d'en garantir la sincérité.

Plus généralement, le fait de faire dépendre le résultat de l'exercice de la seule possibilité pratique de déterminer l'imputation exacte des produits et des charges, introduit un facteur de variabilité qui va à l'encontre du principe de permanence des méthodes comptables. (...)

(...) l'ensemble des recettes et dépenses budgétaires imputées provisoirement au 31 décembre de l'année n devraient être comptabilisées sur l'exercice n et les comptes d'imputation provisoires soldés entre le 31 décembre n et l'arrêté du CGAF de l'exercice n, en utilisant la faculté offerte par l'article 10 du décret du 14 mars 1986 15 ( * ) . Ce type d'enregistrement comptable est cohérent avec le principe d'une comptabilité " de caisse ", alors que le dispositif actuel conduit à faire de l'imputation définitive (et non de l'encaissement et du décaissement) le fait générateur de la comptabilisation. (...)

Si les comptes d'imputation provisoire de recettes budgétaires étaient systématiquement soldés :

- 25,8 milliards de recettes auraient été comptabilisées en 1998 et non en 1999 16 ( * ) ;

- 37,2 milliards de recettes auraient été comptabilisés en 1999 et non en 2000.

Les recettes budgétaires auraient été plus élevées de 11,4 milliards, et, mécaniquement le déficit budgétaire aurait baissé de 11,4 milliards. Ainsi, la variation du solde des comptes d'imputation provisoire détermine leur impact sur le solde budgétaire. (...)

En conclusion, la Cour considère que :

- le fait de ne pas solder les comptes d'imputation provisoire n'est pas conforme à l'article 16 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 tel que précisé par le décret du 14 mars 1986 modifié ;

- pour remédier aux inexactitudes affectant aussi bien les recettes que les dépenses de l'Etat du fait du jeu des comptes d'imputation provisoire, il est nécessaire que ces comptes soient soldés pendant la période d'inventaire, c'est-à-dire entre le 31 décembre et la signature du compte général de l'administration des finances par le ministre. "

C. LES COMPARAISONS INTERNATIONALES ÉTABLISSENT LA NATURE ET L'AMPLEUR DU RETARD PRIS PAR L'ETAT FRANÇAIS EN MATIÈRE DE COMPTABILITÉ PUBLIQUE

1. La comptabilité publique doit contribuer à la réforme de l'Etat

Le contexte international et les attentes de l'opinion publique ont considérablement évolué depuis l'époque de l'élaboration de l'ordonnance organique et, plus particulièrement, au cours de la décennie écoulée. Les besoins de pilotage se sont largement développés, et la modernisation de l'Etat rend indispensable une évolution de sa comptabilité. Or, dans ce domaine, la France, a pris un retard important sur les autres pays de l'OCDE. Les experts l'évaluent parfois à une dizaine d'années.

Ce retard et l'urgente nécessité de le combler sont largement établis par les comparaisons internationales et par la tendance à la normalisation des comptabilités, sous l'influence de l'Union européenne (SEC 95, Eurostat) et des organisations multilatérales (FMI).

La France a procédé, au cours des dernières années, à la réforme de la comptabilité des établissements publics et des collectivités locales (en 1997, l'instruction comptable M 14 a aligné la comptabilité des communes de plus de 3.500 habitants sur le Plan comptable général de 1982). La comptabilité de l'Etat apparaît désormais comme la plus " fruste " de toutes celles appliquées par les administrations publiques françaises . La réforme de l'Etat tant attendue implique donc que celui-ci sorte de " l'ornière comptable " dans laquelle il se trouve depuis près de 40 ans.

2. Les réformes engagées à l'étranger au cours de la dernière décennie montrent les voies d'une modernisation

Le rapport de la " Mission d'analyse comparative des systèmes de gestion de la performance et de leur articulation avec le budget de l'Etat " confiée à l'inspection générale des finances et remis au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en février 2000, permet d'établir des comparaisons internationales intéressantes pour évaluer les modalités de mise en oeuvre des réformes en matière de comptabilité publique.

Ce rapport indique notamment que " les réformes obtenues en matière comptable visent, dans l'ensemble des pays visités, à permettre une amélioration des conditions du management interne, dans le cadre d'une responsabilisation accrue des gestionnaires, et à accroître la transparence des comptes afin de faciliter le contrôle par l'audit et par les institutions ". Il note également que " l'ensemble des pays visités a cherché à améliorer leur information comptable et à modifier la présentation des comptes publics au cours de la dernière décennie. Les deux volets fondamentaux des évolutions qui sont intervenues ou qui sont en cours dans ces pays sont :

- l'implantation de systèmes de comptabilité analytique autorisant une meilleure connaissance des coûts par type de structures mais également par type de programmes et de fonctions assurées par l'administration ;

- l'enrichissement de l'information comptable par des éléments de nature bilantielle , c'est à dire l'utilisation de concepts voisins, voire analogues, à ceux de la comptabilité commerciale, et l'évolution de la comptabilité publique vers la comptabilité d'exercice.

Dans tous les cas, les réformes en matière comptable visent à améliorer l'information financière pour aider les ministères à s'acquitter de leurs nouvelles responsabilités en matière de résultats (dimension d'amélioration du management interne) et pour accroître la transparence et ainsi faciliter le contrôle par l'audit et le contrôle démocratique (dimension externe). "

Le rapport note que l'évolution des pays vers une comptabilité d'exercice a conduit, en général, à l'ouverture de quatre chantiers principaux et communs : l'enregistrement des opérations en droits constatés ; l'évaluation des immobilisations et des dettes ; la répartition fonctionnelle des recettes et des dépenses, qui permet de dégager un résultat ; l'établissement de tableaux de financement et de situations de trésorerie.

Il souligne enfin que, " malgré les difficultés rencontrées et les retards souvent importants de mise en place, la volonté d'évoluer vers la comptabilité d'exercice est une constante dans la majorité des pays visités ".

3. Les handicaps et les insuffisances du système financier et comptable français sont parfaitement identifiés

La " Mission comptabilité patrimoniale " a produit un rapport intitulé " Le système financier de l'Etat en question " 17 ( * ) . Les sujets traités dans le cadre de ce rapport débordent largement la question de la réforme de l'ordonnance du 2 janvier 1959. Cependant, il permet de déceler les atouts et les handicaps du système financier de l'Etat, et de proposer des pistes de réforme afin d'engager sa modernisation.

Le chef de la mission, M. Jean-Jacques François, souligne que le système financier français présente des atouts certains, en particulier la lisibilité de la comptabilité en encaissements-décaissements et l'unité de trésorerie, comptable et budgétaire.

Cependant, il relève également des faiblesses et des zones d'ombre de notre comptabilité, notamment l'occultation des coûts, des engagements, du patrimoine et des risques, ainsi que le cloisonnement et l'hyperréglementation qui caractérisent notre système, en particulier la segmentation des crédits et le dogme de l'annualité budgétaire.

Les points faibles de la comptabilité de l'Etat soulignés par le rapport François, sont l'absence de " reporting ", de consolidation, de mutualisation, de suivi patrimonial, de visibilité et de pilotage des actifs immobilisés. Il souligne également que les comptes rendus comptables internes et externes sont restés très administratifs.

Ce rapport décèle en revanche dans les autres pays une nette orientation vers la mise en place d'un vrai bilan, d'un compte de résultat, d'un tableau de flux et d'un " hors-bilan ", développé en particulier dans les pays anglo-saxons.

Une conclusion s'impose donc d'emblée quant à la comptabilité de l'Etat : celle-ci ne correspond plus aux besoins d'information financière exprimés par les parlementaires et l'opinion publique, et ne constitue pas davantage un outil efficace de gestion de la dépense publique . La comptabilité de l'Etat donne de sa situation financière une image tronquée, incomplète, et peu fidèle.

La comptabilité actuelle ne prend notamment pas en compte les créances et les dettes de l'Etat, sa situation patrimoniale, mais également les charges futures qu'il sera amené à assumer. Les lacunes les plus criantes de la comptabilité concernent notamment les sujets sensibles comme le financement des retraites ou le patrimoine immobilier et financier de l'Etat. 18 ( * )

Afin de fournir des comptes auditables, et une image fidèle de la situation financière de l'Etat, la comptabilité doit donc prendre en compte l'ensemble des charges et des ressources nées au cours d'un exercice, mais également produire des indications sur la situation patrimoniale de l'Etat et ses charges futures, éventuelles ou certaines.

La comptabilité publique apparaît donc considérablement sous-développée au regard de la comptabilité générale et des obligations qui en découlent pour les entreprises . En effet, la comptabilité de l'Etat, qui ne permet qu'un suivi des recettes et des dépenses, s'assimile à une comptabilité " d'épicier ". Dans ces circonstances, le vote du budget par le Parlement n'est pas suffisamment éclairé, puisque celui-ci ne dispose que d'éléments d'information fragmentaires sur l'enrichissement ou l'appauvrissement de l'Etat, ainsi que sur ses charges futures.

Le rapport de votre commission intitulé " En finir avec le mensonge budgétaire - Enquête sur la transparence très relative des comptes de l'Etat " évoque lui aussi " un cadre comptable inapproprié fournissant une information incomplète " :

" L'Etat, à la différence d'une entreprise privée mais aussi d'une collectivité territoriale, ne dispose pas d'une comptabilité qui lui permette de connaître sa réalité financière de façon précise, ce qui démontre un certain archaïsme.

La comptabilité de l'Etat, en effet, est une comptabilité de caisse, qui privilégie le suivi des opérations budgétaires, c'est-à-dire que seuls sont appréhendés les décaissements et les encaissements. Ce cadre comptable permet de connaître avec précision l'exécution de la dépense au niveau des chapitres budgétaires et fournit ainsi une information indispensable au Parlement. Toutefois, il rend très délicate la description du patrimoine de l'Etat.

En effet, faute d'une comptabilité en droits constatés, l'ensemble des opérations du trésor ne figure pas au budget de l'Etat, qui n'a ni compte de bilan, ni raisonnement en termes d'actif et de passif.

L'Etat ne dispose ni d'une comptabilité patrimoniale, ni d'une comptabilité d'engagement, ni d'une comptabilité analytique : ses prévisions ignorent ainsi, par exemple, les notions de provision et d'amortissement, ce qui a de graves conséquences. Lorsque des investissements sont réalisés, le fonctionnement n'est pas prévu. Le renouvellement n'est pas envisagé et l'amortissement n'est pas pris en compte.

Le chef du service de l'Inspection générale des finances, M. Thierry Bert, voit dans cette situation la source du " caractère impécunieux de l'Etat ", sur lequel il porte un jugement sévère : " un certain nombre de provisions qui sont des provisions dont l'absence dans un bilan bancaire entraînerait l'incarcération quasi-immédiate de l'ensemble des responsables, ne sont jamais passées. L'Etat, dit-on , est son propre assureur, sa propre garantie, il a l'éternité pour lui, etc. Moyennant quoi, aucun risque n'est pris en compte et aucune provision n'est jamais passée ".

Ce système reste donc opaque et ne favorise pas une diffusion d'informations adaptée à la prise de décisions : la comptabilité de l'Etat n'est pas encore une comptabilité " décisionnelle ". ".

(Source : rapport du Sénat n° 485 (1999-2000) de MM. Alain Lambert et Philippe Marini, " En finir avec le mensonge budgétaire - Enquête sur la transparence très relative des comptes de l'Etat ".)

4. Les vecteurs de réforme de la comptabilité de l'Etat

Le champ de la loi organique n'est pas limité par la Constitution à la définition des grands principes de la comptabilité de l'Etat, puisque l'article 34 dispose que " les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l'Etat dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique ". Il est donc légitime - voir supra II-B. - qu'une réforme de l'ordonnance organique vise à rénover cette comptabilité. Il convient néanmoins de souligner que, texte essentiel et, par conséquent, appelé à être pérenne, la loi organique n'a pas vocation à détailler l'ensemble du système comptable de l'Etat. Elle nécessitera donc, de toute évidence, elle aussi, des textes réglementaires d'application.

La réforme de la comptabilité de l'Etat ne saurait donc s'effectuer sans que la loi organique relative aux lois de finances en traite, même si elle ne saurait se limiter à ce seul vecteur.

Force est de constater que des évolutions significatives sont d'ores et déjà proposées et mises en oeuvre par le gouvernement, sous la pression des parlementaires et de l'opinion publique, afin de moderniser le système financier de l'Etat, en dehors de toute disposition normative. La réforme de la comptabilité de l'Etat doit donc s'inscrire et s'ancrer dans la loi organique, même si sa mise en oeuvre détaillée incombe pour l'essentiel et très directement aux services de l'Etat, et en particulier, au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie. L'impulsion donnée par le gouvernement en faveur de la réforme de l'Etat constituera donc un facteur déterminant de la modernisation de son système financier et comptable, dont il appartient à la loi organique de fixer les règles et les principes.

Ceux-ci s'inspirent de plusieurs objectifs : une meilleure gestion de l'argent public, une plus grande lisibilité, transparence et sincérité des comptes, une image fidèle de la situation financière de l'Etat, une possibilité de rendre les comptes auditables et une information fiable et disponible en temps utile sur lesdits comptes.

Votre commission se félicite de la modernisation de la comptabilité de l'Etat engagée par le gouvernement. Celle-ci met en oeuvre les réflexions engagées depuis plusieurs années, en particulier sous l'impulsion de M. Jean Arthuis, lorsqu'il était ministre de l'économie et des finances. La réforme de l'ordonnance organique relative aux lois de finances doit permettre de développer les travaux engagés, en les inscrivant dans un cadre cohérent permettant d'améliorer la qualité de l'information comptable nécessaire aux parlementaires pour éclairer leur vote.

Les enjeux de la poursuite du programme de travail
sur la modernisation de la comptabilité de l'Etat

1) - L'articulation budget-comptabilité

Une orientation de principe a été prise, consistant à conserver l'articulation de base entre la présentation et le suivi budgétaire, qui ne seraient modifiés que marginalement, et la présentation en comptabilité générale qui, en revanche, serait enrichie pour la rapprocher des règles et pratiques en vigueur pour les entreprises, et pour permettre à la France de se conformer à ses engagements dans le cadre du règlement européen SEC 95.

Cette orientation mérite d'être explicitée afin que les enjeux réels soient clairement perçus par toutes les parties concernées, en particulier le Parlement et l'ensemble des gestionnaires publics, des administrations centrales et des services déconcentrés.

2) - Le passage généralisé à une comptabilité en " droits constatés "

La définition et la mise en oeuvre de nouvelles règles de comptabilisation en " droits constatés " vont pouvoir s'opérer en mettant à profit la rénovation des systèmes d'information de comptabilité et de gestion des administrations de l'Etat, à l'occasion de la mise en place d'un progiciel intégré de gestion. Le projet interministériel ACCORD, dont la phase pilote débute en mars 2001 (ministère de l'intérieur) sera ensuite étendu à tous les ministères, à leurs services centraux durant les années 2002-2003, et ultérieurement aux services déconcentrés.

En matière de dépenses , deux préalables devront faire l'objet de décisions claires, après concertation avec les acteurs concernés.

Il s'agira en premier lieu de définir précisément le fait générateur provoquant l'enregistrement de la dépense en comptabilité. Les options à prendre se situent à plusieurs niveaux :

- comparé à la procédure actuelle, le fait générateur pourra être soit la livraison, soit la réception de la facture, soit le service fait, soit la liquidation ;

- un choix complémentaire devra être opéré entre l'enregistrement des nouveaux " droits constatés " en cours d'année, d'une part, et l'enregistrement dans le cadre d'inventaires de fin d'année, d'autre part.

Selon les options prises, l'organisation des services et les procédures comptables, y compris les relations entre l'ordonnateur et le comptable, devront, le cas échéant, être révisées et, sans doute, conduire à modifier les textes actuels.

Dans les organisations modernes, les nouveaux systèmes d'information comptable et financière ont tous introduit la saisie unique de l'information comptable de base : c'est donc le second préalable qu'il convient de régler. Une option claire en ce sens permettra à la fois d'améliorer la fiabilité des divers tableaux et présentations agrégeant les données comptables élémentaires. Elle permettra, d'autre part, des économies de moyens, en personnels notamment, tout en conduisant à l'enrichissement des tâches des agents.

En matière de recettes , l'innovation introduite dans le CGAF 19 ( * ) 1999, sous la forme d'un provisionnement, déterminé sur une base statistique, de la plus grande partie des créances fiscales, serait prolongée logiquement :

- par le provisionnement des autres créances de l'Etat, en particulier les créances recouvrées par l'administration des douanes et l'enregistrement,

- par le passage à des provisions individualisées, par " dossier " de contribuable ou de redevable. Une telle évolution, qui doit conserver toute leur rigueur aux procédures de recouvrement en matière d'impôts, ne sera véritablement utile que si elle est soutenue par une refonte des procédures de gestion des dossiers d'arriérés fiscaux, une meilleure coordination des actions des différents services de recouvrement et la réalisation accélérée des simplifications attendues par les citoyens.

3) - Une gestion publique plus performante

a) - Le patrimoine immobilier

La nouvelle présentation comptable des immobilisations corporelles constitue un incontestable progrès, mais elle appelle encore d'importantes améliorations.

Le Tableau général des propriétés de l'Etat doit constituer la référence commune entre le ministère des finances et les services centraux ou déconcentrés affectataires ou utilisateurs de constructions, installations, ouvrages ou équipements. Une gestion active du patrimoine de l'Etat doit être engagée, en en rendant responsables les niveaux administratifs les plus directement concernés.

Le suivi comptable des immobilisations doit permettre de fournir à chaque service les coûts standard des actifs immobiliers qu'il utilise, pour réussir une gestion économe, dans la durée, des moyens fournis.

b) - Les comptabilités de gestion des ministères et les " coûts complets "

Le projet interministériel ACCORD a été conçu pour permettre une détermination claire et opérationnelle des coûts des administrations, en fournissant un suivi de la totalité des coûts exposés dans l'année, à tous les niveaux utiles. Il permet en particulier d'intégrer facilement les coûts actuellement omis, sous forme de charges calculées : charges complètes de personnel, frais de locaux, charges financières.

Ces orientations ambitieuses, évoquées dans le programme de travail sur la modernisation de la comptabilité de l'Etat, ne pourront être mises en oeuvre efficacement qu'au moyen d'actions de longue durée. Pour garantir le succès d'un tel projet, la Cour estime qu'il doit être érigé en action prioritaire du Premier ministre et du Gouvernement, inscrite dans la durée.

Il conviendra en outre de prendre les dispositions suivantes :

- doter la direction générale de la comptabilité publique de l'organisation nécessaire pour mener à bien les travaux correspondants à ce vaste " chantier " ;

- préciser le rôle confié au " comité des normes " et y faire participer des représentants des principaux ministères concernés.

4) - La qualité de l'information financière sur l'Etat

Les commentaires et suggestions formulés ci-dessus sur les dotations et participations (compte 26) et sur le " hors-bilan " montrent que les progrès réalisés dans le cadre du CGAF doivent être prolongés et amplifiés. Il serait dangereux de cantonner les informations publiées, notamment quand elles sont étayées de chiffrages, à des périmètres dont le caractère arbitraire n'échappera pas aux observateurs.

En ce domaine, le Comité des normes dont l'une des fonctions importantes est d'établir la liaison entre les règles comptables du secteur public et celles du secteur privé et d'expliciter, si besoin, les différences, pourrait être investi d'une fonction de régulation pour déterminer le périmètre des informations à publier ainsi que le degré de finesse des chiffrages à fournir. Il lui appartiendrait de se déterminer en fonction des pratiques couramment observées dans les Etats de l'Union européenne ainsi qu'au plan international.

La Cour, tout en reconnaissant l'importance des innovations ainsi introduites, se réserve de mener ultérieurement un examen plus complet des dispositions déjà prises et de celles qui sont annoncées. Elle estime souhaitable que la démarche engagée s'inscrive dans un projet d'ensemble visant à doter l'Etat d'un système d'information comptable et financier rénové.

(Source : rapport de la Cour des comptes sur l'exécution des lois de finances pour l'année 1999)

Si votre commission reconnaît que la réforme de la comptabilité de l'Etat requiert une volonté politique forte du gouvernement, elle affirme avec la même force qu'il revient au législateur organique d'en fixer les règles essentielles.

D. L'INTRODUCTION DE CONCEPTS ISSUS DE LA COMPTABILITÉ PRIVÉE

1. Le rapprochement de la comptabilité publique et de la comptabilité privée

La comptabilité privée constitue un système d'information offrant des données chiffrées sur une entreprise, des informations portant sur son actif et son passif, le résultat d'une période, la formation des coûts et des prix. Elle s'est constamment modernisée pour devenir un vrai outil d'information, de gestion et de prévision.

Les objectifs de la comptabilité publique sont traditionnellement plus limités, puisqu'elle privilégie la régularité plutôt que l'appréciation de la performance. Elle fixe les règles de présentation des comptes publics (modalités d'enregistrement des opérations et de description du patrimoine, calcul du résultat, méthodes de contrôle et forme des documents) ainsi que les règles d'organisation et de fonctionnement des comptables publics ; enfin, elle définit les obligations et responsabilités des ordonnateurs et des comptables publics.

La comptabilité publique vise donc à assurer le respect des lois et des règlements, à veiller au respect des budgets, et à éviter les abus . Elle ignore, en revanche, le prix de revient ou le rendement des services, comme si le fait qu'ils soient financés par l'impôt ou par l'emprunt apaisait tout scrupule.

Malgré ces différences d'objectifs, s'opère cependant un rapprochement croissant des comptabilités publiques vers la comptabilité privée . La comptabilité publique doit désormais répondre aux mêmes exigences d'exhaustivité, et d'image fidèle de la situation financière de l'Etat. Elle doit en même temps offrir une aide à la gestion efficace de l'argent public, notamment en permettant une meilleure connaissance des coûts des différentes fonctions exercées au sein de l'administration. Il est urgent que la comptabilité publique évolue désormais dans le sens d'une modernisation de la gestion financière de l'Etat, afin de lui offrir une information plus complète lui permettant de prendre de meilleures décisions. Elle doit devenir une comptabilité décisionnelle .

La réforme comptable en Nouvelle-Zélande

L'expérience néo-zélandaise d'alignement de la comptabilité de l'Etat sur la comptabilité des entreprises est la plus poussée, même si d'autres pays, comme la Grande-Bretagne, l'Australie, l'Islande et les Pays-Bas ont mené des expériences voisines.

La Nouvelle-Zélande gère son budget comme une entreprise. L'approche patrimoniale est identique, puisque chaque ministère présente un bilan et un compte d'exploitation, et se voit assigner une obligation de dégager un excédent ou de limiter son déficit. Ces modalités de gestion rompent avec le principe d'unité de caisse de l'Etat, qui constitue pourtant un élément important de notre comptabilité publique. Les règles de la comptabilité analytique sont également en vigueur dans le secteur public.

Le coût d'utilisation du capital est facturé à chaque ministère à un taux de l'ordre de 10 %, et les crédits sont alloués par projet. Le raisonnement ne se fonde donc plus sur une logique de flux, mais sur une logique de stocks, avec une comptabilité patrimoniale complète, indiquant la valeur des biens possédés par l'Etat, le montant de ses dettes ou une évaluation, sous la forme de provisions, des risques qu'il court.

La privatisation des techniques comptables et de la gestion budgétaire aurait permis à la Nouvelle-Zélande de passer d'un déficit budgétaire de 9 % du PIB à un excédent de 1 % du PIB en dix ans, de 1984 à 1994. La dette publique est passée quant à elle de plus de 70 % du PIB en 1984 à 30 % du PIB, après une amputation des dépenses publiques de 10 points de PIB en cinq ans.

En 1997, l'instruction comptable M 14 a aligné la comptabilité des communes de plus de 3.500 habitants sur le plan comptable général de 1982. En particulier, l'instruction M 14 introduit les possibilités d'amortissement prévues par le plan comptable général, afin d'établir une image fidèle du patrimoine et du résultat des communes. Elle a écarté cependant les bâtiments et les infrastructures de l'obligation d'amortissement, compte tenu de l'importance du travail de recensement et d'évaluation que cela aurait impliqué, et des charges considérables qu'une telle mesure aurait créé pour les budgets communaux. La règle de prudence, exigeant des provisions, a également été introduite pour les garanties d'emprunts accordées par la commune à des tiers, et pour les dettes financières faisant l'objet d'un différé de remboursement. L'introduction de ces mesures souligne la tendance à l'assimilation par la comptabilité publique des concepts issus de la comptabilité privée. Enfin, les règles de rattachement des produits et des charges à un exercice ont été durcies : toute dépense communale doit être obligatoirement retracée dans les comptes dès l'existence juridique de son fait générateur, afin que soient strictement respectées les règles de l'annualité budgétaire et de l'indépendance des exercices.

Face à ces modernisations successives du système comptable des établissements publics et des collectivités territoriales, la prise de conscience de la nécessité d'une réforme de la comptabilité de l'Etat est devenue forte et générale. Ainsi, le rapport de présentation du compte général de l'administration des finances pour 1999 indique que " la mise en évidence, de plus en plus fréquente ces dernières années, de différences existant entre comptabilités commerciales et comptabilité de l'Etat a conduit le plus souvent à la formulation d'observations ou de critiques à l'encontre des spécificités, voire des insuffisances, du système public, notamment en matière de description du patrimoine et de suivi des coûts.

Même si le système comptable public continuera de poursuivre des objectifs partiellement différents d'un système privé, il est apparu nécessaire de rechercher leur harmonisation . La démarche entreprise en 1999 se place d'ailleurs dans le prolongement de réformes antérieures engagées en 1970 et en 1988 lorsque l'Etat avait déjà rapproché son dispositif du PCG applicable aux entreprises conformément à l'article 133 du Règlement Général qui prévoit que les comptes de l'Etat sont tenus selon un plan comptable qui " s'inspire du plan comptable général ". ".

Le rapporteur général du budget de la commission des finances de l'Assemblée nationale propose de préciser dans la loi organique que le plan comptable de l'Etat ne doit s'écarter que de manière exceptionnelle du plan comptable général . A l'article 43 de sa proposition de loi organique, il inscrit en effet que les décrets " définissent également le plan comptable de l'Etat, qui ne se distingue du plan comptable général qu'à raison des spécificités de l'action de l'Etat. Il doit respecter, dans les mêmes conditions et sous les mêmes réserves, les principes généraux définis par le plan comptable général ". Votre commission s'accorde avec l'esprit de cette disposition. Elle considère en effet que l'Etat ne doit pouvoir s'écarter du droit commun qu'en vertu de spécificités résultant exclusivement de sa nature même.

2. Pour une meilleure gestion de l'Etat : le suivi interne de l'exécution budgétaire et des coûts

La connaissance des dépenses et des coûts complets constitue un élément indispensable pour mesurer les performances d'un service ou d'un ministère et pour responsabiliser les acteurs et les gestionnaires publics.

La nomenclature budgétaire d'exécution doit permettre de répondre aux exigences de la comptabilité, mais également aux besoins de suivi de la gestion, en améliorant l'information relative à la nature de la dépense, à son objectif et à sa localisation. Des progrès doivent être réalisés afin de mieux identifier au sein des services, les responsables, les coûts et la performance de la dépense publique, et, ainsi, de mieux évaluer l'efficacité des différentes actions publiques. Il s'agit, en fait, à côté de cette nomenclature, de mettre en oeuvre une véritable comptabilité analytique dans l'administration.

Le développement des instruments de comptabilité analytique est en effet un aspect essentiel de la modernisation de la comptabilité de l'Etat, pour permettre la nécessaire amélioration de l'efficience des administrations, ainsi qu'un meilleur suivi de leurs coûts.

Votre commission considère que la mise en oeuvre d'une comptabilité analytique, au sein des ministères, ne relève pas du champ de la loi organique. Elle s'avère cependant le corollaire indispensable du développement d'indicateurs de coûts et de performances permettant d'améliorer les méthodes de gestion au sein des départements ministériels. La loi organique doit poser l'obligation de développer ces derniers indicateurs. En particulier, votre commission souhaite que le projet de loi de règlement soit accompagné de rapports de performance présentant, pour chaque mission mise en oeuvre dans le cadre des programmes, les objectifs poursuivis, les résultats atteints, mais également leurs coûts complets pour l'exercice concerné. L'analyse des coûts complets, réalisée sur la base de la comptabilité budgétaire et de la comptabilité financière de l'Etat, imposera aux administrations de se doter d'une comptabilité analytique performante.

E. ACCROÎTRE LA PERTINENCE DES INFORMATIONS COMPTABLES

Le système de comptabilité de caisse permet de suivre efficacement l'exécution des autorisations budgétaires données par le Parlement. Cependant, ce système ne donne pas une image globale des opérations financières de l'Etat.

1. La comptabilisation des dépenses et des recettes selon la méthode de l'exercice respecte le principe d'annualité...

La loi de finances ne portant que sur l'année, le gouvernement doit procéder à l'exécution des opérations de recettes et de dépenses entre le 1 er janvier et le 31 décembre. Or, ces opérations peuvent naître au cours d'une année et ne s'achever que l'année suivante.

La comptabilité d'exercice , en vigueur dans les entreprises, consiste à rattacher, à l'année d'exécution d'une loi de finances donnée, les droits constatés et les dépenses engagées, conformément aux autorisations données par cette loi, quelle que soit la date d'encaissement des recettes et de paiement des dépenses. Par conséquent, deux dépenses acquittées le même jour peuvent être rattachés à deux années budgétaires différentes. La comptabilité d'exercice permet une bonne appréciation de la situation financière de l'Etat, puisqu'elle met en évidence ses créances et ses dettes et facilite les comparaisons entre les prévisions et l'exécution du budget.

Dans une comptabilité d'exercice, le fait que les mouvements de crédits soient enregistrés au moment de la prise de décision oblige également les responsables politiques à assumer politiquement, et sans les différer, les conséquences de ces décisions.

2. ... elle pose cependant des difficultés techniques non négligeables

La comptabilité d'exercice implique la tenue simultanée d'écritures comptables correspondant à plusieurs exercices budgétaires, et retarde l'apurement des comptes, qui ne peut être effectué que lorsque les dernières opérations d'exécution de la loi de finances sont achevées.

La mise en oeuvre d'une comptabilité selon les principes de l'exercice soulève également des difficultés relatives d'une part, à la question posée par la comptabilisation des créances fiscales de l'Etat et, d'autre part, à la définition du fait générateur.

Les créances fiscales de l'Etat posent un problème particulier pour la comptabilité régie par les principes de l'exercice. En effet, elles ne sont pas recouvrées dans leur intégralité, ou peuvent être recouvrées plusieurs années après l'émission du rôle correspondant , à l'occasion de mesures de redressement fiscal notamment. Pour la comptabilité de caisse, le problème ne se pose pas, puisque les flux monétaires effectifs sont comptabilisés chaque année, indépendamment de la date de leur fait générateur.

En revanche, pour la comptabilité d'exercice, le problème est particulièrement délicat. Les systèmes de comptabilité nationale et européenne ont cherché à définir des règles cohérentes permettant de définir l'imputation des créances fiscales de l'Etat :

Le Système européen de comptabilité (SEC) indique que les impôts " sont enregistrés au moment où ont lieu les activités, les opérations ou les autres faits donnant naissance à la créance fiscale (...) Néanmoins, certaines activités économiques, opérations ou faits, qui, en vertu de la législation fiscale, imposent aux unités concernées d'acquitter l'impôt, échappent systématiquement à l'observation des autorités fiscales. Il ne serait pas réaliste de partir de l'hypothèse que ces activités, opérations ou faits engendrent des actifs ou des passifs financiers sous la forme de montants à payer ou à recevoir. Le système ne comptabilisera donc les montants dûs que s'ils sont matérialisés par un rôle, une déclaration ou tout document probant créant pour le contribuable une obligation incontestable de payer l'impôt. Les montants non matérialisés de la sorte ne seront jamais imputés par le système. ".

Le système de comptabilité nationale (SCN) indique pour sa part que " dans certains pays et pour certains impôts, il arrive que les montants d'impôts finalement payés s'écartent sensiblement et systématiquement des montants qui devaient être payés... Dans de tels cas... il peut être préférable d'ignorer les créances correspondant à des impôts impayés... Quoiqu'il en soit, les impôts effectivement payés doivent, encore une fois, être enregistrés sur la base des droits constatés et obligations au moment où ont lieu les événement qui donnent naissance aux créances ".

On constate donc que, si la date d'enregistrement des créances fiscales ne pose pas apparemment de problème (puisqu'elle correspond à la date de naissance de cette créance, matérialisée par l'émission d'un rôle), le montant à inscrire se révèle plus problématique, attendu l'incertitude relative au recouvrement.

Le bilan de l'Etat présente, dans le compte général de l'administration des finances, les créances fiscales correspondant aux prises en charge, même non recouvrées à la clôture de l'exercice. Une partie de ces montants ne sera cependant pas encaissée, du fait des dégrèvements ou remises parfois accordés, ou des événements rendant les créances irrécouvrables.

En conséquence, si les règles appliquées étaient celles de la comptabilité des entreprises, ce bilan pourrait être considéré comme présentant des créances fictives à son actif . La solution adoptée, dès 1999, consiste à créer une dotation aux provisions sur les créances fiscales dans les comptes de l'Etat.

Quant aux dépenses, le fait générateur entraînant l'enregistrement en comptabilité, doit être défini avec précision. Il peut en effet s'agir de la livraison, de la réception de la facture, du service fait ou de la liquidation.

Ces remarques visent à souligner les difficultés techniques engendrées par l'application des principes de l'exercice à la comptabilité de l'Etat.

3. La mise en oeuvre d'une comptabilité patrimoniale

La comptabilité publique actuelle demeure très liée au budget, et ne reflète pas la comptabilité patrimoniale. Lorsqu'il était ministre de l'économie et des finances, M. Jean Arthuis avait souhaité la mise en oeuvre d'une véritable comptabilité patrimoniale de l'Etat, permettant de connaître avec précision : ses créances et ses dettes d'exploitation ; ses immobilisations corporelles (parc immobilier notamment) ; ses participations dans des établissements et des entreprises (pour les entreprises cotées en bourse, les évaluations font désormais l'objet d'analyses dans les médias) ; ses engagements et risques à moyen terme (en particulier, le financement des retraites des fonctionnaires, mais également les sinistres financiers du secteur public, ou la fermeture des centrales nucléaires...).

Cependant, les difficultés de mise en oeuvre d'une comptabilité patrimoniale de l'Etat sont réelles. Ainsi, la technique du provisionnement est-elle applicable à l'Etat, dès lors qu'il peut déterminer chaque année le niveau de ses ressources et fixe lui-même une partie des risques auxquels il s'expose. La question se pose néanmoins de manière cruciale pour les retraites, dont les besoins de financement futurs sont aussi bien identifiés que non pris en compte.

Votre commission constate avec intérêt que le compte général de l'administration des finances (CGAF) pour 1999 marque des progrès importants vers la mise en oeuvre d'une comptabilité patrimoniale.

L'édiction dans la loi organique des obligations d'exhaustivité et de sincérité des comptes de l'Etat ainsi que la présentation annuelle d'un bilan présentant sa situation active et passive, et intégrant les notions d'amortissement et de provision, devraient conduire à prendre enfin en compte l'ensemble de la dimension patrimoniale de l'Etat.

F. CONJUGUER LA QUALITÉ DES INFORMATIONS COMPTABLES ET LE SUIVI DE L'AUTORISATION PARLEMENTAIRE

1. Le maintien d'une comptabilité de caisse...

Le rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale conserve le principe d'une comptabilité de caisse. L'article 20 de sa proposition de loi organique indique en effet que les recettes sont prises en compte au titre de l'exercice au cours duquel elles sont encaissées ; de même, les dépenses doivent être imputées sur les crédits de l'exercice considéré, quelle que soit la date de la créance. Votre commission s'accorde sur la nécessité de conserver une comptabilité de caisse, car elle permet un suivi précis des montants de recettes et de dépenses effectives et permet un suivi de l'autorisation budgétaire donnée par le Parlement. Elle propose à ce stade de conserver l'essentiel des dispositions proposées à l'Assemblée nationale, en précisant que les comptes du budget de l'Etat recensent, en prévision et en exécution, les opérations prévues par les lois de finances .

Le rapport de présentation du compte général de l'administration des finances indique parfaitement, à propos du projet de modernisation de la comptabilité de l'Etat, les raisons qui conduisent à conserver une comptabilité de caisse :

" La réforme ne modifie pas le lien budget/comptabilité, car l'Etat ne fait pas le choix de passer à une unification complète des deux processus budgétaires et comptables, à l'image des pratiques retenues dans le secteur local et dans celui des établissements publics. (...) Cette question qui relève fondamentalement de l'organisation des pouvoirs publics financiers suppose un débat public approfondi. La présente réforme ne conduira donc pas le Parlement à voter des crédits dits de " charges calculées ", ne donnant pas lieu à de véritables décaissements, pour réaliser des corrections de valeur, du type amortissement ou provision pour dépréciations (...) Il n'a pas paru souhaitable de transformer l'autorisation parlementaire en approbation de comptes prévisionnels , reposant sur des conventions comptables susceptibles d'évoluer au gré de justifications ou d'argumentations difficiles à contrôler. Le Parlement doit conserver un indicateur robuste et incontestable lui permettant de s'assurer de la bonne exécution de ses décisions par les administrations ".

2. ... doit s'accompagner d'un encadrement de la période complémentaire ...

Dans un courrier à l'attention du directeur général de l' International Federation of Accountants (IFAC), le directeur général de la comptabilité publique indique que " l'existence de la période complémentaire ne constitue pas une caractéristique comptable, mais plutôt un choix de gestion budgétaire. En effet, le rattachement d'un flux de trésorerie à un exercice par le biais de la période complémentaire ne peut être assimilé à une opération technique d'inventaire dans la mesure où elle ne résulte pas de l'application d'une norme comptable, mais d'une modalité de mise en oeuvre de l'autorisation parlementaire compte tenu de choix d'organisation administrative pour la gestion de la dépense publique ".

Votre commission ne souhaite pas nécessairement remettre en cause l'existence de la période complémentaire, mais elle considère que les opérations effectuées au cours de cette période devraient permettre une meilleure lisibilité.

Il ne s'agit pas de " diaboliser " la période complémentaire ou l'utilisation qui peut en être faite par le gouvernement. Cependant, il convient que celle-ci ne permette pas de détourner l'autorisation parlementaire en effectuant des opérations sans rapport avec les contraintes de régularisation de fin de gestion. La période complémentaire permet au gouvernement d'ajuster le résultat d'exécution afin d'approcher l'objectif de solde budgétaire qu'il s'est fixé. Il convient cependant que cet ajustement ne se fasse pas à l'ombre des regards et qu'il puisse être connu et apprécié par le peuple et par ses représentants.

Votre commission considère donc que si la période complémentaire devait être maintenue, l'Etat devrait désormais rendre compte précisément des opérations réalisées au cours de cette période. Ainsi, elle proposerait que les projets de loi de règlement soient accompagnés d'un rapport rendant compte, en recettes et en dépenses, de l'ensemble des opérations réalisées à partir du 1 er décembre et jusqu'à l'extinction de la période complémentaire.

3. ... et d'une comptabilité financière établie selon les principes de l'exercice et comportant un bilan évaluant l'actif et le passif de l'Etat

La proposition de loi organique déposée à l'Assemblée nationale institue, à côté de la comptabilité de caisse, une comptabilité générale de l'Etat, dans laquelle " les opérations de recettes et, sous réserve des dispositions relatives aux autorisations pluriannuelles, de dépenses, sont prises en compte au titre de l'exercice auquel elles se rattachent, indépendamment de leur date d'encaissement ou de paiement ". La comptabilité générale y serait donc régie par les principes de la comptabilité d'exercice indiqués plus haut.

Votre commission souhaite également la mise en oeuvre d'une comptabilité selon les principes de la comptabilité de l'exercice aux côtés de la comptabilité de caisse . Elle souhaite même aller au-delà, en demandant que cette comptabilité financière présente toutes les ressources et les charges de l'Etat, ainsi que son bilan, décrivant sa situation active et passive, en prévision comme en exécution. Ne serait-il pas en effet souhaitable que le bilan de l'Etat apparaisse dès le stade de la prévision dans les documents budgétaires ? Cette question mérite examen.

Le rapporteur général du budget de la commission des finances de l'Assemblée nationale propose que le projet de loi de règlement établisse le résultat budgétaire et le résultat comptable de l'exercice . Le résultat budgétaire découle de la comptabilité de caisse en vigueur actuellement, tandis que le résultat comptable résulte d'une comptabilisation en exercice, dénommée comptabilité générale par Didier Migaud, et comptabilité financière par votre commission. La loi de règlement autoriserait aussi le transfert du résultat budgétaire au compte permanent du Trésor, et le transfert du résultat comptable au bilan de l'Etat.

Votre commission souscrit à cette idée d'un double solde des comptes de l'Etat, calculés selon les deux principes comptables et l'étend, logiquement, à la loi de finances initiale.

*

* *

Votre commission considère que la réforme de la comptabilité de l'Etat doit permettre de conserver tous les atouts du système français tel qu'il existe actuellement, et de l'enrichir en accroissant la qualité et le volume des informations communiquées aux parlementaires, afin que ceux-ci puissent se prononcer en toute connaissance de cause lors de la discussion de la loi de règlement . Connaître avec précision l'évolution de la situation financière de l'Etat serait enfin possible. Ainsi chaque citoyen pourrait connaître exactement l'utilisation faite de l'argent public, et les perspectives des finances publiques à moyen terme.

Comme le rapporteur général du budget de la commission des finances de l'Assemblée nationale, votre commission affirme qu'à l'instar des entreprises, la comptabilité de l'Etat doit permettre, d'une part, de retracer l'ensemble des opérations budgétaires effectuées au cours d'un exercice, et d'autre part, de détailler l'évolution de sa situation financière et patrimoniale d'un exercice sur l'autre. La mise en oeuvre d'une double comptabilité constitue sans doute la réponse la mieux adaptée à ce double objectif.

En conséquence, elle souhaite instituer, à côté de la comptabilité de caisse en vigueur actuellement, une comptabilité financière présentant toutes les ressources et les charges de l'Etat, en prévision et en exécution, selon le principe d'une comptabilisation en engagements. Un bilan décrivant la situation active et passive de l'Etat devrait être également présenté .

La combinaison d'une comptabilité en encaissement et d'une comptabilité en engagements doit permettre d'offrir une information parfaitement claire sur l'état et les perspectives des finances de l'Etat.

IV. COMPLÉTER L'INFORMATION DE LA NATION ET DU PARLEMENT

L'information en matière de finances publiques doit être inscrite dans les devoirs de l'Etat parmi ses premières exigences. Elle est, en effet un devoir éminent qui vaut à l'égard de tout citoyen et de la représentation nationale. Il procède directement des articles 14 et 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 .

Cette exigence démocratique de transparence sera le meilleur gage de la nécessaire modernisation de la gestion publique. Elle doit s'incarner dans une information systématique, exhaustive et claire. Ce devoir d'information doit être érigé en principe d'application générale et s'exprimer, graduellement, en fonction des différentes échéances parlementaires relatives aux finances publiques. Il doit enfin, dans son contenu, procéder de l'esprit de la réforme de l'ordonnance organique consistant à rechercher l'amélioration des conditions d'appréciation des objectifs, des moyens et des résultats des différentes politiques publiques.

Ces considérations appellent à faire figurer dans le texte de la loi organique quelques exigences minimales d'information, qui ne limitent pas celles d'ores et déjà satisfaites, ni ne préjugent d'autres, ultérieures, que les lois de finances pourront toujours prescrire.

A. L'INFORMATION FOURNIE AVEC LES PROJETS DE LOI DE FINANCES DE L'EXERCICE DOIT ÊTRE ENRICHIE

S'agissant du projet de loi de finances de l'exercice, le rapport économique, social et financier serait conservé, en l'enrichissant d'une présentation détaillée des budgets économiques et, surtout, des hypothèses posées pour les construire.

En outre, pour assurer la lisibilité du budget, une présentation à structure constante serait obligatoire, ainsi qu'une projection des finances publiques à moyen terme, afin d'éclairer les perspectives ouvertes par les choix effectués en la matière. Cette projection concernerait naturellement l'ensemble des administrations publiques (Etat et organismes divers d'administration centrale, collectivités locales et sécurité sociale). Elle serait réalisée selon les concepts de la comptabilité nationale. Mais afin de disposer d'un éclairage à moyen terme du budget lui-même, elle serait assortie d'une projection du seul budget de l'Etat réalisée sur la base de la comptabilité budgétaire. Une réelle explicitation des hypothèses est évidemment une exigence minimale sans laquelle nulle appréciation n'est possible.

Plusieurs autres annexes explicatives devraient également être jointes au projet de loi de finances de l'année.

1. Deux annexes relatives aux ressources publiques

Deux annexes seraient consacrées aux ressources publiques.

La première devrait porter sur l'ensemble des prélèvements obligatoires et décrire, par catégorie, leur montant et leur affectation. Elle sera à la fois rétrospective et prospective.

La seconde annexe concernerait les recettes de l'Etat. Elle s'inspirerait étroitement de l'actuelle évaluation des voies et moyens.

2. Une mise en perspective des dépenses

Plusieurs annexes seraient consacrées à décrire le budget de l'Etat dans le souci de mise en perspective qui anime l'ambition de réforme de l'ordonnance. Des annexes devraient faire connaître les objectifs poursuivis par les ministères dans le cadre de chaque programme. Elles feraient le point sur les résultats obtenus et ceux attendus, ainsi que sur les coûts de chaque mission.

Une autre catégorie d'annexes porterait plus spécifiquement sur les crédits affectés à chaque programme. Elles comporteraient une présentation par titre et, de façon indicative, par chapitre. La répartition des crédits entre les différents titres de dépenses telle qu'elle apparaîtrait dans cette annexe, éventuellement modifiée par les votes du Parlement, aurait une portée juridique particulière puisqu'elle s'imposerait lorsque le gouvernement prendrait les décrets de répartition prévus par l'actuel article 43 de l'ordonnance.

Enfin, des annexes seraient consacrées à retracer l'utilisation des autorisations pluriannuelles ainsi que les opérations des comptes spéciaux du Trésor.

Compte tenu de sa particulière importance, la situation de l'emploi public devrait donner lieu à un document particulier. En la matière, l'information est souvent théorique. Elle ne permet pas de disposer d'une vision concrète des effectifs, de leur affectation fonctionnelle et géographique, des vacances d'emplois... Ces informations devront impérativement être fournies à l'avenir.

Grâce à l'information ainsi donnée aux citoyens et au Parlement, il devrait être enfin possible d'avoir une vision concrète et complète du poids des prélèvements et de l'affectation des crédits.

Cette information resituée dans un contexte pluriannuel permettrait d'établir les comparaisons avec le passé, d'apprécier les évolutions et d'éclairer l'avenir. A ce titre, il devra être prévu que les dispositions nouvelles des projets de loi de finances fassent l'objet d'une évaluation systématique de leurs incidences à moyen terme (voir supra II-B).

B. L'INFORMATION FOURNIE AVEC LES PROJETS DE LOI DE FINANCES RECTIFICATIVE DOIT ÊTRE PLUS COMPLÈTE

Les lois de finances rectificatives sont présentées " en partie ou en totalité " dans les mêmes formes que les lois de finances de l'exercice.

Ainsi, même si les exigences posées quant à l'information associée aux projets de loi de finances rectificative seraient moindres que pour les projets de loi de finances de l'exercice, il serait utile d'aller au-delà de celles existantes.

En outre, l'instauration d'un rapport faisant le point à mi-parcours sur l'évolution de l'économie et des finances publiques constituerait une nette amélioration de l'information de la nation et du Parlement.

Dans ce contexte, l'information associée aux projets de loi de finances rectificative serait centrée sur l'objet de ces lois. Elle comporterait en particulier un rapport présentant les données économiques et budgétaires justifiant le dépôt du projet de loi.

L'incidence à moyen terme de ses dispositions devrait, en outre, être évaluée, tout comme dans les lois de finances de l'exercice.

C. L'INFORMATION FOURNIE AVEC LES PROJETS DE LOI DE RÈGLEMENT DOIT MIEUX RENDRE COMPTE DE L'UTILISATION DES CRÉDITS OUVERTS PAR LES LOIS DE FINANCES

Les lois de règlement doivent réaccéder à une dignité qu'elles n'ont pas entièrement conservée aujourd'hui.

Les délais dans lesquels elles sont examinées en étaient la cause. Une amélioration sensible s'est produite avec le projet de loi de règlement pour 1999, déposé avant le projet de loi de finances pour 2001. Le désintérêt qu'elles suscitent résulte aussi et surtout des insuffisances de l'information dont elles sont assorties.

A cet égard, si le rapport remis par la Cour des Comptes sur l'exécution budgétaire se révèle un élément d'appréciation d'un grand intérêt, il est essentiel que l'information livrée par le gouvernement soit mise à niveau.

L'examen du projet de loi de règlement doit devenir le moment fort du bilan des actions financées par la contribution publique.

D. L'INSTAURATION D'UNE INFORMATION PLUS RÉGULIÈRE

Il entre naturellement dans les prérogatives des membres des commissions des finances du Parlement d'accéder, à leur demande, à l'information qu'ils souhaitent. Ces pouvoirs sont précisés dans les dispositions relatives au contrôle ( v.infra Chapitre II-V ). Ils doivent permettre, notamment, la communication des situations hebdomadaires d'exécution du budget de l'Etat dont il n'apparaît pas indispensable de mentionner explicitement la communication systématique, tant elle est évidente et incontestable 20 ( * ) .

Il est en revanche sans doute souhaitable de prévoir explicitement dans la loi deux communications nouvelles.

1. Un rapport associé au programme de stabilité

Les " programmes de stabilité " ainsi que leur actualisation seraient communiqués aux commissions compétentes du Parlement. Les hypothèses détaillées et les justifications de ces choix seraient également communiquées. Il en irait de même des observations éventuelles du Conseil européen formulées à l'endroit de la France dans le cadre du mécanisme de surveillance multilatérale.

2. Un rapport d'orientation budgétaire

L'heureuse pratique du débat d'orientation budgétaire serait consacrée en instaurant l'obligation de dépôt d'un rapport d'information au cours du dernier trimestre de la session ordinaire du Parlement.

Ce rapport devrait, à tout le moins, analyser l'évolution du contexte économique depuis les budgets économiques associés au projet de loi de finances de l'exercice, comporter une analyse de l'évolution des finances publiques et des perspectives d'exécution des lois de finances et de financement de la sécurité sociale, et détailler, en recettes et en dépenses, les prévisions budgétaires fondées sur les grandes orientations de la politique économique et des finances publiques.

Sur ce dernier point, l'information ne devra plus porter exclusivement sur les grands agrégats, mais rentrer dans le détail des perspectives budgétaires, compte tenu des informations disponibles.

E. LE PROBLÈME PARTICULIER DES MOYENS DE SIMULATION DU PARLEMENT

L'autonomie des moyens de simulation du Parlement est sans doute souhaitable, mais elle est limitée par le monopole gouvernemental des ressources statistiques.

Au cours de la présentation du présent rapport à votre commission des finances, le 18 octobre dernier, un débat intense s'est ouvert sur les moyens d'expertise technique dont dispose le Parlement en matière de finances publiques (voir infra - Examen en commission).

1. Des moyens autonomes

Plusieurs de nos collègues, se référant notamment à la situation des Etats-Unis 21 ( * ) , ont regretté l'absence de moyens de simulation propres au Parlement.

Le projet de réforme de l'ordonnance organique ne peut probablement pas doter le Parlement de tels moyens, mais il ne peut pas davantage rester indifférent à cette préoccupation.

Plusieurs des dispositifs déjà examinés, voués à améliorer l'information fournie au Parlement par le gouvernement, seraient de nature à y répondre partiellement. Il en va ainsi de toutes les obligations posées en matière d'exposé des résultats mais aussi, et surtout peut-être, de la délivrance des hypothèses relatives aux projections intéressant, globalement ou mesure par mesure, les finances publiques.

2. Un " droit de tirage " sur les administrations

Il pourrait être envisagé d'aller plus loin. Votre rapporteur rappelle à ce sujet l'excellente initiative de M. Raymond Barre, Premier ministre, en 1978, qui avait permis de conclure une convention entre le Sénat et le ministère de l'économie et des finances, permettant au Sénat de mobiliser les moyens d'expertise technique du ministère, en particulier ceux de la direction de la prévision et de l'INSEE pour réaliser des simulations. La responsabilité de la formulation des hypothèses était clairement attribuée au Sénat. Cette convention a fonctionné harmonieusement jusque dans le milieu des années 80 où elle fut dénoncée unilatéralement.

La prochaine loi organique pourrait donc poser le principe d'un " droit de tirage " défini conventionnellement au bénéfice du Parlement sur les moyens techniques de l'exécutif.

Rien n'empêcherait pour autant le Parlement de contracter avec des organismes indépendants. Mais, autant ceux-ci peuvent, dans divers domaines, disposer d'une réelle expertise, autant le bloc " finances publiques " échappe le plus souvent à celle-ci. Cette situation pose le problème des sources de l'information disponible en ce domaine dans notre pays. Elle sera l'un des points importants d'un prochain rapport confié à notre collègue Joël Bourdin. De fait, le ministère de l'économie et des finances et, plus généralement, les services statistiques des ministères, disposent d'un quasi-monopole en la matière. La diffusion externe de ces informations est insuffisamment développée. En pratique, cette situation empêche de construire des modèles de simulation fiables des phénomènes relatifs aux finances publiques.

La réforme de l'ordonnance doit être l'occasion de lever ces obstacles. Une exigence de mise à niveau de l'information statistique publique sera donc formulée.

CHAPITRE II :

RÉÉQUILIBRER LES POUVOIRS EN MATIÈRE DE FINANCES PUBLIQUES

L'objet des lois de finances est énoncé par l'article 34 de la Constitution : " Les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l'Etat... " . C'est donc à la loi organique de prévoir comment -dans quelles conditions et sous quelles réserves- les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l'Etat.

Dès lors, quel sens donner au verbe déterminer ? La question est en effet de savoir si la Constitution comporte, du fait de son usage, une norme stricte qui, s'imposant au législateur organique, viendrait encadrer les conditions et les réserves qu'il lui appartient de prévoir.

Il n'en va sans doute pas ainsi, attendu la pluralité des sens du mot " déterminent ", et le mécanisme même instauré par le texte constitutionnel.

Selon les dictionnaires, " déterminer " c'est préciser les termes ou les limites. Mais chacun sait que l'on peut préciser avec plus ou moins de précision et en conférant à la précision une plus ou moins grande portée. La " détermination " peut donc aller d'une simple évaluation à la fixation d'une norme.

Le mécanisme même du texte constitutionnel consiste à déléguer au législateur organique le pouvoir de préciser la portée des mots " déterminent les ressources et des charges de l'Etat ". Ce mécanisme confère donc au législateur organique une grande marge d'appréciation.

Il appartient également au législateur organique de " prévoir " les " réserves " en fonction desquelles les lois de finances déterminent lesdites ressources et charges.

Il paraît donc conforme à la Constitution d'interpréter cette disposition comme permettant au législateur organique de préciser la portée générale de la détermination opérée par les lois de finances, et d'énoncer les conditions auxquelles cette détermination est suspendue.

C'est avec ces larges marges d'appréciation que la réforme de l'ordonnance organique est appelée à trouver un bon équilibre entre les contraintes et les libertés. La question est aussi de savoir quelles prérogatives le Parlement doit pouvoir exercer et de quelles souplesses le gouvernement doit pouvoir disposer.

La " ligne de partage " actuellement dessinée par l'ordonnance et par les pratiques n'est plus adaptée. Le Parlement nourrit l'illusion d'un pouvoir très largement fictif, en permanence contourné et souvent même défié.

De son côté, le gouvernement dépense des trésors d'énergie, et parfois de malice, à desserrer des contraintes parfois injustifiées.

Une nouvelle donne s'impose. L'exécutif doit retrouver des libertés et des responsabilités. Le Parlement doit voir son pouvoir en matière financière refondé.

Les propositions formulées dans le premier chapitre du présent rapport, destinées à éclairer sur les ressources, les charges et l'équilibre financier du budget de l'Etat, sont de nature en elles-mêmes à restaurer l'autorité des lois de finances. Un vote mieux informé sera un vote plus solennel et plus responsable.

Encore faut-il que ce vote soit respecté et que le Parlement ne soit pas limité dans l'examen des questions financières par le cadre, trop étroit, des débats relatifs aux projets de loi de finances.

I. DESSERRER LES CONTRAINTES DE GESTION INUTILES

A. LA SIMPLIFICATION DE LA NOMENCLATURE BUDGÉTAIRE

1. La spécialisation par chapitre : une contrainte devenue inadaptée

L'affectation des crédits par les lois de finances est actuellement décidée en fonction d'une nomenclature déclinant deux niveaux d'agrégation. Elle fait " in fine " du chapitre budgétaire l'élément de base de l'exécution de l'autorisation parlementaire.

Le premier niveau d'agrégation consiste à appliquer la clef de répartition des crédits mentionnée à l'article 6 de l'ordonnance. Celle-ci retient trois catégories de dépenses et onze titres .

Elle conduit ainsi à distribuer les crédits entre les dépenses ordinaires (4 titres : charges de la dette, dotations aux pouvoirs publics, dépenses de fonctionnement des services, dépenses d'intervention), les dépenses en capital (3 titres : investissements exécutés par l'Etat, subventions d'investissement, réparations des dommages de guerre) et les prêts et avances de l'Etat (4 titres : prêts du fonds de développement économique et social, prêts intéressant le logement, prêts divers de l'Etat, avances de l'Etat).

Ce premier niveau d'agrégation est " affiné " au moyen d'une affectation des crédits des différents titres au sein de chapitres. Le second niveau d'affectation prévu par l'article 7 de l'ordonnance consiste à réaliser une répartition des crédits beaucoup plus détaillée : les différents chapitres sont censés retracer les crédits d'une même espèce, en les groupant selon leur nature ou selon leur destination.

Au terme de ces prescriptions, l'affectation des crédits par chapitre apparaît comme l'accomplissement juridique ultime de la mission dévolue par l'ordonnance organique aux lois de finances de déterminer l'affectation des charges de l'Etat.

La reconnaissance juridique du chapitre comme donnée de base de l'autorisation parlementaire en matière de dépenses et d'exécution est assise sur plusieurs dispositions de l'ordonnance. L'article 7 déjà cité prévoit que les crédits ouverts par les lois de finances sont spécialisés par chapitre. L'article 43 dispose que, dès la promulgation de la loi de finances de l'année ou la publication de l'ordonnance prévue à l'article 47 de la Constitution, le gouvernement prend des décrets répartissant les crédits ouverts par chapitre. Il ajoute dans son deuxième alinéa que ces décrets ne peuvent apporter aux chapitres, par rapport aux dotations correspondantes de l'année précédente, que les modifications proposées par le gouvernement dans les annexes explicatives -les " bleus "- compte tenu des votes du Parlement.

Ainsi même, si, formellement, en application de l'article 41 de l'ordonnance, le vote des dépenses nouvelles ne porte que sur chacun des titres définis par l'article 6, l'autorisation parlementaire porte jusqu'à la répartition des crédits entre les différents chapitres.

En découlent plusieurs caractéristiques de notre droit budgétaire.

La première concerne le droit d'amendement du Parlement en matière de crédits. Celui-ci ne peut se limiter à ajuster directement les crédits d'un titre ; ses propositions doivent porter jusqu'à chaque chapitre en particulier.

Une deuxième illustration de " l'autorité " du chapitre concerne l'exécution de la dépense. Ainsi par exemple, le contrôle exercé par le comptable en matière de dépense porte sur la régularité de l'imputation de la dépense à un chapitre particulier et la disponibilité des crédits nécessaires au sein de ce chapitre.

Même si le Conseil Constitutionnel s'est refusé à sanctionner la règle de spécialisation des crédits par chapitre à l'occasion de son examen des lois de règlement, cette règle, d'ailleurs contrôlée avec vigilance par la Cour des comptes, reste bien un élément fondamental de nos pratiques budgétaires tant du point de vue du Parlement que de l'exécutif.

Contraignante, la règle de spécialité des crédits fait l'objet d'assouplissements plus ou moins fondés en droit (v. infra ).

2. Affirmer la spécialisation des crédits par programme

Il convient aujourd'hui de simplifier ces règles. La proposition de loi organique déposée à l'Assemblée nationale va dans ce sens. Les crédits seraient regroupés en cinq titres avec les dépenses de personnel, les dépenses de fonctionnement autres que celles de personnel, les dépenses de transfert, les dépenses d'investissement et les dotations aux pouvoirs publics.

La spécialisation des crédits serait réalisée dans le cadre de programmes regroupant les crédits nécessaires à la poursuite d'objectifs cohérents.

Cette globalisation est déjà forte, mais la proposition de loi susmentionnée pourrait la renforcer encore si une question d'interprétation n'était pas tranchée. En effet, le texte de cette proposition laisse en suspens le point de savoir si la répartition des crédits entre les différents titres telle qu'elle est présentée dans la loi de finances en vertu de son article 11, a un caractère contraignant pour l'exécution budgétaire.

Le texte de la proposition de loi organique supprimant les dispositions relatives aux décrets de répartition des crédits du budget général, instille un doute à ce propos. Ce doute est accru du fait de l'absence de procédure de virement entre les titres d'un même programme. On peut en conclure que la répartition des crédits, entre les titres mentionnés par la proposition de loi organique, n'aurait qu'un caractère indicatif.

Une totale fongibilité des crédits d'un même programme serait ainsi instaurée.

Votre commission des finances, bien que ne souscrivant pas totalement à ce processus, souhaite cependant s'inscrire dans une perspective analogue.

Favorable au maintien d'une nomenclature budgétaire d'exécution et considérant que celle-ci doit être organisée de façon à permettre l'identification des moyens par grande catégorie, elle affirme clairement que la suppression du chapitre comme unité d'exécution des lois de finances serait une utile simplification. Une plus grande globalisation des crédits favorisera les initiatives et permettra de limiter les procédures ou les artifices destinés à desserrer les contraintes.

Votre commission des finances imagine déjà que les gestionnaires s'inventeront des contraintes utiles, comme ils l'ont déjà fait en poursuivant, par le bas, l'arborescence de la nomenclature à des fins de suivi de l'exécution budgétaire, avec le paragraphe ou l'article. Elle estime donc que la production d'une annexe expliquant la répartition des crédits par chapitres, en contrepartie de l'abandon de ces derniers comme cadres de l'exécution budgétaire, n'est pas une exigence exorbitante.

B. UNE GESTION PLUS SOUPLE DES EMPLOIS PUBLICS

1. La gestion des emplois publics : une procédure rigide

Les compétences dévolues par l'actuelle ordonnance organique aux lois de finances en matière d'emplois publics sont extrêmement vastes. Ainsi, au terme du cinquième alinéa de son article premier, l'ordonnance précise que " les créations et transformations d'emplois ne peuvent résulter que de dispositions prévues par une loi de finances " . De même l'article 32 de l'ordonnance indique que " le projet de loi de finances de l'année est accompagné d'annexes explicatives faisant connaître notamment par chapitre les mesures nouvelles qui justifient les modifications proposées au montant antérieur des services votés et notamment les crédits afférents aux créations, suppressions et transformations d'emplois " .

Cette dernière obligation n'est posée que pour la loi de finances de l'année, ce qui laisse quelques libertés au gouvernement quant à l'information donnée au Parlement lors de l'examen des autres catégories de lois de finances.

Mentionnons enfin que l'article 43 du texte actuel réitère le principe selon lequel " les créations, suppression et transformations d'emplois résultent des modifications de crédits correspondantes dûment explicitées par les annexes " . Cette disposition, de caractère général, s'applique en théorie à l'ensemble des lois de finances.

En tout état de cause, l'ensemble des dispositions ainsi rappelées suspendent étroitement la politique de l'emploi public à l'autorisation du Parlement. Si la création d'un emploi budgétaire n'emporte pas obligation de le pourvoir, en revanche, nul emploi ne saurait en principe être doté sans une autorisation éclairée du Parlement.

Le Conseil constitutionnel a très logiquement tiré les conséquences du texte de l'ordonnance dans sa décision n° 83-164 DC du 29 décembre 1983 en censurant l'instauration de deux chapitres budgétaires destinés à servir de support à des créations de postes de personnels enseignants dont ni la loi de finances pour 1984, ni aucune de ses annexes ne mentionnaient le principe, non plus qu'aucune indication de nature à permettre d'en déterminer le nombre, la nature ou les caractéristiques.

Le pouvoir du Parlement en la matière ne cède en théorie qu'en cas de transformations d'emplois qui peuvent être opérées par décret en Conseil d'Etat. Même dans ce cas, outre le grand formalisme exigé, d'autres conditions doivent être réunies. Les transformations ainsi opérées doivent, dans leurs conséquences financières, respecter les crédits annuels préalablement ouverts, et s'inscrire dans le respect de la spécialité des crédits par chapitre budgétaire.

2. Préférer une gestion plus souple accompagnée d'une information plus réaliste

Un assouplissement de cette dernière procédure pourrait utilement être introduit. Pour le moins, des décrets simples devraient pouvoir procéder à des transformations d'emplois. Cette proposition est comparable à celle de l'Assemblée nationale. Va-t-elle assez loin dans les possibilités offertes à l'exécutif de gérer ses ressources humaines ? En liaison avec le gouvernement, des solutions peut-être plus audacieuses pourraient intervenir. Un élargissement des pouvoirs d'arbitrage confiés à l'exécutif entre crédits de rémunération et emplois, voire entre les rémunérations et d'autres dépenses pourrait être imaginé.

Comme l'a relevé notre collègue Yves Fréville lors de son audition, il existe en effet un paradoxe peu satisfaisant. Les 9/10èmes des mesures nouvelles concernent, avec un luxe de détails inouï, les transformations d'emplois et leurs conséquences alors qu'en pratique, le Parlement ne sait rien de la situation réelle des effectifs.

Sous cet aspect, les enrichissements de l'information budgétaire attendus de la présentation du budget par programmes, comme des annexes explicatives nouvelles portant sur la situation de l'emploi public, devraient améliorer les choses.

Il demeure qu'une autorisation globale des transformations d'emplois pourrait être donnée dans les lois de finances.

Il faut cependant, comme l'a indiqué notamment M. Philippe Delelis, ne pas perdre de vue que les recrutements d'agents publics engagent le budget pour de très nombreuses années.

Cette caractéristique devrait appeler à une extrême prudence et, sans doute, à maintenir une forte implication du Parlement dans les décisions ayant un impact sur la masse salariale de l'Etat.

C. LA RECONNAISSANCE SOUS CONDITIONS DES ANNULATIONS DE CRÉDITS COMME OUTILS DU PILOTAGE BUDGÉTAIRE

1. L'annulation des crédits, une pratique politiquement et juridiquement douteuse...

Le vote des crédits des lois de finances connaît une signification controversée.

Certains arguments de droit conduisent à une interprétation stricte où l'ouverture de crédits en lois de finances entraînerait obligation de les consommer. Dans cette acception, les lois de finances, en déterminant les charges de l'Etat, comme c'est leur objet constitutionnel, contiennent le programme de ses interventions, programme dont il convient de ne s'éloigner, sauf exceptions, ni en plus, ni en moins. Si cette conception peut se fonder sur des arguments juridiques, elle peut également reposer sur des considérations politiques. Ainsi, le vote des crédits budgétaires peut s'interpréter comme l'affirmation d'une volonté de voir l'Etat mettre en oeuvre des interventions publiques selon une configuration précise.

Cette approche peut être confortée par d'autres données essentielles des lois de finances. L'objet premier des lois de finances est en effet le vote par le Parlement des recettes de l'Etat et de leur affectation. Le produit des recettes est ainsi destiné soit à financer des interventions publiques, soit à contribuer à la formation du solde des opérations budgétaires, c'est-à-dire à l'équilibre financier des lois de finances. Soustraire les crédits votés à l'obligation de les consommer, c'est permettre au gouvernement de modifier cet équilibre à son gré. Or, cet équilibre est défini par les lois de finances selon les termes mêmes de l'ordonnance organique, et le solde budgétaire représente en tant que tel un enjeu politique majeur.

Dans le texte de l'ordonnance organique, cette conception stricte de la portée du vote des crédits est assez fortement présente. Mais, elle n'est pas la seule. La conception contraire, selon laquelle les ouvertures de crédits ne seraient qu'une autorisation de dépenses, est fondée en particulier sur la notion de crédits disponibles 22 ( * ) , qui, à elle seule, implique l'absence d'une obligation de consommer les crédits ouverts.

C'est cette conception qui a prévalu par la pratique de ce que le jargon nomme la régulation budgétaire. Celle-ci consiste, soit à annuler des crédits, soit à les mettre en réserve ou, dans une nouvelle version " politiquement correcte ", à procéder par gel, ou par contrats de gestion.

Evolution des ouvertures et des annulations de crédits en loi de règlement

(en millions de francs)

1994

1995

1996

1997

1998

Ouvertures

Annulations

Ouvertures

Annulations

Ouvertures

Annulations

Ouvertures

Annulations

Ouvertures

Annulations

A. - Budget général

Dépenses ordinaires civiles brutes

11.843

17.887

16.011

12.954

23.143

8.968

14.673

9.475

15.264

8.304

Dépenses civiles en capital

-

-

-

-

-

1

-

2

-

1

Dépenses militaires

14

797

14

1.294

113

1.249

8

1.046

32

1.158

Total du budget général (A)

11.857

18.684

16.025

14.248

23.256

10.218

14.681

10.523

15.296

9.463

B. - Budgets annexes

1.636

2.138

1.324

1.666

1.359

2.148

774

528

1.851

728

C. - Opérations à caractère définitif des comptes spéciaux du Trésor

602

503

1.676

20.650

394

9.587

701

306

10.590

305

TOTAL des opérations à caractère définitif (A+B+C)

14.095

21.325

19.025

36.564

25.009

21.953

16.156

11.357

27.737

10.496

D. - Opérations à caractère temporaire (crédits)

175.319

986

n.d.

824

24.493

164

43.110

109

23.307

1.675

TOTAL pour le budget de l'Etat (A+B+C+D)

189.414

22.311

n.d.

37.388

49.502

22.117

59.266

11.466

51.044

12.171

E. - Autorisations de découverts supplémentaires

46.681

-

42.857

-

41.318

-

41.905

-

37.498

-

Budgets annexes : évolution des annulations de crédits

(en millions de francs)

1995

1996

1997

1998

1998 :

dépassements rapportés au total net des crédits (en %)

Aviation civile

195,71

175,00

67,95

134,71

1,50

Journaux officiels

7,85

11,33

8,47

23,40

2,09

Légion d'honneur

3,16

2,25

2,04

1,64

1,05

Monnaies et médailles

42,43

44,41

48,44

19,51

1,35

Ordre de la Libération

0,74

0,54

0,72

0,37

8,78

BAPSA

1.416,54

1.914,88

399,92

548,75

0,59

TOTAL

1.666,43

2.148,42

527,53

728,39

0,70

La pratique est allée en la matière bien au-delà des hypothèses formulées par l'ordonnance. Dans son article 13, celle-ci n'ouvre la faculté d'annuler des crédits que si ceux-ci deviennent sans objet en cours d'année. Cette faculté est donc soumise à conditions. Elle n'est de surcroît ouverte qu'au ministre des finances, qui doit cependant bénéficier, en théorie, de l'accord du ministre intéressé.

Dans les faits, il en va tout autrement.

A une question écrite de votre commission relative aux contrats de gestion, la direction du budget a répondu que " les contrats de gestion ont été mis en place en 1999 afin d'assurer le respect de l'engagement de loi de finances initiale relatif à la progression en volume et à structure constante des dépenses. Le quantum de crédits mis en réserve dans le cadre de ces contrats de gestion a fait l'objet de négociations avec les gestionnaires dans le cadre de la procédure budgétaire. A la demande du secrétaire d'Etat au budget, la direction du budget a procédé à la notification aux contrôleurs financiers du contenu des contrats de gestion afin de suivre les engagements pris par les ministères lors des négociations ".

Les annulations et les contrats de gestion sont, en réalité, un moyen de piloter la dépense et le solde budgétaire et ne se soucient nullement de respecter la condition énoncée à l'article 13 de l'ordonnance.

De plus, le ministère des finances " pilote " seul cet exercice dont les conditions sont fixées dès le début de l'année, soit bien avant que ne soient dégagés des enseignements pouvant être pris en compte par les contrats de gestion. Une note du 14 janvier 1999, adressée par le directeur du budget au ministre le confirme ; elle figure dans le rapport de votre commission des finances sur le fonctionnement des services de l'Etat dans l'élaboration des projets de loi de finances et l'exécution des lois de finances, qu'il faut citer :

Constatant, dès le début du mois de janvier, soit quelques jours après sa promulgation, que " l'environnement économique différera de celui qui était affiché lors du bouclage de la loi de finances ", le directeur du budget proposait au ministre " de revoir les conditions de l'exécution du budget de 1999 ".

Il écrivait notamment : " compte tenu de la révision probable de l'hypothèse d'inflation (0,5 % contre 1,3 % prévu en LFI), la progression des dépenses en termes réels de la LFI 1999 par rapport à la LFI 1998 atteindrait 1,8 point pour un objectif de 1 point ". Le directeur du budget poursuivait : " l'effort à réaliser pour nous conformer strictement à l'objectif de 1 % en volume conduit à prévoir une mise en réserve de 13 milliards de francs des crédits de la LFI ". Enfin, plus loin, il notait : " au total, le respect du cadrage du PLF supposerait d'afficher rapidement une réserve de crédits, sans intégrer dans cette réserve les économies de constatation sur la dette. Les besoins propres à l'exécution supposeraient également de prévoir des crédits à annuler en vue des prochains décrets d'avance ou d'un collectif. Compte tenu des incertitudes liées, à cette date, à la gestion 1999, un objectif de 15 milliards de francs de crédits réservés me semble donc justifié sur le plan budgétaire ".

Ces pratiques, qui ne sont pas propres à l'exercice 1999, posent un problème au regard de la décision démocratique. Que le vote du Parlement comporte obligation ou autorisation de dépenser les crédits ouverts, il est choquant qu'à peine intervenu, l'exécutif, de son propre chef, en restreigne la portée, alors qu'il est lui-même à l'origine du projet.

L'apogée de la pantomime ou du cynisme se produit lorsque le ministre des finances gèle, puis annule des crédits dont ses collègues et lui-même se sont ingéniés à démontrer le caractère vital pour la Nation lors du débat budgétaire.

Votre commission des finances connaît bien ce triste spectacle, puisqu'elle s'est heurtée, lors des budgets alternatifs présentés par elle, à une opposition résolue du gouvernement à ses amendements de réduction de crédits... pour constater quelques semaines après que lesdits crédits étaient mis en réserve par le même gouvernement !

L'exigence démocratique appelle des clarifications.

2. ... qui invite à imaginer des solutions équilibrées

Votre commission n'est pas opposée à ce que le gouvernement puisse procéder à des annulations de crédits en cours d'exécution. Elle considère, outre le cas particulier des crédits devenus sans objet, crédits dont il n'y a pas de raison d'empêcher l'annulation, qu' il convient de consacrer juridiquement l'hypothèse où la détérioration éventuelle de l'équilibre financier défini par les lois de finances pourrait être utilement prévenue par une réduction des dépenses . Il s'agit d'une précision importante susceptible d'apporter une souplesse de gestion indispensable, utile compte tenu de la volatilité de la conjoncture économique.

Elle demande également que, dans ces deux hypothèses, les arrêtés procédant à l'annulation des crédits soient communiqués aux commissions des finances dans un délai raisonnable avant leur publication au Journal officiel , afin que celles-ci soient en mesure d'y réagir, le cas échéant.

Afin d'éviter un détournement de cette procédure et, pour tenir compte des conditions concrètes de l'exécution budgétaire, votre commission considère indispensable qu'une même communication intervienne, s'agissant de tout acte ayant pour objet ou pour effet de mettre des crédits en réserve.

En revanche, votre commission ne souhaite pas que soit consacré en droit un nouveau régime de suspension des crédits. Si des crédits sont ouverts, ils sont disponibles ; si des crédits sont indisponibles, ils sont soit " gelés ", soit annulés. Le mécanisme d'indisponibilité institué dans la réforme de l'ordonnance proposée à l'Assemblée nationale engendre un certain trouble et semble porteur d'opacités.

Il ouvre beaucoup le champ des annulations de crédits puisqu'à travers le mécanisme proposé, et de façon subreptice, celles-ci sont susceptibles d'intervenir " afin de tenir compte de l'évolution de l'équilibre économique défini par la dernière loi de finances ".

S'il prévoit une information du Parlement, au moment de la suspension des crédits, il ne l'impose pas lorsque ces crédits sont à nouveau rendus disponibles. Cette situation, combinée avec un régime très libéral des reports des crédits disponibles d'un exercice sur l'autre, peut déboucher sur une perte significative d'information.

II. REFONDER LE PRINCIPE D'UNIVERSALITÉ DES LOIS DE FINANCES

Le principe le plus terriblement mis à mal ces dernières années aura été celui d' universalité des lois de finances qui constitue, dans notre tradition, un principe fondamental.

Ce phénomène résulte d'abord du caractère de plus en plus complexe de nos finances publiques et de l'affirmation progressive, en leur sein, des organismes de sécurité sociale et des collectivités locales.

Mais il provient aussi d'artifices destinés à amputer le budget de l'Etat d'une partie de sa substance.

Autant le premier phénomène est difficile à contenir, même si nous devons nous appliquer à le mieux maîtriser, autant le second doit être combattu avec détermination.

Avant de passer à la présentation des propositions, il faut souligner un point qui fait débat et qui pourrait faire désaccord avec la proposition de réforme de l'Assemblée nationale.

A. LES COMPTES SPÉCIAUX DU TRÉSOR ET LES BUDGETS ANNEXES CONSTITUENT-ILS VRAIMENT UNE ATTEINTE AU PRINCIPE D'UNIVERSALITÉ ?

Certains spécialistes considèrent que la coexistence, au sein du budget de l'Etat, du budget général, des budgets annexes et des comptes spéciaux du Trésor, constitue en elle-même un élément portant atteinte à l'universalité budgétaire. Cette approche ne peut être adoptée sans de sérieuses nuances. Si les budgets annexes et les comptes spéciaux du Trésor se détachent du budget général, ils appartiennent comme lui au budget de l'Etat. Leurs opérations, tout comme celles du budget général, doivent gagner en transparence. Mais leur disparition priverait le budget de l'Etat de comptes qu'il est utile d'isoler, qui ont leur logique propre et l'immense mérite de permettre d'identifier l'affectation de recettes de natures particulières (recettes financières ou recettes commerciales).

Est-il vraiment souhaitable, par exemple, de supprimer le compte d'affectation des recettes de privatisation et de verser ses produits au budget général pour financer les dépenses de fonctionnement courant ? Sans doute pas, et cela conduit à s'opposer à la proposition faite à l'Assemblée nationale de supprimer les comptes d'affectation spéciale et les budgets annexes. Il serait d'ailleurs étonnant que l'Assemblée nationale refuse la création proposée par le gouvernement, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2001, d'un nouveau compte d'affectation spéciale prévoyant les conditions d'utilisation des recettes issues des redevances d'utilisation des fréquences de téléphonie mobile de troisième génération.

C'est pourquoi à un principe d'universalité budgétaire qui ne serait en fait que l'universalité du budget général, votre commission préfère un principe d'universalité des lois de finances.

B. AFFIRMER L'UNIVERSALITÉ EN MATIÈRE DE RECETTES

1. Les problèmes créés par la pratique budgétaire

S'agissant des ressources, l'ordonnance organique n° 59-2 du 2 janvier 1959 est construite sur un triple pilier.

Elle s'inscrit d'abord dans un cadre constitutionnel strict. Selon l'article 34 de la Constitution, les lois de finances déterminent les ressources de l'Etat. L'ordonnance organique en a tiré, dans son article 1 er , la précision que les lois de finances " déterminent la nature, le montant et l'affectation de ces ressources ". L'article 34 prévoit également que la loi fixe les règles concernant " l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ". Enfin, selon l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen , " tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée ".

Dans ce cadre, l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 a instauré une architecture (alinéa 4 de l'article 2, alinéa 1 er de l'article 4 et alinéa 2 de l'article 31) que la pratique récente invite à préciser ou à modifier.

L'ordonnance comporte plusieurs concepts qui doivent être distingués. Ainsi elle traite différemment la création de la ressource, l'autorisation de sa perception et, enfin, son évaluation .

La loi de finances de l'année contient ainsi d'abord l'autorisation unique de percevoir les impôts (alinéa 3 de l'article 1 er ).

Elle peut aussi, comme toutes les lois, procéder à des créations en matière d'impositions de toutes natures, en fixant leur assiette, leur taux et leurs modalités de recouvrement (alinéa 3 de l'article 1 er ).

S'agissant de l'évaluation des ressources publiques enfin, l'ordonnance distingue les ressources courantes de celles de trésorerie. Le produit des premières comme des secondes est théoriquement évalué -seules les premières interviennent dans la détermination de l'équilibre financier-, mais les ressources liées à la politique d'endettement de l'Etat, c'est-à-dire les emprunts qu'il souscrit, échappent en fait à une évaluation détaillée et précise et n'entrent pas dans les " voies et moyens " qui assurent l'équilibre financier.

Trois problèmes principaux apparaissent à l'analyse de la pratique budgétaire.

Le premier concerne la distinction entre ressources permanentes et ressources de trésorerie. S'il semble justifié de conserver une telle différence, en revanche, l'absence, dans les ressources permanentes, du produit des emprunts nécessaires à la couverture du déficit budgétaire et au remboursement du capital de la dette est abusive, attendu les niveaux atteints par les émissions du Trésor français, le poids de l'endettement de l'Etat, mais aussi attendu le statut de la dette publique comme critère essentiel de convergence dans le cadre de l'Union économique et monétaire. Ces ressources, certes non définitivement acquises, ne sont pas pour autant des ressources de pure trésorerie. Le produit des emprunts est si nécessaire à la couverture des engagements passés et du déficit de l'exercice qu'il occupe la deuxième place dans les ressources publiques. A ce titre, le vote en loi de finances pour l'autoriser et l'évaluer devrait être pleinement nécessaire et réaffirmé 23 ( * ) . En revanche, il n'y a pas lieu d'inclure les flux de pure trésorerie liés par exemple au placement de disponibilités auprès du Trésor par des organismes publics. Les produits qu'ils engendrent pour l'Etat doivent cependant être comptabilisés comme ressources permanentes, dans la mesure où celles-ci lui restent acquises.

La deuxième difficulté résulte de la pratique, constamment développée par les gouvernements successifs, des débudgétisations. La technique budgétaire consistant à isoler une charge de l'Etat, à la sortir de son champ, à la confier à un tiers (établissement public, association, voire personne morale de droit privé), n'est pas saine. Document maître en matière de prélèvements obligatoires, la loi de finances doit conserver cette fonction, essentielle en démocratie, sauf à apparaître chaque année plus fragmentaire, alors même que les prélèvements, eux, ne font que croître et se diversifier sans que les citoyens puissent y consentir de manière non équivoque par leurs représentants. De ce point de vue, les possibilités de contourner les règles précises d'affectation posées par l'ordonnance organique, et la définition certainement trop restrictive des ressources de l'Etat, apparaissent comme des faiblesses du texte actuel, qui ne prévoit rien en matière de consolidation fiscale.

S'il semble difficile de revenir aujourd'hui sur les champs propres aux autres administrations publiques, les organismes de sécurité sociale et les collectivités territoriales, il devient en revanche impérieux de donner une vision plus globale et plus juste de l'étendue de ce que l'Etat prélève effectivement pour l'accomplissement de ses missions et de resituer ces prélèvements dans le contexte de l'ensemble des prélèvements obligatoires.

Enfin , le texte de l'ordonnance organique n°59-2 du 2 janvier 1959 a instauré un régime des ressources publiques si complexe que son maintien semble aujourd'hui peu justifié . Nul ne contestera la nécessité d'une simplification et d'une clarification.

Voilà les principaux écueils que votre commission des finances se propose d'éliminer s'agissant des ressources publiques.

2. Définir le champ des ressources autour des exigences d'exhaustivité, de transparence, et de signification économique

Dans ordonnance organique, l'énumération des ressources de l'Etat distingue les ressources permanentes et les ressources de trésorerie. Les ressources permanentes recensées à l'article 3 ne semblent pas aujourd'hui de nature à offrir une vision complète et économiquement significative de ce dont dispose effectivement l'Etat considéré au sens large.

S'il convient de préserver le principe d'autonomie financière des collectivités locales et de prendre en compte l'existence de la loi de financement de la sécurité sociale, il n'empêche que la loi de finances est bien définie par la Constitution comme se rapportant aux charges et aux ressources de l'Etat. Encore faut-il que ces ressources soient complètement énumérées, autorisées et évaluées par le Parlement quand il se prononce. Encore faut-il que la présentation de ces ressources soit, économiquement et financièrement, pertinente. Ce sont ces objectifs qu'a retenu votre commission.

Ils l'ont conduite à considérer que l'Etat dispose de ressources permanentes et de ressources exceptionnelles, et que l'ensemble de ces ressources doit être inclus dans les lois de finances 24 ( * ) .

a) Les ressources permanentes

Les premières comprennent le produit de l'ensemble des impositions de toutes natures, à l'exception de celles qui sont directement affectées aux organismes de sécurité sociale et aux collectivités locales. Il est indispensable, dans un souci d'exhaustivité, de retracer l'ensemble de ces impositions dans un document unique. Cette approche est d'autant plus légitime que ce même texte est celui qui en autorise la perception.

De ce point de vue, plusieurs difficultés sont à relever. Ainsi en va-t-il du régime des taxes parafiscales qui les fait échapper à l'autorisation parlementaire, un temps au moins. Il devrait être reformé.

De même, bien des impositions de toutes natures échappent à l'évaluation parlementaire. Votre commission estime essentiel d'y remédier. L'argument souvent cité selon lequel ces ressources ne seraient pas à proprement parler des ressources de l'Etat apparaît plus formel -il résulte de l'actuelle rédaction de l'ordonnance- que réel. Il importe, pour qualifier l'Etat en matière de finances publiques, de s'attacher à des notions économiques et financières ainsi qu'à son statut politique. L'approche économique et financière renvoie aux prélèvements et aux dépenses publiques. L'approche politique montre que l'Etat est celui qui, pour la conduite des missions qui lui sont confiées, est autorisé à prélever, à dépenser, et à intervenir par les représentants de la Nation. Une personne morale exerçant une mission d'intérêt public doit être considérée comme un démembrement économique et politique de l'Etat. A ce titre, il est justifié que le Parlement évalue le montant de ce qu'elle prélève sur la Nation. C'est au constituant, comme il l'a fait en 1958 pour les collectivités territoriales, et en 1995 pour les organismes de sécurité sociale, de prévoir explicitement des exceptions. Or, jusqu'à maintenant, il ne l'a pas fait s'agissant des personnes morales bénéficiant du produit d'une imposition de toute nature pour l'exercice de missions d'intérêt public.

Il paraît donc sain, sage, transparent, économiquement justifié, et démocratiquement indispensable que les lois de finances déterminent le produit de l'ensemble des impositions de toutes natures, sauf celles pour lesquelles la Constitution elle-même prévoit une exception.

Les ressources permanentes de l'Etat doivent comprendre l'intégralité des moyens dont il dispose pour accomplir ses missions . Elles sont nombreuses et variées : le produit des amendes ; les rémunérations de services rendus, redevances, fonds de concours ; les revenus courants du domaine, des participations financières ainsi que des autres actifs ou droits détenus par l'Etat ; les recettes de trésorerie ; les produits courants divers. De ce point de vue, le rapporteur général du budget de l'Assemblée nationale a, dans sa proposition de loi organique, vu juste.

b) Les ressources exceptionnelles

A ces ressources permanentes s'ajoutent les ressources exceptionnelles de l'Etat. Celles-ci se distinguent des premières en ce qu'elles ont un caractère ponctuel, unique, et ne sont pas amenées, du moins théoriquement, à se reproduire.

Au premier rang de ces recettes exceptionnelles, figure, bien évidemment, le produit des emprunts nécessaires au financement du résultat de l'exercice et au remboursement de la dette de l'Etat constatée à la fin de l'exercice précédent. Ces recettes, qu'il n'est pas possible de prévoir et d'inscrire, doivent être distinguées de l'ensemble des opérations infra-annuelles que nécessite la bonne gestion financière de l'Etat. En revanche, il conviendrait d'autoriser l'émission des emprunts et de les évaluer, mais également d'assouplir l'interdiction d'acquitter une charge publique par remise d'un titre d'emprunt, en consacrant la pratique des échanges de titres d'emprunt destinés à rembourser la dette passée 25 ( * ) .

Dans tous les cas, le Parlement devrait se prononcer sur l'autorisation mais aussi sur l'évaluation de l'endettement de l'année. Il s'agit d'un vote d'autant plus important qu'il engage la Nation pour l'avenir. La légitimité de l'inclusion de ces recettes au nombre des recettes de l'Etat évaluées en loi de finances est incontestable et ne saurait donc être remise en cause.

Parallèlement, l'Etat bénéficie d'autres ressources revêtant un caractère exceptionnel : le remboursement des prêts et avances qu'il a consentis ; le produit de cessions du patrimoine financier et non financier ; les dons et legs ; les éventuels produits exceptionnels divers. Toutes celles-ci devraient aussi être recensées, autorisées et évaluées en loi de finances. Elles concourent en effet pleinement au résultat financier de l'année, au même titre que l'impôt et l'emprunt.

Votre commission est donc animée, dans le recensement des ressources de l'Etat, par un triple souci d'exhaustivité, de transparence et de signification économique.

L'exhaustivité apparaît dans l'énumération des différentes recettes : l'intégralité de celles qui, de près ou de loin, à un degré divers, concourent au financement de l'activité de l'Etat, doivent apparaître en loi de finances. Recensées complètement, clairement et lisiblement, elles appellent un débat démocratique éclairé sur ce que perçoit l'Etat, avant de s'interroger sur l'usage qu'il fait de cet argent que la Nation lui consent. Enfin, l'Etat est un agent économique parmi les autres, en concurrence avec les autres Etats du monde ; agissant avec ses partenaires européens, il a besoin d'acquérir une lisibilité économique forte. Les acteurs économiques ont besoin de savoir précisément ce qu'il fait, ce dont il dispose, ce qu'il rétrocède, etc. Ce que les Français gagneront en clarté par la réforme de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959, la France en tirera également profit en crédibilité dans la compétition mondiale.

3. La question de l'autorisation unique de perception

Acte fondateur de la démocratie parlementaire, le consentement à l'impôt se trouve au coeur de plusieurs problématiques essentielles à l'amélioration de la gestion publique, de la transparence et du contrôle. Ce consentement est annuel dans l'état actuel du droit financier public français. L'article 4 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 prévoit que la loi de finances autorise la perception des impôts ainsi que celle des taxes parafiscales au-delà du 31 décembre de leur année d'établissement. Cette limitation de l'horizon temporel de l'autorisation parlementaire paraît nécessaire afin de renouveler les rendez-vous de débat démocratique.

S'agissant de l'autorisation de la perception des impositions de toutes natures, deux solutions semblent théoriquement envisageables : son éclatement ou sa concentration. Le choix de l'éclatement reviendrait à répartir l'autorisation entre des lois différentes selon la nature des organismes percevant le produit de ces impositions. Ainsi, la loi de financement de la sécurité sociale qui, selon le 2° de l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale, " prévoit, par catégorie, les recettes de l'ensemble des régimes obligatoires de base et des organismes créés pour concourir à leur financement " aurait pu être chargée d'autoriser la perception de ces dernières. Tel n'a pas été le cas. Aujourd'hui, comme avant la réforme de 1995, cette autorisation reste, pour les impositions de toutes natures, du domaine de la loi de finances.

Il faut d'ailleurs observer que le troisième grand type de prélèvements, ceux opérés au profit des collectivités territoriales, reste autorisé dans la loi de finances. La solution actuelle où les organes délibérants des collectivités locales prévoient le produit de leurs ressources, mais où l'autorisation de leur perception relève des lois de finances, n'engendre d'ailleurs aucune difficulté particulière.

Revenir sur le schéma d'une autorisation unique de la perception des impositions de toutes natures ne paraît donc ni souhaitable ni justifié.

Il convient enfin de noter que confier l'autorisation de percevoir les impositions de toutes natures affectées à l'équilibre des organismes sociaux aux lois de financement de la sécurité sociale constituerait une exception par rapport au régime des autres ressources sociales, dont une partie est issue de cotisations sociales établies par voie réglementaire tandis qu'une autre est constituée par l'ensemble des transferts en provenance du budget de l'Etat. Il n'y aurait donc pas d'intérêt à instituer une telle novation. Il semble donc préférable de s'en tenir au régime actuel d'autorisation unique de percevoir l'ensemble des impôts.

Bien sûr, cette autorisation unique emporte des conséquences en matière d'affectation des recettes. L'autorisation unique de perception des impositions de toutes natures a ainsi pour corollaire naturel la concentration dans la loi de finances de l'année de l'ensemble des dispositions législatives déterminant l'affectation de ces impositions.

4. La question du champ de l'évaluation des recettes

Si la loi de finances comporte une autorisation généralisée de percevoir les impositions de toutes natures, elle ne saurait bien évidemment prévoir le produit et évaluer le montant de l'ensemble de celles-ci dans la mesure où la Constitution a confié cette tâche aux collectivités territoriales pour les impôts locaux, et aux lois de financement de la sécurité sociale pour les recettes dont bénéficient les organismes de sécurité sociale. A l'inverse, la loi de finances doit expressément prévoir le produit et évaluer le montant non seulement de l'ensemble des autres impositions de toutes nature, mais aussi de l'ensemble des autres ressources de l'Etat.

On peut néanmoins imaginer une exception pratique pour les rémunérations de services rendus. D'une part, elle peut se justifier par le texte de l'article 34 de la Constitution, qui ne les fait pas figurer dans le domaine de la loi, même s'il paraît sage et juridiquement fondé de laisser à la loi organique le soin de choisir une autre solution. D'autre part, il n'est pas infondé d'autoriser le pouvoir réglementaire, pour des raisons légitimes de souplesse et de bonne gestion administrative, à établir une telle rémunération et à en percevoir le produit sans que cela ait été préalablement prévu dans la loi de finances de l'année. En revanche, pour respecter le pouvoir d'autorisation du Parlement en matière de perception des recettes par l'Etat, il convient d'établir une caducité des actes créant ces rémunérations, en l'absence de ratification dans le plus prochain projet de loi de finances afférent à l'exercice concerné.

La question de l'évaluation renvoie également aux modalités de cette dernière. Le Parlement ne saurait se prononcer sur l'évaluation détaillée du produit de chacune des ressources. En revanche, il a besoin d'être informé et de voter ce produit en ayant une connaissance exacte et précise de ce qu'il autorise. Ainsi, le projet de loi de finances devra-t-il comporter un état annexé, semblable à l'état A actuel, pour retracer ces recettes, et être accompagné de documents d'information indiquant aux parlementaires le produit attendu des autres impositions de toutes natures non évaluées en loi de finances, celles des collectivités territoriales et celles des organismes de sécurité sociale.

5. La question de l'affectation

a) Consacrer la notion de " prélèvement sur recettes "

L'usage a établi la pratique des prélèvements sur recettes , fortement décriée et qui, apparaît pourtant à maints égards justifiée, autant par les nécessités de la mécanique budgétaire que par celles du débat démocratique.

La Cour des comptes a émis, à de multiples reprises, de fortes réserves voire des critiques sur la pratique des prélèvements sur recettes. Néanmoins, votre commission ne partage pas sur ce point l'avis de la haute juridiction financière. La jurisprudence du 29 décembre 1982 du Conseil constitutionnel autorisant cette pratique a indiqué que le fait que l'état A évalue la totalité des recettes brutes de l'Etat rendait les prélèvements sur recettes conformes à l'ordonnance organique et, notamment, à son article 18. Il s'agit en effet moins d'une affectation de recettes que d'une rétrocession directe d'un montant déterminé de recettes recouvrées par l'Etat afin de couvrir des charges qui ne lui incombent pas.

Au cours de l'histoire et de la pratique constitutionnelle, l'Etat s'est dessaisi de certaines de ses missions au profit d'organismes extérieurs ; en contrepartie, il a pu soit affecter directement des ressources (impôts locaux, ressources des organismes de sécurité sociale), soit rétrocéder une partie des ressources recouvrées par lui. Le prélèvement sur recettes permet cette rétrocession.

Le prélèvement sur recettes semble ainsi le moyen technique le mieux adapté pour faire apparaître de la manière la plus lisible qui soit des prélèvements obligatoires qui, sans cette technique, échapperaient à la décision du Parlement.

Cet élément de clarté existe déjà pour deux catégories : les collectivités territoriales, et l'Union européenne, la contribution de la France au budget de celle-ci n'étant pas une charge à proprement parler 26 ( * ) .

b) Etendre cette notion à tous les " satellites " de l'Etat

Ces catégories doivent être maintenues et inscrites en tant que telles dans la loi organique. Il conviendrait sans doute d'y ajouter une nouvelle catégorie de prélèvement sur recettes, correspondant à l'affectation de ressources publiques aux personnes morales autres que les collectivités territoriales et les organismes de sécurité sociale. Les établissements publics, les associations, les structures de formes diverses qui bénéficient aujourd'hui directement de tels prélèvements (taxes parafiscales et autres) bénéficieraient ainsi chaque année d'un prélèvement sur les recettes de l'Etat retracé en loi de finances.

Ce mécanisme est logique, puisqu'il déduit des ressources brutes de l'Etat les produits qui ne lui reviennent pas. Il est également conforme à la vocation du législateur financier d'autoriser les recettes et de le faire en pleine connaissance de cause. Le dessein de votre commission n'est pas de revenir sur les mécanismes de délégation de ses missions de service public par l'Etat, qui peuvent parfois correspondre à un souci de bonne gestion. Mais ces délégations ne doivent pas déboucher sur des débudgétisations. Le Parlement doit pouvoir autoriser les affectations de recettes, disposer du droit de les évaluer lorsque la Constitution ne s'y oppose pas et être informé de l'ensemble du champ des prélèvements obligatoires.

Votre commission vous propose donc non seulement de prendre acte de la pratique heureuse des prélèvements sur recettes, comme le fait à juste titre la proposition de loi organique de notre collègue député Didier Migaud, mais aussi d'en créer une catégorie nouvelle, permettant d'identifier, et de débattre, les flux financiers entre l'Etat et ses " satellites " 27 ( * ) .

C. RÉTABLIR L'UNIVERSALITÉ EN MATIÈRE DE DÉPENSES

1. Réintégrer les fonds de concours

L'ordonnance organique comporte des dispositions contradictoires qui ont, en pratique, porté une atteinte très grave au principe de l'universalité du recensement et de l'autorisation des crédits par les lois de finances.

Cette atteinte porte le nom de " fonds de concours " qui, en 1999, ont conduit à exclure 41,6 milliards de francs de crédits 28 ( * ) du champ de la loi de finances de l'année. Si, depuis l'élimination d'un certain nombre de faux fonds de concours principalement destinés au ministère de l'économie et des finances, leur montant s'est réduit -il atteignait 73 milliards de francs en 1996-, le temps est venu de faire cesser une telle pratique.

Dans les faits, la quasi-totalité des fonds de concours est prévisible, une part essentielle d'entre eux venant d'ailleurs des versements en provenance du budget européen.

Il faut en tirer les conséquences et affirmer que, non seulement les fonds de concours constituent l'une des catégories de ressources de l'Etat dont la perception est autorisée par les lois de finances, mais encore que leur produit doit être évalué dans les lois de finances, ainsi que les crédits qui en sont la contrepartie. Il n'y a d'ailleurs pas d'inconvénient à prévoir les conditions pratiques de leur rattachement. En effet, la procédure mentionnée à l'alinéa 3 de l'article 23 de l'ordonnance, la mise à disposition des fonds de concours, lors de leur versement effectif par arrêté du ministre des finances, ne doit pas être considérée comme dispensant le gouvernement d'en évaluer le produit et l'affectation dans les projets de loi de finances.

2. Prendre en compte les artifices budgétaires

a) Dépenses fiscales et ressources affectées aux " satellites " de l'Etat

L'intervention de l'Etat peut emprunter la voie de la dépense publique, mais des solutions alternatives sont strictement équivalentes.

C'est d'abord le cas lorsque l'Etat consent des allégements fiscaux à une catégorie donnée de contribuables. Très heureusement, la dépense fiscale est assez correctement appréhendée. Les dispositifs législatifs en matière de fiscalité en décrivent les mécanismes ; les lois de finances en recensent la nature et le montant à travers le fascicule portant " Evaluation des voies et moyens ".

Cependant, il est indispensable que l'actuel quatrième alinéa de l'article premier de l'ordonnance exige que les conséquences des dispositions législatives ou réglementaires ayant pour effet de réduire les ressources de l'Etat soient, au même titre que pour les charges nouvelles, évaluées et autorisées dans la plus prochaine loi de finances. C'est pour affirmer ce principe qu'il serait proposé de mentionner explicitement cette hypothèse dans l'alinéa en question.

Une seconde solution, strictement équivalente à la dépense, consiste à affecter directement le produit d'une ressource publique à un tiers . En ce cas, les charges de l'Etat sont minorées d'autant. Il en va de même des prélèvements. Cette pratique est sévèrement condamnée par la Cour des comptes. C'est dans les termes suivants qu'elle l'évoque dans sa contribution à la réflexion sur la pertinence des dispositions de l'ordonnance organique 29 ( * ) .

Débudgétisations et démembrements budgétaires

1) Problèmes posés

Cette question importante exige une étude approfondie. On se bornera ici à la mentionner.

Les débudgétisations, ou le recours fréquent à des démembrements de l'Etat pour l'exécution d'opérations qui devraient être réalisées dans le cadre de la loi de finances, constituent parmi les infractions les plus graves aux principes budgétaires. La Cour en dénonce de nouveaux exemples pratiquement chaque année, dans son rapport sur l'exécution des lois de finances. Les structures extrabudgétaires, généralement des établissements publics, qui exécutent des opérations d'intérêt général avec des ressources et pour le compte de l'Etat, tendent à se multiplier, faisant ainsi varier, de manière fréquente et pour des montants très importants, le " périmètre " des lois de finances. Les établissements de défaisance (EPFR, EPRD) (1) ou la création de sociétés-écrans pour réaliser certaines opérations en dehors du budget de l'Etat (cf. dans le rapport sur l'exécution des lois de finances pour 1998, les développements consacrés aux opérations de privatisation du GAN) en fournissent des exemples. Il en est de même dans le domaine social, dans le cadre de la politique de l'emploi mais aussi en raison de la fiscalisation croissante du financement de la protection sociale.

Cette situation est d'autant plus anormale que l'ordonnance de 1959 prévoit des procédures d'affectation, en particulier les comptes spéciaux du Trésor, qui, tout en étant dérogatoires, présentent l'avantage de s'exécuter dans le cadre des lois de finances.

En outre, il n'existe aucune vue d'ensemble sur ces financements éclatés entre des structures diverses qui perçoivent des ressources publiques, pour l'essentiel de nature fiscale, et financent des dépenses également publiques. La coexistence des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale favorise cet émiettement et cette opacité.

(1) EPFR : Etablissement public de financement et de restructuration (Crédit Lyonnais) ;
EPRD : Etablissement public de restructuration et de défaisance (Comptoir des entrepreneurs).

On ne saurait mieux dire. Cependant, la jurisprudence du Conseil constitutionnel n'a pu, en l'état, que consacrer ces " graves infractions ". Estimant, à juste titre, que l'ordonnance n'interdit pas aujourd'hui l'affectation directe d'une recette publique à une personne morale, le Conseil constitutionnel a été conduit à valider ces affectations, même dans l'hypothèse où leurs bénéficiaires sont des personnes morales de droit privé, dès lors qu'elles sont chargées de missions de service public. Tel a été en particulier le sens de sa décision (décision n° 98-405 DC du 29 décembre 1998) relative à l'instauration d'une taxe d'aéroport dans le cadre de la loi de finances pour 1999.

On pourrait évidemment s'interroger sur la question de savoir si le Conseil n'aurait pas pu tirer d'autres conséquences du texte de l'ordonnance et, en particulier, de son article 18, qui limite strictement les hypothèses d'affectation de recettes, ou bien encore si le Conseil n'aurait pas pu faire application du principe de sincérité budgétaire à ce problème.

Plutôt que de se livrer à des commentaires rétrospectifs, votre commission propose de légiférer clairement pour l'avenir et d'affirmer sans ambiguïté la volonté du législateur organique . Que doit-elle être ?

Garantir le respect du principe d'universalité budgétaire en instaurant les mécanismes propres à assurer le recensement dans les lois de finances et dans les comptes de l'Etat de l'ensemble des opérations financières dont il maîtrise effectivement la survenance et le régime.

Seules deux contraintes s'imposent en la matière.

b) La frontière de la libre administration des collectivités territoriales

La première contrainte est de respecter le principe de libre administration des collectivités territoriales posé à l'article 72 de la Constitution. Il interdit évidemment d'assimiler l'ensemble des opérations financières de ces collectivités dans les lois de finances et le budget de l'Etat. Dans cette perspective, il n'est pas question que les lois de finances :

- déterminent la nature, le montant et l'affectation des charges des collectivités territoriales ;

- fixent le produit des impositions directement affectées aux collectivités territoriales ;

- ou encore autorisent ou règlent le régime des emprunts de ces collectivités.

Il n'interdit pas en revanche de conférer aux lois de finances la tâche de présenter clairement les relations financières entre l'Etat et les collectivités territoriales. La pratique actuelle est globalement satisfaisante de ce point de vue. Les lois de finances autorisent la perception des impositions directement perçues par les collectivités ; elles recensent les financements accordés à elles par l'Etat, qu'il s'agisse de crédits budgétaires ou de prélèvements sur recettes. Il convient de consacrer ces dernières pratiques en instaurant notamment une catégorie spéciale de prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales (voir supra B.5. ).

Il convient aussi de prévoir que les lois de finances peuvent définir les modalités de répartition des concours versés par l'Etat aux collectivités territoriales.

Enfin, les prélèvements obligatoires revenant aux collectivités territoriales doivent faire l'objet d'une information du Parlement.

Votre commission n'a en revanche pas encore tranché la question de savoir si la libre administration des collectivités locales devait aller jusqu'à la liberté de placement de leur trésorerie. Ce problème se posera inévitablement lors de la réforme.

c) La frontière du financement de la sécurité sociale

La seconde contrainte à respecter découle de l'introduction dans notre droit des finances publiques des lois de financement de la sécurité sociale. Elles ont pour objet de déterminer " les objectifs de dépense de la sécurité sociale " et, plus précisément, de l'ensemble des régimes obligatoires de base comptant plus de 20.000 cotisants.

Votre rapporteur souligne d'emblée combien, en matière de dépenses, la portée des lois de finances excède celle des lois de financement de la sécurité sociale . Celles-ci énoncent un simple " objectif " de dépense tandis que les lois de finances comportent une autorisation, voire une obligation, le plus souvent limitative.

Cette différence révèle l'inégal pouvoir du Parlement sur deux domaines importants des finances publiques. Le pouvoir absolu du Parlement en matière de lois de finances se transforme, pour les lois de financement de la sécurité sociale, en un certain effacement. Les justifications apportées à cette situation sont diverses. Elles mériteraient pourtant d'être débattues.

Parmi ces justifications figure traditionnellement le caractère assurantiel de nombre de dépenses de sécurité sociale. Mais celui-ci n'a rien d'universel. En pratique, nombre de ces dépenses sont des dépenses de solidarité, financées à partir d'impôts. Or, le budget de l'Etat comporte des transferts sociaux qui ont la même nature. Il en va ainsi, par exemple, des crédits liés au revenu minimum d'insertion ou à l'allocation pour adulte handicapé (AAH). La France se trouve donc dans une situation invraisemblable où des interventions de même nature sont réparties entre deux textes financiers de portée différente. La vue d'ensemble se brouille et, comme ces textes n'obéissent pas au même régime, les rigueurs plus grandes des lois de finances sont susceptibles d'être contournées par le rattachement de certaines charges aux lois de financement de la sécurité sociale.

Ces commodités excessives atteignent un paroxysme lorsque des organismes sont spécialement créés pour concourir aux financement des régimes de sécurité sociale en marge de presque toutes contraintes . Au terme de la loi organique sur les lois de financement de la sécurité sociale, il appartient sans doute à ces lois de prévoir les recettes de tels organismes. Les difficultés provoquées par cette solution sont signalées par ailleurs. Mais votre rapporteur observe que les dépenses de ces organismes, échappant à la loi de finances, ne sont pas davantage retracées dans les lois de financement de la sécurité sociale. En effet, si celles-ci sont censées fixer les objectifs de dépense des régimes, elles n'ont pas vocation à décider des dépenses des " organismes créés pour concourir à leur financement ".

Or, ces dépenses, assumées par des établissements publics, ou même par des entités innommées, sont en pratique des dépenses qui devraient figurer dans le budget de l'Etat car elles sont rigoureusement celles que, précisément, celui-ci a vocation à retracer.

Certains observateurs ont pu considérer que le fonds de solidarité vieillesse (FSV), qui rembourse depuis 1994 les dépenses vieillesse non contributives, et le nouveau fonds de réforme des exonérations de cotisations sociales (FOREC), qui rembourse, à partir de 2000, les allégements généraux de cotisations sociales et les aides à la réduction du temps de travail, avaient contribué à clarifier le financement de la sécurité sociale. S'il est vrai que ces fonds ont entraîné le regroupement et l'identification de dépenses réparties auparavant entre plusieurs chapitres du budget de l'Etat, les modalités pratiques de mise en oeuvre de ces structures ne sont pas satisfaisantes. Leur instauration induit des discontinuités entre budgets successifs qui altèrent la perception des variations des grandes masses budgétaires. Plus grave, ces fonds entraînent la débudgétisation de recettes et de dépenses de l'Etat avec les conséquences néfastes qui s'ensuivent du point de vue de la transparence financière et des pouvoirs d'intervention du Parlement.

Il est triste de devoir constater que les sources les plus élevées de notre droit des finances publiques n'ont pas su éviter le montage de " tuyauteries financières " indignes de notre démocratie.

Le temps est venu de mettre fin à de tels montages. Les dépenses des organes purement financiers en charge d'interventions de l'Etat-puissance publique, comme dispensateur de ressources issues majoritairement d'impositions de toutes natures, ne doivent plus échapper désormais aux saines contraintes des lois de finances.

3. Evaluer les dépenses liées au remboursement de la dette de l'Etat

Une partie très importante des charges supportées par l'Etat n'est, aujourd'hui, pas retracée dans le budget. Il s'agit des dépenses de remboursement de la dette de l'Etat. Compte tenu de l'augmentation de son endettement, l'Etat doit faire face à des dépenses d'amortissement qui ont oscillé ces dernières années entre 400 et plus de 600 milliards de francs.

Or, si les lois de finances évaluent et autorisent les charges d'intérêt supportées par l'Etat du fait de ses dettes, il n'en va pas de même pour les charges en principal qui, pourtant, les dépassent de beaucoup.

L'examen de ce point doit être inscrit dans la question plus globale du traitement budgétaire des opérations financières réalisées par l'Etat.

L'ordonnance comporte, sur cet aspect, des dispositions complexes et d'application contradictoire.

En son article 1 er , elle indique en effet que les lois de finances déterminent les charges de l'Etat. Cependant, par la suite, elle présente ces charges en distinguant les charges permanentes des opérations de trésorerie, parmi lesquelles elle cite les remboursements d'emprunts publics. Une première lecture conduit cependant à penser que, sous l'angle de leur recensement par les lois de finances, le régime de ces deux catégories de charges ne devrait pas être distinct.

Pourtant, l'article 30 de l'ordonnance prévoyant que les opérations de trésorerie de l'Etat sont affectées à des comptes de trésorerie distincts, c'est-à-dire à des comptes autres que le budget général, les budgets annexes et les comptes spéciaux du Trésor et l'approbation desdits comptes n'étant pas prévue par l'article 31, on en a conclu, en pratique, que les charges de remboursement de la dette de l'Etat n'auraient pas à figurer en lois de finances. Un hiatus en résulte puisqu'une solution contraire, mais non appliquée, prévaut pour les ressources d'emprunts et de trésorerie.

Le sort ainsi réservé aux remboursements d'emprunt n'est pas satisfaisant compte tenu de la nature de ces dépenses et, aujourd'hui, de leur importance. Il n'est d'ailleurs pas cohérent avec le régime d'autres opérations financières réalisées par l'Etat. En effet, le budget de l'Etat retrace en particulier les dotations en capital attribuées aux entreprises publiques et les acquisitions de titres de société. Ainsi, les lois de finances sont amenées à déterminer des charges ayant pour effet ou pour objet une augmentation de l'actif de l'Etat tandis que celles entraînant une réduction de son passif leur échappent.

Ces solutions manquent de logique. Harmoniser le régime de ces opérations financières, en prévoyant que les remboursements de la dette de l'Etat sont autorisées et évaluées dans les lois de finances est nécessaire. Seules les opérations de pure trésorerie échapperaient à cette obligation.

Afin de ne pas paralyser la nécessaire gestion active de la dette, les crédits ouverts dans les lois de finances pour rembourser la dette de l'Etat auraient un caractère évaluatif.

Enfin, ces crédits ne seraient pas pris en compte pour calculer le solde budgétaire. En effet, il serait judicieux de rapprocher la définition donnée au solde budgétaire par la loi organique de celle aujourd'hui admise en Europe. On rappelle, à ce propos, que les opérations financières -celles qui font varier le patrimoine de l'Etat- sont exclues du calcul du déficit au sens du protocole financier pris pour l'application des règles de surveillance multilatérale des déficits publics en Union économique et monétaire.

III. RESPECTER STRICTEMENT LES AUTORISATIONS PARLEMENTAIRES

A. LES PRINCIPES VISANT À AFFIRMER L'AUTORITÉ DU PARLEMENT...

1. La règle de l'autorisation préalable des crédits

C'est précisément l'objet des lois de finances que d'être le support souverain de l'autorisation de dépenser. En la matière, les lois de finances sont un préalable.

Ce principe est évidemment énoncé à plusieurs reprises par l'ordonnance organique. Celle-ci lui donne, en particulier, un prolongement rigoureux avec le 4 ème alinéa de l'article premier selon lequel :

" Lorsque des dispositions d'ordre législatif ou réglementaire doivent entraîner des charges nouvelles, aucun projet de loi ne peut être définitivement voté, aucun décret ne peut être signé, tant que ces charges n'ont pas été prévues, évaluées et autorisées dans les conditions fixées par la présente ordonnance " .

Les lois de finances conditionnent donc en théorie non seulement la dépense matérielle mais aussi la mise en oeuvre des dispositions législatives ou réglementaires, dès lors que celles-ci doivent entraîner des charges.

Ces solutions rigoureuses font, là aussi, l'objet dans l'ordonnance, mais aussi en pratique, d'assouplissements dont il convient de mesurer la pertinence.

2. La règle du caractère limitatif des crédits

Le caractère limitatif des crédits est un principe de droit commun affirmé au premier alinéa de l'article 11 de l'ordonnance organique. Sauf exceptions, les crédits ouverts sont limitatifs et les dépenses effectuées à partir de ces crédits ne peuvent donner lieu à engagement ou à ordonnancement que dans la limite des crédits ouverts.

Cette règle doit rester intangible pour conserver à l'autorisation parlementaire toute sa portée en matière de dépenses.

Elle fait l'objet aujourd'hui d'une série d'amodiations qu'il convient de mieux encadrer (v. infra ).

3. La règle de l'annualité des crédits

La règle de l'annualité des crédits énoncée à l'article 17 de l'ordonnance - " Sous réserve des dispositions concernant les autorisations de programme, les crédits ouverts au titre d'un budget ne créent aucun droit au titre du budget suivant " - est le pendant de la règle de l'annualité de l'autorisation de perception des recettes.

Elle se déduit de la disposition essentielle figurant à l'article 2 de l'ordonnance qui rappelle que " la loi de finances de l'année prévoit et autorise, pour chaque année civile,... l'ensemble des charges de l'Etat " .

L'annualité des crédits se veut un principe protecteur du pouvoir du Parlement. De ce point de vue, les exceptions apportées doivent être examinées avec vigilance. Cependant, il faut savoir raison garder et mesurer les difficultés que peut poser, en gestion, une trop rigide annualité des crédits. Enfin, il convient de distinguer la règle de l'annualité des autorisations de dépenses et la réalité temporelle des charges de l'Etat, qui dépasse très largement l'horizon de l'autorisation parlementaire.

B. ... SONT, EN PRATIQUE, SÉRIEUSEMENT MIS EN QUESTION

Les dispositions législatives portant détermination des crédits publics doivent, naturellement, être respectées par l'exécutif. Sans doute, des souplesses lui sont utiles, mais leur usage ne doit pas être abusif, et, si elles doivent porter une atteinte excessive à l'autorité des lois de finances, il faut les encadrer soigneusement !

Une chose est de faire respecter l'autorisation parlementaire des crédits, une autre est de s'assurer que le champ de cette autorisation est suffisamment exhaustif. Un bilan des pratiques conduit inévitablement à conclure qu'un meilleur respect de la spécialité et de l'annualité budgétaires et de l'universalité des lois de finances s'impose.

Dans son article 2, l'ordonnance organique pose le principe que seules les lois de finances rectificatives peuvent, en cours d'année, modifier les dispositions de la loi de finances de l'année. Comme celle-ci prévoit et autorise l'ensemble des charges de l'Etat, on en est amené à conclure que seul le Parlement est en mesure, une fois les dépenses de l'année déterminées par lui, d'en modifier le montant et la nature. Cette conclusion est toutefois erronée puisque, par plusieurs dispositifs, l'ordonnance confie à l'exécutif une délégation pour ajuster les crédits ouverts par l'autorisation parlementaire.

D'ailleurs, l'usage fait de ces facultés conduit à des modifications de crédits décidées par voie réglementaire qui, le plus souvent, excèdent celles issues de la loi.

Budget de l'Etat : modification au montant des crédits bruts

Modifications opérées par voie législative (a)

Solde des modifications opérées par voie réglementaire (b)

Total des modifications

Année

En milliards de francs

En % des crédits initiaux

En milliards de francs

En % des crédits initiaux

En % des crédits votés

En milliards de francs

En % des crédits initiaux

1981

+ 77,27 (c)

8,51

+ 68,92

7,59

7,00

+ 146,19

16,10

1982

+ 30,30 (d)

2,65

+ 54,74

4,79

4,66

+ 85,04

7,44

1983

+ 22,31

1,73

+ 48,65

3,79

3,72

+ 70,96

5,52

1984

+ 48,05

3,45

+ 67,96

4,88

4,72

+ 116,01

8,33

1985

+ 28,10

1,86

+ 95,29

6,31

6,20

+ 123,39

8,17

1986

+ 61,99 (d)

3,91

+ 88,49

5,58

5,38

+ 150,48

9,49

1987

+ 31,30

1,91

+ 132,25

8,07

7,92

+ 163,55

9,98

1988

+ 52,57

3,09

+ 104,98

6,17

5,98

+ 157,55

9,26

1989

+ 46,79

2,65

+ 108,84

6,17

6,01

+ 155,63

8,82

1990

+ 53,36

2,81

+ 125,43

6,60

6,42

+ 178,79

9,41

1991

+ 33,62

1,84

+ 119,56

6,55

6,43

+ 153,18

8,39

1992

+ 56,76

2,97

+ 124,45

6,51

6,32

+ 181,21

9,48

1993

+ 141,30 (d)

7,01

+ 80,18

3,98

3,72

+ 221,48

11,00

1994

+ 46,32

2,19

+ 125,53

5,96

5,83

+ 171,85

8,15

1995

+ 126,95 (d)

5,84

+ 84,63

3,89

3,68

+ 211,58

9,73

1996

+ 47,86

2,09

+ 130,84

5,72

5,60

+ 178,70

7,81

1997

+ 64,44

2,75

+ 134,24

5,72

5,57

+ 198,68

8,47

1998

+ 77,78

3,21

+ 134,77

5,57

5,39

+ 212,37

8,78

(a) Ouverture de crédits dans la quasi-totalité des cas.

(b) Y compris les rétablissements de crédits (15,44 milliards de francs en 1998) et les annulations associées aux lois de finances rectificatives.

(c) 4 lois de finances rectificatives.

(d) 2 lois de finances rectificatives.

1. Les crédits évaluatifs et provisionnels

Dans les hypothèses définies aux articles 9 et 10 de l'ordonnance, qui concernent les crédits évaluatifs et les crédits provisionnels, les dépenses effectives peuvent dépasser les crédits ouverts. Ces exceptions au caractère limitatif des crédits portent une réelle atteinte au principe de l'autorisation de la dépense par le Parlement. Elles ont, en outre, pour effet de minorer, en affichage, certains crédits pour un montant global non négligeable.

Ventilation des dépassements de crédits évaluatifs

(budget général)

(en millions de francs)

Nature des dépenses

1996

1997

1998

Evolution

1998/1997

(en %)

Titre I

Dette publique

Garanties diverses

Dépenses en atténuation de recettes

2.419,73

0,00

15.690,99

1.692,30

4.974,59

2.186,04

2.107,06

101,28

11.206,63

24,51

- 97,96

412,65

Titre III

Pensions civiles et anciens combattants

Frais de justice et réparations civiles

Cotisations et prestations sociales

454,72

341,24

2.337,91

652,31

429,68

964,02

233,53

220,71

867,94

- 64,20

- 48,63

- 9,97

Titre IV

Bonifications d'intérêts

Fonds national de chômage

Dations en paiement

Divers

489,57

1.511,17

0,00

2,61

2.738,45

883,22

149,51

0

0

514,32

40,30

0

- 100,00

- 41,77

- 73,04

0

TOTAL

23.247,95

14.670,11

15.291,77

4,24

Ventilation des dépassements de crédits

(budgets annexes)

(en millions de francs)

1995

1996

1997

1998

1998 :

dépassements rapportés au total net des crédits (en %)

Aviation civile

349,98

114,89

198,80

397,61

4,42

Journaux officiels

19,79

36,97

35,14

24,58

2,19

Légion d'honneur

2,89

3,09

4,66

2,04

1,31

Monnaies et médailles

11,75

9,07

22,03

38,25

2,64

Ordre de la Libération

0,75

0,70

0,57

0,37

8,78

BAPSA

938,82

1.194,35

512,48

1.388,57

1,49

TOTAL

1.323,98

1.359,06

773,68

1.851,42

1,77

Cette situation est si peu satisfaisante que, dans la proposition de loi déposée à l'Assemblée Nationale, les crédits évaluatifs et provisionnels sont presque totalement supprimés. Seules les charges d'intérêt versées sur la dette de l'Etat pourraient désormais donner lieu à des crédits évaluatifs.

Cette solution paraît extrême. En effet, certaines causes de dépenses sont, par nature, difficiles à maîtriser. C'est pour en tenir compte qu'il est proposé de maintenir l'existence des seuls crédits évaluatifs, mais pour les seules dépenses réunissant ces caractéristiques.

Cette souplesse accordée au gouvernement dans l'exécution des lois de finances ne doit pas être comprise comme le dispensant d'une évaluation sincère desdites charges. Au contraire, elle doit avoir pour contrepartie une demande de ratification des crédits ainsi ouverts dans le plus prochain projet de loi de finances afférent à l'exercice concerné. Cette ratification ne fait pas actuellement l'objet d'une demande formelle, excepté pour les décrets d'avances intervenant dans la mécanique des crédits provisionnels. Cette dernière catégorie de crédits serait quant à elle supprimée.

2. Les crédits globaux, une amodiation apportée à la règle de spécialisation des crédits

La spécialisation des crédits par chapitre connaît des exceptions. Certains chapitres peuvent comporter des crédits globaux destinés à couvrir des dépenses dont la répartition ne peut être déterminée au moment où ils sont votés. Cette exception prévue à l'article 7 de l'ordonnance n'est pas la seule. Deux autres catégories de crédits globaux existent. Un crédit global pour dépenses éventuelles est prévu par l'article 10 qui traite du régime des crédits provisionnels. En outre, l'article 11 de l'ordonnance institue un crédit global pour dépenses accidentelles. L'évolution récente de ces différents crédits globaux est rappelée dans le tableau ci-après.

Evolution des crédits globaux du budget général

Evolution par

Montants rapportés

Montant
(en millions de francs)

rapport à l'année précédente (en %)

au total des mouvements internes de crédits (en %)

aux crédits ouverts en loi de finances initiale (en %)

au total des crédits votés (en %)

au total net des crédits ouverts (en %)

1994

15.630,2

+ 3,6

9,8

0,93

0,91

0,86

1995

11.182,1

- 28,5

7,2

0,65

0,62

0,60

1996

12.326,0

+ 10,2

7,4

0,69

0,67

0,63

1997

14.137,5

+ 14,7

7,4

0,77

0,76

0,72

1998

10.927,03

- 22,7

5,6

0,58

0,56

0,53

Source : commission des finances de l'Assemblée nationale

Par nature, l'existence de crédits globaux dispense de les affecter à des dépenses déterminées. C'est tout particulièrement le cas pour les crédits globaux de l'article 7 qui se sont élevés en 1998 à 10,5 milliards de francs (3,5 milliards de francs pour les emplois jeunes ; 1,2 milliard de francs pour l'outre-mer ; 1 milliard de francs pour l'intérieur ; 2,87 milliards de francs pour l'accord salarial dans la fonction publique).

Ce devrait l'être moins pour les crédits globaux pour dépenses éventuelles ou pour dépenses accidentelles afin de faire face à des calamités ou à des dépenses urgentes ou imprévues. Dans les faits, la conditionnalité imprécise posée pour utiliser ces crédits permet pourtant de leur affecter les utilisations les plus variées. Si le montant des crédits pour dépenses éventuelles (chapitre 37-94 du budget des charges communes) ou pour dépenses accidentelles (chapitre 37-95 du même budget) a longtemps limité l'ampleur du problème posé par cette situation, il n'en va plus de même puisque cette dernière catégorie des dépenses accidentelles connaît une vive expansion.

(en millions de francs)

Chapitres

Intitulés

LFI 1990

LFI 1991

LFI 1992

LFI 1993

LFI 1994

LFI 1995

LFI 1996

LFI 1997

LFI 1998

LFI 1999

LFI 2000

37-94

Dépenses éventuelles

285

285

285

285

285

285

85

245

285

300

300

37-95

Dépenses accidentelles

250

250

250

250

260

260

210

200

260

450

1.640

C'est à très juste titre que le rapport de notre collègue Louis-Ferdinand de Rocca Serra 30 ( * ) a dénoncé à leur sujet la mise en place d'une réserve de crédits.

Dans les faits, ces crédits globaux se distinguent mal des crédits de l'article 7. Leur existence ne paraît pas autrement justifiée que par le texte de l'ordonnance qui les institue. Il convient donc de supprimer les articles qui fondent les crédits pour dépenses éventuelles ou accidentelles.

Une solution identique doit être envisagée pour les crédits globaux de l'article 7. Les montants qu'ils atteignent et l'absence totale de fléchage de leur emploi portent une atteinte excessive au principe d'affectation des crédits par les lois de finances.

On observera d'ailleurs que la suppression de ces différents crédits globaux n'empêchera pas l'exécutif de disposer de moyens pour faire face à des dépenses réellement accidentelles. En premier lieu, il sera loisible, dans le cadre des programmes, de ménager de tels crédits qui, compte tenu de leur intégration dans un programme, seront plus transparents mais aussi mieux garantis contre les tentatives d'usages alternatifs. En second lieu, la procédure des décrets d'avances pourra toujours, le cas échéant, être utilisée.

3. Deux exceptions supplémentaires apportées au principe de la spécialisation des crédits, les transferts et les virements.

L'ordonnance pose une règle de spécialisation des crédits qui prend deux visages : celui d'une mise à disposition des crédits aux ministres et celui d'une répartition des crédits par chapitre. On rappelle que, selon les termes de l'article 7 de l'ordonnance, les chapitres groupent " les dépenses selon leur nature ou selon leur destination ".

Deux exceptions à la règle de spécialisations des crédits sont organisées par l'article 14 de l'ordonnance. Elles concernent les transferts et les virements.

Les transferts et les virements ont en commun de ne pouvoir conduire à la création de nouveaux chapitres. Ils ne peuvent ainsi intervenir que dans le cadre de la nomenclature budgétaire consacrée par la loi de finances.

Les transferts sont, en théorie, une forme bénigne d'atteinte à la spécialité des crédits. En effet, s'ils modifient la détermination du service responsable de l'exécution de la dépense, ils ne modifient pas celle-ci dans sa nature. Aussi, peuvent-ils être autorisés par simple arrêté du ministre des finances.

Pourtant, leur volume est important.

Budget général : Transferts de crédits

Montants rapportés

Montants (en millions de francs)

Evolution par rapport à l'année précédente (en %)

au total des mouvements internes de crédits (en %)

aux crédits ouverts en loi de finances initiale (en %)

au total des crédits votés (en %)

au total net des crédits ouverts

(en %)

1994

142.132,4

- 0,26

89,4

8,49

8,26

7,82

1995

143.056,6

+ 0,7

92,1

8,38

7,94

7,64

1996

151.817,1

+ 6,1

91,4

8,44

8,25

7,80

1997

174.520,4

+ 15,0

91,2

9,53

9,35

8,85

1998

180.807,24

+ 3,6

93,0

9,62

9,32

8,82

Mais, sauf à ce qu'ils respectent leur destination, ce qui n'est hélas pas toujours le cas, comme en témoignent les rapports de la Cour des comptes, il n'y a pas de raison de supprimer les transferts de crédits.

Les questions posées par les virements de crédits sont plus épineuses. En effet, les virements modifient la nature de la dépense prévue par les lois de finances. Ils constituent donc une entorse à la règle qui veut que les lois de finances déterminent, seules, la nature des charges de l'Etat. Cette entorse est certes encadrée par l'ordonnance. Formellement, les virements appellent ainsi l'intervention d'un décret. Sur le fond, ils doivent intervenir à l'intérieur d'un même titre du budget d'un même ministère, et doivent être maintenus dans la limite du dixième de la dotation de chacun des chapitres intéressés. Ces conditions expliquent sans doute le montant relativement modeste des virements.

Budget général : virements de crédits

Montants rapportés

Montants (en millions de francs)

Evolution par rapport à l'année précédente
(en %)

au total des mouvements internes de crédits (en %)

aux crédits ouverts en loi de finances initiale (en %)

au total des crédits votés (en %)

au total net des crédits ouverts

(en %)

1994

1.161,6

- 50,4

0,7

0,07

0,07

0,06

1995

1.093,5

- 5,9

0,7

0,06

0,06

0,06

1996

1.880,4

+ 72,0

1,1

0,10

0,10

0,10

1997

2.679,4

+ 42,5

1,4

0,15

0,14

0,14

1998

2.756,9

+ 2,9

1,4

0,15

0,14

0,13

Potentiellement très attentatoires à la portée de l'autorisation parlementaire, les virements semblent en pratique utilisés dans des conditions à peu près satisfaisantes, la Cour des comptes étant toutefois conduite à produire à leur propos des observations régulières.

Les propositions de réforme de l'ordonnance organique sont néanmoins susceptibles de modifier cette appréciation.

Ainsi, la proposition de loi organique déposée à l'Assemblée nationale prévoit-elle que les virements seraient susceptibles d'intervenir entre différents programmes et instaure-t-elle un nouveau plafond, le dixième des dotations de chaque programme, qui, désormais, en conditionnerait le montant. Cette formule nouvelle aboutirait à élargir considérablement les facultés de virement puisque :

•  ils pourraient intervenir entre des ministères différents ;

•  ils pourraient conduire à des changements d'affectation des crédits d'une politique publique à une autre, entièrement différente, d'autant plus radicaux que des ministères différents pourraient être concernés ;

•  ils pourraient, enfin, modifier tout aussi radicalement la nature des crédits ouverts en lois de finances puisqu'ils ne seraient plus soumis à la condition d'intervenir au sein du même titre de crédits.

Cette large extension du régime des virements doit être soigneusement évaluée. Sans doute serait-il préférable d'en revenir à une conception plus traditionnelle, qui serait évidemment adaptée à la nouvelle nomenclature budgétaire. Il conviendrait par exemple de restaurer les souplesses nécessaires à la bonne gestion de chaque programme en prévoyant la faculté de virements de crédits au sein de chacun d'entre eux. En effet, la suppression de cette utile faculté que semble comporter la proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale serait un frein à la fongibilité des crédits qui est, par ailleurs, recherchée.

Votre commission exprime donc une préférence pour une large fongibilité des crédits à l'intérieur des programmes, et pour une exclusion des mouvements entre programmes.

4. Les décrets d'avances

Le régime des décrets d'avances porte une atteinte au caractère limitatif des crédits mais aussi et surtout au principe d'une autorisation parlementaire préalable de la dépense. Au moment de l'aborder, il faut ne pas oublier de citer l'hypothèse, d'utilisation très rare, des dépassements de crédits résultant de circonstances de force majeure, mentionnée par l'article 35 de l'ordonnance.

Hors cette occurrence et celle, déjà envisagée, des décrets d'avances pris pour faire face à des calamités ou à des dépenses urgentes ou imprévues, dans cette dernière situation, l'abondement des crédits d'un chapitre n'augmente pas le volume initial du budget. Il existe trois catégories de décrets d'avances qui, quant à elles, ont cet effet :

- la première, organisée par l'article 10 de l'ordonnance, concerne les crédits provisionnels, et devrait disparaître avec cette catégorie de crédits ;

- la deuxième ouvre la faculté d'augmenter les crédits en cas d'urgence et de nécessité impérieuse d'intérêt national. En ce cas, le respect de l'équilibre financier des lois de finances en vigueur n'est pas exigé. La gravité de l'atteinte portée à l'autorisation parlementaire suppose, en contrepartie, qu'un projet de loi de finances portant ratification de ces crédits soit déposé immédiatement ou à l'ouverture de la plus prochaine session du Parlement. Très heureusement, la condition de nécessité impérieuse d'intérêt national se rencontrant rarement, ce cas d'ouverture de crédits par décrets d'avances semble assez théorique. Il pourrait être d'autant plus facilement envisageable de le supprimer que le régime de session unique du Parlement et la facilité de convoquer celui-ci en session extraordinaire -exigence bien naturelle en cas de " nécessité impérieuse d'intérêt national " - permettent au gouvernement d'obtenir rapidement des crédits du Parlement ;

- la troisième catégorie de décrets d'avances est la plus répandue. Elle correspond à la situation où l'urgence motive des ouvertures de crédits supplémentaires, sans que celles-ci n'affectent l'équilibre financier défini par la loi de finances. Elle doit respecter des conditions de forme, avec l'intervention d'un décret pris sur avis du Conseil d'Etat et une demande de ratification dans la plus prochaine loi de finances.

Evolution des ouvertures par décrets d'avance et des annulations associées

Nombre de décrets d'avance

Montant (en millions de francs)

Part dans les crédits initiaux nets
(en %)

Ouvertures

Annulations associées

Solde

Ouvertures

Annulations

Solde

1980

2

3.496

610

2.886

0,67

0,12

0,55

1981

2

285

-

285

0,05

-

0,05

1982

1

2.150

250

1.900

0,27

0,03

0,24

1983

-

-

-

-

-

-

-

1984

2

3.780

2.781

999

0,4

0,3

0,1

1985

-

-

-

-

-

-

-

1986

1

630

530

100

0,06

0,05

0,01

1987

3

7.284

5.219

2.065

0,69

0,5

0,19

1988

2

4.362

2.733

1.629

0,40

0,25

0,15

1989

2

5.073

6.573

- 1.500

0,44

0,57

- 0,13

1990

2

2.803

3.743

- 940

0,23

0,31

0,08

1991

1

1.500

-

1.500

0,12

-

0,12

1992

2

14.781

4.781

10.000

1,12

0,36

0,76

1993

1

5.000

5.000

0

0,36

0,36

0,00

1994

2

7.245

7.170

75

0,50

0,49

0,01

1995

1

600

600

0

0,04

0,04

0,00

1996

2

17.731

14.851

2.880

1,14

0,95

0,19

1997

2

12.836

12.781

55

0,81

0,81

0,00

1998

2

6.037

5.358

679

0,38

0,33

0,04

Le montant des ouvertures de crédits par décrets d'avances est variable selon les années. Il atteint parfois des niveaux élevés et même si, alors, les ouvertures de crédits ainsi réalisées ne représentent qu'une faible proportion des crédits ouverts, comparées aux mesures nouvelles de la loi de finances, elles deviennent sensiblement plus significatives.

Cette situation pourrait constituer une exception admissible au principe de l'autorisation parlementaire préalable si la condition d'urgence et celle d'un respect de l'équilibre financier défini par les lois de finances étaient toujours réunies.

Tel n'est pas le cas et, comme l'écrivait l'auteur du manuel de législation financière du centre de formation professionnelle du ministère de l'économie et des finances 31 ( * ) : " L'urgence est donc souvent invoquée alors même que les circonstances ne le justifient pas " ; " les crédits supplémentaires ne sont pas toujours gagés par de véritables recettes... ou sont payés par des recettes supplémentaires estimées mais non encore constatées ".

La pratique des décrets d'avances apparaît donc abusive.

C'est la raison pour laquelle elle doit être soumise à des conditions plus strictes que celles actuellement en vigueur. Un avis préalable des commissions des finances devrait ainsi être prévu. L'exigence formelle d'une constatation des annulations de crédits et des recettes supplémentaires venant financer les ouvertures de crédits pourrait également être posée.

5. La majoration des crédits des comptes d'affectation spéciale

Le second alinéa de l'article 25 de l'ordonnance comporte une disposition de nature à dispenser un montant considérable de dépenses de toute autorisation parlementaire.

Il s'agit de permettre au ministre des finances, par simple arrêté, de majorer les crédits de ces comptes à hauteur des suppléments de recettes qui pourraient être constatés.

Il suffit donc de minorer les évaluations de recettes de ces comptes pour conférer au ministre des finances la possibilité d'arbitrer, comme il le souhaite, leurs dépenses.

Si, " in fine ", la loi de règlement est appelée à constater les dépenses effectives - les arrêtés du ministre ne font même pas l'objet d'une demande formelle de ratification -, cette entorse au principe d'une autorisation préalable de la dépense par le Parlement est d'autant moins admissible qu'elle porte sur des sommes considérables. Ce phénomène se vérifie tout particulièrement avec le compte n° 902-24 retraçant le produit et l'affectation des cessions de titres publics, comme le montre le tableau suivant.

Comparaison des prévisions et des réalisations (comptes n° 902-24 et n° 904-09)

(en millions de francs et %)

1996

1997

1998

1999

Prévues

Effectives

Var

Prévues

Effectives

Var

Prévues

Effectives

Var

Prévues

Effectives

Var

Dépenses

16.517

18.923

+ 15 %

27.000

60.958

+ 126 %

28.000

53.548

+ 91 %

17.500

32.313

+ 85 %

Source : Cour des Comptes

Cette " commodité " heurte le principe essentiel en démocratie d'une autorisation préalable des crédits par le Parlement, et ôte à l'examen des comptes d'affectation spéciale beaucoup de sa crédibilité. Il convient de la supprimer.

6. Les reports de crédits

Les reports de crédits voient leur régime énoncé à l'article 17 de l'ordonnance organique. Ils sont une exception au principe de l'annualité budgétaire puisque, sans autorisation parlementaire nouvelle, des crédits qui devraient s'éteindre au terme d'un exercice, sont rendus disponibles au-delà.

Ils sont également la manifestation concrète que, au-delà des procédures formelles prévoyant l'annulation de crédits, des phénomènes de sous-consommation doivent être constatés en pratique. En ce sens, les reports de crédits peuvent être un moyen, marqué d'opacité, de pilotage budgétaire.

Ils sont enfin une exception au principe d'universalité budgétaire. Par définition, les crédits reportés d'un exercice à l'autre ne sont pas retracés dans la loi de finances de l'exercice nouveau. Sous cet angle, les reports de crédits nuisent incontestablement à l'appréciation des moyens demandés dans les lois de finances.

Les reports de crédits atteignent des niveaux élevés.

Budget de l'Etat : évolution de la balance des reports de crédits

(en millions de francs)

1988

1989

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

A. Reports de la gestion précédente

B. Reports à la gestion suivante

52.552

51.241

51.241

62.387

62.387

60.442

60.442

56.390

56.390

52.230

53.229

61.074

61.074

54.681

54.682

67.755

67.755

69.602

69.802

64.319

64.319

80.004

C. Balance des reports (A - B)

+ 1.311

- 11.146

+ 1.945

+ 4.052

+ 3.160

- 7.845

+ 6.393

- 13.073

- 2.047

+ 5.483

- 15.685

Source : commission des finances de l'Assemblée nationale

Les reports représentent environ 4 % des crédits ouverts. Ils sont cependant concentrés sur les titres V et VI, et concernent certains chapitres de façon structurelle.

Chapitres sur lesquels les reports représentent plus de 5 % des crédits ouverts
par voie législative (en 1998 et 1999)

(en millions de francs)


Fascicule


Chapitre


Reports sur 1996

% des lois de finances 1995


Reports sur 1997

% des lois de finances 1996


Reports sur 1998

% des lois de finances 1997


Reports sur 1999

% des lois de finances 1998

Agriculture et pêche

61-83

723,5

n.c.

1.289,9

n.c.

1.715,7

n.c.

1.637,6

216,2 %

Anciens combattants

57-91

13,1

92,9 %

25,7

79,4 %

25,2

183,3 %

36,7

220,1 %

Enseignement scolaire

56-01

56-37

66-33

70,4

46,2

34,4

16,6 %

11,6 %

19,5 %

127,1

21,8

54,0

39,1 %

5,8 %

35,1 %

79,7

63,6

61,4

28,4 %

21,0 %

47,7 %

111,9

47,6

47,6

35,2 %

14,7 %

49,8 %

Intérieur et décentralisation

57-09

57-40

57-50

57-60

65-51

67-51

67-52

67-53

11,4

196,7

458,4

92,1

5,4

312,0

1.375,3

674,1

142,5 %

24,8 %

75,8 %

43,4 %

3,8 %

71,8 %

39,5 %

28,5 %

3,4

332,2

266,0

49,1

40,3

411,9

2.262,2

814,6

197,2 %

40,5 %

50,9 %

63,7 %

23,0 %

89,4 %

74,9 %

33,2 %

1,8

421,3

272,7

78,1

87,4

510,1

2.959,6

869,2

n.c.

59,7 %

72,9 %

24,8 %

56,0 %

91,7 %

123,1 %

34,4 %

0,9

268,4

342,9

188,0

91,5

620,6

3.443,4

753,6

31,7 %

41,5 %

100,9 %

48,3 %

70,9 %

110,7 %

139,8 %

29,1 %

Outre-mer

57-91

58-01

65-01

67-51

68-01

68-90

2,7

0,0

0,0

19,7

8,6

0,0

32,4 %

0,0 %

n.c.

216,4 %

2,3 %

0,0 %

3,7

3,1

417,7

13,7

27,0

289,1

20,5 %

13,4 %

67,5 %

406,8 %

7,4 %

158,0 %

7,1

17,9

26,3

11,4

90,5

326,3

39,3 %

93,5 %

5,7 %

207,1 %

32,5 %

233,0 %

23,2

11,4

61,3

20,4

45,8

422,1

76,4 %

71,7 %

10,1 %

149,3 %

19,7 %

321,1 %

Recherche et technologie

56-06

57-02

0,0

6,4

0,1 %

98,5 %

0,0

5,1

0,0 %

102,6 %

5,0

3,0

55,1 %

493,5 %

6,8

6,9

96,5 %

114,9 %

Plan

66-01

1,0

18,0 %

0,4

6,7 %

0,4

10,4 %

0,4

9,8 %

Jeunesse et sports

57-01

66-50

21,0

83,4

42,8 %

168,6 %

19,4

71,6

51,0 %

132,1 %

42,0

50,4

119,0 %

213,3 %

34,8

45,7

81,8 %

61,9 %

Santé, solidarité et ville

56-10

57-93

66-50

n.d.

n.d.

n.d.

n.d.

n.d.

n.d.

2,4

12,9

1,0

n.d.

n.d.

n.d.

1,1

17,7

1,0

14,8 %

29,4 %

25,0 %

1,4

68,8

1,0

28,0 %

74,7 %

16,7 %

Enseignement supérieur

56-10

66-73

137,8

83,8

12,7 %

8,3 %

120,8

26,8

11,3 %

3,2 %

474,8

193,4

36,7 %

21,3 %

611,4

121,0

65,6 %

13,7 %

Note : n.d. (non déterminé) indique que les modifications de la structure budgétaire ne permettent pas de procéder à des comparaisons sur une base rigoureuse.

n.c. (non calculé) indique les chapitres non dotés en loi de finances initiale ou en loi de finances rectificative.

Source : Cour des comptes citée par la commission des finances de l'Assemblée nationale.

Cette caractéristique n'est pas étonnante compte tenu des dispositions de l'ordonnance, qui placent les dépenses en capital au coeur du régime des reports de crédits. Selon ses termes en effet, " les crédits de paiement disponibles sur opérations en capital sont reportés par arrêté du ministre des finances ". Mais d'autres crédits peuvent être reportés ; il en va ainsi de ceux qui correspondent aux chapitres énumérés dans un état annexé (l'état H) à la loi de finances ainsi que, dans la limite du dixième de la dotation du chapitre intéressé, de ceux correspondant à des dépenses engagées mais non encore ordonnancées.

L'importance relative de ces différentes catégories de reports est donnée dans le tableau ci-dessous.

Evolution des reports de crédits

(en millions de francs et en %)

1992/1993

1993/1994

1994/1995

1995/1996

1996/1997

1997/1998

1998/1999

I - Budgets civils

Crédits inscrits à l'état H :

- Reports anticipés

6.113,4

7.748,7

1.816,7

3.867,4

5.754,9

690,8

3.018,2

- Arrêté général

6.764,3

8.790,0

6.656,6

8.627,4

6.700,8

10.333,3

12.624,0

- Total

12.877,7

16.538,7

8.473,3

12.494,8

12.455,7

11.024,1

15.642,2

- 2,2 %

+ 28,4 %

- 48,8 %

+ 47,5 %

- 0,3 %

- 11,5 %

+ 41,9 %

Reports du 1/10 e :

- Reports anticipés

10,1

8,3

271,8

66,1

76,2

287,1

113,1

- Arrêté général

1.429,2

1.160,2

1.046,2

1.537,8

1.861,3

1.571,6

2.237,5

- Total

1.439,3

1.168,5

1.371,9

1.603,8

1.937,5

1.858,7

2.350,6

- 15,5 %

+ 18,8 %

- 12,8 %

+ 21,7 %

+ 20,8 %

+ 4,1 %

+ 26,5 %

Fonds de concours :

- Anticipés et arrêté général

2.291,3

2.463,2

2.366,0

3.160,8

3.387,2

2.634,7

3.766,8

- 11,9 %

+ 7,5 %

- 3,9 %

+ 33,6 %

+ 7,2 %

- 22,2 %

+ 43,0 %

Crédits d'investissement :

- Reports anticipés

4.313,9 (a)

8.582,1

2.206,8

3.056,9

4.688,2

5.422,1

5.418,6

- Arrêté général

17.936,3

16.834,5

21.285,9

22.183,8

28.637,1

25.907,0

29.786,7

- Total

22.250,2

25.416,6

23.492,8

25.240,7

33.325,2

31.329,1

35.203,3

-

- 6,0 %

+ 14,2 %

- 7,6 %

+ 7,4 %

+ 32,0 %

- 6,0 %

+ 12,4 %

Total des budgets civils

38.858,5

45.587,0

35.650,0

42.500,1

51.105,6

46.846,6

56.964,9

- 4,5 %

+ 17,3 %

- 21,8 %

+ 19,2 %

+ 20,2 %

- 8,3 %

+ 21,6 %

II - Défense

- Etat H

64,6

122,7

61,2

83,2

93,8

25,0

5,0

- Report du 1/10 e + FdC

398,5

606,1

872,8

1.445,4

949,3

873,5

1.077,0

- Crédits d'investissement

9.392,4

9.543,1

11.369,7

11.339,7

5.273,5

6.770,8

5.471,4

Total de la Défense

9.855,5

10.271,9

12.303,8

12.868,3

6.316,6

7.669,3

6.553,4

- 12,8 %

+ 4,2 %

+ 19,8 %

+ 4,6 %

- 50,9 %

+ 21,4 %

- 14,6 %

Total budget général

48.714,0

55.858,9

47.953,8

55.368,4

57.422,2

54.515,9

63.518,3

- 6,3 %

+ 14,7 %

- 14,2 %

+ 15,5 %

+ 3,7 %

- 5,1 %

+ 16,5 %

Reports/crédits ouverts bruts

2,9 %

3,1 %

2,6 %

3,0 %

2,9 %

2,8 %

3,1 %

Reports/crédits ouverts nets

3,3 %

3,6 %

3,0 %

3,4 %

3,4 %

3,2 %

3,7 %

(a) Dont 66,70 millions de francs de reports vers le budget annexe de l'Aviation civile

Source : ministère de l'économie, des finances et de l'industrie

Les crédits sur opérations en capital prédominent, suivis de ceux inscrits à l'état H. Les crédits reportés sur dépenses engagées sont beaucoup moins substantiels.

Les justifications apportées aux reports de crédits sont de deux ordres, les unes très techniques tiennent à la nature des crédits considérés ; les autres font valoir leur apport à une bonne gestion budgétaire.

Ces différents arguments doivent être pris en considération avec le plus grand soin si l'on souhaite mettre en place un régime intelligent de reports de crédits. Mais un choix de principes doit préalablement être arrêté, celui du maintien ou de l'abandon du caractère annuel des lois de finances. Votre commission considère que le choix à faire en matière de dépenses, n'est pas indépendant de celui concernant les recettes. Il paraît en effet difficile de faire prévaloir l'annualité de l'autorisation pour les recettes et de s'en écarter entièrement pour les dépenses.

La proposition de loi issue des travaux de l'Assemblée nationale semble affectée sur ces points de quelques ambiguïtés. En effet, elle commence par réaffirmer le principe de l'annualité budgétaire pour les recettes comme pour les dépenses. Mais elle organise, dans le même temps, un régime de report des crédits sans limitation. Ces deux énoncés peuvent paraître contradictoires et appellent donc des clarifications. Sur le fond, votre commission considère que l'ouverture d'une faculté illimitée de reports de crédits suppose un inventaire des pratiques. Elle remarque que la procédure budgétaire européenne permet de suivre l'exécution des crédits puisque les crédits nécessaires à l'apurement des " restes à liquider " figurent chaque année dans les budgets arrêtés par les institutions communautaires. Elle estime en toute hypothèse que les reports de crédits ne sauraient instituer une sorte de partie immergée, et donc cachée, de l'iceberg budgétaire , sauf à ce que l'examen des lois de finances par le Parlement n'en pâtisse sérieusement.

En tout état de cause, une information claire et exhaustive du Parlement sur les crédits disponibles avant vote des crédits demandés doit être associée au projet de loi de finances.

IV. AFFIRMER L'OBLIGATION DE SINCÉRITÉ

A. LA SINCÉRITÉ : UN PRINCIPE ESSENTIEL DE LA COMPTABILITE GÉNÉRALE

Le principe de sincérité des comptes constitue l'un des critères déterminant pour l'approbation des comptes d'une entreprise, aux côtés des principes d'image fidèle, de prudence et de permanence. En revanche, elle n'est pas un principe constitutif des règles de présentation des comptes publics, qui doivent avant toute chose répondre à des impératifs de régularité.

Selon le plan comptable général, la sincérité est " l'application de bonne foi des règles et procédures, en fonction de la connaissance que les responsables doivent avoir de la réalité " ; elle implique que la comptabilité donne " des informations adéquates, loyales, claires, précises et complètes ". Elle repose sur la mise en oeuvre des règles en vigueur et l'établissement de trois documents indissociables (le bilan, le compte de résultat, et l'annexe qui explique les choix méthodologiques effectués).

La sincérité implique que les comptes ne cherchent pas à dissimuler des éléments, à masquer des faits ou encore à évaluer de manière biaisée des prévisions de recettes ou de charges. Dans la comptabilité générale, la sincérité est souvent appréciée par rapport aux dotations aux amortissements et aux provisions, pour lesquelles les entreprises disposent d'une marge d'appréciation significative. Par exemple, des provisions peuvent être volontairement sous-évaluées afin de dissimuler les créances douteuses d'une entreprise, et donner ainsi une image positive de sa santé financière.

La comptabilité de l'Etat repose essentiellement sur la gestion annuelle des recettes et des crédits prévus par les lois de finances. Dans ce contexte, le principe de sincérité apparaît d'une application restreinte.

La mise en oeuvre effective de ce principe implique une réforme de la comptabilité de l'Etat que votre commission appelle de ses voeux. Votre rapporteur souligne cependant que la rénovation de la comptabilité de l'Etat a d'ores et déjà été engagée par le gouvernement dans le cadre de la présentation du compte général de l'administration des finances pour l'année 1999. Le rapport de présentation note d'ailleurs que le contexte de la réforme est " la volonté de mieux asseoir la sincérité de la comptabilité de l'Etat et d'enrichir l'information qu'elle délivre en la rapprochant des pratiques de droit commun ".

La question de la sanction à assortir au principe de sincérité apparaît délicate : dans une entreprise, dès lors qu'un expert-comptable certifie les comptes et témoigne donc de leur régularité et de leur sincérité, il peut être tenu pour responsable s'il apparaît que les comptes ainsi certifiés ne sont pas effectivement réguliers et sincères. Or, dans l'appareil d'Etat, une sanction juridique apparaît difficile à mettre en oeuvre. Certes, des sanctions existent à l'égard des ordonnateurs et des comptables. En particulier, la Cour de discipline budgétaire et financière peut délivrer des amendes si une infraction aux règles comptables est prouvée. Cependant, la nécessité de prouver l'existence d'une infraction exclut que la Cour de discipline puisse sanctionner une mauvaise gestion. De plus, les membres du gouvernement ne relèvent pas de la juridiction de la Cour. Enfin, il paraît difficile de mettre en oeuvre, à l'image de la pratique en comptabilité privée, une responsabilité de la Cour des comptes, organisme certificateur, en cas de défaillance de celui-ci.

Les entorses au principe de sincérité peuvent résulter d'infractions, mais pas toujours comptables à proprement parler : il peut en effet s'agir de manipulations comptables régulières, mais visant à dissimuler certaines opérations financières, ou à jouer sur l'imputation de celles-ci. Ces manipulations peuvent en particulier être décidées par le gouvernement afin d'afficher un solde budgétaire conforme aux objectifs qu'il s'est fixé.

En conséquence, votre commission considère que la mise en jeu de la responsabilité des ministres, en cas de non respect de la sincérité des comptes, doit prendre essentiellement la forme d'une sanction politique. Celle-ci peut être la révocation d'un ministre ou le vote par le Parlement d'une motion de censure à l'encontre du gouvernement.

Le plan comptable général indique que " la comptabilité est conforme aux règles et aux procédures en vigueur qui sont appliquées avec sincérité afin de traduire la connaissance que les responsables de l'établissement des comptes ont de la réalité et de l'importance relative des événements enregistrés ". Votre commission considère que cette obligation doit s'appliquer à l'Etat de la même manière qu'aux autres acteurs économiques. Il apparaît en effet inconcevable que l'Etat ne soit pas tenu de respecter ces préceptes. L'article 14 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 indique que " tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes, ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée ". Or, comment pourrait-il en être ainsi si les informations dont bénéficient les citoyens et leurs représentants, et qui éclairent les décisions de ces derniers, ne sont pas sincères ? La sincérité budgétaire et comptable doit être érigée en principe fondamental de la démocratie , qui suppose que le gouvernement ne cherche pas à tromper la Nation et ses représentants. Une circulaire du Premier ministre parue au Journal Officiel du 24 février 2000 rappelait d'ailleurs fort justement à ce propos que " la transparence de la gestion publique constitue une exigence démocratique ".

B. L'EXÉCUTIF EST FRÉQUEMMENT CRITIQUÉ POUR SES MANQUEMENTS AU RESPECT DU PRINCIPE DE SINCÉRITÉ

Suite à l'épisode de la " cagnotte fiscale " à la fin de l'année 1999, votre commission a été dotée des prérogatives d'une commission d'enquête, afin de recueillir des informations sur le fonctionnement des services de l'Etat, en particulier ceux du ministère de l'économie et des finances, dans l'élaboration des projets de loi de finances et dans l'exécution des lois de finances. Le rapport issu de ces travaux dresse le constat que " la sincérité des données à partir desquelles sont élaborées les projets de loi de finances n'apparaît pas comme l'une des premières préoccupations du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, que ce soit des services mais également des ministres ".

Le principe de sincérité peut être apprécié a priori (la loi de finances initiale) ou a posteriori (la sincérité des comptes budgétaires exécutés et de la comptabilité de l'Etat). L'appréciation de la sincérité de la loi de finances initiale pose un certain nombre de difficultés. La Cour des comptes souligne que, dans ce cas, " il faudrait préciser le champ de la sincérité. Comprendrait-il la construction même du budget (périmètre et architecture de la loi de finances) l'adéquation des moyens, c'est-à-dire des crédits et des effectifs, aux missions, les hypothèses économiques, financières, fiscales et sociales du gouvernement, qui visent notamment les recettes ? La liste n'est pas exhaustive ".

Lors de son audition par la commission, M. Christophe Blanchard-Dignac, alors directeur du budget, a rappelé que " la sincérité du projet de loi de finances initiale, qui n'est d'ailleurs pas un principe de l'ordonnance organique, mais une construction jurisprudentielle, est une obligation de moyens, mais cela ne peut pas être une obligation de résultat à ce stade de l'année. Les comptes sont une obligation de résultats ".

Votre commission reconnaît que le principe de sincérité ne peut être apprécié de la même manière au stade de l'élaboration des projets de loi de finances et de la reddition des comptes. Dans le premier cas, il ne peut être sanctionné qu'au regard de la mauvaise foi du gouvernement. Cela supposerait de pouvoir vérifier que le gouvernement a exprimé de bonne foi ce qu'il savait au moment de l'élaboration du budget, compte tenu des règles en vigueur et des interprétations possibles de la situation nationale. La reddition des comptes est, quant à elle, l'occasion d'une pleine application du principe de sincérité.

Le rapport de votre commission sur l'élaboration des projets de loi de finances et l'exécution des lois de finances note également que les modifications intervenues dans la présentation des comptes de l'Etat portent préjudice au principe de sincérité. Il indique que " le gouvernement a procédé, en 1999, à plusieurs modifications dans la présentation des comptes publics afin de respecter son objectif d'une progression des dépenses limitée à 1 % en volume. Ces modifications, évidemment préjudiciables à la sincérité du budget de l'Etat, ont été mises en exergue par la Cour des comptes dans son rapport relatif à l'exécution des lois de finances pour 1999, estimant que les dépenses avaient progressé en réalité de 2,8 % en volume ".

Votre commission déplore donc que la sincérité ne constitue pas un objectif central, une exigence absolue du gouvernement. L'édiction d'une obligation de sincérité devrait permettre de contraindre l'exécutif à davantage de transparence, et ce, à l'occasion de l'élaboration comme de l'exécution du budget. L'objectif éminemment politique de solde budgétaire que propose le gouvernement à l'occasion de la discussion des lois de finances ne doit en effet aucunement affecter, lors de l'exécution budgétaire, le respect du principe de sincérité. Par ailleurs, l'objectif de solde ne saurait soustraire le gouvernement à l'obligation impérative de sincérité quant aux moyens de l'atteindre.

C. LA JURISPRUDENCE A PROGRESSIVEMENT DÉFINI UNE OBLIGATION DE SINCÉRITÉ APPLIQUÉE AUX COMPTES DES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES

Les exigences comptables de la comptabilité privée et de la comptabilité publique ont conduit à faire entrer progressivement, par le biais de la jurisprudence, le principe de sincérité dans la sphère publique. Le respect de ce principe de sincérité constitue désormais une exigence rappelée par les jurisprudences du Conseil d'Etat et du Conseil constitutionnel. L'appréciation de la sincérité des comptes est prévue pour les budgets de certains établissements publics, et des collectivités territoriales. Son respect est vérifié par le juge administratif et les chambres régionales des comptes.

Depuis 1993, le Conseil constitutionnel répond au grief de l'insincérité des lois de finances qui lui sont déférées, sans pour autant l'avoir jamais estimé fondé. Les décisions du Conseil constitutionnel contribuent cependant à définir progressivement l'application dudit principe de sincérité au budget et aux comptes de l'Etat.

Il en ressort que ce principe conforte essentiellement les principes classiques du droit budgétaire que sont l'unité et l'universalité . Les non-budgétisations et les débudgétisations de recettes et de dépenses constituent des motifs fréquemment avancés par les requérants comme portant atteinte à l'unité, à l'universalité et à la sincérité budgétaire. Votre commission considère notamment que les débudgétisations constituent une entorse majeure au principe de sincérité, qui suppose l'exhaustivité et l'absence de dissimulation d'éléments participant à la construction du solde budgétaire.

Les artifices comportant dissimulation visent notamment à minorer les dépenses, à majorer les recettes, ou à faire les deux à la fois. Ils comprennent notamment : les débudgétisations systématiques, permettant de sous-estimer les dépenses et de réduire ainsi artificiellement les déficits ; le recours abusif aux opérations de trésorerie ; les surestimations de recettes. La sincérité implique donc que l'évaluation des ressources, des charges et de l'équilibre, soit réalisée avec bonne foi et aussi correctement que possible, afin d'éviter que la minoration des dépenses ou la majoration des recettes conduisent le gouvernement à afficher un solde budgétaire artificiel et fictif.

Le Conseil constitutionnel considère que le principe de sincérité n'est pas respecté lorsque des montages financiers complexes visent à rendre peu lisibles les opérations financières de l'Etat . La sincérité implique notamment une certaine cohérence entre les différents documents financiers et projets de loi soumis au Parlement : dans sa décision n° 97-395 du 30 décembre 1997, le Conseil rappelle que " le législateur organique a entendu mettre le Parlement en mesure de tenir compte, au cours de l'examen du projet de loi de finances, des incidences économiques et fiscales des mesures figurant dans la loi de financement de la sécurité sociale ". Une loi de finances qui n'intégrerait pas les éventuelles conséquences de la loi de financement de la sécurité sociale préalablement adoptée pour le même exercice violerait donc le principe de sincérité.

D. LE PRINCIPE DE PERMANENCE DES NORMES COMPTABLES DOIT ÊTRE AFFIRMÉ

Le respect du principe de sincérité des comptes doit s'appuyer sur une contrainte de permanence des méthodes retenues pour leur établissement , et, en particulier, pour le calcul des dotations aux amortissements et des provisions. En comptabilité générale, tout changement de méthode doit être signalé par une entreprise. Si ce changement modifie de manière substantielle les comptes de l'année, ceux-ci doivent être présentés selon les méthodes anciennes et nouvelles, afin que des comparaisons puissent être établies entre les exercices successifs.

Comme les personnes privées, l'Etat peut trouver intérêt à modifier ses méthodes comptables afin de piloter le résultat de l'exercice. Le rapport de votre commission sur l'élaboration des projets de loi de finances et l'exécution des lois de finances note que " toutes les remarques de la direction de la prévision, et notamment l'hypothèse selon laquelle les modes de comptabilisation des droits seraient modifiés deux années de suite en sens inverse, confirment l'utilisation des règles comptables à des fins de pure opportunité politique, et non pour des raisons d'orthodoxie budgétaire ".

Plus loin, il souligne que le principe de permanence des méthodes énoncé par la direction générale de la comptabilité publique ne se retrouve pas dans les notes de la direction de la prévision qui fait, à deux reprises, l'hypothèse de modifications comptables d'opportunité.

La permanence des méthodes comptables constitue le fondement indispensable à l'application du principe de sincérité. En effet, la sincérité des comptes ne peut s'apprécier qu'au regard de règles précises et permanentes, évitant la situation où la présentation des comptes serait modifiée régulièrement à des fins politiques, notamment pour obtenir un solde comptable ne reflétant pas la réalité.

Dans sa proposition de loi, le rapporteur général du budget de la commission des finances de l'assemblée nationale propose qu'une " présentation des méthodes et des règles comptables appliquées par l'Etat, notamment celles qui sont dérogatoires au droit commun (...) " soit annexée au compte général de l'administration des finances. Votre commission approuve cette disposition, mais souhaite la compléter en exigeant du gouvernement, comme pour une entreprise, de préciser et de justifier chaque année les changements opérés dans la présentation, la méthode et les règles de sa comptabilité financière à l'occasion de la présentation par lui du projet de loi de règlement. Elle propose qu'une annexe au compte général de l'administration des finances présente chaque année les méthodes et les règles de la comptabilité financière de l'Etat, et justifie celles qui dérogent au droit commun. En effet, si des spécificités dues à la nature même de l'Etat et à ses opérations peuvent nécessiter l'application de règles différentes de celles des entreprises, il est évident que cela ne constitue aucunement un droit général accordé à l'Etat, qui pourrait ainsi modeler des règles et des méthodes comptables spécifiques sans qu'il ait à s'en expliquer devant le peuple et ses représentants.

E. LA SINCÉRITE DOIT TROUVER SA PLACE DANS LA LOI ORGANIQUE RELATIVE AUX LOIS DE FINANCES

1. Consacrer solennellement le principe de sincérité

En Grande-Bretagne et en Nouvelle-Zélande, qui font partie des pays ayant poussé le plus loin la réforme de leur comptabilité, le principe de sincérité sert pour apprécier la valeur des comptes de l'Etat. La révision de l'ordonnance organique relative aux lois de finances est donc l'occasion pour la France d'introduire solennellement dans la loi les modalités de mise en application de ce principe.

Le rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale, propose d'abord d'introduire un article spécifique dans la loi organique relative aux lois de finances , indiquant que " Les lois de finances présentent de façon sincère, compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler, l'ensemble des ressources et des charges de l'Etat " (article 2 de la proposition de loi organique).

Enfin, le rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale propose d'insérer dans le titre IV portant sur la présentation et le vote des projets de lois de finances , un article spécifiquement consacré aux obligations relatives à l'établissement des comptes de l'Etat , reprenant les dispositions du plan comptable général : " Les comptes de l'Etat doivent être réguliers, sincères, et donner une image fidèle de son patrimoine, de sa situation financière et de ses résultats . ". Votre commission suggère plutôt d'intégrer ces dispositions au sein de l'article 2, afin de définir dans un article unique le champ d'application du principe de sincérité .

2. Faire certifier les comptes de l'Etat

Les comptes de l'Etat ne font pas l'objet, à la différence de ceux des entreprises, d'une certification ou d'un audit régulier . En Grande-Bretagne, le National Audit Office (NAO) a l'obligation de certifier les comptes de tous les ministères. En France, la Cour des comptes ne procède qu'à une déclaration générale de conformité (DGC) qui consiste à constater la conformité " entre les comptes individuels des comptables et la comptabilité des ministres " (article 36 de l'ordonnance organique). La Cour des comptes indique cependant que " la réalité n'est pas tout à fait celle là, et que les textes d'application sont imprécis. (...) Concrètement, la DGC est établie entre les comptes des comptables, qui relèvent de la Direction générale de la comptabilité publique, et leur synthèse élaborée par l'Agent comptable central du Trésor, qui relève également de cette direction, dans le compte général de l'administration des finances. Il s'agit donc d'un exercice de vérification de la cohérence formelle de comptes issus du même réseau administratif ; un tel exercice est nécessaire et la Cour des comptes doit s'assurer de son bon accomplissement, mais il n'est pas suffisant en lui-même pour attester de la sincérité des comptes ".

Votre commission considère que l'intervention de la Cour des comptes se situe largement en deçà des contraintes qui pèsent sur une entreprise, et ne permet pas de déceler l'ensemble des manipulations et des pratiques irrégulières dont peuvent faire l'objet les comptes de l'Etat. La Cour des comptes doit donc procéder à une véritable certification des comptes de l'Etat, évaluant leur régularité, leur sincérité et leur fidélité . Cette certification devrait permettre d'étendre le contrôle auquel procède la Cour sur les finances de l'Etat, et constituera un élément précieux pour éclairer le Parlement à l'occasion de la discussion des lois de règlement.

Votre commission s'accorde donc avec la proposition de loi organique du rapporteur général du budget de la commission des finances de l'Assemblée nationale, M. Didier Migaud, qui remplace la déclaration générale de conformité entre les comptes individuels des comptables et la comptabilité des ministres devant accompagner le projet de loi de règlement et prévue à l'article 36 de l'ordonnance du 2 janvier 1959, par une " certification (...) de la régularité, de la sincérité et de la fidélité des comptes de l'Etat ".

En l'absence de certification des comptes de l'Etat par la Cour des comptes, le Parlement ne pourrait vraisemblablement voter la loi de règlement sans demander au gouvernement une justification précise des opérations financières expliquant ce défaut de certification.

V. CONSACRER LE CONTRÔLE SUR LES FINANCES PUBLIQUES

A. UNE MISSION FONDAMENTALE

1. Une responsabilité politique éminente

Le contrôle parlementaire sur les finances publiques est une ardente obligation sans laquelle les fonctions du Parlement ne sauraient être réellement exercées.

Le contrôle est pour le Parlement au coeur même de son existence, de sa légitimité et de sa vocation de représentation des citoyens. Il est, sous cet angle, l'instrument démocratique d'un contre-pouvoir d'autant plus indispensable dans le domaine financier que l'intervention législative du Parlement y consiste principalement à déléguer des moyens à un gouvernement et, de fait, à des administrations, qui disposent de très larges marges de manoeuvre dans leur utilisation. Il faut également noter que ces marges pourraient s'accroître après la réforme de l'ordonnance. Il importe donc que le Parlement soit à même de vérifier l'usage qui est fait de la délégation qu'il est conduit à consentir.

Mais le contrôle parlementaire est également une nécessité du point de vue de la fonction législative qu'exerce le Parlement dans le domaine financier . Sans contrôle, le consentement à l'impôt et la répartition des dépenses publiques que réalisent les différentes lois de finances ne sauraient être considérés comme pleinement éclairés.

Législateur aveugle, sans maîtrise de ses décisions, le Parlement apparaîtrait alors soit comme le simple greffier des initiatives du pouvoir exécutif, soit -ce qui est assez peu vraisemblable compte tenu de notre système politique marqué par le fait majoritaire- comme un opposant systématique mais peu à même d'argumenter ses options.

Si les Parlements sont nés du souci de maîtriser le niveau et l'usage des prélèvements obligatoires, ils mourraient donc très certainement et, au fond, très légitimement, s'ils se dispensaient de réunir les moyens d'une telle maîtrise. Ces moyens passent inévitablement par un renforcement du contrôle parlementaire.

Le Parlement ne doit pas nourrir l'illusion que son contrôle sur les finances publiques pourrait être remplacé par le développement d'autres formes de contrôle dans d'autres enceintes. Sans doute, notre droit et nos pratiques ne sont pas dépourvus, loin s'en faut, d'organismes et de procédures voués au contrôle de l'utilisation des deniers publics ou de la gestion des institutions qui y trouvent leur financement. La Cour des comptes occupe dans cet ensemble une place éminente. Les instances de contrôle internes à l'administration et des règles, comme celle prescrivant la séparation des ordonnateurs et des comptables, y pourvoient également.

Tout cela est utile et indispensable. Le Parlement y trouve déjà parfois, et devra pouvoir demain y trouver encore davantage qu'aujourd'hui, une matière fertile pour sa propre mission de contrôle. Il ne doit pas pour autant y voir un prétexte pour renoncer à défendre ses prérogatives et ainsi abandonner le champ du contrôle des finances publiques.

Car le contrôle parlementaire est, en effet, un contrôle singulier à bien des égards et, dès lors, irremplaçable.

Singulier, il l'est avant tout parce que le Parlement, dans nos institutions politiques, est l'élément primordial de l'expression de la volonté générale. A ce titre, le rôle de contrôle du Parlement est d'abord éminent. Il est aussi particulièrement exigeant car le Parlement est le seul contrôleur auquel la Nation puisse demander compte de son contrôle.

De ces caractéristiques essentielles découlent -ou devraient découler- plusieurs conséquences importantes qui confèrent au contrôle parlementaire son identité irremplaçable.

2. Le contrôle parlementaire doit être universel

Le contrôle exercé par le Parlement sur les finances publiques se doit d'être " universel ". Plusieurs conceptions du contrôle se sont forgées au fil du temps, distinguant notamment le contrôle de la régularité du contrôle de l'opportunité. Cette distinction, très tranchée dans un premier temps, a conduit à cantonner les organes de contrôle extérieurs aux pouvoirs constitutionnels dans des tâches de contrôle de la régularité. Si, au fil du temps, le thème de l'évaluation a permis d'élargir et d'approfondir l'activité de ces contrôleurs, le Parlement et le gouvernement restent les seules institutions capables d'exercer pleinement un contrôle de l'opportunité qui, presque toujours, implique une décision politique à un stade donné . Cela n'empêche pas le Parlement d'exercer s'il le souhaite un contrôle de régularité. Mais cela fait du Parlement la seule instance réellement à même d'exercer un contrôle d'opportunité concurrent de celui du gouvernement.

Universel par son propos, le contrôle du Parlement sur les finances publiques est naturellement appelé à l'être également dans son étendue. Il faut admettre une fois pour toutes que les restrictions apportées au contrôle du Parlement ne doivent être qu'exceptionnelles et motivées par des raisons graves et sérieuses.

C'est peu ou prou ce que notre droit reconnaît puisqu'en particulier l'article 164-IV de l'ordonnance n° 58-1374 du 30 décembre 1958 portant loi de finances pour 1959, qui définit les pouvoirs de contrôle des rapporteurs spéciaux des commissions des finances, n'exclut du champ de leur contrôle que les sujets de caractère secret concernant la défense nationale, les affaires étrangères, la sécurité intérieure ou extérieure de l'Etat, ou les sujets mettant en cause le principe de la " séparation du pouvoir judiciaire et des autres pouvoirs ". Cependant, force est de reconnaître que la pratique institutionnelle ne va pas dans le sens d'une application satisfaisante du principe d'universalité du contrôle parlementaire.

Cette situation découle pour beaucoup de la réticence des administrations à pratiquer la transparence et donc à délivrer des informations effectivement contrôlables. Cette réticence s'est manifestée par une série d'arguties juridiques. Il convient d'en éviter la répétition à l'avenir. Elle s'est d'autant mieux exprimée que les pouvoirs donnés aux parlementaires étaient des pouvoirs sans sanction ou, ce qui revient au même, assortis de sanctions excessives et probablement inutilisables 32 ( * ) . Là encore, il devra être remédié à cette situation.

B. VERS UNE PLEINE RECONNAISSANCE DES MISSIONS DE CONTROLE ET D'ÉVALUATION

1. Le contrôle parlementaire doit avoir sa place dans la loi organique

La rénovation de l'ordonnance organique offre l'occasion de consacrer les missions de contrôle et d'évaluation du Parlement dans un texte éminent, de statut quasi-constitutionnel. Il serait inexplicable de ne pas saisir cette occasion.

Actuellement, les dispositifs visant à garantir le contrôle parlementaire sur les finances publiques sont contenus dans les lois de finances comme le prévoit l'alinéa 2 de l'article 1 er de l'ordonnance organique. Cette faculté, qu'il convient de maintenir, a été peu mobilisée au cours du temps. Pour l'essentiel, l'application de cet alinéa a consisté à imposer au gouvernement la production de documents visant à enrichir l'information du Parlement sur la gestion des finances publiques. En revanche, rares ont été les dispositions adoptées aux fins de renforcer l'étendue et les moyens du contrôle parlementaire. Toutefois, une série de mesures ont été votées en ce sens dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2000, qui ont eu pour effet d'élargir le champ des contrôles en complétant l'article 164-IV de l'ordonnance du 30 décembre 1958 précitée. La vocation de ce texte à constituer le support juridique des prérogatives et des moyens de contrôle du Parlement sur les finances publiques en est sortie renforcée.

Votre commission avait exprimé une certaine préoccupation, à l'occasion de l'examen du collectif pour 2000, devant les amendements déposés par la commission des finances de l'Assemblée nationale pour renforcer les pouvoirs de contrôle du Parlement. Elle en avait partagé l'inspiration, mais elle avait considéré que certains d'entre eux auraient pu, plus utilement, être discutés dans le cadre de la réforme de l'ordonnance organique dont le processus était initié.

Votre commission continue d'estimer que les principes essentiels du contrôle parlementaire peuvent et doivent figurer dans la " constitution financière " de notre pays.

Ils le peuvent, car l'objet même de la loi organique relative aux lois de finances l'autorise. Il s'agit en effet pour cette loi, selon l'alinéa 17 de l'article 34 de la Constitution, de poser les conditions et d'indiquer les réserves sous lesquelles les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l'Etat. Il semble aller de soi que le vote des recettes et des charges de l'Etat soit assorti de la réserve que l'auteur du vote -le Parlement- puisse être en mesure d'en contrôler l'utilisation effective.

Dénier à la loi organique relative aux lois de finances la capacité de poser des principes fondamentaux en matière de contrôle du Parlement serait d'autant plus étonnant qu'il s'agit d'un domaine où les relations entre les pouvoirs publics sont évidemment concernés au premier chef.

Il convient enfin de rappeler, que la Constitution reconnaît, même si c'est indirectement, au dernier alinéa de son article 47, l'importance du contrôle du Parlement sur l'exécution des lois de finances. Elle indique en effet que " la Cour des comptes assiste le Parlement... dans le contrôle de l'exécution des lois de finances ". Ce faisant, elle institue le contrôle parlementaire en élément essentiel des lois de finances dont la loi organique est appelée à dessiner le contour et la portée.

Les fondements du contrôle du Parlement exposés ci-dessus sont si essentiels que le contrôle mérite d'accéder à la dignité d'un texte de valeur constitutionnelle.

En outre, il est logique qu'une réforme destinée à assurer une meilleure lisibilité des lois de finances, et à établir une relation plus forte entre les moyens, les objectifs et les performances des missions assumées par l'Etat, prévoie les dispositifs permettant au Parlement de contrôler et d'évaluer lui-même ces différents éléments.

2. Le contrôle parlementaire doit être renforcé

S'il n'est pas contestable, en droit, que la loi organique sur les lois de finances contienne des dispositions relatives au contrôle, il est particulièrement opportun que la réforme en cours, en ce domaine, permette de poser quelques principes clairs dans la nouvelle loi organique .

Forte de cette conviction, votre commission des finances a exploré plusieurs pistes sur lesquelles elle propose que le débat s'engage.

Elle propose d'abord que les pouvoirs de contrôle des commissions des finances et de leurs membres (président, rapporteur général, rapporteurs spéciaux) y soient consacrés.

Elle demande ensuite que les principaux moyens nécessaires à l'accomplissement des missions de contrôle ou d'évaluation y soient reconnus.

Il en irait ainsi du " contrôle sur pièces et sur place " et du droit d'accès aux documents administratifs et financiers, qui serait étendu aux rapports des organismes, quels qu'ils soient, chargés du contrôle de l'administration . Il conviendrait cependant de réserver un certain nombre de matières -limitées en nombre- pouvant justifier un refus de communication, et d'instituer une protection à l'égard des informations nominatives que ces rapports pourraient comporter.

Le droit d'audition serait reconnu et les refus de s'y soumettre seraient sanctionnés.

a) Aménager les relations avec la Cour des comptes

Le droit, déjà existant, de saisir la Cour des comptes d'une enquête, qui devrait être conclue par elle au terme d'un délai utile pour le Parlement, pourrait être l'une des précisions permettant d'aménager concrètement la mission d'assistance du Parlement que notre Constitution confère à la Cour.

Le rôle confiée à la Cour des comptes mériterait certainement davantage de précisions. Le cadre de la réforme de l'ordonnance organique de 1959 se prête cependant mal à cet exercice puisqu'aussi bien, il faudrait alors s'engager dans la modification de différents autres textes organiques.

Dans le paysage international des instances supérieures de contrôle financier, la Cour des comptes occupe une place qui situe sa mission d'assistance au Parlement au rang de simple collaboration.

D'autres modèles existent où l'instance supérieure de contrôle financier est placée sous la dépendance du Parlement. Tel est le cas en Belgique, en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Espagne ou encore aux Etats-Unis. Ce type d'organisation est donc largement répandu. Il se traduit fréquemment par la désignation par le Parlement des membres de l'organisme de contrôle et par la faculté ouverte au Parlement de décider de son programme de contrôle.

On est ainsi très loin de la situation française où la programmation des travaux de la Cour des comptes n'est même pas communiquée, pour information, au Parlement.

Il serait très souhaitable de faire évoluer ces pratiques.

Elles sont parfois justifiées par le statut de juridiction dont est doté la Cour des comptes qui, faisant de ses membres des magistrats, appelle un fort degré d'indépendance.

Cette explication n'est pas entièrement convaincante. Comme le rappelait M. Jacques Magnet, conseiller-maître à la Cour des comptes, dans un article relatif à la " classification des institutions supérieure de contrôle financier " 33 ( * ) , si " la juridiction suppose l'indépendance de celui qui l'exerce, tant à l'égard du pouvoir exécutif qu'à l'égard du Parlement .... l'attribution d'une fonction juridictionnelle à l'instance supérieure de contrôle financier ... n'a pas suffi à assurer à la Cour des comptes belge ni au Tribunal des comptes espagnol l'indépendance à l'égard du Parlement " .

Cette dernière situation ne manque d'ailleurs pas de logique. Il n'est en effet peut-être pas satisfaisant que la dualité des attributions de la Cour des comptes soit mal prise en compte par un statut qui lui confère, sans nuances, une complète indépendance. S'il est indispensable que celle-ci soit défendue lorsque la Cour est appelée à juger les comptables publics, cette exigence pourrait être nuancée quand elle exerce son contrôle du bon usage des deniers publics.

La fonction de certification des comptes de l'Etat qui pourrait utilement être confiée à la Cour des comptes implique sans nul doute que celle-ci soit protégée contre toute instruction qui pourrait lui être adressée.

En revanche, les missions de la Cour des comptes relatives au contrôle du " bon emploi des crédits " assimilables à un simple contrôle de gestion, si elles demandent le respect d'une certaine indépendance technique, devraient pouvoir, mieux qu'aujourd'hui, être programmées par le Parlement. Celui-ci devrait être mis en mesure d'en définir la liste. Il devrait pouvoir compter sur leur conclusion dans les délais fixés par lui.

Un droit de saisine de la Cour de discipline budgétaire et financière pourrait enfin être prévu au bénéfice des commissions des finances.

Ces dispositions ne sont aucunement destinées à placer le gouvernement sous une quelconque tutelle du Parlement. Il s'agirait simplement de garantir l'équilibre effectif des pouvoirs auquel notre Constitution est attachée.

b) Envisager la reconnaissance juridique des moyens des rapporteurs

Enfin, il convient de mettre en évidence un débat que votre commission des finances a engagé sur les moyens dont dispose le Parlement pour exercer ses prérogatives de contrôle.

Une première question est celle du statut des fonctionnaires parlementaires qui sont les auxiliaires institutionnels des commissions des finances lorsqu'ils sont amenés à participer à une mission de contrôle ou d'évaluation conduite par un parlementaire. Si, habituellement, leur participation ne pose pas de difficultés, la coutume s'étant établie de les considérer comme contribuant naturellement aux missions de contrôle du Parlement, l'absence d'une reconnaissance légale de leur rôle a pu être mise à profit par le passé pour priver le travail des parlementaires de leur logistique habituelle au cours d'un contrôle. La question d'une reconnaissance explicite de leur rôle a donc été examinée. Votre rapporteur estime, de son côté, que la participation des fonctionnaires parlementaires est assimilable à celle des commissaires du gouvernement qui assistent ce dernier lorsqu'il est présent en séance publique. Le règlement des assemblées prévoit d'ailleurs l'assistance des fonctionnaires parlementaires à leurs rapporteurs en séance publique. Votre rapporteur considère donc que leur participation aux missions de contrôle ou d'évaluation des parlementaires est naturelle.

La seconde question porte sur l'éventualité d'habiliter des personnes ou organismes entièrement extérieurs au Parlement à participer aux missions de contrôle ou d'évaluation conduites par les commissions des finances. Cette question est controversée. En toute hypothèse, une telle perspective ne saurait être ouverte que moyennant de nombreuses précautions.

Votre rapporteur constate que cette disposition, qu'il est conduit à considérer avec une grande prudence, n'a pas, à ce stade, recueilli une adhésion majoritaire.

Une dernière suggestion a recueilli un plus fort consensus : celle d'instaurer une obligation de réponse aux observations notifiées aux gouvernements à la suite des missions de contrôle ou d'évaluation du Parlement.

Celui-ci réalise en effet un important travail en la matière mais le sentiment prévaut que les conclusions et les recommandations auxquelles ce travail aboutit ne sont tout simplement pas lues par le gouvernement dans la plupart des cas. Il s'agit donc d'assurer cette suite minimale au moyen d'un dialogue désormais obligatoire.

VI. AMÉLIORER LES CONDITIONS D'EXAMEN DES LOIS DE FINANCES PAR LE PARLEMENT

Une modernisation de la procédure d'examen des projets de lois de finances par le Parlement est légitimement attendue. De petites réformes en aménagements ponctuels, on sent bien que le cadre actuel offre finalement peu de marges de manoeuvre et qu'il convient de rompre, pour paraphraser la formule célèbre, avec les pratiques liturgiques donnant lieu à un déferlement de litanies, suscitant davantage la léthargie que l'intérêt 34 ( * ) . Or l'examen par le Parlement des questions relatives aux finances publiques doit à l'évidence être beaucoup plus que cela. C'est au coeur des préoccupations d'une réforme de l'ordonnance organique qu'il doit être placé, au même titre que l'amélioration des modes de gestion publique.

En tant que telle, bien que comportant de nombreuses dispositions concernant la procédure d'examen par le Parlement des lois de finances, l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 définit, sans rigueur excessive, l'exercice. Quand elle le fait, c'est souvent de manière indirecte, en raison surtout de la structure proprement dite des lois de finances.

L'ordonnance organique du 2 janvier 1959 n'est cependant pas le seul texte à considérer en ce domaine. La Constitution, par les règles générales qu'elle édicte sur les rapports entre le gouvernement et le Parlement, mais aussi spécifiquement sur les lois de finances et le contenu de l'initiative parlementaire, apporte ses propres contraintes. En écho, la pratique parlementaire et les règlements de chaque assemblée " mettent en musique ", chacun à leur manière, cet examen.

Ainsi, entre le texte constitutionnel, la coutume et les pratiques, les changements du texte de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 qui peuvent être proposés s'inscrivent dans un faisceau de contraintes. Un premier pas significatif doit être fait, mais sans nourrir l'illusion qu'il puisse suffire pour élargir radicalement le sens et la portée du débat budgétaire.

A. TIRER LES CONSÉQUENCES EN MATIÈRE DE PROCÉDURE DES MODIFICATIONS APPORTÉES AU CONTENU DES LOIS DE FINANCES

L'examen et le vote des lois de finances doivent évoluer dans une double direction souhaitée par le consensus des praticiens et des observateurs : davantage de précision pour les recettes, davantage de globalisation pour les dépenses, mais surtout, pour ces dernières, davantage de mise en perspective . Il s'agit bien de chercher à redonner au Parlement une vision d'ensemble des prélèvements et de conduire les ministres, responsables des différentes politiques publiques, à se fixer des objectifs quantitatifs et qualitatifs clairement définis, réellement évaluables et aisément sanctionnables.

Dans l'état actuel des choses, les unités de vote des projets de loi de finances résultent largement de la coutume, puisque l'article 31 de l'ordonnance organique définit la structure des lois de finances de l'année ainsi que le contenu de chacune de ses deux parties, sans préciser exactement ce sur quoi votent les parlementaires. La pratique est, en théorie, encadrée par les dispositions du chapitre II du titre II, qui porte spécifiquement sur l'élaboration des lois de finances, et leur discussion au Parlement. Mais, dans les faits, d'autres votes que ceux expressément prévus interviennent, et le vote ne porte pas sur le titre puis sur le ministère, mais sur le ministère puis le titre.

1. Les votes sur les recettes

Votre commission estime qu'en la matière, il convient d'abord de tirer les conséquences de ses propositions concernant l'article 31. Dès lorsqu'un état annexé retrace le détail des ressources de l'Etat, un vote unique semble approprié pour adopter les recettes, les articles de la première partie apportant des aménagements fiscaux continuant évidemment à faire chacun l'objet d'un vote. A cet égard, il paraît essentiel de prévoir un vote séparé sur chacune des catégories de prélèvement sur recettes, au profit, respectivement, des collectivités territoriales, de l'Union européenne et des personnes morales bénéficiant de l'affectation d'une imposition de toutes natures autres que les collectivités territoriales et les organismes de sécurité sociale.

2. En dépenses : un vote par programme

S'agissant des dépenses, le rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale a proposé leur regroupement au sein de programmes. Votre commission des finances incline à s'inscrire dans cette perspective volontariste. A partir du moment où l'on accepte l'idée de confier à l'administration une très grande liberté dans l'exécution des programmes, mais aussi où l'on considère que ceux-ci correspondent à des missions particulières pour lesquelles l'administration doit se fixer des objectifs et rendre compte de sa gestion, il semble légitime de faire du programme l'unité de base du vote des dépenses par le Parlement. Le débat y gagnerait probablement en densité dans la mesure où il pourrait davantage qu'aujourd'hui porter sur des objectifs précis plutôt que sur une vaste fresque d'ensemble du paysage d'un département ministériel. Les parlementaires seraient à même de décider, en fonction des performances qui leur seront présentées, de voter des crédits d'un programme et de rejeter ceux d'un autre.

Ce vote par programme se substituerait au vote par ministère, (il pourrait exister des programmes interministériels). Il se substituerait aussi au vote par titre .

Votre rapporteur concède qu'il est délicat de prévoir comment ce passage au vote par programme permettra de dynamiser la discussion, faute de connaître aujourd'hui leur contenu. Il convient cependant de ne pas commettre de contresens sur cette proposition. Aujourd'hui, l'unité de vote en matière de dépenses est le titre, ce qui revient à faire figurer plus de 160 totalisations dans les états B et C. La proposition de faire voter les crédits par programme n'allongerait donc pas nécessairement la liste des votes.

Le vote des dépenses par programme ne signifierait pas que l'autorisation parlementaire des dépenses serait entièrement globalisée. Au contraire, l'instauration des programmes devrait logiquement conduire à la suppression des " services votés " et des " mesures nouvelles " comme structure de vote. En outre, comme c'est le cas aujourd'hui avec les chapitres qui, même s'ils ne font pas l'objet d'un vote, sont, du fait des articles 7 et 43 de l'ordonnance, l'objet même de l'autorisation parlementaire, les différents titres dont votre commission propose l'instauration se substitueraient, dans ce rôle, aux chapitres. Sous cet angle, la variété des titres devrait être, selon votre commission des finances, plus grande que celle figurant dans la proposition du rapporteur général du budget de la commission des finances de l'Assemblée nationale ; le vote sur les programmes s'accompagnerait d'occasions plus nombreuses d'en amender le contenu. Il aurait aussi une portée plus précise.

Comparaison des nomenclatures budgétaires dans la proposition de loi organique déposée à l'Assemblée nationale et dans le document de travail élaboré par votre rapporteur

Texte de la proposition de loi

organique déposée à

l'Assemblée nationale

Propositions du groupe de travail

du Sénat

Article 10

Les charges permanentes de l'Etat comprennent :

Article 10

Les charges de l'Etat comprennent  les catégories suivantes:

- les dépenses de personnel ;

- les dépenses ordinaires ;

- les dépenses de fonctionnement, autres que celles de personnel ;

- les dépenses d'intervention ;

- les dépenses de transfert ;

- les dépenses d'investissement.

- les dépenses en capital ;

Les crédits pour dépenses ordinaires sont groupés sous quatre titres :

- charges de rémunération de la dette de l'Etat et dépenses en atténuation de recettes ;

- dotations des pouvoirs publics ;

- dépenses de personnel ;

- autres dépenses de fonctionnement courant.

Les crédits pour dépenses d'intervention sont groupés sous quatre titres :

- dépenses de transferts ;

- dépenses de prêts et d'avances ;

- dépenses de subventions de fonctionnement ;

- dépenses de subventions d'investissement.

Les crédits pour dépenses en capital sont groupés sous quatre titres :

- dépenses d'investissement ;

- dépenses résultant des garanties accordées par l'Etat ;

- dotations aux entreprises publiques et acquisitions d'actifs ;

- dépenses de remboursement de la dette de l'Etat.

Une école de pensée, reprenant des propositions formulées par la commission des finances du Conseil de la République lors de l'examen du décret de 1956, manifeste une préférence pour le seul vote par titre (sans vote par ministère), vote appelé à sanctionner de grandes discussions transversales. Cette approche privilégiant les grands débats thématiques sur les moyens mis en oeuvre par l'Etat est certainement très heureuse et stimulante. L'idée semble cependant devoir être écartée. Il faut reconnaître qu'elle conduirait à des décisions qui, pouvant porter sur des centaines de milliards de francs, concluraient des débats nécessairement abstraits. On peut se demander comment concilier cette logique de moyens avec le souhait d'instaurer une budgétisation par objectifs. La volonté de tous est de mieux appréhender les conditions dans lesquelles l'Etat est appelé à exercer chacune de ses grandes missions. La diversité des situations administratives doit pouvoir apparaître. Des votes sur des données trop agrégées conduiraient sans doute à une déperdition de l'information qui contrarierait cette volonté. En toute hypothèse, le vote par programmes n'empêchera pas d'en examiner les moyens et des annexes bien conçues - v.supra - devront servir à préparer des débats transversaux -sur la politique de l'emploi public, les investissements,...- qu'il appartient au Parlement d'organiser selon son gré.

B. MIEUX DÉFINIR LE RÉGIME DES INITIATIVES PARLEMENTAIRES EN MATIÈRE BUDGÉTAIRE

L'article 40 de la Constitution constitue une limite très forte au droit d'amendement des parlementaires. Votre commission n'entend pas, à ce stade, remettre en question l'existence de cet article. Si elle partage le souhait exprimé par beaucoup d'assouplir les interdictions qu'il formule, notamment en matière de compensations de charges, elle considère comme délicat et dangereux d'en proposer ici une révision. La lourdeur de la procédure nécessaire risquerait d'enliser l'intégralité de la réforme de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 qu'elle appelle de ses voeux.

Pourtant, l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 ayant formulé de manière très différente de celle de la Constitution l'irrecevabilité financière, votre commission estime utile de revenir à un texte plus proche du texte constitutionnel. En revanche, elle ne peut partager le souhait d'étendre le mécanisme de l'irrecevabilité financière à l'intégralité des dispositions de la loi organique. Le droit constitutionnel d'amendement des parlementaires doit être défendu, et il n'est pas bon de conférer au Parlement, juge de la recevabilité financière, une mission de juge constitutionnel qui ne saurait lui appartenir.

Enfin, il convient de respecter les pratiques de chaque assemblée où deux modes différents de jugement de la recevabilité se sont imposés. Votre rapporteur rappelle que, si pour l'Assemblée nationale, le manquement aux dispositions de l'article 40 de la Constitution proscrit le dépôt même d'un amendement, pour le Sénat, cette question doit être soulevée au cours du débat en séance publique. Le premier mécanisme a l'apparence de la rigidité, le second celle de la souplesse ; dans la pratique, les deux se rejoignent souvent.

Votre commission souhaite que ces différences puissent persister. Elle rappelle à ce propos que le Conseil constitutionnel les a consacrées en validant les dispositions du règlement du Sénat sur ce point, laissant libre chacune des deux assemblées de déterminer, à son gré, la meilleure manière de faire respecter cette disposition.

C. COMBLER LES LACUNES DE PROCÉDURE APPARUES AU COURS DE LA PRATIQUE BUDGÉTAIRE

La pratique a révélé plusieurs lacunes dans l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 qui ont pu poser des problèmes ponctuels ou ralentir les efforts de modernisation nécessaires à un meilleur contrôle de l'exécution des lois de finances.

1. Un délai pour le dépôt du projet de loi de règlement

Le rapporteur général du budget de la commission des finances de l'Assemblée nationale a ainsi, à fort juste titre, dans sa proposition de loi, proposé de fixer un délai impératif pour le dépôt du projet de loi de règlement de l'année n-1 au 31 mai de l'année n . Il ne s'agit pas d'une obligation d'examen parlementaire. Cependant, il s'agirait, si cette disposition était adoptée, d'une avancée majeure. Elle permettrait aux parlementaires de disposer, lors du débat d'orientation budgétaire mais aussi de l'examen du projet de loi de finances de l'année n+1, d'une information enrichie. De plus, le dépôt accéléré de ce texte constituerait une très forte incitation à son examen à bonne date, et serait de nature à en accroître l'intérêt.

2. Assurer la continuité de l'Etat en cas de rejet mais sans inflation des dépenses

De même, votre commission approuve pleinement le souci du rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale de prévoir le cas de blocage financier que provoquerait une censure de la loi de finances de l'année par le Conseil constitutionnel . Le dispositif proposé, calé sur celui déjà présent dans l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 en cas de non respect des délais, paraît à même d'assurer la continuité de l'Etat. Dans ce cadre, il semble toutefois préférable de conserver la formule de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 pour déterminer les crédits disponibles dans cette hypothèse. Prévoir la reconduction pure et simple des crédits adoptés l'année précédente serait dangereux car ces crédits pourraient dépasser les crédits effectivement exécutés et seraient susceptibles de comporter, en partie, des dépenses non reconductibles, ou des crédits, qui, utiles l'année n, ne le seraient plus l'année n + 1.

3. Faut-il pouvoir discuter des dépenses sans avoir approuvé les recettes ?

Enfin, il semble important de préciser les conséquences du rejet de la première partie du projet de loi de finances sur le débat parlementaire . Si l'interdiction de discuter les dépenses avant d'avoir mis aux voix la première partie de la loi de finances et, en particulier, son article d'équilibre paraît tout à fait justifiée, en revanche l'interdiction pure et simple de la discuter en cas de rejet peut ne pas apparaître complètement satisfaisante. Certes, le Parlement ne saurait adopter les dépenses en ayant rejeté les recettes correspondantes : il en va de sa responsabilité. Mais l'interdiction même de la discussion des dépenses peut apparaître comme une atteinte à la tenue d'un débat démocratique et, en particulier, une atteinte aux droits de l'opposition. La Nation a le droit d'attendre de ses représentants qu'ils discutent les différents programmes afin d'indiquer les raisons pour lesquelles, le cas échéant, ils ne partagent pas les orientations du gouvernement. Si cette discussion ne saurait déboucher sur un vote, l'interdiction formelle de discussion de la seconde partie de la loi de finances sans adoption préalable de sa première partie pourrait être rapportée. Pour le moins, il serait utile qu'un débat s'engage sur cette question.

D. ACCROÎTRE LES OCCASIONS DE DÉBATS

Le débat budgétaire doit s'élargir et s'enrichir par rapport à la situation actuelle. Ce renouvellement du débat budgétaire suppose d'une part de ménager une présentation d'étape de la situation économique et financière du pays. Il faut, d'autre part, rééquilibrer le temps du débat qui ne doit plus être monopolisé par le détail. La réforme de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 doit permettre, voire prévoir explicitement la tenue de tels débats.

1. Le débat d'orientation budgétaire

La pratique du débat d'orientation budgétaire , née, en l'absence de texte, par homothétie avec la situation des collectivités territoriales, a constitué un réel progrès, et mérite d'être institutionnalisée 35 ( * ) . S'il semble délicat que le texte d'une loi organique instaure une obligation quelconque en matière d'ordre du jour du Parlement, il peut à la fois instaurer une obligation de dépôt annuel d'un rapport, en en fixant le contenu de manière précise, et prévoir la possibilité de discuter de ce dernier dans chacune des deux assemblées. C'est ce qui est proposé ici afin d'institutionnaliser ce rendez-vous budgétaire de mi-parcours, dont le contenu doit être enrichi. A cette fin, ce dernier doit bien entendu être large dans son champ : l'ensemble des finances publiques doit être concerné, puisque la stratégie budgétaire s'inscrit dans un contexte global. Mais il doit aussi être assez précis sur la matière budgétaire proprement dite, et indiquer les évolutions prévisibles et souhaitées par le gouvernement de chacun des grands postes du budget de l'Etat, en recettes et en dépenses.

2. Voter chaque prélèvement sur recettes

La revitalisation du débat budgétaire viendra également du vote individualisé de chaque catégorie de prélèvements sur recettes . Cette pratique existe déjà pour la contribution de la France au budget de l'Union européenne et constitue un moment fort de la discussion budgétaire. Il semble utile et nécessaire de la prévoir pour les deux autres catégories de prélèvements sur recettes que votre commission souhaite voir instaurées, au profit des organismes de sécurité sociale et des autres personnes morales.

3. Discuter de chaque programme

Enfin, la discussion des programmes offrira un dernier moment fort de débats thématiques . Leur intérêt dépendra bien entendu du contenu de ces programmes. S'il s'agit simplement de décrire les crédits demandés en loi de finances en les rattachant, organiquement, aux différents services de l'Etat, la déception sera grande. Si en revanche l'élaboration des programmes débouche sur la mise en relation des moyens et des performances de politiques clairement identifiées, leur discussion contribuera à renouveler véritablement la discussion parlementaire. C'est le souhait le plus vif de votre commission. C'est la condition d'une revitalisation de la démocratie qui, au début du siècle et du millénaire, s'impose comme une exigence absolue.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 18 octobre 2000, sous la présidence de M. Alain Lambert, président, au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a entendu la communication de M. Alain Lambert , président , sur l'étude qu'il a menée sur la réforme de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances.

M. Alain Lambert, président, a indiqué que sa communication avait pour but de présenter à la commission l'ensemble des données réunies, depuis le mois d'avril, dans le cadre de ses réflexions sur la rénovation de l'ordonnance organique.

Il a rappelé que ses travaux l'avaient notamment conduit à procéder à 17 auditions et à produire un texte de 69 articles qui se voulait un document de travail n'ayant pas vocation à être déposé, et ouvert à la consultation et formalisant, à titre indicatif et révisable, les diverses pistes de la réforme. Il a dit sa conviction que la réforme de l'ordonnance organique serait examinée et aboutirait et a souligné que le Sénat aurait alors tout son rôle à jouer, pour des raisons juridiques, mais aussi pour des raisons politiques. Reprenant les propos du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, il a souhaité qu' " une phase de concertation active " s'ouvre désormais.

M. Alain Lambert, président, a alors justifié la rénovation de l'ordonnance en rappelant certains constats :

- les débats budgétaires provoquent l'ennui et la formule d'Edgar Faure, " litanie, liturgie, léthargie ", est toujours d'actualité ;

- l'ordonnance n'a pas évolué, deux révisions seulement étant intervenues, en 1971 et en 1995, sur des questions purement procédurales ;

- le monde et les finances publiques, eux, ont beaucoup changé.

Il a, à ce sujet, observé que le poids des finances publiques s'était considérablement accru et qu'elles s'étaient complexifiées avec la montée en charge de la sécurité sociale et des collectivités locales ; diversification des relations entre les différentes administrations publiques, diversification des modalités d'intervention de l'Etat, qui se sont affinées et ont vu se multiplier les démembrements de ce dernier.

Il a ajouté que le monde avait changé et restait en mouvement avec une accentuation de la compétition internationale où les finances publiques ont toute leur part, avec l'intégration de l'Europe, l'avènement de l'euro n'étant pas seulement un événement monétaire, mais aussi un événement pour les finances publiques dont témoigne le " pacte de stabilité et de croissance ", enfin, avec la hausse des prélèvements obligatoires et la satisfaction très relative ressentie par les citoyens devant le fonctionnement des services publics, qui attise l'attente de justifications et de transparence.

Il a conclu que l'Etat n'était plus perçu comme puisant son autorité de lui-même, qu'il était appelé à rendre des comptes et que le sentiment prévalait qu'il ne le faisait pas assez. Il a jugé que la coexistence de ce sentiment avec la permanence figée de l'ordonnance organique de 1959, véritable constitution financière du pays, conduisait naturellement à s'interroger sur d'éventuelles interférences entre ces deux phénomènes.

Il a souligné qu'un consensus s'était progressivement forgé pour répondre par l'affirmative à cette interrogation dont peuvent témoigner les réflexions quasi-unanimes des personnes auditionnées par lui, les travaux de l'Assemblée nationale et ceux de la mission pour laquelle la commission des finances du Sénat avait obtenu les prérogatives des commissions d'enquête.

Il a alors recommandé que celle-ci s'inscrive dans ce consensus sous deux réserves : un strict respect de la Constitution, même si des réflexions ultérieures sont appelées à intervenir ; un certain réalisme reconnaissant que la réforme de l'ordonnance organique devrait être accompagnée par une réforme des pratiques et appelant de la part du Parlement, le maintien d'une attitude vigilante.

M. Alain Lambert, président, a poursuivi en estimant que toute rénovation de l'ordonnance organique devait prioritairement satisfaire le souci de refonder le sens des autorisations parlementaires que comportent les lois de finances et de garantir l'autorité de ces dernières.

Il a considéré que ces deux objectifs n'étaient aucunement contradictoires avec le respect de l'équilibre institutionnel entre le Gouvernement et le Parlement et le souci de bonne gestion des finances publiques. Il a insisté sur ce que redonner du sens aux lois de finances était " ipso facto " redonner du sens à l'action publique, mais aussi assurer des souplesses de gestion en contrepartie desquelles toute une série d'atteintes à l'autorité des lois de finances devraient pouvoir disparaître.

Pour refonder le sens de lois de finances, a-t-il indiqué, il convient tout d'abord de combattre l'anomie budgétaire et de réaffirmer le principe d'universalité budgétaire.

Il a suggéré que le premier objectif pouvait supposer de promouvoir une budgétisation par objectifs, estimant que le niveau atteint par les prélèvements obligatoires exigeait que les moyens consentis à l'exécutif ne fassent plus l'objet d'un simple énoncé sans autres repères, mais qu'ils soient mis en relation avec les objectifs poursuivis et les résultats obtenus par les différentes actions publiques.

Il a décliné quelques-unes des options possibles, avec d'abord, l'instauration de programmes comme unités de regroupement et de vote des crédits. Il a précisé que les programmes pourraient regrouper les moyens consacrés à une mission de l'Etat définie par ses objectifs précis et être interministériels. Il a noté que leur instauration ne supprimerait pas les titres budgétaires qui regroupent les dépenses en fonction de leur nature économique, mais qu'en revanche, la répartition des crédits par chapitre ne serait plus fournie qu'à titre indicatif, les services votés disparaissant.

Il a souligné que des devoirs renforcés d'information de la Nation et du Parlement seraient de nature à asseoir cette finalisation des moyens budgétaires avec pour le projet de loi de finances de l'année, la présentation des plans pluriannuels d'objectifs rappelant les résultats acquis, pour les projets de loi de finances rectificative, un rapport présentant l'état de réalisation des programmes et, pour les projets de loi de règlement, la présentation de rapports de performance.

M. Alain Lambert, président, a ajouté que la mise en perspective des lois de finances supposait également de prendre en compte la durée. Il a rappelé qu'actuellement l'horizon des lois de finances était au plus d'une année, tout le monde s'accordant pour reconnaître cette perspective temporelle trop courte et synonyme de myopie budgétaire. Il a jugé souhaitable d'allonger la perspective temporelle des débats relatifs aux finances publiques. Il a estimé que cet objectif ne signifiait pas qu'il faille renoncer au principe d'annualité budgétaire, observant que la tendance généralement observée dans les organisations soumises à contraintes de performances était plutôt à un " reporting " infra-annuel. Il a précisé que le principe d'annualité devait être concilié avec la prise en compte de la nécessité, pour les gestionnaires, de disposer de perspectives plus longues et considéré qu'à cette fin, les autorisations de programme devaient être maintenues et leur champ d'application probablement un peu étendu.

Il en a également appelé à une meilleure prise en considération de la dimension pluriannuelle des finances publiques. Il a, à ce propos, estimé que l'instauration d'une comptabilité en droits constatés, l'exigence d'une étude d'impact des mesures nouvelles évaluant leur incidence sur plusieurs années, une revue des performances dans la durée, la présentation des projections à moyen terme relatives aux finances publiques, avec l'énoncé transparent de leurs hypothèses devraient contribuer à réduire la myopie des décideurs.

Il a alors jugé qu'instaurer un système comptable réellement informatif devrait contribuer à atteindre ce même objectif. Il a estimé que, si l'ordonnance développait avec un certain détail les principes de la comptabilité budgétaires, l'essentiel des règles de comptabilité publique était relégué dans des textes subalternes, et qu'il était tentant de mettre cette situation en relation avec les retards pris par notre système financier et dénoncés dans le rapport de M. Jean-Jacques François sur la comptabilité patrimoniale de l'Etat.

Il en a conclu qu'il conviendrait donc de mettre à niveau notre système comptable afin que la comptabilité de l'Etat se rapproche de la comptabilité générale, d'une part, en en respectant les obligations de base, la sincérité, l'exhaustivité, la certification, d'autre part, en prenant en compte l'ensemble de ses éléments financiers et patrimoniaux et, enfin, en fournissant une aide à la gestion.

Il a alors mentionné certaines des propositions pouvant découler de ces principes : une présentation des opérations des lois de finances sincère et exhaustive, les comptes de l'Etat devant partager ces dernières caractéristiques ; la certification par la Cour des comptes de la régularité, la sincérité et la fidélité des comptes de l'Etat à l'occasion du rapport qu'il lui incombe de présenter au moment du projet de loi de règlement.

Enfin, rappelant que la restauration du système comptable de l'Etat n'impliquait pas de supprimer la règle des inscriptions comptables en encaissements et décaissements, règle chargée de signification et adaptée au sens des autorisations budgétaires, il a observé que celles-ci ne constituaient pas l'alpha et l'oméga des événements financiers pouvant concerner l'Etat. Evoquant certaines évolutions inéluctables (les charges latentes de pensions, le vieillissement des immobilisations), il a jugé que celles-ci devaient être retracées et a proposé d'instaurer une comptabilité financière de l'Etat basée sur le principe des droits constatés. Il a considéré que celle-ci devrait permettre d'extérioriser des comptes de résultat et de bilan significatifs de la situation financière de l'Etat.

M. Alain Lambert, président , a alors affirmé que la refondation du sens des lois de finances passait aussi par une restauration du principe d'universalité budgétaire.

Il a observé que les atteintes portées à ce principe proviennent d'abord de la complexification de nos finances publiques et de l'affirmation, en leur sein, de la place des organismes de sécurité sociale et des collectivités locales, mais aussi d'artifices destinés à amputer le budget de l'Etat d'une partie de sa substance.

Considérant que le premier phénomène ne pouvait être entièrement contenu, mais devait être mieux maîtrisé, il a souhaité que le second soit combattu avec détermination. Avant d'exposer ses propositions, il est revenu sur un point suscitant souvent des ambiguïtés, la coexistence au sein du budget de l'Etat de trois unités comptables : le budget général, les budgets annexes et les comptes spéciaux du Trésor qui peut paraître constituer en elle-même un élément portant atteinte à l'universalité budgétaire. Il n'a pas partagé cette approche, estimant que si les budgets annexes et les comptes spéciaux du Trésor se détachaient du budget général, ils appartenaient comme lui au budget de l'Etat. Leurs opérations, tout comme celles du budget général, devaient gagner en visibilité, mais il a estimé que leur disparition priverait le budget de l'Etat de comptes qu'il est utile d'isoler pour leur logique et qui ont l'immense mérite de permettre d'identifier l'affectation de recettes de nature particulière.

Abordant les problèmes de frontière existant entre les différentes catégories d'administration publique, il a considéré qu'il y avait lieu de défendre le principe d'universalité des lois de finances, mais dans le respect du principe de libre administration des collectivités locales et de la réforme constitutionnelle de 1996 qui a instauré les lois de financement de la sécurité sociale. Il a douté, à ce propos, que les évaluations de recettes de ces organismes puissent, et même doivent, être votées dans le cadre des lois de finances lorsqu'il s'agit de recettes qui leur sont directement affectées. Mais, il a estimé souhaitable de réaffirmer que les lois de finances étant les seules à pouvoir autoriser la perception des impositions de toutes natures y compris des impôts directement affectés à ces organismes, elles avaient une vocation éminente pour intervenir afin d'organiser le régime de ces impôts. Il a jugé naturel que parmi les informations fournies par le Gouvernement, figure en bonne place une présentation consolidée des ressources et des charges de l'ensemble des administrations publiques.

Il a estimé que les relations financières entre l'Etat et les autres administrations publiques devaient être, quant à elles, plus clairement identifiées. Il a exposé à ce sujet la proposition de consacrer dans la loi organique le système des prélèvements sur recettes, jugeant qu'il permettrait d'identifier les recettes brutes et les recettes nettes de l'Etat ainsi que la destination précise des recettes versées aux organismes extérieurs à ce dernier. Pendant de cette proposition, il a indiqué queles lois de finances pourraient être amenées à définir les modalités de répartition des concours financiers versés par l'Etat.

M. Alain Lambert, président, a manifesté une ferme volonté de remédier aux débudgétisations d'artifice, ce qui pourrait conduire à prévoir :

- d'évaluer les fonds de concours dans les lois de finances, la plupart d'entre eux étant récurrents, et le montant des fonds de concours exceptionnels, faible d'ordinaire, pouvant faire l'objet d'une estimation statistique ;

- de remédier aux débudgétisations qui proviennent de l'affectation directe de recettes publiques à des démembrements de l'Etat en exigeant que ces recettes -hors celles affectées à la sécurité sociale ou aux collectivités locales- transitent par le budget de l'Etat ;

- d'introduire des dispositions diverses pour que les lois de finances intègrent des opérations financières qu'elles ignorent aujourd'hui, comme les ressources d'emprunt nécessaires au financement du solde de l'année ou au remboursement du stock de dettes, les dépenses correspondantes, et les garanties octroyées par l'Etat.

M. Alain Lambert, président, a alors exposé les différentes propositions envisageables pour réaffirmer l'autorité du Parlement dans le domaine financier. Ayant indiqué que, les propositions qu'il venait d'exposer, destinées à éclairer efficacement et le plus complètement possible sur les ressources, les charges et l'équilibre financier du budget de l'Etat, seraient de nature à affirmer l'autorité des votes du Parlement, il a estimé qu'il fallait encore que ces votes soient respectés et que le Parlement ne soit pas borné par le cadre étroit des débats relatifs aux projets de loi de finances.

Il a alors souligné que défendre l'autorité du Parlement n'était pas incompatible avec l'octroi de davantage de souplesse de gestion à l'exécutif et que le desserrement de plusieurs contraintes de gestion devait être envisagé. Il a, à ce propos, mentionné la simplification de la nomenclature budgétaire. Rappelant qu'actuellement, si l'unité de vote était le titre, l'unité d'exécution était le chapitre budgétaire, niveau de nomenclature si fin que de nombreux aménagements avaient été inventés pour lever les contraintes d'exécution qu'il comporte, il a proposé d'envisager de substituer le titre au chapitre comme unité d'exécution des lois de finances. Il a observé que la commission des finances de l'Assemblée nationale partageait cette approche même s'il était sans doute souhaitable d'instaurer une nomenclature un peu moins agrégée que dans la proposition de loi du rapporteur général du budget.

Il a ensuite suggéré qu'une procédure plus souple de transformations d'emplois soit inventée, estimant que, sur ce point, des réflexions approfondies s'imposaient.

Il a enfin considéré comme possible de reconnaître sous condition les annulations de crédits destinées à prévenir la détérioration de l'équilibre financier défini par les lois de finances. Il a rappelé qu'en l'état, la faculté de procéder à des annulations de crédits était limitée au cas où les crédits deviennent sans objet, mais que dans les faits, les annulations formelles ou informelles (le gel, les contrats de gestion) intervenaient à la discrétion du Gouvernement à des fins de pilotage budgétaire.

Il a proposé de tenir compte de cette réalité mais de l'encadrer. A cet effet, un autre cas d'annulation des crédits serait prévu : pour éviter une détérioration de l'équilibre financier de la loi de finances mais, ces annulations, tout comme celles concernant les crédits devenus sans objet, seraient soumises à une information préalable des commissions des finances. Enfin, pour tenir compte des pratiques de régulation budgétaire qui ne prennent pas la forme d'annulations formelles, il serait prévu que toutes les décisions, même non réglementaires, visant à suspendre les possibilités d'exécution des crédits ouverts feraient également l'objet d'une information des commissions des finances.

M. Alain Lambert, président, a alors souhaité qu'un respect plus strict des autorisations parlementaires soit à l'avenir garanti. Il a proposé d'éliminer plusieurs anomalies budgétaires. Il a souhaité que le recours aux décrets d'avances soit limité et conditionné à un avis des commissions des finances du Parlement. Dans cette perspective, un seul cas de décret d'avances subsisterait, celui où l'urgence le justifierait, les crédits globaux pour dépenses accidentelles étant supprimés. Il a concédé que sur ce point, la position du Sénat était plus exigeante que celle défendue à l'Assemblée nationale où les crédits globaux pour dépenses accidentelles sont maintenus. Mais, il a jugé seulement relative la rigueur de sa proposition puisque l'urgence pourrait justifier l'ouverture de crédits supplémentaires et qu'en outre, la procédure de virement de crédits pourrait être mobilisée. Enfin, il a observé qu'il serait toujours possible au Gouvernement de déposer un projet de loi de finances rectificative si les arbitrages que le nouveau régime des décrets d'avances lui imposerait d'entreprendre ne lui convenaient pas.

Il a en outre estimé souhaitable que les dépenses pouvant être payées à partir de crédits évaluatifs soient plus strictement définies, sur la base de leur caractère aléatoire et que les possibilités de transfert et de virement étant maintenues, le régime des virements soit encadré. Il a remarqué que sur ce point il pouvait y avoir une difficulté à accepter les propositions faites à l'Assemblée nationale, considérant qu'il serait sans doute justifié de prévoir qu'aucun virement ne puisse intervenir entre programmes afin de ne pas affaiblir à l'excès la portée du vote par programme qui serait désormais la règle.

Ayant indiqué que les facultés de reports pourraient être utilement encadrées elles aussi, il a souhaité que les opérations de fin de gestion puissent être surveillées. Une règle d'apurement des comptes d'imputation provisoire avant la fin de l'exercice pourrait être posée tandis que, si la période complémentaire ne devait pas être supprimée, elle devrait au moins être limitée dans son objet et dans le temps, les opérations réalisées entre le 1 er décembre et la fin de la période complémentaire devraient de plus faire l'objet d'un rapport justifiant de manière précise chacune d'entre elles afin que la période complémentaire ne puisse plus servir à des fins de pilotage du solde budgétaire à l'abri des regards du Parlement.

Il a enfin insisté sur l'importance d'édicter dans la loi organique les principes généraux relatifs aux pouvoirs et aux prérogatives de contrôle des commissions des finances du Parlement.

Rappelant qu'en l'état du droit, les dispositions relatives au contrôle parlementaire étaient contenues dans les lois de finances comme la possibilité en est prévue par l'article 1 er de l'ordonnance organique, il a observé que la rénovation de l'ordonnance offrait l'occasion de faire accéder le contrôle parlementaire des finances publiques à la dignité et à l'autorité d'une loi organique, de niveau quasi-constitutionnel. Il a estimé qu'il serait d'autant plus regrettable de ne pas saisir cette occasion que les propositions de réforme de l'ordonnance sont axées sur l'objectif de mieux évaluer les politiques publiques.

Il a alors énuméré quelques-unes des propositions envisageables :

- la consécration des pouvoirs de contrôle des commissions des finances et de leurs membres ;

- la reconnaissance des moyens nécessaires à l'accomplissement des missions de contrôle ou d'évaluation, comme le droit d'accès aux documents et en particulier aux rapports des organismes chargés du contrôle de l'administration, avec un sort particulier à réserver aux informations nominatives que ces rapports pourraient comporter, le droit d'auditionner ;

- le droit de saisir la Cour des comptes d'une enquête qui devrait être conclue dans les huit mois ;

- le droit de saisir la Cour de discipline budgétaire et financière.

Il a souhaité ouvrir un débat sur la reconnaissance des moyens de contrôle du Parlement, à savoir les personnes habilitées à assister les parlementaires participant aux missions d'évaluation ou de contrôle, précisant que ces personnes pourraient être, d'une part, les fonctionnaires parlementaires, d'autre part, des organismes extérieurs susceptibles d'être habilités par une assemblée aux fins de contribuer à une mission donnée, placée sous la direction du ou des parlementaires chargés de la mission et assujetties à un strict secret professionnel. Il a indiqué qu'il s'agissait de renforcer les moyens offerts aux parlementaires, dans le cadre de leurs missions et de lever les objections qu'en l'état actuel du droit, les personnes contrôlées sont en mesure de formuler dès lors qu'un rapporteur est accompagné. Il a rappelé que pareils obstacles étaient rarement utilisés, tout en évoquant le souvenir d'un incident passé. Soulignant que la participation de personnes entièrement extérieures au Parlement soulevait de réels problèmes, il a appelé de ses voeux un débat en profondeur sur ce dernier sujet, en faisant part de ses réticences personnelles.

Il a enfin signalé une dernière innovation consistant à prévoir l'obligation pour le Gouvernement de répondre dans un délai raisonnable aux observations notifiées à la suite d'une mission de contrôle des commissions des finances.

M. Alain Lambert, président, a conclu en jugeant qu'il convenait de mieux respecter le Parlement dans sa fonction tribunicienne. Il a mis en débat plusieurs propositions : la reconnaissance du débat d'orientation budgétaire ; la suppression du principe selon lequel le rejet de la première partie du projet de loi de finances entraîne " ipso facto " la fin de la discussion budgétaire avec l'instauration d'une procédure de discussion sans vote de la deuxième partie ; la faculté d'organiser des débats thématiques sur les prélèvements sur recettes, désormais consacrés, mais aussi sur la politique de l'emploi public ou d'investissement ; l'assouplissement des irrecevabilités financières de l'article 42 de l'ordonnance dans le respect de l'article 40 de la Constitution ; la reconnaissance d'une possibilité d'affectation de recettes à l'initiative parlementaire sous réserve d'intervenir sans créer de charge publique et de se situer dans le cadre des affectations spéciales prévues par la loi organique.

Enfin, M. Alain Lambert, président, a appelé de ses voeux une concertation fructueuse entre l'Assemblée nationale, le Gouvernement et le Sénat. Il s'est par avance réjoui des apports que les membres de la commission pourraient fournir. Il s'est déclaré confiant dans le succès de cette réforme, essentielle pour le pays.

M. Philippe Marini, rapporteur général, s'est félicité de ce que le document élaboré par le président présente toutes les questions devant être tranchées, même s'il devra encore faire l'objet d'arbitrages et de précisions. Il a souligné que l'ordonnance organique de 1959 constituait un beau texte, instituant des notions claires et définissant précisément la place du Parlement. En conséquence, il a considéré qu'il ne convenait pas de le jeter hâtivement aux orties.

Concernant les orientations présentées par le président, il a souligné que la création d'un titre spécifiquement consacré à l'information et au contrôle du Parlement en constituait l'élément le plus significatif et le plus innovant. En particulier, il a noté que ce titre permettait de regrouper des propositions éparses dans le texte de l'Assemblée nationale.

Il s'est prononcé en faveur de l'instauration d'une distinction entre les dépenses de fonctionnement et d'investissement de l'Etat, considérant qu'elle constituait un apport pédagogique significatif, ayant prouvé son utilité dans le cadre de la présentation des budgets des collectivités locales. Il a reconnu que cette distinction était plus difficile à appliquer au budget de l'Etat. Il a cependant estimé que cette disposition devait être introduite, afin d'appliquer au budget de l'Etat la " règle d'or ", interdisant le financement par l'emprunt de dépenses de fonctionnement.

Il a estimé que la représentation nationale devait connaître, avec précision, le niveau des prélèvements obligatoires, et que cette exigence impliquait une consolidation des prévisions et des comptes de l'Etat, de ceux des collectivités locales, ainsi que des dispositions contenues dans la loi de financement de la Sécurité Sociale.

Il a ensuite évoqué la question de la présence de moyens extérieurs au côté des rapporteurs effectuant des missions de contrôle ou d'évaluation pour le compte des commissions des finances. Il a indiqué que la nature juridique des moyens auxquels le rapporteur pourrait avoir recours importait peu, dès lors que sa responsabilité était clairement réaffirmée.

Concernant la possibilité de discuter la deuxième partie d'un projet de loi de finances en cas de rejet de la première partie, il a rappelé que, dans la conception du législateur de 1959, le rejet de la première partie mettait fin à l'examen du texte. Il s'est demandé si les parlementaires étaient devenus suffisamment raisonnables pour qu'une telle contrainte puisse être levée.

En réponse à M. Philippe Marini, rapporteur général, M. Alain Lambert, président, a reconnu que la qualité du texte de l'ordonnance organique de 1959 exigeait une rédaction approfondie de la nouvelle loi organique. Il a indiqué que la partie consacrée au contrôle pourrait incomber plus particulièrement au Sénat dans les propositions de réforme. Concernant la distinction entre les dépenses de fonctionnement et d'investissement, il a reconnu que l'interdiction de financer des dépenses de fonctionnement par emprunt était fondamentale. Il a cependant souligné que la mise en oeuvre de cette distinction posait le problème technique de la définition des investissements de l'Etat.

Il a considéré que la possibilité pour une assemblée de poursuivre ses travaux en cas de rejet de la première partie d'un projet de loi de finances pourrait être envisagée, compte tenu des quarante années passées de " sage pratique " du Parlement et pour ne pas priver l'assemblée considérée du débat sur les dépenses.

Mme Maryse Bergé Lavigne s'est interrogée sur la place du Parlement en France aujourd'hui, notamment en matière budgétaire. Elle a estimé qu'il convenait de restaurer le pouvoir plus que l'autorité du Parlement : le pouvoir du Parlement s'exprime par la voie de l'amendement ainsi que par le recours à des organismes extérieurs pour en évaluer, de manière indépendante, les conséquences. Elle a considéré que l'absence d'évaluation des propositions parlementaires nuisait au sérieux de ces dernières et elle a plaidé pour doter le Parlement français d'un tel outil.

M. Jacques Chaumont s'est déclaré en plein accord avec sa collègue et a estimé que la clef du succès reposait sur l'existence d'un organisme d'évaluation extérieur mais au service du Parlement, afin d'éviter que ce soient les mêmes personnes qui, par une sorte de consanguinité malsaine, élaborent le budget et évaluent leur propre travail.

S'agissant des missions de contrôle, il a estimé que le travail de la Cour des comptes était d'une utilité manifeste.

M. Michel Charasse, après avoir remercié le président de susciter ainsi une discussion libre ne préjugeant pas des prises de positions finales de la commission, s'est dit partager pleinement le souhait d'une actualisation de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959. Il a appelé l'attention de ses collègues sur les risques qu'il y aurait cependant à donner l'impression que le Parlement entend profiter de cette réforme pour revenir à la situation antérieure au décret de 1956, sorte de photographie à l'envers de ce dont la démocratie française a souffert. Il a estimé qu'il s'agissait avant tout d'assurer et de garantir la continuité du rôle de l'Etat et donc d'affirmer le sens de la loi de finances et de renforcer la place du Parlement dans le domaine budgétaire. Il a rappelé que la loi organique devrait se conformer à la Constitution et ses interprétations, notamment quant à la doctrine d'application de son article 40. Il s'est inquiété des risques de confusion des pouvoirs, et de retrait de toute possibilité de souplesse de gestion nécessaire au Gouvernement lorsqu'il est confronté à une situation imprévue.

S'agissant des pouvoirs de contrôle parlementaire, il a considéré que leur quantité n'influençait pas nécessairement leur utilisation, et a soulevé la question de l'opportunité juridique de la présence en loi organique de dispositions sur ce thème. Il a estimé que le recours à des organismes extérieurs devait rester exceptionnel, ces derniers faisant bien trop rarement preuve du sens de l'Etat et de culture de la sphère publique. Il a plaidé pour que la pratique du contrôle par les parlementaires devienne obligatoire. Il a rappelé qu'à ses yeux, le contrôle parlementaire était un contrôle de régularité et qu'il ne devait en aucun cas être instrumentalisé à des fins politiques. Evoquant la question de l'universalité et de l'annualité, il en a rappelé l'importance et s'est interrogé sur leur atteinte potentielle par la mise en place de programmes pluriannuels. Il a rappelé qu'il revenait au Parlement et au Gouvernement de faire la politique, et non à la Cour des comptes, dont le rôle est de juger les comptes et non de juger la politique de ceux qui font les comptes. Il a considéré que l'enjeu de la réforme de l'ordonnance était de permettre aux citoyens et à leurs représentants de savoir et de décider dans le cadre d'un fonctionnement harmonieux des pouvoirs publics : il ne s'agit pas de laisser au Parlement ce qui fait plaisir, et au Gouvernement ce qui fâche. De ce point de vue, il s'est prononcé contre la possibilité d'une discussion sans vote de la deuxième partie de la loi de finances en cas de rejet de la première partie. Il a conclu en mettant en garde contre le danger de chercher à tout prix à transformer le débat budgétaire en un grand spectacle oscillant entre le " théâtre des deux ânes " et le " café du commerce " : " le budget c'est l'Etat, et ce n'est pas drôle ", a-t-il conclu.

M. Jacques Oudin a rappelé que, quoique texte fondateur, l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 n'avait jamais donné lieu à débat et s'est donc félicité de la possibilité qui s'ouvre d'en discuter et de la réformer. Il a appelé à un débat clair et transparent où chacun pourrait prendre ses responsabilités. Puis il a émis six observations :

- il convient de traiter les problèmes de la dette et des engagements de l'Etat dans la loi de finances ;

- il faut davantage intégrer la loi de financement de la sécurité sociale à la loi organique ;

- il faut introduire l'interdiction du financement du fonctionnement par l'emprunt et contraindre l'Etat à consolider les dettes qu'il garantit (par exemple celles du Réseau ferré de France) ;

- il faut obliger ceux qui fournissent des évaluations à en communiquer les hypothèses ;

- il faut préciser les sanctions applicables à ceux qui s'opposent à l'exercice du contrôle parlementaire ;

- il faut interdire tout ce qui porte atteinte à la clarté des comptes publics, à commencer par le système des mises à disposition, " emplois fictifs légaux ".

M. Maurice Blin a dit sa satisfaction devant l'exposé introductif du président Alain Lambert. Il a noté le changement de l'environnement et de la situation des finances publiques qui met en cause la notion même de l'Etat. Reconnaissant les difficultés de distinguer des sections de fonctionnement et d'investissement, il a néanmoins estimé qu'il convenait d'éclaircir ce point et d'en tirer des conséquences sur le financement par l'emprunt. Il a dit partager le point de vue du président Alain Lambert sur l'importance des budgets annexes et des comptes spéciaux du Trésor qui permettent d'affecter, en préservant l'universalité de la loi de finances, une recette à une dépense. Il s'est montré hésitant sur la notion de programme et a plaidé pour un strict encadrement des procédures de report en les limitant notamment aux dépenses en capital. Il a estimé que le contrôle sur pièces et sur place devait rester le fait du parlementaire sans le recours à un organisme privé extérieur ; en revanche, s'agissant de l'évaluation et de la contre-expertise, il s'est prononcé pour un appui du Parlement sur un organisme de cette nature. Afin de ne pas mélanger les genres, il s'est prononcé contre une possibilité d'examen sans vote de la deuxième partie de la loi de finances et s'est dit d'accord avec M. Jacques Oudin sur l'interdiction de mise à disposition de fonctionnaires. Il a conclu en rappelant la formule de Goethe : " les chiffres ne gouvernent pas le monde, ils montrent comment le monde est gouverné ".

M. Roland du Luart a demandé à M. Alain Lambert, président, s'il estimait qu'un accord était possible avec l'Assemblée nationale. Il s'est prononcé en faveur de la mise en oeuvre d'une distinction entre les dépenses de fonctionnement et les dépenses d'investissement au sein du budget de l'Etat, considérant que celle-ci avait prouvé son utilité pour les collectivités territoriales. Enfin, il s'est interrogé sur la taille et le degré de précision du texte organique, exprimant une préférence pour une loi concise.

M. Joël Bourdin s'est félicité de la volonté affichée d'introduire des concepts issus de la comptabilité privée dans la comptabilité de l'Etat. Il s'est également prononcé pour l'introduction d'une distinction des dépenses de fonctionnement et d'investissement dans le budget de l'Etat, assortie d'une règle d'équilibre. Instruit par l'expérience de sa mission accomplie en septembre, il a souligné que les moyens de contrôle et d'évaluation dont dispose le Parlement français sont largement insuffisants, au regard des moyens dont dispose le Congrès aux Etats-Unis, notamment le Congressional Budget Office et le General Accounting Office.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a précisé que sur le plan terminologique, il préférait voir introduite une distinction entre dépenses ordinaires et dépenses en capital plutôt qu'entre les dépenses de fonctionnement et d'investissement, afin d'éviter, autant que faire se peut, les problèmes liés à la définition des investissements de l'Etat, et s'en tenir à une distinction comptable simple. Il a également indiqué qu'il était favorable à la mise en oeuvre d'une comptabilité consolidée de l'Etat, comprenant un bilan, au sein duquel figurerait l'ensemble des dettes de l'Etat et celles des autres organismes étant à sa charge, ainsi que l'avait souhaité M. Jacques Oudin.

M. Alain Lambert, président, a remercié ses collègues pour la qualité de leur écoute et de leurs interventions.

En réponse à Mme Maryse Bergé-Lavigne, il a considéré que, en matière de lois de finances, l'initiative devait rester au Gouvernement, l'autorité du Parlement étant celle de l'organe constitutionnel qui autorise, et dont les autorisations doivent être respectées. Il a souligné que les comparaisons entre les moyens de contrôle du Parlement français et du Congrès américain étaient justifiées, mais qu'elles devraient être établies à l'aune de la différence entre les deux régimes politiques. Il a souligné que les moyens humains, matériels et techniques de contrôle ne tiendraient jamais lieu de volonté politique, et a souhaité que chacun s'interroge sur le point de savoir si le travail des parlementaires était à la hauteur de ce que les Français pouvaient en attendre de ce point de vue.

En réponse à M. Jacques Chaumont, M. Alain Lambert, président, a rappelé que le Sénat disposait par lui-même de l'indépendance requise à son activité de contrôle, et qu'il l'avait prouvé à l'égard de Gouvernements appartenant à la même majorité que lui. Il a noté que l'appel à des instituts d'étude indépendants, auquel il arrivait à la commission des finances d'avoir recours, ne résolvait pas la difficulté du monopole des ressources statistiques entre les mains du Gouvernement, et que les moyens techniques et humains nécessaires afin de rivaliser sur ce point seraient immensément coûteux.

En réponse à M. Michel Charasse, M. Alain Lambert, président, a affirmé que s'il s'agissait de changer de régime ou de république, il ne faudrait pas compter avec lui. Il a considéré cependant que le temps était venu de rééquilibrer les relations entre l'exécutif et le législatif, afin que le peuple souverain soit pleinement informé. Il a estimé que l'exécutif devait bénéficier de davantage de souplesse de gestion en contrepartie des exigences nouvelles qui lui seraient imposées. Il a considéré que l'introduction de dispositions relatives au contrôle du Gouvernement par le Parlement dans la loi organique se justifiait dès lors qu'il s'agissait des relations entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Enfin, il a également rappelé que, à son sens, la volonté politique devait précéder les demandes de moyens de contrôle supplémentaires exprimées par les parlementaires.

En réponse à M. Jacques Oudin, M. Alain Lambert, président, a indiqué que les remarques techniques qu'il avait énoncées seraient prises en compte dans ses travaux. Il a noté que la mise en oeuvre d'une comptabilité patrimoniale devait permettre une évaluation de l'ensemble des dettes de l'Etat. Il a également indiqué qu'il souhaitait pousser aussi loin que possible le champ de la loi de finances, sans empiéter toutefois sur celui de la loi de financement de la sécurité sociale, ce qui nécessiterait une révision de la Constitution, ni sur l'autonomie des collectivités locales.

En réponse à M. Maurice Blin, M. Alain Lambert, président, a souligné que ses orientations de réforme prévoyaient une évaluation de l'incidence des dépenses nouvelles sur plusieurs exercices, ce qui était particulièrement nécessaire s'agissant des créations d'emplois publics. Il a également indiqué qu'il comprenait les réserves que les programmes pouvaient susciter à l'heure actuelle, compte tenu de leur aspect novateur, mais qu'il était indispensable de raisonner désormais en termes d'objectifs et de résultats, et non plus seulement de moyens.

En réponse à M. Roland du Luart, M. Alain Lambert, président, a déclaré qu'une volonté forte était partagée par les deux assemblées et le Gouvernement afin d'aboutir rapidement à une réforme de l'ordonnance organique de 1959.

En réponse à M. Joël Bourdin, M. Alain Lambert, président, a précisé que ses orientations proposaient d'inclure les dépenses de remboursement de la dette dans le champ de la loi de finances.

M. Jacques Oudin a demandé si, compte tenu du statut de la réforme envisagée, une réunion informelle avec les membres de la commission des finances de l'Assemblée nationale pouvait être envisagée.

M. Alain Lambert, président, a indiqué que la concertation serait poursuivie compte tenu de la nature organique de la réforme, mais sans porter atteinte aux principes du bicamérisme.

Pour conclure, M. Alain Lambert, président, a souligné que cette réunion de commission ouvrait un chantier appelé à durer plusieurs mois. Il a demandé que chacun puisse participer à ce débat en lui faisant part de ses contributions.

La commission a alors donné acte au président de sa communication et a décidé d'en publier les conclusions sous forme d'un rapport d'information .

ANNEXES

CONTRIBUTIONS DE LA COUR DES COMPTES
AUX RÉFLEXIONS SUR LA RÉVISION
DE L'ORDONNANCE DE 1959
RELATIVE AUX LOIS DE FINANCES

Première contribution de la Cour des Comptes

SOMMAIRE

Introduction

I - Améliorer la transparence et le contrôle du budget

et des comptes de l'État

- I.1 Présentation du budget

- I.2 Comptabilités de l'État

- I.3 Débudgétisations et démembrements budgétaires

- I.4 Loi de finances et loi de financement de la sécurité sociale

- I.5 Loi de règlement et certification des comptes de l'État

- I.6 Prélèvements sur recettes

- I.7 Pluriannualité

- I.8 Autorisations d'emprunt

- I.9 Questions européennes

II - Améliorer les conditions d'application de l'ordonnance

du 2 janvier 1959

- II.1 Opérations budgétaires et opérations de trésorerie

- II.2 Annulations de crédits et régulation budgétaire

- II.3 Crédits évaluatifs, provisionnels et limitatifs

- II.4 Fonds de concours

- II.5 Budgets annexes et comptes de commerce

- II.6 Emplois budgétaires

- II.7 Amendements rédactionnels

Introduction

Dans son rapport annuel sur l'exécution des lois de finances, la Cour fait état des irrégularités qu'elle relève, lors de ses contrôles, dans l'application des principes et des règles du droit budgétaire et comptable énoncés par l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances. La deuxième partie du rapport, intitulée " gestion des autorisations budgétaires ", traite spécifiquement de cet aspect du contrôle de régularité effectué par la Cour, mais l'ensemble du rapport, y compris les monographies consacrées à des budgets particuliers, comporte des observations de cette nature.

La Cour s'attache en priorité à dénoncer les entorses au droit en vigueur, dont elle demande qu'il soit appliqué plus strictement. Elle met plus rarement ce dernier en cause, en soulignant ses lacunes ou ses imprécisions. S'il lui arrive de constater une pratique dépourvue de fondement légal, elle recommande, soit de l'abandonner si elle lui paraît sans justification ou contraire à des règles ou à des principes essentiels, c'est-à-dire de mettre le fait en accord avec le droit, soit, moins fréquemment, de la conforter par un texte, c'est-à-dire de mettre le droit en accord avec le fait. En effet, les constats de la Cour peuvent justifier la modification de certaines dispositions de l'ordonnance du 2 janvier 1959. Il en est ainsi, par exemple, des observations sur la régulation budgétaire et les annulations massives de crédits en cours d'année ou encore des développements relatifs à la modernisation de la comptabilité de l'Etat. Plus généralement, il arrive à la Cour de constater que certaines pratiques, sans être formellement irrégulières au regard de la législation ou de la réglementation en vigueur, font néanmoins obstacle à la transparence des opérations budgétaires et financières de l'Etat et à leur contrôle par le Parlement. Certaines opérations exécutées pendant la période complémentaire ou reportées à la gestion suivante, illustrent ce dernier cas de figure.

A) Portée des propositions

L'ordonnance du 2 janvier 1959 a une double finalité. Elle organise d'abord, pour les lois de finances, les rapports entre le Parlement et le Gouvernement. Elle énonce également des règles conformes aux grands principes du droit budgétaire, tel qu'il s'est progressivement façonné depuis près de deux siècles. La présente étude entend se situer exclusivement, comme il se doit, sur ce second plan. Il est clair cependant que ses suggestions visant à compléter ou à modifier l'ordonnance, fondées sur le seul souci de conforter le respect des principes essentiels du droit budgétaire et d'assurer une plus grande transparence des opérations budgétaires et comptables de l'Etat, conduisent nécessairement à améliorer l'information du Parlement et le contrôle qu'il exerce dans ce domaine. Ce faisant, cette étude s'inscrit pleinement dans le rôle que l'article 47 de la Constitution assigne à la Cour d'assister le Parlement et le Gouvernement dans le contrôle de l'exécution des lois de finances.

Car, en définitive, l'objectif recherché est bien de répondre aux exigences modernes de transparence et de contrôle.

Dans son rapport public de 1990, la Cour dressait un bilan de " trente ans d'application de l'ordonnance du 2 janvier 1959 ". Elle soulignait alors que ses observations ou critiques ne mettaient fondamentalement en cause " ni les conditions générales d'exécution des lois de finances, ni les principes fixés par l'ordonnance du 2 janvier 1959 ". Elle concluait que celle-ci avait dans l'ensemble rempli son office, tout en constatant que des dispositions n'étaient pas appliquées, parfois parce qu'elles étaient difficilement applicables, et qu'il conviendrait sans doute sur certains points de mettre le droit en accord avec le fait.

Dix ans après, force est de constater que l'ordonnance n'a pas été modifiée comme il apparaissait pourtant souhaitable de le faire sur certains points, en 1990. En outre, des éléments nouveaux par rapport à 1959 devraient être pris en compte. Les circonstances institutionnelles et les procédures juridiques qui ont présidé à l'établissement de l'ordonnance ne sont plus les mêmes. Par exemple, le Conseil constitutionnel doit se prononcer sur toutes lois organiques, alors que l'ordonnance de 1959 ne lui avait pas été soumise. Le contexte budgétaire a également changé. L'appartenance à l'Union économique et monétaire (UEM) crée des obligations supplémentaires et, en dehors même de l'Union européenne, un nombre croissant d'Etats modifient leurs normes et leur cadre budgétaire et comptable ou envisagent de le faire. Les questions relatives à la comptabilité de l'Etat revêtent aujourd'hui une actualité particulière. Enfin, le Parlement vote, depuis la réforme de 1996, une loi de financement de la sécurité sociale dont l'articulation avec la loi de finances proprement dite pose des problèmes inédits.

Plus généralement, les exigences, évoquées plus haut, de transparence et de contrôle se sont renforcées dans l'intervalle, avec pour objectif d'améliorer les conditions du débat démocratique et de répondre aux besoins croissants d'information de nombreux acteurs, en particulier de l'économie et de la finance, en France comme à l'étranger. On peut par exemple se référer au besoin, qui s'exprime de plus en plus fortement, de mieux appréhender la situation globale des finances publiques, à commencer par celle de l'Etat et de ses satellites, aussi bien " dans l'espace " que " dans le temps ":

- dans l'espace, en raison du périmètre changeant des comptes de l'Etat proprement dit, ou encore de l'articulation de plus en plus floue entre le champ de la loi de finances et celui de la loi de financement de la sécurité sociale et du besoin de la clarifier. Le recours à des démembrements budgétaires (structures de défaisance, établissements publics " écrans ", en particulier dans le domaine social...) provoque un éclatement des finances de l'Etat préjudiciable à une vision d'ensemble et crée, en retour, le besoin d'une " consolidation " budgétaire et comptable propre à dissiper le sentiment de confusion et d'opacité que suscitent un nombre et un volume croissants d'opérations;

- dans le temps, pour répondre à la nécessité d'évaluer l'importance des engagements financiers pris par l'Etat pour les années à venir (problème des engagements " hors bilan " en matière de garanties ou de retraites...).

La comptabilité budgétaire et pas seulement, comme c'est actuellement le cas, la comptabilité nationale, dans des conditions d'ailleurs non contrôlées, doit apporter une réponse à ces questions. C'est la raison pour laquelle le rapport de la Cour sur l'exécution des lois de finances pour 1998 souligne la nécessité de réformer la comptabilité publique afin qu'elle donne une image plus complète et plus exacte, en un mot plus " fidèle ", des résultats financiers et de la situation patrimoniale de l'Etat.

Les propositions qui suivent concernent, pour l'essentiel, l'ordonnance de 1959 relative aux lois de finances. Certaines d'entre elles portent sur d'autres textes. Dans plusieurs cas, s'agissant par exemple des questions de comptabilité, la nature juridique des textes à prendre doit être précisée, dans la mesure où il n'est pas immédiatement clair que la proposition considérée relève de la loi organique, d'une loi simple ou d'une disposition réglementaire.

B) Présentation des propositions

Les réflexions qui suivent sur la révision de l'ordonnance du 2 janvier 1959 s'orientent autour de deux axes :

- 1) U n premier ensemble de réflexions et de propositions tend à répondre à des exigences nouvelles ou renforcées en matière de transparence et de contrôle du budget et des comptes de l'Etat . Elles impliquent des modifications, souvent substantielles, de l'ordonnance.

Sont abordées à ce titre les questions soulevées par la présentation du budget, les comptabilités de l'Etat, les débudgétisations et les démembrements budgétaires, l'articulation entre la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale, les délais de la loi de règlement et la certification des comptes, les prélèvements sur recettes, la pluriannualité des autorisations et des engagements budgétaires, les autorisations d'emprunt, les exigences européennes.

- 2) Un deuxième ensemble de réflexions correspond à des observations traditionnelles des rapports de la Cour sur l'exécution des lois de finances. Les propositions présentées à ce titre visent à préciser ou à compléter les dispositions de l'ordonnance de 1959 pour en garantir une application plus conforme à ses principes essentiels.

Cette deuxième partie traite ainsi de la distinction des opérations budgétaires et des opérations de trésorerie, des annulations de crédits et de la régulation budgétaire, des différentes catégories de crédits (évaluatifs, provisionnels et limitatifs), des fonds de concours, des budgets annexes et des comptes spéciaux du Trésor, des emplois budgétaires. Il est enfin suggéré d'apporter quelques amendements d'ordre rédactionnel, pour " rafraîchir " ou actualiser un texte établi il y a plus de quarante ans.

Les développements qui suivent présentent des suggestions fondées sur l'expérience que la Cour a acquise à l'occasion de ses contrôles. Cette première réflexion s'efforce, avant tout, d'énoncer une problématique, d'évoquer des solutions et, le cas échéant, d'examiner succinctement les conditions de leur réalisation et leurs conséquences. Il est clair que ce premier travail exigera des approfondissements.

I - Améliorer la transparence et le contrôle du budget et des comptes de l'Etat

I.1 - Présentation du budget

1) Problèmes posés

A- Les articles 31 et 32 de l'ordonnance établissent, au sein des opérations du budget général et des budgets annexes, une distinction entre les services votés et les mesures nouvelles. L'article 33 définit les services votés. Enfin, l'article 41 prévoit que les dépenses du budget général font l'objet d'un vote unique en ce qui concerne les services votés, tandis que les mesures nouvelles sont votées par titre et, à l'intérieur d'un même titre, par ministère.

Le Parlement est ainsi conduit à approuver plus de 90% des dépenses du budget général, les services votés, par un seul vote. Il a certes la possibilité de les remettre en cause en adoptant des mesures nouvelles d'économies. Le problème se situe moins au niveau du vote proprement dit qu'à celui de l' examen des services votés des différents budgets et de l' information dont le Parlement dispose pour y procéder. En effet, l'information transmise par le Gouvernement met l'accent sur la justification des mesures nouvelles plutôt que sur les actions conduites avec les crédits votés les années précédentes. De sorte que la discussion budgétaire ne porte plus que sur la marge, soit 5 à 10% des prévisions. Cette procédure, si commode soit-elle pour maîtriser les délais de la discussion budgétaire, n'en est pas moins sclérosante: la plus grande masse du budget est reconduite d'année en année, sans être remise en cause, même pour les dépenses devenues inutiles. Les tentatives de " révision des services votés " n'ont guère donné de résultats significatifs.

B- Cette situation est aggravée par la nomenclature budgétaire. En effet, l'article 6 classe les dépenses essentiellement par nature: dépenses ordinaires, dépenses en capital, prêts et avances d'une part, et, en ce qui concerne les titres, charges de la dette, dépenses de personnel et de matériel, interventions..., d'autre part, avec quelques exceptions (pouvoirs publics...). Comme on sait, le principe de spécialité s'applique au niveau inférieur des chapitres, qui regroupent les dépenses soit par nature (en schématisant : cas du titre III), soit par destination (titre IV et dépenses en capital).

Il en résulte que malgré des tentatives de classement plus fonctionnel (" actions " puis " agrégats "), le Parlement n'a qu'une connaissance limitée de l'objet et de l'usage réels des crédits qu'il vote. Ceux-ci sont regroupés selon des catégories qui ne donnent aucune idée de l'activité ni des objectifs des services ni a fortiori de leurs résultats. Ainsi, quand il examine puis approuve la loi de finances initiale ou la loi de règlement, le Parlement n'est pas en mesure de porter un jugement sur l'efficacité de l'administration.

On relève également que le budget de l'Etat ne comporte pas la distinction classique entre deux sections, l'une de fonctionnement, l'autre d'investissement. Cette distinction est actuellement limitée aux seules dépenses (dépenses ordinaires et dépenses en capital). Elle apporterait une clarification, au demeurant souhaitée par le Parlement. De plus, les budgets des collectivités locales et de beaucoup d'autres organismes distinguent ces deux ensembles, pour les recettes comme pour les dépenses. Cette présentation conduirait à substituer deux soldes nouveaux, celui de la section de fonctionnement et celui de la section d'investissement, aux soldes actuels, peu significatifs, des opérations définitives et des opérations temporaires.

C- Certains pays ont mis en place une procédure différente pour l'examen et le vote des crédits. Le cas de la Suède mérite d'être signalé : dans ce pays, les dépenses du projet de loi de finances sont réparties, non pas par ministère, mais en 27 " secteurs ", eux-mêmes décomposés en 500 chapitres par nature (fonctionnement, transferts, investissements). Le Parlement émet deux séries de votes : par un premier vote, il approuve la répartition des dépenses totales entre les secteurs ; ensuite, il vote les dépenses de chacun des 27 secteurs. Les commissions parlementaires jouent un rôle important. La commission des finances recommande au Parlement le montant à retenir en matière de dépenses globales, dans la limite du montant total approuvé préalablement dans la loi de printemps sur la politique budgétaire. Elle propose également la répartition du total entre les 27 secteurs. Les commissions sectorielles répartissent les crédits dans leurs secteurs de dépenses respectifs, en respectant le montant total accordé à chacun. Le Parlement suédois dispose ainsi du pouvoir de redéployer les crédits à l'intérieur des enveloppes globales : contrairement à la règle posée par l'article 40 de la constitution française, il peut proposer des amendements " compensés " en matière de dépenses. Il est également à noter qu'en Suède comme en Grande-Bretagne, les ministères sont tenus de publier des rapports annuels comportant des objectifs stratégiques et des indicateurs de moyens et de performance. Le Parlement reçoit donc une information sur l'efficacité des administrations, le débat portant actuellement sur l'amélioration de la qualité de ces informations.

Les exemples précédents - on pourrait en citer d'autres - montrent qu'il est possible de concevoir une présentation et une procédure différentes de celles que prévoit l'ordonnance de 1959.

D- Enfin, la structure même des lois de finances fait l'objet de changements fréquents (budgétisations et débudgétisations, modifications de nomenclature) qui rendent difficiles les comparaisons pluriannuelles. Une présentation des lois de finances à structure constante -sur plusieurs années- devrait être systématiquement produite par le gouvernement, par application du principe de permanence des méthodes comptables.

E- Plus largement, l'ordonnance devrait affirmer explicitement l'obligation de sincérité du budget et des comptes , principe reconnu par le Conseil constitutionnel, qui s'y réfère dans plusieurs décisions. Le problème de la sincérité peut se poser à la fois pour les comptes, mais également pour les évaluations de recettes et de dépenses en loi de finances initiale ou rectificative.

2) Propositions

Une réforme de la présentation du budget et de la procédure budgétaire peut se fixer des niveaux différents d'ambition :

A- En ce qui concerne les services votés, le vote par ministère au lieu d'un vote global sur l'ensemble constitue une première piste de réflexion. En outre, l'organisation du débat budgétaire autour d'une présentation fonctionnelle du budget contribuerait à améliorer l'information du Parlement sur l'ensemble des moyens demandés et faciliter de ce fait la remise en cause des services votés.

Le Gouvernement pourrait transmettre au Parlement, avec le projet de loi de finances, une présentation fonctionnelle du budget , comportant le maximum d'indications sur les objectifs et les résultats des administrations, regroupés par grands programmes d'activité. Cette présentation, accompagnée d es rapports d'activité des ministères, figurerait dans la liste des annexes prescrites par l' article 32 de l'ordonnance. Des innovations analogues ont été appliquées dans le passé (budget fonctionnel, budgets de programmes), mais sans texte particulier. Dépourvues de portée pratique, elles ont été finalement abandonnées. On peut espérer qu'en renouvelant leur contenu et en en faisant une obligation inscrite dans la loi organique, elles auraient une plus grande efficacité et permettraient d'enrichir réellement la discussion budgétaire.

Dans le même ordre d'idées, l'article 32 pourrait prescrire la production en annexe d' une présentation du projet de loi de finances à structure constante .

La préoccupation croissante de mieux connaître l'action de l'Etat et d'en améliorer la performance peut justifier une réforme plus profonde, visant non seulement à développer l'information du Parlement, mais aussi à organiser ses travaux et ses délibérations dans le cadre d'une approche fonctionnelle et programmatique. La Cour ne peut que suggérer la mise à l'étude d'une telle orientation, cohérente avec les travaux menés en matière de modernisation de l'Etat, en particulier dans le domaine de l'évaluation des politiques publiques et de la connaissance des coûts (réforme des systèmes comptables de l'Etat). Il est clair qu'une modification dans ce sens de l'ordonnance de 1959 donnerait à la politique de modernisation de l'Etat, notamment dans le domaine comptable, un contenu et surtout un point d'appui juridique particulièrement forts. Bien entendu, cette orientation en faveur d'une présentation fonctionnelle et d'une discussion du budget dans ce cadre n'exclut nullement le maintien, parallèlement, d'une nomenclature budgétaire par nature de dépenses. Au demeurant, la comptabilité reste fondée sur une répartition des opérations par nature.

Dans ce cas de figure, la révision de l'ordonnance devrait porter sur de nombreuses dispositions, en particulier les articles 6 (nomenclature des charges et des dépenses budgétaires), 31 (présentation de la loi de finances), 32 (documents annexes accompagnant le projet de loi de finances), 33 (services votés), 36 (documents accompagnant le projet de loi de règlement), et 41 (procédure de vote du budget).

B- La présentation de la loi de finances en deux sections, l'une pour le fonctionnement, l'autre pour les opérations en capital, pourrait être envisagée

Cette mesure impliquerait de modifier l' article 31 de l'ordonnance de 1959. Ses conséquences devraient être soigneusement étudiées, en particulier pour ce qui concerne la répartition des opérations tant en recettes qu'en dépenses, entre les deux sections, et les soldes budgétaires qui en découlent. A titre d'exemple, cette option pourrait emporter les conséquences suivantes. Les recettes fiscales et non fiscales seraient inscrites en section de fonctionnement ; la section d'investissement serait financée principalement par l'excédent éventuel de la section de fonctionnement et par l'emprunt. Le service des intérêts figurerait dans la section de fonctionnement, l'amortissement de la dette étant, soit inscrit en section d'investissement, soit laissé hors budget, le Parlement pouvant voter par ailleurs un plafond d'emprunt (cf. I.8 " autorisations d'emprunt "). Le produit des privatisations constituerait une recette de la section d'investissement et les dotations en capital une dépense de cette même section. Le compte d'affectation spéciale correspondant (compte n°902-24) serait supprimé. La distinction entre opérations définitives et opérations temporaires pourrait être abandonnée. Parmi les actuelles opérations temporaires, seules les opérations à long terme figureraient au budget, les opérations à court terme étant considérées comme des opérations de trésorerie, encadrées par des règles spécifiques. Ainsi les comptes d'avances pourraient être supprimés en tant que comptes budgétaires, les comptes de prêts étant, en revanche maintenus dans la loi de finances et inscrits dans la section d'investissement. Mais l'énumération qui précède ne constitue qu'un exemple d'options possibles ; elle ne saurait être exhaustive.

C- L'obligation de sincérité des budgets et des comptes de l'Etat serait introduite dans le texte de l'ordonnance, par exemple à l' article 18 , qui pose déjà les principes d'unité et d'universalité budgétaires.

I.2 - Comptabilités de l'Etat

1) Problèmes posés

A- L'ordonnance du 2 janvier 1959 traite aussi bien des comptes que des prévisions budgétaires de l'Etat. Son contenu est donc de nature " comptable " et pas seulement " budgétaire ". Son article 16, en particulier, fixe le mode d'imputation des recettes et des dépenses. Il pose le principe du système de la gestion et donne son fondement à la comptabilité de caisse en vigueur pour l'enregistrement des recettes et des dépenses de l'Etat.

Pour des raisons exposées notamment par la Cour dans son rapport sur l'exécution des lois de finances pour 1998, la réforme du système comptable de l'Etat s'impose. Le Gouvernement vient d'en annoncer les grandes lignes. En effet, les comptes de l'Etat, essentiellement conçus pour suivre l'exécution budgétaire dans une optique de caisse, ne donnent pas " une image fidèle " de la situation financière de l'Etat ni de son patrimoine.

La plupart des grands pays ont entrepris de conformer autant que possible leur système comptable public aux normes du droit commun comptable. Une révision de l'ordonnance de 1959 pourrait donc comporter un " volet comptable ", sous réserve de la qualification juridique des dispositions à prendre. L'ordonnance pourrait ainsi énoncer les principes suivants :

- les comptes de l'Etat doivent refléter une image fidèle de l'exécution des lois de finances, ainsi que de l'ensemble des opérations, de la situation financière et du patrimoine de l'Etat ;

- sous réserve des dispositions particulières prévues par décret, ils sont établis conformément aux principes et règles du plan comptable général ; ils doivent satisfaire aux obligations de régularité et de sincérité, dans le respect du principe de prudence ; ils comprennent une annexe et sont accompagnés de comptes consolidés ;

- les opérations sont comptabilisées au titre de l'exercice auquel elles se rattachent.

Seraient prévus :

- la tenue d'une comptabilité des engagements , incluse dans la comptabilité des ministres visée par l'article 35, ainsi que l'enregistrement des opérations d'une part " en droits constatés " (charges à payer, produits à recevoir), et, d'autre part , comme c'est actuellement le cas (article 16), en encaissements et décaissements ;

- la tenue d'une comptabilité générale conforme aux principes essentiels de la comptabilité de droit commun, en particulier le principe de spécialisation ou d'autonomie des exercices, la comptabilisation de la dépréciation des immobilisations et la constitution de provisions pour risques et charges. L'enregistrement des opérations en droits constatés permettrait de satisfaire à cette exigence.

B- L'information du Parlement nécessite d'être complétée en matière comptable , notamment en matière de comptabilité patrimoniale (bilan de l'Etat et résultat patrimonial, modification des méthodes et des règles comptables introduite pour l'exercice considéré, engagements " hors bilan " : engagements de retraites, garanties...).

2) Propositions

A- La rédaction actuelle de l' article 16 de l'ordonnance pourrait être modifiée afin d'y introduire les principes comptables mentionnés ci-dessus.

B- Les articles 35 et 36 de l'ordonnance, relatifs au projet de loi de règlement et à ses annexes, devraient faire explicitement mention du résultat patrimonial (article 35) et de la comptabilité générale de l'Etat (article 36). Celle-ci serait assortie d'une annexe, explicitant les modifications apportées aux règles comptables de l'Etat et justifiant leurs différences par rapport au plan comptable général. Cette annexe ferait apparaître également les engagements hors bilan de l'Etat.

I.3 - Débudgétisations et démembrements budgétaires

1) Problèmes posés

Cette question importante exige une étude approfondie. On se bornera ici à la mentionner.

Les débudgétisations, ou le recours fréquent à des démembrements de l'Etat pour l'exécution d'opérations qui devraient être réalisées dans le cadre de la loi de finances, constituent parmi les infractions les plus graves aux principes budgétaires. La Cour en dénonce de nouveaux exemples pratiquement chaque année, dans son rapport sur l'exécution des lois de finances. Les structures extrabudgétaires, généralement des établissements publics, qui exécutent des opérations d'intérêt général avec des ressources et pour le compte de l'Etat, tendent à se multiplier, faisant ainsi varier, de manière fréquente et pour des montants très importants, le " périmètre " des lois de finances. Les établissements de défaisance (EPFR,EPRD) ou la création de sociétés-écrans pour réaliser certaines opérations en dehors du budget de l'Etat (cf. dans le rapport sur l'exécution des lois de finances pour 1998, les développements consacrés aux opérations de privatisation du GAN) en fournissent des exemples. Il en est de même dans le domaine social, dans le cadre de la politique de l'emploi mais aussi en raison de la fiscalisation croissante du financement de la protection sociale (cf. I.4 ci-après).

Cette situation est d'autant plus anormale que l'ordonnance de 1959 prévoit des procédures d'affectation, en particulier les comptes spéciaux du Trésor, qui, tout en étant dérogatoires, présentent l'avantage de s'exécuter dans le cadre des lois de finances.

En outre, il n'existe aucune vue d'ensemble sur ces financements éclatés entre des structures diverses qui perçoivent des ressources publiques, pour l'essentiel de nature fiscale, et financent des dépenses également publiques. La coexistence des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale favorise cet émiettement et cette opacité (cf. I.4).

Pour remédier à cette situation, le gouvernement devrait fournir au Parlement, avec le projet de loi de règlement, une présentation consolidée des comptes de l'Etat et de ses " satellites " . Dans le même sens, mais cette fois au stade des prévisions, la possibilité d'annexer au projet de loi de finances une présentation agrégée du budget de l'Etat et de ces démembrements devrait être étudiée.

2) Propositions

L'obligation d'annexer des comptes consolidés à la loi de règlement pourrait être introduite dans la loi organique à l' article 36 de l'ordonnance de 1959.

La transmission au Parlement d'une présentation budgétaire " agrégée " , accompagnant le projet de loi de finances initiale, pourrait être également envisagée. Dans ce cas, il y aurait lieu de compléter la liste des annexes figurant à l' article 32 de l'ordonnance.

I.4 - Loi de finances et loi de financement de la sécurité sociale

1) Problèmes posés

La création des lois de financement de la sécurité sociale en 1996 (révision de la Constitution du 19 février 1996 et loi organique du 22 juillet 1996) crée un nouveau contexte qui ne peut être ignoré dans une réflexion sur l'ordonnance de 1959.

a/ Les relations entre l'Etat et la sécurité sociale sont caractérisées par une contribution croissante de l'Etat, dont les circuits sont multiples, complexes, et fréquemment modifiés. Les dernières années ont notamment été marquées par la multiplication de fonds (FSV, CADES, et plus récemment CMU et Fonds de financement des allégements de charges sociales) qui, s'il peuvent clarifier le financement de la sécurité sociale, constituent, au moins pour les derniers, des démembrements de l'Etat en ce sens qu'ils reprennent des recettes et des transferts aux organismes de sécurité sociale qui figuraient auparavant dans le budget de l'Etat.

Au-delà de cette multiplication de structures extrabudgétaires, l'ensemble des relations complexes et mouvantes entre l'Etat et la sécurité sociale doivent être clarifiées et il importe de définir un cadre qui permette de suivre dans le temps de manière pertinente, c'est-à-dire à périmètre constant, les transferts à la sécurité sociale fondés sur des prélèvements de nature fiscale.

b/ Les frontières entre les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale gagneraient à être précisées dans plusieurs domaines :

- Ainsi la présentation des recettes de la sécurité sociale souffre d'une certaine confusion puisque celles-ci figurent dans l'une ou l'autre loi ou dans les deux à la fois (droits sur les tabacs et sur les alcools, création de la CSG déductible, ...).

- La distinction entre les prestations sociales et certaines dépenses sociales de l'Etat devrait être reconsidérée dans un but d'harmonisation. Ainsi le revenu minimum d'insertion (RMI) et l'allocation aux adultes handicapés (AAH), qui sont deux prestations servies par les caisses d'allocations familiales et remboursées par l'Etat, ne sont pas traités de la même façon. L'AAH, considérée comme une prestation de sécurité sociale, figure bien dans les comptes présentés en loi de financement, alors que le RMI n'y apparaît pas.

2/ Propositions

Les questions qu'appelle cette situation requièrent une réflexion complémentaire à laquelle la Cour entend se livrer. A titre d'illustration, cette réflexion pourrait porter sur les points suivants :

-  permettre le suivi dans le temps des relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale grâce à une présentation agrégée de l'Etat et des structures nouvellement créées pour contribuer au financement de la sécurité sociale. Un tel souci pourrait s'articuler avec la forme d'agrégation déjà existante que constitue la comptabilité nationale ;

- faire figurer les recettes affectées aux régimes de sécurité sociale exclusivement dans les lois de financement de la sécurité sociale ;

- reconsidérer la distinction entre prestations de sécurité sociale et dépenses sociales de l'Etat, dès lors que ces dernières constituent des revenus de remplacement ;

- prévoir une procédure s'apparentant à la loi de règlement permettant d'approuver les conditions dans lesquelles ont été respectés les objectifs de la loi de financement et notamment l'ONDAM.

I.5 - Loi de règlement et certification des comptes de l'Etat

1) Problèmes posés

A- L'article 38-2 ème alinéa de l'ordonnance du 2 janvier 1959 précise que " le projet de loi règlement est déposé et distribué au plus tard à la fin de l'année qui suit l'année d'exécution du budget ".

Or, conformément à l'objectif des initiateurs de cette loi au XIXème siècle, il serait logique et pourrait être intéressant que le Parlement examine le dernier budget exécuté avant de s'emparer du projet de budget de l'année suivante. C'est dans cette perspective que depuis quelques années, le gouvernement a réduit la période complémentaire d'exécution du budget ainsi que les délais de reddition des comptes. La Cour a pu ainsi transmettre au Parlement son rapport annuel sur l'exécution des lois de finances au mois de juillet, afin que celui-ci en dispose avant la discussion budgétaire. Des progrès ont été réalisés également, mais dans une moindre mesure, pour le dépôt du projet de loi de règlement et de la déclaration générale de conformité des comptes, établie par la Cour, qui l'accompagne. C'est ainsi qu'en 1999, le gouvernement a déposé le projet de loi de règlement fin septembre, soit trois mois avant le terme ultime prévu par l'ordonnance. En 2000, le calendrier sera de nouveau avancé, pour la loi de règlement du budget de 1999.

Une modification de l'ordonnance devrait consacrer cette évolution, en avançant à la fin du premier semestre au lieu de la fin de l'année, le terme prévu pour le dépôt du projet de loi de règlement, et par voie de conséquence de la déclaration générale de conformité.

B- L'article 36 de l'ordonnance prévoit que le projet de loi de règlement est accompagné " d'un rapport de la Cour des comptes et de la déclaration générale de conformité entre les comptes individuels des comptables et la comptabilité des ministres ".

Les autres textes qui traitent de la déclaration générale de conformité font apparaître des incertitudes quant à l'objet de cette dernière. Ainsi, le décret de 1962 sur la comptabilité publique (article 150) précise que la Cour rend sa déclaration " au vu des comptes des comptables et du compte général de l'administration des finances ". Quant à l'article LO 132-1 du code des juridictions financières , de même niveau que l'ordonnance mais d'une date postérieure, il mentionne que " la Cour établit la déclaration générale de conformité entre les comptes individuels des comptables et les comptes généraux de l'Etat ".

Il convient donc de revoir la rédaction de cet article en fonction des décisions qui seront prises concernant l'introduction d'un volet comptable plus important dans l'ordonnance (cf I.2).

Les remarques précédentes conduisent à deux séries de considérations :

- l'objet actuel de la déclaration générale de conformité consiste à rapprocher les écritures de centralisation des comptables supérieurs du Trésor et celles de l'Agence comptable centrale du Trésor, qui relève de la même hiérarchie, celle de la direction générale de la comptabilité publique. Dès lors, le rôle de la Cour, lorsqu'elle rend la déclaration générale de conformité, est seulement d'assurer le Parlement de la cohérence de deux séries de comptes établies par deux entités qui opèrent dans le cadre du même réseau et relèvent d'une hiérarchie unique. On est loin d'une véritable certification des comptes de l'Etat;

- une certification des comptes impliquerait que la Cour soit en mesure de vérifier, non seulement la " cohérence " des comptes, mais surtout leur régularité, leur sincérité et la fidélité de l'image qu'ils donnent du résultat, de la situation financière et du patrimoine de l'Etat. Or les règles qui s'appliquent actuellement aux comptes de l'Etat ne permettent pas une véritable certification. Celle-ci est donc subordonnée à la réforme de la comptabilité de l'Etat, en particulier à l'institution d'une authentique comptabilité patrimoniale (cf. II.2). Elle impliquerait également une organisation et des moyens dont la Cour ne dispose pas aujourd'hui. En revanche, l'émission par la Cour d'une " déclaration d'assurance ", comparable à celle que prévoit l'article 248 §1 2 ème alinéa du Traité instituant la Communauté européenne, pourrait être envisagée.

2) Propositions

- modifier l' article 38 2 ème alinéa de l'ordonnance, en prévoyant que " le projet de loi de règlement est déposé et distribué au plus tard à la fin du premier semestre de l'année qui suit l'année d'exécution du budget " (au lieu de la fin de l'année).

- mettre à l'étude, parallèlement à la réforme de la comptabilité de l'Etat, les conditions de délivrance, par la Cour, d'une " déclaration d'assurance " au sens indiqué ci-dessus

I.6 - Prélèvements sur recettes

1) Problèmes posés

Les prélèvements sur recettes consistent à déduire du montant des recettes brutes de l'Etat un certain montant, évalué par la loi de finances et reversé à des tiers, actuellement l'Union européenne ou les collectivités territoriales. Bien que le Conseil constitutionnel ait admis cette procédure sous certaines conditions (cf. décision n° 82-154 DC), celle-ci, mise en oeuvre à partir de 1969, n'est pas prévue par l'ordonnance de 1959 et son usage n'apparaît pas pleinement conforme à ses principes. La Cour a formulé de nombreuses observations sur les prélèvements sur recettes, notamment dans ses plus récents rapports sur l'exécution des lois de finances.

En particulier, certains prélèvements effectués au profit des collectivités territoriales ont un caractère manifeste de subventions. Ils devraient figurer en dépenses au titre IV du budget général (cf. rapport pour 1998, p. 71).

Il conviendrait donc d'introduire dans l'ordonnance de 1959 une disposition nouvelle qui donnerait un fondement légal aux prélèvements sur recettes tout en encadrant leur usage. Ainsi pourraient être admis les prélèvements européens, qui font l'objet d'un vote particulier du Parlement, et ceux qui compensent des exonérations relatives à la fiscalité locale 36 ( * ) .

Pour mettre un terme au débat sur la présentation " contractée " des ressources et des charges, l'ordonnance pourrait préciser que la loi de finances, en particulier à " l'article d'équilibre " qui clôt la première partie, doit indiquer les ressources et les charges brutes , avant prélèvements sur recettes, remboursements et dégrèvements et déduction des recettes venant en atténuation des dépenses (en fait en déduction des charges de la dette).

2) Propositions

Introduire dans l'ordonnance de 1959 relative aux lois de finances une disposition nouvelle sur les prélèvements sur recettes.

Préciser, soit à l' article 2, 2 ème alinéa, soit à l' article 31, 2 ème alinéa , que les ressources et les charges sont présentées dans la loi de finances (définie par l'article 2 de l'ordonnance), et plus particulièrement dans la disposition de la première partie (définie par l'article 31 de l'ordonnance) qui " fixe les plafonds des grandes catégories de dépenses et arrête les données générales de l'équilibre financier " (article dit " d'équilibre "), pour leur montant brut, avant déduction des prélèvements sur recettes, des remboursements et dégrèvements et des recettes en atténuation de dépenses .

I.7 - Pluriannualité

1) Problèmes posés

A- L'ordonnance de 1959 prévoit des exceptions au principe de l'annualité budgétaire . Il s'agit des autorisations de programme (articles 1, 2 et 12), des conventions financières , des garanties , de la gestion de la dette et des autorisations d' engagements par anticipation (article 2) ainsi que des reports (article 17 et, pour les soldes des comptes spéciaux du Trésor, article 24). L'application de ces dispositions présente parfois des difficultés, signalées à maintes reprises par la Cour. Il est ainsi des autorisations de programme (AP), en raison notamment de l'accumulation d'AP non utilisées, ainsi que des reports de crédits, en particulier pour les fonds de concours (cf. II.4).

1. Les reports

Les reports de crédits posent plusieurs problèmes. Pris par la voie réglementaire et d'un montant non négligeable (de l'ordre de 50 milliards), ils faussent la comparaison entre l'exécution et la loi de finances initiale. Ils ont également fortement retardé jusqu'ici la reddition des comptes définitifs de l'Etat : les derniers arrêtés de report de 1997 sur 1998 ont été publiés...le 28 octobre 1998 et ceux de 1998 sur 1999 le 26 juin 1999, date qui demeure tardive tout en étant plus précoce que l'année précédente. Dans la pratique, les reports constituent une souplesse nécessaire pour les administrations, bien que leur effet soit ambigu : positif, dans la mesure où ils évitent des dépenses précipitées en fin de gestion pour éviter de perdre des crédits, négatif, car ils n'incitent guère les services à être diligents. Les retards sont encore aggravés par le caractère tardif, souligné ci-dessus, des arrêtés de report, qui s'explique par des raisons d'inertie administrative, mais aussi parce que la direction du budget les utilise comme moyen de régulation de la dépense en cours d'année. Enfin, il y aurait lieu de préciser, à l'article 17 de l'ordonnance, la portée de " la limite du dixième de la dotation du chapitre intéressé ", en retenant par exemple la dotation de la loi de finances initiale de l'année n-1, celle à partir de laquelle les crédits sont reportés, avant les modifications susceptibles d'intervenir en cours d'année.

2. Les autorisations de programme

Il n'est pas davantage proposé de supprimer les autorisations de programme, concept qui permet, avec celui de crédits de paiement (CP) qui lui est associé, de concilier l'engagement pluriannuel des opérations d'investissement avec le respect de l'annualité budgétaire. Force est de constater cependant que la notion d'autorisation de programme a été trop souvent vidée de son contenu, notamment pour des raisons de " régulation " ou d'économies budgétaires, en réduisant la portée de l'engagement au montant des crédits de paiement ouverts. Plus précisément, parmi les difficultés qui caractérisent la pratique des autorisations de programme, on relève:

- le découpage des AP en un nombre excessif de tranches,

- le report indéfini des AP et par voie de conséquence la constitution de stocks d'AP non utilisées (" AP dormantes "),

- la subordination des AP aux CP (" régulation des AP par les CP "),

- la lourdeur du système AP-CP pour les petites opérations d'équipement

B- En second lieu, le contrôle des engagements pluriannuels de l'Etat devrait être renforcé. Il fait particulièrement défaut pour les garanties et les conventions financières. Il conviendrait de prévenir des situations comme celle du protocole du 5 avril 1995 par lequel le ministre des finances a engagé l'Etat dans la prise en charge de la défaisance du Crédit lyonnais (120 milliards de francs) sans autorisation du Parlement, celle-ci n'étant intervenue qu'en décembre 1995. En outre, l'importance des engagements ainsi pris par l'Etat pour plusieurs années est mal connue, donc mal contrôlée par le Parlement.

C- Enfin, un autre thème de réflexion porte sur le cadre pluriannuel dans lequel il paraît souhaitable d'inscrire l'examen de la loi de finances . Par exemple, l'Allemagne soumet au Parlement, à titre d'information, un plan sur 5 ans (le " Finanzplan "), qui n'engage pas le gouvernement et ne fait pas l'objet d'un vote. Son principal mérite est d'être élaboré de manière concertée avec les Länder et les communes. Aux Etats-Unis, le Congrès vote également une " résolution budgétaire " (" budget resolution ") qui évalue sur 5 ans les principaux objectifs du budget, les grandes masses en autorisations et en ouvertures de crédits ainsi que des objectifs de solde budgétaire et de plafond d'encours de la dette fédérale. Cette résolution est également indicative. En Suède, le cadre triennal dans lequel s'inscrit le budget annuel a force de loi. Il est établi sur une base glissante et préserve une marge budgétaire.

En France, comme dans les autres pays de l'Union européenne, le problème est désormais réglé par l'établissement d'un programme pluriannuel de " convergence " ou de " stabilité ", transmis chaque année à la Commission. Le problème n'est plus " technique " ; il est devenu institutionnel : dans quelle mesure le gouvernement doit-il soumettre le programme pluriannuel au Parlement avant de le transmettre à Bruxelles ? Il n'appartient pas à la Cour de faire état d'une opinion sur ce point. Ce dernier est, en effet, étroitement lié au contenu et surtout à la date du débat d'orientation budgétaire qui, depuis quatre ans, permet au Parlement d'examiner, au mois de juin, les grands choix économiques et financiers du gouvernement avant la discussion budgétaire proprement dite. On notera que le rapport préliminaire de la Cour pour 1998 se réfère au programme pluriannuel de finances publiques à l'horizon 2002, transmis en décembre 1998 par le gouvernement à la commission européenne.

2) Propositions

A- Reports :

- prévoir à l' article 17 de l'ordonnance une date limite pour la publication des arrêtés de report (par exemple la fin du mois de mars) ;

- préciser, au même article, la base du " dixième de la dotation du chapitre intéressé " pour les reports de crédits correspondant à des dépenses engagées mais non encore ordonnancées : il s'agit de la dotation initiale de l'année sur laquelle les crédits sont annulés pour être reportés à l'année suivante;

- une autre solution consisterait à étendre la procédure en vigueur pour les crédits de paiement, c'est-à-dire à autoriser un report automatique pour d'autres catégories de crédits, afin de permettre leur engagement dès le début de l'exercice et d'éviter ainsi les retards constatés traditionnellement dans la gestion de ces crédits. Cette disposition serait applicable, au-delà des crédits de paiement, aux crédits des chapitres inscrits à l'état H. En contrepartie de cette souplesse, la suppression des reports " au dixième " pourrait être envisagée;

- individualiser les fonds de concours reportés pour permettre de s'assurer que leur utilisation correspond aux intentions de la partie versante (cf. II.4).

B- Autorisations de programme :

- envisager, à l' article 12 de l'ordonnance, l'annulation automatique des AP qui n'auraient pas été engagées pendant une durée excessive (à préciser).

C- Engagements pluriannuels :

- modifier la rédaction du 4 ème alinéa de l'article 1 er de l'ordonnance pour en rendre l'application plus effective. Il pourrait être écrit : 1) qu'aucune disposition d'ordre législatif ou réglementaire devant entraîner des charges nouvelles ne peut être définitivement adoptée sans que ces charges aient été préalablement évaluées, ceci à peine de nullité ; 2) que les charges correspondantes devront être autorisées par la loi de finances. En outre, il pourrait être précisé, à l' article 2 de l'ordonnance, que les engagements résultant de l'octroi de garanties d'emprunt ou de passif doivent être autorisés par une loi de finances.

I.8 - Autorisations d'emprunt

1) Problèmes posés

Le Parlement n'exerce actuellement qu'un contrôle restreint sur les opérations d'emprunt de l'Etat.

Les préoccupations exprimées à plusieurs reprises par le Parlement dans ce domaine sont essentiellement de trois ordres:

- améliorer son information et son contrôle sur la politique d'emprunt et les charges de la dette qui en résultent ;

- étendre l'autorisation parlementaire au montant global des emprunts et pas seulement à la couverture du déficit annuel. En effet, la pratique actuelle conduit à s'interroger sur la portée réelle de l'autorisation parlementaire en matière d'emprunt et de charges de la dette. L'article 31 de l'ordonnance, qui prévoit que le projet de loi de finances " évalue le montant des ressources d'emprunts et de trésorerie ", n'est pas appliqué. La loi de finances se borne à autoriser le gouvernement à lever les emprunts nécessaires, mais elle ne comporte aucune évaluation de leur montant ni aucune précision sur les conditions de leur réalisation. A l'inverse, dans de nombreux pays, le Parlement autorise un plafond d'emprunt. Aux Etats-Unis, le Congrès fixe un plafond impératif pour l'encours de la dette fédérale. En Allemagne, le recours à l'emprunt ne peut être autorisé que par une loi fédérale " qui en fixe ou permet d'en fixer le montant " (article 115 de la Loi fondamentale) ;

- réduire ou mieux maîtriser l'endettement de l'Etat en limitant l'autorisation d'emprunt au montant des crédits d'investissement, à l'exemple de la règle, dite " règle d'or ", également prévue en Allemagne par le même article 115 de la Loi fondamentale. Cette proposition a été formulée à l'Assemblée nationale par le " groupe de travail sur l'efficacité de la dépense publique et le contrôle parlementaire " et, à plusieurs reprises par le Sénat.

2) Propositions

Les solutions suivantes pourraient être étudiées:

- transmettre au Parlement, d'une part, annexé au projet de loi de finances, le programme indicatif de financement du Trésor pour l'exercice à venir, d'autre part, annexé au projet de loi de règlement, la situation de la dette de l'Etat (montant, caractéristiques, évolution). Il y aurait lieu de compléter sur ce point les articles 32 (documents annexes au projet de loi de finances initial) et 36 (projet de loi de règlement) de l'ordonnance de 1959 ;

- évaluer les ressources d'emprunt dans la loi de finances, afin que le Parlement puisse exercer pleinement son pouvoir de contrôle sur les ressources nécessaires à la couverture de l'ensemble des besoins financiers de l'Etat (financement du déficit de l'année mais aussi refinancement des emprunts antérieurs). Il conviendrait, sur ce point, de modifier l' article 31 2ème alinéa en précisant que le projet de loi de finances " évalue et autorise le plafond des ressources d'emprunts ". Ainsi, le Parlement, non seulement serait informé du montant des emprunts, mais le voterait. Concrètement, cela signifie qu'en cas de dépassement, le gouvernement devrait retourner devant le Parlement pour demander une autorisation complémentaire ;

- limiter l'autorisation d'emprunter, au-delà du remboursement des emprunts antérieurs, au montant des investissements. L'idée qui sous-tend cette mesure est que le financement par l'emprunt de dépenses de fonctionnement conduit à en reporter indûment la charge sur les générations futures.

La Cour ne propose pas une telle mesure. Elle traduit un choix de politique économique qui ne découle pas nécessairement de la distinction, au sein du budget, d'une section de fonctionnement et d'une section d'investissement (cf. I.1 " présentation du budget "). Indépendamment des incertitudes qui affectent la notion d'investissement public au plan économique 37 ( * ) , la limitation des emprunts nouveaux au montant des investissements peut créer une contrainte excessive dont les conséquences sont incertaines. En Allemagne, la " règle d'or " est aujourd'hui contestée, comme le prouve une étude récente de la Bundesbank qui dénonce ses effets pervers et considère qu'elle ne garantit nullement des " finances soutenables ".

I.9 - Questions européennes

1) Problèmes posés

A- Quand l'ordonnance de 1959 relative aux lois de finances a été rédigée, la Communauté économique européenne fonctionnait depuis moins d'un an. De fait, tant en ce qui concerne les recettes que les dépenses européennes, des procédures ont été mises en place qui présentent l'inconvénient de ne pas être conformes aux dispositions de l'ordonnance de 1959, sans satisfaire pour autant aux exigences de transparence, de contrôle et d'efficacité.

Ainsi, la procédure des prélèvements sur recettes utilisée pour les versements au budget communautaire n'est pas, on l'a vu, prévue par l'ordonnance (cf. I.6). En outre, l'essentiel des financements apportés par les fonds structurels européens (FEOGA-Orientation, FEDER, FSE, Instrument financier pour la pêche) est rattaché au budget par voie de fonds de concours, alors que contrairement aux dispositions de l'article 19 de l'ordonnance, ces fonds sont loin de concourir en totalité à des actions de l'Etat. En effet, l'Etat ne participe pas aux dépenses correspondantes qui, pour la part nationale, incombent à des collectivités territoriales ou à d'autres organismes (organismes consulaires, associations, entreprises, voire particuliers). De plus, la première année passée, les fonds communautaires ne sont plus identifiables (cf. II.4), les reports étant globalisés. Enfin, l'utilisation des fonds rattachés doit obéir aux règles nationales qui, sur certains points, divergent de la réglementation communautaire. Le contrôle est également compliqué par le nombre élevé d'administrations de rattachement (une dizaine), de lignes budgétaires concernées (une trentaine), et le caractère tantôt centralisé, tantôt déconcentré de la gestion.

Il est nécessaire de trouver une solution pour améliorer cet état de fait. Celle-ci pourrait consister, par exemple, dans la création d'une nouvelle catégorie de " comptes d'opérations communautaires ". Ces comptes retraceraient, s'agissant des opérations actuellement rattachées par voie de fonds de concours, l'ensemble des opérations financées, dans un domaine donné, par les fonds communautaires ; ils seraient régis par des règlements particuliers conformes aux règlements communautaires. Mais d'autres solutions sont peut-être envisageables : une révision de l'ordonnance de 1959 donnerait l'occasion de les explorer.

B- L'encadrement de la politique budgétaire nationale par l'Union européenne doit conduire à prévoir une information et un contrôle spécifiques du Parlement dans ce domaine. Certes, il ressort d'une lecture combinée des articles 34, 37, 47 et 47-1 de la Constitution que c'est au gouvernement qu'il appartient d'adopter les objectifs budgétaires à moyen terme que la France doit présenter annuellement au Conseil et à la Commission, dans le cadre de la coordination des politiques économiques et budgétaires. Mais il revient au Parlement, dans des conditions fixées par une loi organique, d'adopter les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale qui mettent en oeuvre, année après année, cette politique à moyen terme.

Indépendamment des problèmes évoqués au A ci-dessus, il serait justifié d'introduire dans l'ordonnance sur les lois de finances, un volet européen traitant de ces questions qui ne se posaient pas, et pour cause, en 1959.

Il s'agit en particulier :

- d'indiquer dans l'ordonnance la liste des documents à fournir au Parlement pour son information : les notifications des comptes budgétaires transmis à Bruxelles deux fois par an par le gouvernement, les programmes de stabilité, ainsi que les synthèses élaborées par la Commission européenne ;

- de prévoir la transmission - et la publication ?- des " recommandations " qui pourraient être adressées à la France par le Conseil en vertu des articles 103-4 et 104 C§7 du Traité de l'Union européenne (cas de politiques économiques risquant de compromettre le bon fonctionnement de l'UEM et de déficits excessifs);

- de saisir ou d'informer le Parlement des mesures correctrices à prendre en cas de telles recommandations ;

- plus généralement d'informer systématiquement le Parlement du fonctionnement de la procédure des déficits publics excessifs.

2) Propositions

- Envisager la création de " comptes d'opérations communautaires " pour retracer les opérations financées sur fonds européens, qui font actuellement l'objet de rattachements de fonds de concours , ou étudier toute autre solution permettant d'enregistrer et de suivre ces opérations de manière exhaustive, rapide et en conformité avec la réglementation européenne.

- Introduire dans l'ordonnance de 1959 une nouvelle disposition prévoyant la transmission par le Gouvernement au Parlement , d'une part des notifications de la France au Conseil et à la Commission, d'autre part des documents établis par ces derniers au titre de l'application de l'article 103 et 104-C du Traité de l'Union européenne.

II - Améliorer les conditions d'application de l'ordonnance du 2 janvier 1959

II.1 - Opérations budgétaires et opérations de trésorerie

1) Problèmes posés

La Cour, à de nombreuses reprises, a relevé la confusion pouvant exister entre les opérations budgétaires et celles de trésorerie, affectées, selon l'article 30 de l'ordonnance du 2 janvier 1959, " à des comptes de trésorerie distincts ". Cette confusion peut conduire à fausser le solde budgétaire, bien entendu pour le réduire, en contradiction avec les principes budgétaires fondamentaux. Les rapports sur l'exécution des lois de finances en donnent de nombreux exemples (cf. les remboursements effectués par la Caisse d'amortissement de la dette sociale - CADES - ou l'imputation de la charge consécutive à la suppression du décalage d'un mois pour les déductions de TVA) et les rapports publics annuels de la Cour ont eux-mêmes abordé cette question à plusieurs reprises (voir notamment les rapports publics de la Cour pour 1990, 1992 et 1995).

Les problèmes se situent à plusieurs niveaux:

- il résulte d'une lecture combinée des articles 3, 6 et 15 de l'ordonnance que les opérations de trésorerie, définies par l'article 15, ne constituent pas des ressources ni des charges permanentes de l'Etat et n'ont donc pas à figurer au budget ;

- par voie de conséquence, les opérations de trésorerie ne figurent pas au tableau d'équilibre de la loi de finances. La Cour a critiqué (rapport public de 1992) la distinction entre charges et produits d'exploitation d'une part, pertes et profits d'autre part, distinction faite par le plan comptable de 1957, mais abandonnée par celui de 1982. Les pertes sur emprunts constituent bien des charges, du moins celles qui équivalent à des charges d'intérêts, comme les pertes résultant des écarts de taux (entre le taux nominal et le taux du marché) lors des adjudications d'obligations assimilables du Trésor (OAT). Il conviendrait donc de traiter ces pertes et profits de trésorerie comme des charges ou des ressources budgétaires ;

- on ne peut que constater également une asymétrie dans le traitement, par l'ordonnance de 1959, des opérations d'emprunt et des opérations de prêts. Ainsi, l'article 15 range tous les emprunts de l'Etat, même à long terme, dans les opérations de trésorerie, alors qu'en vertu des articles 28 et 29, tous les prêts et avances, même à court terme, entrent dans les opérations budgétaires. De fait, l'article 3 de l'ordonnance inclut les remboursements de prêts et d'avances dans les ressources permanentes, mais non les emprunts émis. De même, l'article 6 classe les prêts et avances dans les charges permanentes de l'Etat, mais en exclut implicitement les remboursements d'emprunt;

- les budgets annexes illustrent également la confusion entre les opérations budgétaires et celles de trésorerie puisqu'ils peuvent comprendre des ressources d'emprunt (cf. I.8);

- il conviendrait, enfin, de considérer la reprise par l'Etat de la dette d'un organisme tiers -et donc les charges correspondantes d'intérêts sinon de capital- non pas comme une opération de trésorerie mais comme une opération budgétaire, devant figurer comme telle en loi de finances. Il s'agit en effet de dépenses définitives, effectuées sans contrepartie, à l'instar des dépenses de garanties lorsque celles-ci sont appelées. Une disposition dans ce sens éviterait des pratiques aussi condamnables, du point de vue de la sincérité budgétaire, que celles qui ont présidé à la reprise de la dette de l'ACOSS ou à la suppression de la règle du décalage d'un mois en matière de déduction de TVA.

2) Propositions

Deux séries de mesures sont envisageables (par ordre croissant d'exigence) :

- inclure dans les opérations budgétaires et donc dans le solde budgétaire d'exécution (et pas seulement dans " le résultat de l'année " tel que défini à l'article 35 de l'ordonnance), les pertes et profits sur emprunts. Cette mesure implique la modification des articles 3, 6 et 35 de l'ordonnance ;

- interdire plus nettement le classement de charges manifestement budgétaires en opérations de trésorerie ou inversement de ressources de trésorerie en opérations budgétaires. Préciser, en particulier, à l' article 6 , que la reprise par l'Etat de la dette d'un organisme tiers constitue une opération budgétaire correspondant à une charge permanente qui doit être autorisée par une loi de finances. Ceci conduirait également à modifier les dispositions des articles 113 et 124 du décret du 29 décembre 1962 qui permettent de considérer cette reprise comme une opération de trésorerie.

Au-delà de ces propositions, d'autres mesures peuvent être envisagées (Cf. I.8 " Autorisations d'emprunt ").

II.2 - Annulations de crédits et régulation budgétaire

1) Problèmes posés

Il s'agit d'un thème traditionnel des rapports de la Cour, même si, sur ce point, l'exécution du budget de 1998 marque un net progrès sur les années précédentes.

Cette question présente deux aspects.

A- En premier lieu, la notion, à l'article 13 de l'ordonnance, de " crédit qui devient sans objet en cours d'année " mériterait d'être précisée. La Cour considère que les crédits devenus sans objet, et donc susceptibles d'annulation par simple arrêté, sont ceux qu'il est impossible et pas seulement inopportun, d'utiliser, en raison soit de prévisions excessives, soit d'événements imprévus lors du vote de la loi de finances initiale (voir notamment le rapport public de 1990). Les annulations pour d'autres motifs ne devraient être effectuées que par une loi de finances rectificative.

B- Les " régulations " de crédits, à la fois massives dans leur montant et précoces dans l'année - elles interviennent souvent alors que la loi de finances vient à peine d'être votée - affectent la valeur de l'autorisation demandée au Parlement. Le pouvoir du gouvernement de modifier les crédits en cours d'année devrait être plus strictement encadré.

2) Propositions

A- Sur le premier point, la notion de crédit devenu sans objet pourrait être précisée à l' article 13 de l'ordonnance, dans le sens des observations de la Cour (prévisions manifestement excessives ou survenance d'évènements imprévus).

B- S'agissant du second aspect, plus politique, plusieurs solutions sont envisageables :

1 - Constitution d'une réserve dans la loi de finances . Le rapport de la Cour sur l'exécution des lois de finances pour 1995 suggère que le montant et les modalités de la régulation soient débattus dans le cadre de la discussion budgétaire. Une " dotation de réserve " pourrait être ainsi constituée dans la loi de finances initiale. Elle serait alimentée par des crédits exclusivement limitatifs, prélevés sur des chapitres précisés à l'avance, notamment sur ceux qui font couramment l'objet d'annulations dans le cadre de la régulation budgétaire. Le gouvernement pourrait débloquer ces crédits en cours d'année en fonction de la conjoncture économique.

On peut cependant s'interroger sur le réalisme d'un dispositif consistant à constituer une réserve au sein d'un budget dont les pouvoirs publics s'efforcent de contenir la progression (cf. les perspectives tracées par le programme pluriannuel de finances publiques pour les prochaines années).

2 - Vote par le Parlement d'un article de la loi de finances habilitant le gouvernement à appliquer un plan d'économies dans la limite d'un plafond fixé à l'avance. La répartition des économies effectuées serait ratifiée par une loi de finances rectificative. Pas plus que la précédente, cette solution n'implique la modification de l'ordonnance de 1959.

3 - Obligation pour le gouvernement de déposer en urgence un projet de loi de finances rectificative lorsque le montant cumulé des annulations depuis le début de l'année dépasse un certain pourcentage des crédits initiaux. L' article 13 de l'ordonnance serait à compléter dans ce sens. Une telle disposition semble de nature à concilier le respect des prérogatives du Parlement et la latitude d'action nécessaire au Gouvernement pour répondre à des contraintes conjoncturelles.

II.3 - Crédits évaluatifs, provisionnels et limitatifs

1) Problèmes posés

A- Les crédits évaluatifs sont souvent, manifestement et de manière récurrente, sous-évalués. Une obligation d'effectuer en loi de finances initiale ou à tout le moins en loi de finances rectificative, la remise à niveau de dotations manifestement insuffisantes, à la lumière des dépenses constatées, pourrait figurer dans l'ordonnance de 1959.

B- Les crédits provisionnels se distinguent mal des crédits limitatifs. La seule différence tient à ce qu'ils peuvent être abondés en cas d'insuffisance en cours d'année à partir d'un crédit global dit de " dépenses éventuelles ". Mais les crédits limitatifs peuvent l'être tout autant, à partir d'un autre crédit global, " pour dépenses accidentelles ". De plus, la procédure des décrets d'avance peut s'appliquer aux crédits provisionnels (article 10) comme aux crédits limitatifs (article 11). La Cour a pu qualifier cette distinction de " byzantine " (cf. rapport public de 1990). Par souci de simplification, la catégorie des crédits provisionnels pourrait être supprimée.

C- Les crédits limitatifs sont parfois ouverts et consommés en cours d'année, au-delà des dotations initiales, dans des conditions irrégulières. Cependant, à la suite des observations de la Cour, la pratique la plus critiquable, celle des " visas en dépassement ", autrefois relativement courante, a pratiquement disparu.

En matière de décrets d'avance, la Cour a constaté, à de nombreuses reprises, que les conditions posées par l'article 11 de l'ordonnance, en particulier la condition d'urgence, n'étaient pas toujours respectées. Cet article prévoit deux sortes de décrets d'avance : ceux de l'article 11-2°, pris en cas d'urgence, si l'équilibre financier prévu à la dernière loi de finances n'est pas affecté, et ceux de l'article 11-3° " en cas d'urgence et de nécessité impérieuse d'intérêt national ", sans autre condition que de déposer immédiatement un projet de loi de finances de ratification. Cette distinction pourrait être supprimée, la condition d'équilibre étant maintenue dans tous les cas ainsi que le dépôt immédiat d'un collectif.

2) Propositions

A- Crédits évaluatifs : compléter l' article 9 de l'ordonnance dans le sens indiqué précédemment (obligation de mise à niveau dans les lois de finances initiale et rectificative).

B- Crédits provisionnels : revoir la rédaction de l' article 8 qui les mentionne et supprimer l' article 10 .

C- Crédits limitatifs : revoir la rédaction de l' article 11 en ne prévoyant qu'un seul cas de décret d'avances, en cas d'urgence, dans le respect de l'équilibre financier prévu par la dernière loi de finances et avec dépôt immédiat d'un projet de loi de finances rectificative.

Il y aurait lieu, également, de préciser à l' article 35 , que la loi de règlement annule les crédits non utilisés après que les reports sur l'exercice suivant ont été effectués.

II.4 - Fonds de concours

1) Problèmes posés

A- En dépit de la règle de l'unité budgétaire, les fonds de concours (de l'ordre de 65 milliards de francs) ne sont ni prévus ni évalués dans la loi de finances initiale, alors que l'essentiel de ces recettes, et des dépenses qu'elles financent, est reconduit d'une année sur l'autre. La production d'un document d'information (annexe " jaune " sur les fonds de concours) ne saurait combler cette lacune.

B- La Cour a critiqué la possibilité ouverte au gouvernement par l'article 19 de l'ordonnance, d'assimiler à des fonds de concours pour dépenses d'intérêt public, le produit de recettes à caractère non fiscal ou certains rétablissements de crédits. Une remise en ordre est intervenue récemment, notamment pour les " crédits d'article " rattachés au budget des services financiers. On peut néanmoins s'interroger sur le bien-fondé de cette latitude ouverte au gouvernement. A défaut d'être supprimée, en admettant qu'elle permette à certains services, par une procédure d'affectation simplifiée, de bénéficier de recettes dont ils sont les créateurs, cette faculté d'assimilation devrait être soumise à l'autorisation du Parlement.

C- Les reports de fonds de concours posent un problème particulier. En effet, les crédits reportés étant fongibles, il n'est plus possible de suivre les fonds de concours reportés et donc de vérifier qu'ils sont utilisés conformément aux souhaits des parties versantes.

2) Propositions

A- Une disposition prévoyant que les fonds de concours sont prévus et évalués dans la loi de finances initiale devrait être introduite dans l'ordonnance, en modifiant dans ce sens la rédaction de l' article 19.

B- L' article 19 doit prévoir que l'extension de la procédure des fonds de concours à des recettes non fiscales ou à des rétablissements de crédits ne peut être effectuée que par une loi.

C- Enfin le même article devrait spécifier que les fonds de concours doivent être individualisées clairement dans la nomenclature budgétaire, en prévision comme en exécution.

II.5 - Budgets annexes et comptes de commerce

1) Problèmes posés

Les budgets annexes posent trois séries de questions:

A- Certains budgets annexes (budget annexe des prestations sociales agricoles -BAPSA-, Légion d'honneur, Ordre de la libération) ne correspondent pas à la définition de l'article 20 de l'ordonnance de 1959.

La solution relève, dans ce cas, d'une application plus stricte de l'article 20 plutôt que d'une modification de cet article visant à élargir la définition des budgets annexes. Les budgets annexes précités pourraient être transformés en comptes d'affectation spéciale.

B- Les budgets annexes sont présentés obligatoirement en équilibre, alors qu'ils ne le sont pas toujours réellement, ce qui fausse le résultat global. Cette présentation crée également une confusion entre les opérations budgétaires et les opérations de trésorerie, puisque les ressources d'emprunt figurent en recettes de la section des opérations en capital. Il conviendrait de modifier le 2 ème alinéa de l'article 35 de l'ordonnance, en prévoyant que le résultat de l'année, établi par le projet de loi de règlement, comprend le déficit ou l'excédent résultant de la différence nette entre les recettes et les dépenses des budgets annexes, et pas seulement du budget général.

C- La catégorie des budgets annexes et celle des comptes de commerce font à bien des égards double emploi. La distinction entre les deux paraît ténue, même si les activités industrielles et commerciales exercées le sont, selon l'ordonnance, à titre principal dans le cas des budgets annexes et à titre accessoire dans celui des comptes de commerce . On comprend mal pourquoi les Journaux officiels ont été constitués en budget annexe, alors que les fabrications d'armement de la Direction des constructions navales ont été décrites jusqu'ici dans un compte de commerce. Enfin, comme le montrent des exemples récent, le recours à la formule de l'établissement public, administratif ou industriel et commercial, voire à celle de la société nationale (cf. Imprimerie nationale), peut paraître plus approprié dans certains cas (Monnaies et médailles, Journaux officiels ?). La suppression de l'une ou l'autre catégorie pourrait donc être envisagée.

2) Propositions

A- Supprimer soit la catégorie des budgets annexes, soit celle des comptes de commerce.

B- Si les budgets annexes sont maintenus, préciser à l'article 35-2 ème alinéa de l'ordonnance du 2 janvier 1959, que le compte de résultat de l'année, établi par la loi de règlement, comprend le déficit ou l'excédent des budgets annexes, outre celui du budget général.

II.6 - Emplois budgétaires

1) Problèmes posés

L'article 1er 5 ème alinéa , de l'ordonnance de 1959 précise que " les créations et transformations d'emplois ne peuvent résulter que de dispositions prévues par une loi de finances ". L'article 32 prévoit que le projet de loi de finances est accompagné d'annexes explicatives, faisant connaître notamment " les crédits afférents aux créations, suppressions et transformations d'emplois ", tandis que l'article 43 indique que les créations, suppressions et transformations d'emplois effectuées par la loi de finances ne peuvent résulter que des modifications de crédits correspondantes " dûment explicitées par les annexes ". Les dotations en emplois figurent ainsi, au stade du projet de loi de finances, dans les annexes ou " bleus budgétaires ", et après le vote de cette loi, dans les annexes aux décrets de répartition, dites " verts " budgétaires. Les " emplois budgétaires " sont donc les emplois décrits dans ces documents.

Les effectifs réels des administrations de l'Etat diffèrent sensiblement des emplois budgétaires. Ces différences sont liées notamment au temps partiel (un emploi à plein temps peut servir à rémunérer plusieurs agents à temps partiel), aux gels d'emplois, aux personnels recrutés sur crédits, principalement pour effectuer des tâches temporaires ou saisonnières, ou encore à la pratique, irrégulière, des surnombres. Cette déconnexion entre emplois et effectifs, la difficulté pratique à connaître le nombre exact de ces derniers, la diversité des pratiques de gestion, leur manque de cohérence et les irrégularités qui les caractérisent souvent, peuvent inciter à modifier, dans l'ordonnance de 1959, les dispositions relatives aux emplois.

On peut estimer, cependant, que pour assurer la maîtrise des recrutements et des dépenses de personnel, et asseoir la compétence normale du Parlement dans ce domaine, le système de la double autorisation parlementaire, prévu par l'ordonnance, sur les emplois et sur les crédits, offre un moyen de contrôle efficace.

Des assouplissements pourraient être apportés à la rédaction actuelle de l'ordonnance sur deux points :

- l'autorisation budgétaire pourrait porter sur des ensembles plus vastes que le grade ou l'emploi fonctionnel, à savoir le nombre d'emplois par corps, voire par catégories ;

- les créations et transformations d'emplois par le pouvoir réglementaire pourraient être opérées par un décret simple et non plus par un décret pris en Conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat. L'article 1er de l'ordonnance pourrait être modifié dans ce sens.

Ces assouplissements devraient favoriser l'abandon du procédé irrégulier des surnombres.

2) Propositions

A- L'information transmise au Parlement, dans le cadre du projet de loi de finances, sur les effectifs et les rémunérations des personnels- et pas seulement sur les emplois- des administrations devrait être améliorée. Elle pourrait être fournie par les rapports d'activité des ministères, déjà évoqués (cf. I.1).

B- Les assouplissements évoqués ci-dessus pourraient être étudiés et les dispositions de l'ordonnance modifiées en conséquence.

II.7 - Amendements rédactionnels

Indépendamment des modifications suggérées dans les différentes fiches, une révision de l'ordonnance de 1959 devrait être mise à profit pour actualiser certaines dispositions et en améliorer la rédaction. On peut citer à cet égard :

- à l' article 6 , s'agissant de la nomenclature des dépenses en capital, la suppression du titre " réparation des dommages de guerre " (titre VII), devenu inutile pour des raisons évidentes ;

- à l' article 16 , la rédaction de l'alinéa 1 devrait être revue : elle donne une définition inexacte du budget . Le budget, document prévisionnel, n'est pas " un ensemble de comptes ". Il y aurait lieu de se référer, soit à la définition donnée par la Constitution (cf. article 34 : " Les loi de finances déterminent les ressources et les charges de l'Etat "), soit à celle du décret du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique (cf. article 4 "  Le budget... est l'acte par lequel sont prévues et autorisées les recettes et les dépenses...) ;

- à l' article 18, il conviendrait de donner une définition plus claire des principes d'unité et d'universalité .

. le principe d'unité pourrait être formulé ainsi: "Il n'existe qu'un seul budget. Toutefois, certaines recettes peuvent être affectées directement à certaines dépenses. Ces affectations... " (cf. suite du 2 ème alinéa de l'article 18) ;

. pour le principe d'universalité , il est proposé la rédaction suivante : " Le budget comporte toutes les recettes et toutes les dépenses. Il est fait recette du montant intégral des produits, sans contraction entre les recettes et les dépenses " ;

. enfin, la dernière phrase de l'article 18 , totalement méconnue, devrait être supprimée (" Aucune affectation n'est possible si les dépenses résultent d'un droit permanent reconnu par la loi ").

Deuxième contribution de la Cour des Comptes

SOMMAIRE

I - Fonctionnement et investissement

- I.1 Comment répartir les dépenses de l'Etat

entre le fonctionnement et l'investissement ?

- I.2 Faut-il présenter le budget de l'Etat en deux sections,

l'une de fonctionnement, l'autre d'investissement ?

II - Budget de l'Etat et budget de la Sécurité sociale

- II.1 Aller vers une symétrie des deux lois, loi de finances de l'Etat

et loi de financement de la Sécurité sociale

- II.2 Clarifier les relations financières entre l'Etat et la Sécurité sociale

- II.3 Les problèmes posés par l'existence de deux systèmes de comptes

- II.4 La création de fonds spécifiques pour le financement des

dépenses sociales

- II.5 Les relations de caisse

- II.6 Le bilan d'exécution de la loi de financement

III - Principe de sincérité des comptes publics

- III.1 L'obligation de sincérité des comptes tend à se développer

dans les textes et dans la pratique

- III.2 L'introduction de l'obligation de sincérité dans la loi organique rendrait plus nécessaire encore la modernisation des comptes de l'Etat et conduirait à transformer la déclaration générale de conformité

IV - Comptabilité publique et système comptable de droit commun

- IV.1 Remarques liminaires

- IV.2 Des dérogations excessives au droit commun et un respect

insuffisant des finalités assignées au système comptable de
l'Etat

IV.3 Un outil encore mal adapté pour une gestion publique moderne

I - Fonctionnement et investissement

" Comment mettre en oeuvre, concrètement, la distinction, pour le budget de l'Etat, entre dépenses d'investissement et de fonctionnement? "

Cette question sera examinée successivement sous deux aspects :

- comment répartir les dépenses de l'Etat entre le fonctionnement et l'investissement ?

- au-delà de la distinction portant sur les seules dépenses, faut-il présenter le budget en deux sections, l'une de fonctionnement, l'autre d'investissement, et quelles en seraient les conséquences ?

I.1 - Comment répartir les dépenses de l'Etat entre le fonctionnement et l'investissement ?

I.1.1 - Signification de la distinction

La distinction entre dépenses de fonctionnement et dépenses d'investissement correspond à un classement économique de la dépense .

Les diverses définitions des dépenses de fonctionnement et d'investissement ont un point commun : la durée de " la contrepartie " de la dépense, c'est-à-dire du bien ou du service qu'elle permet de financer et, par voie de conséquence, ses effets sur le patrimoine de la collectivité ou de l'organisme qui l'effectue.

Les dépenses de fonctionnement sont le plus souvent des dépenses répétitives correspondant à une consommation immédiate et sans incidence sur le patrimoine.

Les dépenses d'investissement procurent un bien durable qui entre dans le patrimoine, avec pour effet de le conserver, de le renouveler ou de l'accroître.

Cette définition des dépenses d'investissement correspond à celle que le plan comptable général donne des " immobilisations ", à savoir des éléments destinés à servir de façon durable à l'activité.

L'instruction budgétaire et comptable M14 applicable aux communes fournit une liste précise des deux catégories de dépenses :

- les dépenses de fonctionnement sont celles qui reviennent régulièrement chaque année : rémunération du personnel, fournitures et consommation courante, petit entretien, participation aux charges d'organismes extérieurs, paiement des intérêts des emprunts et des dettes, et des frais financiers...

- les opérations d'investissement sont des emplois comprenant essentiellement des opérations non répétitives qui modifient la consistance ou la valeur du patrimoine de la commune : achats de matériels durables, constructions ou aménagements de bâtiments, travaux d'infrastructure, grosses réparations de bâtiments existants. Elles comportent également le remboursement des emprunts en capital.

La comptabilité nationale et européenne corrobore, au plan macroéconomique, la définition comptable des investissements :

- dans la comptabilité nationale, la " formation brute de capital fixe ", qui constitue un emploi du compte de capital, " représente la valeur des biens durables acquis par les branches afin d'être utilisés pendant au moins un an dans leur processus de production, ainsi que la valeur des biens et des services incorporés aux biens de capital fixe acquis, aux terrains et aux actifs incorporels " ;

- le système européen de comptes (SEC 95) définit la " formation brute de capital fixe " comme étant " égale aux acquisitions moins les cessions d'actifs fixes ", les actifs fixes étant " des actifs corporels ou incorporels ...utilisés de façon répétée ou continue ...pendant une durée d'au moins un an ".

I.1.2 - Définition donnée par l'ordonnance de 1959 relative aux lois de finances

L'article 6 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 distingue non pas les dépenses de fonctionnement et les dépenses d'investissement proprement dites, mais, parmi les " charges permanentes de l'Etat ", les dépenses ordinaires , les dépenses en capital et les prêts et avances.

Les dépenses ordinaires sont regroupées selon quatre titres : les charges de la dette, la dotation des pouvoirs publics, les dépenses de personnel et de matériel applicables au fonctionnement des services et les interventions de l'Etat.

Les dépenses en capital constituent trois autres titres : les investissements que l'Etat exécute, les subventions d'investissement qu'il accorde et la réparation des dommages de guerre.

I.1.3 - Problèmes posés par la distinction établie par l'ordonnance de 1959 entre dépenses ordinaires et dépenses en capital

Le principal défaut de la distinction entre les dépenses ordinaires et les dépenses en capital, telle que l'établit l'ordonnance de 1959, est qu' elle ne permet pas de mesurer avec précision l'investissement de l'Etat .

En effet, l'approche budgétaire qui découle des dispositions de l'ordonnance de 1959 conduit à considérer comme dépense d'investissement toutes les dépenses en capital imputées sur les budgets d'équipement (titre V : "  Investissements exécutés par l'Etat ", titre VI "  Subventions d'investissement accordées par l'Etat "). Or les dépenses du titre V ne correspondent pas directement à une augmentation du patrimoine de l'Etat et ne recouvrent pas totalement la notion d'immobilisation, notamment parce que les impôts et taxes afférents à leur acquisition sont aussi imputés au titre V, principalement la TVA. En outre, elles ne retracent pas toutes les opérations d'acquisition d'immobilisations de l'Etat, une partie de celles-ci figurant dans les comptes spéciaux du Trésor. Enfin, elles mélangent les acquisitions d'immobilisations corporelles, incorporelles ou financières.

Pour le titre VI, la notion d'investissement de l'Etat est plus ambiguë. En effet, s'agissant de subventions, la comptabilisation par l'Etat d'une dépense d'investissement peut ne pas correspondre à un investissement effectivement réalisé. Le bénéficiaire de la subvention a, par exemple, la faculté d'étaler l'investissement dans le temps.

En outre, il arrive que des biens de consommation soient imputés au titre V ou, à l'inverse, des biens d'investissement au titre IV (acquisitions d'oeuvre d'art). Certains biens, comme les achats de livres, figurent sur l'un et l'autre titres. Quant aux achats ou au renouvellement de meubles de bureau, biens durables participant à la capacité de production des services, ils sont le plus souvent imputés au titre III. En revanche, certaines dépenses ordinaires, comme le soutien des programmes de recherche, sont inscrites parmi les dépenses en capital.

I.1.4 - Problèmes posés par la distinction entre dépenses de fonctionnement et dépenses d'investissement

Certains récusent la pertinence de la distinction entre le fonctionnement et l'investissement, en invoquant son caractère parfois artificiel.

Doit-on, par exemple, ranger les équipements militaires parmi les dépenses d'investissement, alors qu'ils sont souvent considérés, d'un point de vue strictement économique, comme des dépenses improductives? Au demeurant, la comptabilité nationale ne les inclut pas dans la formation brute de capital fixe, mais dans les " consommations intermédiaires ".

Il n'en reste pas moins que l'investissement militaire a un caractère durable. Son utilisation s'étale sur plusieurs années. Aussi, est-ce à juste titre que la nomenclature budgétaire le classe parmi les dépenses en capital. En outre, le critère du caractère productif de la dépense n'est pas pertinent, dans la mesure où, pour l'Etat, des masses importantes de dépenses de fonctionnement devraient être considérées comme des investissements si on leur appliquait ce critère (éducation, santé, transports...).

Précisément, certains invoquent le caractère productif de ces dernières dépenses ( éducation et recherche , en particulier) pour dénier tout sens à la distinction entre le fonctionnement et l'investissement, s'agissant des dépenses de l'Etat.

Or si ces dépenses préparent l'avenir du pays et contribuent à son enrichissement en accroissant son " capital humain ", il n'en demeure pas moins que, par nature, elles recouvrent, pour l'essentiel, des rémunérations (dépenses de " matière grise ") et des consommations de biens non durables. A ce titre, elles constituent du fonctionnement, à l'exception, bien entendu de celles, très minoritaires en l'espèce, qui rentrent dans la catégorie des dépenses en capital, comme les constructions ou les équipements scolaires et universitaires.

Dans le cas, par exemple, du service public de l'éducation, l'Etat est dans la situation de tout producteur de biens et de services. Pour ce producteur, les biens et services produits sont généralement des valeurs d'exploitation. C'est l'acquéreur qui les immobilise, du moins si cet acheteur est une entreprise ou un organisme qui tient une comptabilité. De même, l'Etat producteur de biens et de services, ne saurait se confondre, notamment du point de vue comptable, avec " la Nation " ou " la collectivité ", qui en bénéficie. Il convient donc de s'en tenir à une logique strictement comptable. D'autant qu'il y aurait un réel danger, du point de vue de la gestion budgétaire, à considérer ces dépenses, dont la rentabilité reste difficile à déterminer 38 ( * ) , comme des investissements. Une telle approche est de nature à embrouiller le débat plutôt qu'à l'éclairer.

Un autre problème soulevé par la distinction entre dépenses de fonctionnement et dépenses d'investissement tient à ce qu'elle ne paraît pas laisser de place à une troisième catégorie de dépenses, celle des transferts .

Les dépenses de transfert, dépenses de redistribution à finalité principalement sociale ou économique, n'ont pas de contrepartie pour l'Etat. Elles ne correspondent, à proprement parler, ni à des dépenses de fonctionnement, ni à des dépenses d'investissement. Or elles représentent une part importante du budget de l'Etat 39 ( * ) .

L'ordonnance de 1959 les classe, soit dans les dépenses ordinaires, qui correspondent pour l'essentiel à du fonctionnement (titre IV), soit dans les dépenses en capital (titre VI). La question se pose néanmoins de l'opportunité de traiter les transferts dans un ensemble séparé des deux autres catégories de dépense (voir infra) .

Aux insuffisances de la comptabilité budgétaire, s'ajoutent celles de la comptabilité patrimoniale de l'Etat dans son état actuel. Celle-ci ne fournit pas une mesure significative de l'actif net immobilisé de l'Etat, de son effort d'investissement, ni plus généralement de la variation de son patrimoine. Elle n'est guère utile pour éclairer la gestion des actifs et optimiser les investissements.

*

Le classement actuel des dépenses n'est pas satisfaisant ; il manque de cohérence. La première tâche à entreprendre pour " mettre en oeuvre concrètement la distinction, pour le budget de l'Etat, entre dépenses d'investissement et de fonctionnement ", est donc de définir avec précision ce qui relève de l'une et l'autre catégorie de dépenses.

A cet égard, le critère le plus pertinent paraît être le critère du plan comptable général, fondé sur la variation patrimoniale qu'entraîne pour l'Etat l'acquisition d'un bien ou d'un service destiné à être immobilisé dans son bilan et susceptible d'être amorti.

Cette orientation se justifie d'autant plus que l'Etat entend développer une véritable comptabilité patrimoniale. En effet, le choix d'un critère comptable pour définir les dépenses d'investissement de l'Etat établit un lien entre la présentation budgétaire et la comptabilité générale. Ce lien ressort clairement des réformes conduites par les Etats et les collectivités publiques dont les budgets distinguent une section de fonctionnement et une section d'investissement. Tel est par exemple le cas du Royaume Uni, qui met en oeuvre, depuis 1993 une importante réforme budgétaire et comptable, et, en France même, des collectivités territoriales, en particulier les communes depuis 1997, date de l'entrée en vigueur d'un nouveau cadre budgétaire et comptable (instruction M14).

I.2 - Faut-il présenter le budget de l'Etat en deux sections, l'une de fonctionnement, l'autre d'investissement ?

La présentation du budget en deux sections s'accompagne généralement d'une règle d'équilibre. L'application d'une telle règle au budget de l'Etat mérite discussion. Mais indépendamment de toute contrainte d'équilibre, la distinction d'une section de fonctionnement et d'une section d'investissement présente, par elle-même, un intérêt pour la clarté et l'exhaustivité des prévisions budgétaires

I.2.1 - Obligations associées à la présentation du budget en deux sections

Les exemples étrangers ou celui des collectivités locales, montrent que la présentation, dans deux sections distinctes, des opérations de fonctionnement et d'investissement, s'accompagne d'obligations spécifiques

Ainsi la réforme budgétaire et comptable mise en oeuvre au Royaume-Uni , qui présente la distinction en deux sections comme un " point clé ", se fonde sur deux règles :

- la " règle d'or ", selon laquelle, sur la durée d'un cycle économique, le gouvernement est tenu de limiter l'emprunt au montant des investissements, à l'exclusion des dépenses courantes ;

- une règle dite " d'investissement soutenable " qui conduit à limiter, sur la durée du cycle, le ratio dette publique nette/ PIB à un niveau " stable et prudent ", plafonné actuellement à 40%.

Comme en Allemagne (article 115 de la Loi fondamentale), l'un des objectifs de la règle d'or est d'éviter de reporter sur les générations futures des dépenses courantes des générations actuelles.

Le gouvernement britannique affiche un autre but, celui de préserver l'investissement public, tombé, dans la période précédente, à un niveau faible au regard des standards historiques et internationaux. C'est l'une des raisons pour lesquelles, au Royaume-Uni, la réforme du cadre budgétaire est étroitement liée à celle du système comptable public. Le lien étroit établi entre la comptabilité budgétaire et la comptabilité patrimoniale et la reconnaissance de la nature économique différente des dépenses de fonctionnement et des dépenses d'investissement, doivent conduire les administrations à mieux connaître leurs actifs et à en faire le meilleur usage. Au plan macro-économique, le gouvernement affirme sa volonté de réaliser le niveau d'investissement exigé pour répondre aux besoins de l'économie et maintenir le stock d'équipement public en bon état.

En France, les collectivités territoriales se voient imposer une règle d'équilibre. Elles ont l'obligation de présenter leur budget en " équilibre réel ". L'article 8 de la loi du 2 mars 1982 prévoit ainsi que " le budget de la commune est en équilibre réel lorsque la section de fonctionnement et la section d'investissement sont respectivement votées en équilibre, les recettes et les dépenses ayant été évaluées de façon sincère... ". En outre, il exclu de financer par l'emprunt aussi bien un éventuel déficit de fonctionnement que le remboursement en capital des annuités d'emprunt, qui constitue une dépense de la section d'investissement. L'emprunt est en définitive affecté au seul financement des équipements, des acquisitions et des travaux neufs.

I.2.2 - Application de ces règles au budget de l'Etat

L'institution, en France, d'une contrainte d'équilibre pour le budget de l'Etat appelle un débat. L'orthodoxie budgétaire classique voudrait en effet que la section de fonctionnement soit équilibrée, l'emprunt étant réservé au financement de la section d'investissement. Comme dans les Etats qui l'ont mise en oeuvre, une telle obligation viserait d'abord à épargner aux générations futures la charge du remboursement des dettes contractées par les générations précédentes pour financer leurs dépenses courantes. Dans l'immédiat, elle serait de nature à faciliter la maîtrise des finances publiques imposée par l'Union européenne dans le cadre de la zone euro. D'un autre côté, celle-ci retient d'autres critères que " la règle d'or " pour encadrer la politique budgétaire des Etats-membres.

En effet, la France doit respecter les deux critères de convergence, relatifs au déficit public et à la dette publique. D'autre part, la situation et la politique budgétaires des Etats membres font l'objet d'une procédure de surveillance de la part des autorités européennes, avec notamment l'obligation de produire, chaque année, un programme pluriannuel de finances publiques, et des sanctions éventuelles en cas de non respect des normes ou des recommandations européennes (procédure dite " des déficits excessifs "). Certes, ces obligations, fondées sur les comptes nationaux, portent sur l'ensemble des administrations publiques et pas seulement sur l'Etat. Mais en raison de l'obligation d'équilibre imposée aux collectivités territoriales et de la responsabilité finale de l'Etat dans l'équilibre des comptes sociaux, c'est en définitive le budget et les comptes de l'Etat stricto sensu qui subissent l'essentiel des obligations " maastrichtiennes ". En outre, la contrainte est d'autant plus forte qu'elle s'étend à l'exécution, par contraste avec la période antérieure, quand la préoccupation dominante des gouvernements se bornait à l'affichage de prévisions acceptables.

En outre, d'un point de vue macro-économique, les observateurs attachent une importance particulière au niveau du solde primaire , qui, compte tenu du taux de croissance et des taux d'intérêt, commande l'évolution de la dette de l'Etat et fournit un meilleur indicateur sur le caractère " soutenable " de la politique budgétaire. L'analyse économique, qui s'est affinée par rapport à l'époque où la règle d'or représentait le seul indicateur de bonne gestion des finances publiques, se fonde aussi sur l' évolution des soldes conjoncturel et structurel . Le programme pluriannuel de finances publiques que le gouvernement transmet à Bruxelles depuis deux ans, comporte des objectifs formulés suivant ces critères. Quelle que puisse être son utilité à certaines périodes, la règle d'or ne constitue pas la seule garantie d'une saine gestion budgétaire. En Allemagne, par exemple, certains, paradoxalement, critiquent son laxisme, les circonstances imposant, selon eux, la réalisation d'un excédent budgétaire global (fonctionnement et investissement cumulés).

En sens inverse, sans être érigé formellement en règle, le rapport entre l'emprunt et l'investissement demeure un critère d'appréciation de la politique budgétaire. L'article 104 C alinéa 3 du traité de Maastricht prévoit ainsi que la Commission européenne, en cas de non respect des critères de convergence, examine si le déficit public excède les dépenses publiques d'investissement. Le règlement n° 1466/97 du 7 juillet 1997 du Conseil européen relatif à la surveillance des politiques économiques et budgétaires exige également que les programmes de stabilité ou de convergence fournissent le montant des dépenses publiques d'investissement, parmi les informations demandées sur " les variables économiques importantes qui sont susceptibles d'influer sur la réalisation " de ces programmes.

En toute hypothèse, c'est-à-dire même en l'absence de règle d'équilibre, la distinction, au sein du budget de l'Etat, d'une section de fonctionnement et d'une section d'investissement présente un grand intérêt.

I.2.3 - Intérêt d'une présentation du budget en deux sections

La contribution du 30 novembre 1999 aux réflexions sur la révision de l'ordonnance de 1959 relative aux lois de finances propose d'envisager cette présentation en raison de ses avantages du point de vue de la transparence des opérations budgétaires (cf. pages 6 et 8-9).

Elle comporte en effet un triple intérêt :

- elle conduit à une présentation plus simple et plus lisible des opérations budgétaires;

- elle favorise une plus grande exhaustivité du budget;

- elle permet d'établir, comme il été dit plus haut, un lien plus direct entre le budget et la comptabilité patrimoniale de l'Etat.

a - Une présentation plus simple et plus lisible des opérations budgétaires

La distinction actuelle entre les opérations définitives et les opérations temporaires avait sans doute un sens lorsque l'Etat jouait un rôle majeur de banquier vis à vis des autres acteurs économiques. La situation a profondément changé : ce rôle est aujourd'hui marginal, sinon en voie de disparition totale, comme en témoigne par exemple la baisse forte et continue des prêts du FDES. Les soldes de fonctionnement et d'équipement revêtent un plus grand intérêt pour évaluer la situation et la gestion budgétaires, que les soldes des opérations définitives et des opérations temporaires. En particulier, leur lien avec la comptabilité patrimoniale leur confère une plus grande signification (cf. ci-dessous).

Telle qu'elle est mise en oeuvre dans la pratique, la présentation actuelle conduit à inscrire au budget des opérations qui ne devraient pas y figurer. Il en est ainsi, par exemple, des avances à court terme, qui constituent de simples opérations de trésorerie. Il convient à cet égard de distinguer les opérations qui influent sur l'équilibre du budget et que celui-ci doit inclure, d'opérations qui ne sont pas de nature budgétaire et n'ont pas d'incidence directe sur le solde budgétaire, ce qui est le cas des opérations de trésorerie. Ce qui n'exclut pas l'obligation d'informer le Parlement sur ces opérations, voire d'exiger son autorisation pour certaines d'entre elles - par exemple pour fixer un plafond d'avances.

Une présentation en deux sections permettrait, en définitive, de clarifier la répartition des recettes et des dépenses. Complétée par un tableau de financement, comme il est proposé plus loin (§ 3.2), elle conduirait à inclure dans le budget des opérations très importantes pour le suivi de la politique budgétaire et le contrôle du Parlement, par exemple en matière d'emprunt, tout en en excluant les opérations de trésorerie, qui, n'étant pas de nature budgétaire, n'ont pas à figurer dans le budget. Elle favoriserait une plus grande exhaustivité du document budgétaire et par voie de conséquence une application plus respectueuse du principe d'universalité.

En ce qui concerne les dépenses de transfert, leur importance dans le budget de l'Etat et leur spécificité justifient de les isoler, non pas dans une section particulière, les recettes ne leur étant pas affectées, sinon marginalement (fonds de concours), mais au sein de la section de fonctionnement.

Il faut également garantir le respect effectif du principe de permanence des méthodes dans l'imputation des recettes et des dépenses 40 ( * ) à l'une ou l'autre section. On a vu, dans la première partie, la difficulté que présente dans certains cas la notion même d'investissement. Il conviendra donc de définir avec précision la nature et la liste des dépenses d'investissement, ainsi qu'il a été procédé pour les collectivités locales, en se reportant le plus possible au référentiel comptable de droit commun, et en s'y tenant. Il en va de même pour la distinction entre opérations budgétaires et opérations de trésorerie, que la répartition par sections est de nature à clarifier.

b - Une plus grande exhaustivité des documents et des autorisations budgétaires

On se reportera sur ce point aux développements consacrés aux emprunts dans la " contribution " du 30 novembre 1999 (cf. notamment I.8 " Autorisations d'emprunt " - p.23 et 24).

La présentation actuelle de la loi de finances comporte une lacune importante : elle masque le niveau réel des besoins de financement de l'Etat. En effet, la lecture des documents budgétaires peut laisser croire que les besoins d'emprunt de l'Etat se limitent au montant du déficit. Il faut, en réalité, y ajouter le chiffre, actuellement supérieur, de l'amortissement des emprunts qui viennent à échéance. A titre d'exemple, en 1998, le besoin de financement à long et moyen terme du Trésor s'est établi à 580,35 milliards, à comparer à un déficit de 247,5 milliards, soit plus de deux fois plus. Le fait que, par définition, le refinancement par l'emprunt des emprunts anciens n'augmente pas l'endettement de l'Etat, n'atténue en rien les inconvénients de la présentation actuelle qui ne permet pas au Parlement d'engager un véritable débat sur la dette. Son information et son autorisation apparaissent tronquées. En dépit des dispositions de l'article 31 de l'ordonnance (" le projet de loi de finances évalue le montant des ressources d'emprunt... "), le Parlement se borne, en l'état actuel des choses, à autoriser le Gouvernement à lever les emprunts nécessaires, sans aucune autre précision.

Un intérêt de la présentation en sections pourrait être de faire apparaître en emplois l'inscription de l'amortissement prévisionnel des emprunts et, en ressources, son mode de financement, et, compte tenu des autres besoins de financement, en particulier des investissements, le montant total des emprunts à effectuer, à l'exception des opérations de trésorerie. Il en va bien ainsi pour les budgets des collectivités locales, avec, pour ce qui les concerne, l'exigence supplémentaire, rappelée ci-dessus, de financer l'amortissement des emprunts par des ressources définitives. On peut s'interroger sur la possibilité et même sur l'opportunité d'appliquer à l'Etat une telle obligation. En effet, si celle-ci se justifie pleinement s'agissant de collectivités dont le gouvernement central doit contrôler l'endettement, il n'en va pas de même pour la dette de l'Etat dont l'évolution est aujourd'hui contrainte par d'autres critères (dette brute/PIB, évolution du solde primaire...).

Ceci conduit à proposer la mise à l'étude d'une présentation du budget, non pas en deux sections, mais en trois parties :

- une section de fonctionnement, comprenant en dépenses, les dépenses de fonctionnement (personnel et autres dépenses de fonctionnement, y compris les charges de la dette) et les dépenses de transfert, et en recettes, l'ensemble des recettes fiscales et non fiscales,

- une section d'investissement pour les dépenses d'investissement, définies avec précision, en s'inspirant de la définition comptable, et les recettes associées par nature à l'investissement,

- un tableau de financement qui reprendrait, pour l'essentiel, le solde des deux sections précédentes ainsi que l'amortissement des emprunts et indiquerait le montant total des emprunts nouveaux permettant de financer l'ensemble de ces besoins.

Des simulations devraient permettre de vérifier la pertinence des reclassements envisagés pour les dépenses et les recettes telles qu'elles figurent dans la présentation actuelle de la loi de finances.

c - Un rapprochement entre le budget et la comptabilité

La question de l'articulation entre l'autorisation budgétaire et la comptabilité générale est en cours d'approfondissement et renvoie à la quatrième question posée par le Rapporteur général de la Commission des finances de l'Assemblée nationale, dans sa lettre du 21 décembre 1999.

Il apparaît, en première analyse, qu'une distinction clairement affichée dans la loi de finances entre les dépenses et les recettes de fonctionnement et celles d'investissement serait de nature à faciliter cette liaison et à assurer, par voie de conséquence, un meilleur compte rendu de l'exécution du budget.

Cependant cette orientation, adoptée par d'autres pays, soulève plusieurs questions.

Il est clair que si la définition des investissements retenue pour le budget se fonde sur des notions comptables reconnues (engagement d'opérations réalisées et immobilisations amorties sur plusieurs années), le passage des prévisions budgétaires aux comptes, qui constatent a posteriori les résultats et les variations de l'actif, s'en trouvera facilité. La présentation de la loi de finances en sections, de fonctionnement et d'investissement, établirait une cohérence entre le budget et les comptes et constituerait un prolongement naturel des efforts engagés pour établir une véritable comptabilité patrimoniale de l'Etat. Cette conclusion se dégage aussi bien d'une enquête menée auprès des chambres régionales des comptes que des réformes entreprises dans d'autres pays. Le cas du Royaume-Uni 41 ( * ) , déjà cité, nous paraît, à cet égard, présenter un intérêt particulier, parce qu'il s'agit d'un pays comparable au nôtre par la taille, que la réforme budgétaire et comptable y est très avancée et qu'elle s'inscrit, comme en France, dans un processus plus global de modernisation de l'Etat.

La réforme britannique en cours 42 ( * ) se caractérise en effet par sa cohérence d'ensemble :

- présentation des prévisions budgétaires, et pas seulement des comptes, en droits constatés, mais avec maintien en parallèle, d'un budget " de caisse ",

- séparation, dans le budget , des opérations courantes et des opérations en capital,

- établissement d'un budget et d'une comptabilité d'exercice non seulement au niveau global, mais dans chaque département ministériel,

- vote des budgets selon les deux présentations,

- élaboration dans chaque ministère d'un plan pluriannuel, comportant des objectifs stratégiques et des indicateurs de résultats, et d'un rapport annuel d'activité rendant compte, sur une base patrimoniale, de l'utilisation des ressources allouées en regard des objectifs assignés,

- établissement de comptes consolidés pour l'ensemble du secteur public (" Whole of Government accounts ").

Le budget sera présenté et examiné simultanément en caisse et en termes patrimoniaux. De même qu'en comptabilité, un tableau des flux de trésorerie coexiste avec le bilan et le compte de résultat, de même rien n'empêche, à première vue, que le budget soit établi à la fois selon une logique de trésorerie et selon une logique patrimoniale. L'une et l'autre démarches sont en effet nécessaires pour fournir au Parlement une information aussi complète et aussi transparente que possible. Un autre aspect à souligner est la nécessité d'assurer une correspondance maximale entre la nomenclature budgétaire et la nomenclature comptable, si l'on veut garantir la cohérence de l'information. A cet égard, la réforme britannique met en relief le lien étroit qui unit la réforme comptable et celle de la présentation du budget.

Conclusion

La distinction, au sein de la loi de finances, d'une section de fonctionnement et d'une section d'investissement, assortie d'un tableau de financement faisant apparaître les prévisions globales d'emprunt, peut présenter un intérêt réel pour améliorer la transparence des opérations budgétaires et financières de l'Etat. Elle est de nature à garantir un plus grand respect des grands principes budgétaires, en particulier ceux d'unité et d'universalité. Sa mise en oeuvre exige toutefois une définition précise des différentes catégories d'opérations, notamment une réflexion sur les investissements et sur le classement des opérations de transfert. Elle implique également, une fois ces définitions et ce classement établis, un strict respect du principe de permanence des méthodes. Enfin, l'exemple des collectivités territoriales comme les réformes effectuées par certains pays étrangers, révèlent un lien étroit entre cette présentation et les efforts engagés pour développer la comptabilité patrimoniale de l'Etat. Quant à l'opportunité de lui associer une obligation d'équilibre budgétaire, elle mérite pour le moins discussion dans la mesure où d'autres normes et critères sont déjà pris en considération dans le cadre de la procédure de surveillance des finances publiques mise en place par l'Union européenne.

II - Budget de l'Etat et budget de la sécurité sociale

" Quelles dispositions paraissent susceptibles d'être mises en oeuvre afin de clarifier les relations financières entre le budget de l'Etat et celui de la Sécurité sociale ? "

Les lois de financement de la sécurité sociale ont été créées en 1996 (loi constitutionnelle du 22 février 1996 et loi organique du 22 juillet 1996). Malgré le parallélisme suggéré par leur dénomination, par leur calendrier et certaines procédures, ces lois ne sont pas de même nature que les lois de finances de l'Etat. Elles s'en différencient notamment sur les points suivants :

• La pluralité des acteurs, dotés d'une personnalité morale autonome, intervenant dans le champ de la loi de financement

• Le caractère évaluatif des objectifs de dépenses par branche, seul l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (l'ONDAM) pouvant être comparé, mais non assimilé, à une autorisation budgétaire de dépense

• L'absence d'un article fixant son équilibre général, et l'impossibilité d'un tel article résultant de la non concordance de champ entre les prévisions de recettes et les objectifs de dépenses (exclusion des régimes comptant moins de 20 000 cotisants actifs ou retraités titulaires de droits propres), alors même que l'obligation d'être en équilibre s'impose aux régimes de sécurité sociale. Dans les lois de financement, cette contrainte s'exprime indirectement par la fixation de "plafonds d'avances", seule disposition à caractère limitatif, qui autorise certains régimes de base à recourir à des "ressources non permanentes"

• Le principe de l'affectation des recettes de la sécurité sociale à des branches distinctes dont la définition n'est d'ailleurs pas parfaitement homogène d'un régime à l'autre.

Ces différents points ont fait l'objet de développements dans les rapports annuels de la Cour des comptes sur la sécurité sociale au cours des dernières années.

Les deux lois - loi de finances de l'Etat et loi de financement de la sécurité sociale - entretiennent des relations réciproques liées notamment à la part croissante des recettes fiscales dans le financement de la sécurité sociale, à l'importance des transferts financiers en provenance de l'Etat et au statut particulier des agents publics en matière de sécurité sociale. Ces relations, complexes et mouvantes, doivent être clarifiées sur plusieurs points : définition plus précise des frontières respectives des deux lois, description plus transparente des flux financiers entre l'Etat et la sécurité sociale, meilleure articulation des calendriers d'élaboration.

Le cadre de cette clarification doit respecter deux données fondamentales : l'existence de deux lois d'une part, la nécessité d'agrégation en raison de la contrainte globale sur les déficits issue du Traité de Maastricht d'autre part.

Dans un contexte marqué par de profondes modifications du financement de la sécurité sociale, et notamment par la création de fonds qui regroupent et isolent certains transferts de l'Etat à la sécurité sociale, il importe de définir un cadre qui permette de suivre ces transferts dans le temps de manière pertinente, c'est-à-dire à périmètre constant. Cela suppose une consolidation des comptes de l'Etat et de la sécurité sociale ou, au moins dans un premier temps, de l'Etat et des établissements publics "sociaux" nouvellement créés. Les efforts engagés récemment pour réformer la comptabilité de l'Etat (droits constatés et plus généralement développement de la comptabilité patrimoniale) devraient, à terme, permettre cette consolidation.

II.1 Aller vers une symétrie des deux lois, loi de finances de l'Etat et loi de financement de la Sécurité sociale

Une telle symétrie suppose en particulier de faire figurer toutes les recettes affectées aux régimes de sécurité sociale dans les lois de financement de la sécurité sociale et pas dans les lois de finances, y compris donc les recettes fiscales dès lors qu'elles sont affectées au financement de la Sécurité sociale. Exemples : la CSG, mais aussi les taxes sur le tabac, sur l'alcool, sur l'assurance automobile....

L'autorisation de la perception de l'ensemble des impôts (qu'ils soient affectés au budget de l'Etat ou à la sécurité sociale) pourrait continuer de relever de la loi de finances, conformément aux dispositions de l'ordonnance de 1959. Une autre option serait que chacune des deux lois autorise la perception des impôts relevant de son champ ; elle nécessite une modification des deux lois organiques.

Une meilleure symétrie entre les deux lois de finances et de financement supposerait, en outre, de modifier le contenu de la loi de financement pour rendre les champs de dépenses et de recettes comparables, et peut-être, en dépit du caractère évaluatif de beaucoup de ces dernières, pour y ajouter un article d'équilibre. Enfin, la préparation des deux lois pourrait être mieux coordonnée : cadrage pluriannuel cohérent, procédures mieux articulées, harmonisation des calendriers des deux projets de lois.

II.2 Clarifier les relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale

Cet objectif, que la Cour poursuit depuis plusieurs années dans ses rapports publics sur la sécurité sociale, peut se décliner de multiples façons. Par exemple, les lois de financement ont retenu la liste suivante des recettes : " cotisations effectives, cotisations fictives, contributions publiques, impôts et taxes affectés, transferts reçus, revenus de capitaux, autres ressources ". Or cette présentation est critiquable : la participation de l'Etat au financement de la Sécurité sociale serait mieux présentée si elle distinguait les parties correspondant à la contribution de l'Etat comme employeur (" cotisations effectives "), comme " puissance publique " (" contributions publiques "), ou encore comme gestionnaire des retraites de ses agents (y compris les transferts de compensation supportés à ce titre), et cela même en l'absence actuelle, regrettable, d'un compte des pensions des agents de l'Etat.

Cet effort de clarification pourrait prendre la forme d'un document unique, situé en annexe des deux lois, où l'ensemble des flux financiers entre l'Etat et la sécurité sociale serait retracé dans une nomenclature pertinente. D'une façon générale, une harmonisation des annexes financières des deux lois est souhaitable : ce qui relève exclusivement du financement de la sécurité sociale serait annexé à la loi de financement, ce qui relève exclusivement du financement de l'Etat serait annexé à la loi de finances, ce qui est commun apparaissant dans les deux. Cette annexe viendrait remplacer le document sur "la contribution de l'Etat au financement de la sécurité sociale" prévu par la loi de finances rectificative du 4 août 1995, dont l'établissement par la Direction du Budget, et la publication ne sont pas annuels (pas de document en 1998), et dont le contenu doit être amélioré pour être conforme aux principes qui viennent d'être définis.

Ce souci de clarification doit permettre aussi de disposer d'une vue d'ensemble des financements, et donc s'articuler avec la comptabilité nationale dont les agrégats sont établis sur des champs et selon des concepts différents de ceux des comptes de l'Etat et de la sécurité sociale (on rappelle en effet que les normes du Traité de Maastricht sont exprimées dans les termes de la comptabilité nationale). Cela suppose que des tables de passage soient constituées entre ces différents types de comptes, mais aussi sans doute que les modalités d'évolution et de définition de la comptabilité nationale prennent pleinement en compte les préoccupations des organismes et des ministères concernés.

Enfin, il faut rappeler un point particulier régulièrement évoqué par la Cour : la suppression du BAPSA qui serait un élément de simplification des relations entre l'Etat et la sécurité sociale.

II.3 Les problèmes posés par l'existence de deux systèmes de comptes

Les comptes des régimes de sécurité sociale sont désormais établis en droits constatés. Les comptes agrégés de la sécurité sociale et les lois de financement devraient aussi passer aux droits constatés à brève échéance (vraisemblablement en 2001). Actuellement, les comptes de l'Etat sont établis en encaissement-décaissement.

Cette coexistence de deux systèmes de comptes pose des problèmes particuliers pour le suivi des relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale, puisque les mêmes flux se traduiront par des données différentes dans les comptes de l'Etat et dans ceux de la sécurité sociale. La clarification de ces relations en est rendue plus difficile mais aussi plus nécessaire. La première fois où cette difficulté se produira, sans doute à l'automne 2001, la confusion risque d'être grande et il serait alors peut-être utile que la Cour soit associée à l'élaboration des deux ensembles de données et à celle de leur comptabilité.

Le passage des comptes de l'Etat en droits constatés le plus tôt possible éviterait cette difficulté supplémentaire. Il importe en toute hypothèse que les documents retraçant l'ensemble des flux financiers entre l'Etat et la sécurité sociale permettent un passage entre les deux types de comptes. Enfin, là encore, en toute hypothèse, il serait souhaitable que ces créances et ces dettes constatées à la clôture de l'exercice soient évaluées avec précision et en accord explicite entre les deux parties, l'Etat et les caisses.

II.4 La création de fonds spécifiques pour le financement des dépenses sociales

Le fonds de solidarité vieillesse (FSV), qui rembourse depuis 1994 les dépenses vieillesse non contributives, et le nouveau fonds de réforme des exonérations de cotisations sociales (FOREC), qui rembourse, à partir de 2000, les allégements généraux de cotisations sociales et les aides à la réduction du temps de travail, contribuent à clarifier le financement de la sécurité sociale : en regroupant et isolant des dépenses qui étaient réparties antérieurement entre plusieurs articles du budget de l'Etat, la création de ces fonds va dans le sens d'une meilleure transparence.

En revanche, il est clair que la création de telles structures extrabudgétaires, au moment où elle intervient, introduit une discontinuité dans l'évolution du budget de l'Etat, en lui retirant des dépenses (les transferts aux organismes de sécurité sociale repris par les fonds) et un montant de recettes équivalent. Pour permettre un suivi temporel homogène, il conviendrait que le document évoqué au point 2), annexé aux deux projets de lois, de finances et de financement, et les comptes consolidés mentionnés au point 3) s'étendent à ces fonds. Ainsi, il serait possible de reconstituer les recettes et les dépenses dans le périmètre existant avant la création de ces structures.

Il convient d'évoquer également le Fonds de réserve pour les retraites créé par la loi de financement pour 1999 au sein du FSV (2 ème section) afin de consolider les régimes par répartition. Ce fonds diffère des deux premiers cités (1 ère section du FSV et FOREC) par le fait qu'il n'est destiné à contribuer au financement des dépenses sociales qu'à un horizon lointain, et aussi par ses modalités d'alimentation beaucoup moins précises puisqu'il peut recevoir toute ressource "en vertu de dispositions législatives". Les interférences de la création de ce fonds avec le budget de l'Etat sont moindres que pour les deux autres : il ne reprend aucune dépense ni aucune recette permanente de la loi de finances. Cependant son alimentation est susceptible de poser des problèmes d'articulation avec la loi de finances et la loi de financement.

II.5 Les relations de caisse

Les relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale ne se situent pas qu'aux niveaux précédents, d'organisation et de flux financiers prévus ou constatés entre les deux lois etc. Elles se situent aussi au niveau de la caisse, de la trésorerie. Sans aborder cette question dans son ensemble, il est nécessaire de l'aborder en mentionnant certaines voies possibles d'amélioration.

Le revenu minimum d'insertion (RMI) et l'allocation aux adultes handicapés (AAH), par exemple, sont versés par les caisses d'allocations familiales mais remboursés par l'Etat. Les modalités de ce remboursement sont fixées par la convention Etat-ACOSS du 2 mai 1994 qui prévoit pour ces deux prestations le versement d'acomptes mensuels correspondant au douzième de la dotation inscrite en loi de finances initiale. Dans ce système, les versements de l'Etat en cours d'année peuvent s'écarter assez sensiblement des dépenses réelles des caisses si les dotations initiales ont été mal anticipées dans un sens ou dans l'autre. Les écarts éventuels ne sont régularisés que l'année suivante.

Il conviendrait d'étudier la possibilité d'un remboursement des dépenses effectives, avec le décalage d'un mois ou deux nécessaire à la remontée de l'information sur le montant des prestations.

II.6 Le bilan d'exécution de la loi de financement

Le parallélisme accru de la loi de finances et de la loi de financement, proposé au point 1) ci-dessus ne peut sans doute pas aller, en raison des différences de nature entre les deux lois, jusqu'à créer une loi de règlement de la loi de financement de la sécurité sociale. Cependant, il paraît nécessaire de disposer d'éléments permettant de juger de son exécution et du respect des objectifs et contraintes qu'elle contient. Il est par exemple souhaitable que lors du dépôt du projet à l'automne n pour l'année n+1 figurent en annexe la description et l'analyse de l'exécution de la loi pour n-1 et les comptes définitifs pour l'année n-2. On rejoint ici l'une des missions confiées à la Cour des comptes, chargée d'établir "un rapport sur l'application de la loi de financement", dont elle n'a pu toutefois s'acquitter qu'imparfaitement jusqu'ici en raison d'une information insuffisante ou trop tardive, en particulier de la disponibilité insuffisamment précoce des comptes (à terme de deux ou trois ans, il faudrait qu'ils soient disponibles à la fin du premier trimestre). Ce rapport devrait présenter, en particulier, les écarts entre prévision et réalisation, avec une estimation des différentes raisons des écarts : impact des erreurs de prévision macro-économique, impact des erreurs sur le rendement des mesures qui ont été mises en oeuvre au titre de la loi..

III - Principe de sincérité des comptes publics

" Au-delà de l'introduction d'un principe de sincérité des comptes publics, quelles dispositions pourraient être mises en oeuvre, éventuellement en s'inspirant d'exemples étrangers, pour assurer le respect effectif de ce principe ? "

Le principe -ou mieux l'obligation- de sincérité ne figure pas parmi les règles du droit financier applicable à l'Etat, en France, ni généralement à l'étranger.

La contribution du 30 novembre 1999 de la Cour des comptes aux réflexions sur la révision de l'ordonnance de 1959 propose que l'obligation de sincérité des comptes publics soit introduite dans le texte de l'ordonnance (à l'article 18 probablement).

Requise officiellement dans peu d'Etats, cette obligation s'impose progressivement. Sa reconnaissance dans un texte solennel conduirait à revoir les modalités de sa mise en oeuvre et de son contrôle.

Deux cas de figure différents se présentent, selon que l'on considère les " comptes publics " au sens large ou au sens restreint. Au sens large, il s'agit à la fois de la sincérité de la loi de finances initiale (LFI), c'est-à-dire du budget, des comptes budgétaires exécutés, soumis à l'approbation du Parlement à l'occasion du projet de loi de règlement, et de la comptabilité de l'Etat. Au strict, il ne s'agit que de la sincérité des comptes exécutés. La question de la sincérité peut être traitée a priori ou a posteriori.

La sincérité de la LFI mérite une réflexion approfondie compte tenu de ses difficultés, nombreuses et non négligeables. Il conviendrait d'abord de vérifier si l'hypothèse d'un avis de la Cour des comptes sur les projets de loi de finances est juridiquement recevable, dans la mesure où la constitution dans son article 47-6 précise que la Cour assiste le Parlement et le Gouvernement dans le contrôle de " l'exécution " des lois de finances. Il faudrait préciser le champ de la sincérité. Comprendrait-il la construction même du budget (périmètre et architecture de la loi de finances), l'adéquation des moyens, c'est-à-dire des crédits et des effectifs, aux missions, les hypothèses économiques, financières, fiscales et sociales du gouvernement, qui visent notamment les recettes ? La liste n'est pas exhaustive.

L'appréciation de la sincérité du budget pourrait prendre la forme, soit d'une certification, technique et précise, soit plus probablement celle d'un avis général. La Cour devrait rester dans son rôle d'institution qui " assiste le Parlement et le Gouvernement " ; ses moyens devraient certainement être renforcés, et elle devrait disposer des informations nécessaires en temps et en heure de façon à pouvoir se prononcer utilement. L'avis de la Cour pourrait se situer à différents moments, avant ou après l'adoption du projet de budget par le conseil des ministres.

Les développements qui suivent ne portent que sur la sincérité des comptes de l'Etat au sens strict, objet de la question telle qu'elle est formulée.

III.1 - L'obligation de sincérité des comptes tend à se développer dans les textes et dans la pratique.

III.1.1. L'obligation de sincérité apparaît comme un principe essentiel

a) La situation des comptes publics est variable selon les Etats.

D'un point de vue historique, les Etats ont adopté des présentations juridico-administratives, par ministère et par nature de dépenses (personnel, fonctionnement, investissement), qui, compte tenu de la diversité des traditions, des cultures, des organisations, ont conduit à des systèmes comptables peu homogènes.

Par ailleurs, la sincérité n'est pas traditionnellement un principe constitutif des règles de présentation des comptes publics, qui doivent avant tout répondre à des impératifs de régularité et pouvoir être contrôlés.

De nos jours, la Nouvelle-Zélande et la Grande-Bretagne sont les Etats qui comptent parmi leurs principes d'appréciation de la valeur de leurs comptes, celui de la sincérité.

b) Les exigences plus grandes en matière de transparence conduisent à proposer la possibilité d'introduire l'obligation de sincérité dans la loi.

Dans le domaine de la comptabilité d'entreprise, la sincérité constitue l'une des obligations essentielles en matière de présentation des comptes. Elle figure dans un des tout premiers articles du code du commerce (art. 9, 4ème alinéa : " les comptes doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat... ").

Selon le plan comptable général (PCG), elle est " l'application de bonne foi des règles et procédures, en fonction de la connaissance que les responsables doivent normalement avoir de la réalité " ; elle implique que la comptabilité donne " des informations adéquates, loyales, claires, précises, et complètes " (PCG) : elle repose sur la mise en oeuvre des règles en vigueur et l'établissement de trois documents indissociables (le bilan, le compte de résultat, et l'annexe qui explique les choix méthodologiques effectués).

La comptabilité publique n'ignore pas, non plus, l'obligation de sincérité.

Dans les collectivités territoriales, la sincérité fait déjà l'objet d'une appréciation : un budget ne peut être voté en déséquilibre, un compte administratif ne peut être clos en déficit, des restes à recouvrer ne peuvent être manifestement irréalistes .

Au plan international, la clarté et la transparence comptables représentent des objectifs prioritaires. La plupart des organismes (FMI, ONU, OCDE) reconnaissent qu'une institution indépendante doit se prononcer sur la sincérité des comptes des organisations publiques ; le comité du secteur public de l'International Federation of Accounts (IFAC), a déjà élaboré plusieurs normes comptables (huit au total), qui pourraient constituer le fondement d'un référentiel comptable pour le secteur public non marchand.

L'introduction d'un principe de sincérité dans la loi organique représenterait une réforme majeure, dont l'impact sur le contenu de l'approbation des comptes de l'Etat, donnée par le Parlement, dans le cadre de la loi de règlement, serait important. Concrètement, elle conforterait l'appréciation qui en est faite aujourd'hui.

III.1.2. L'examen de la sincérité des comptes de l'Etat est déjà assuré.

En Grande-Bretagne, le National Audit Office (NAO) a l'obligation de certifier les comptes de tous les ministères. A l'occasion de ces travaux, la loi lui impose de ne pas mettre en question les objectifs des politiques mises en oeuvre.

En France, l'examen de la sincérité est inclus dans le contrôle juridictionnel, à la suite d'une évolution récente du Conseil constitutionnel et de la Cour des comptes elle-même.

a) Le contrôle du Conseil constitutionnel.

L'apparition de la notion de sincérité budgétaire dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel date de 1993. Dans une décision du 21 juin, il a examiné, pour ne pas le retenir, un argument selon lequel la sincérité des recettes de privatisation évaluées dans le projet de loi de finances rectificative était contestable.

Dans la décision du 29 décembre 1994, il a sanctionné, au nom du principe d'unité et d'universalité, mais également pour défaut de sincérité, le transfert de charges permanentes de l'Etat vers le Fonds de solidarité vieillesse.

Depuis lors, l'argument tiré d'une atteinte au principe de sincérité budgétaire a été examiné en décembre de chaque année, par le Conseil, sans être retenu.

b) Le contrôle de la Cour des comptes.

Depuis 1956, la Cour établit chaque année un rapport sur l'exécution des lois de finances pour l'année N-1, dans le cadre la mission qui lui a été confiée par l'article 47 de la constitution, et par l'article L.O 132-1 du code des juridictions financières, qui prévoit que " la Cour des comptes établit un rapport sur chaque projet de loi de règlement ".

Devant obligatoirement accompagner le projet de loi de règlement déposé par le gouvernement, conformément à l'article 36 de l'ordonnance organique, ce rapport procède à une analyse de l'exécution financière de l'année passée. Depuis la loi d'origine parlementaire du 6 novembre 1992, il est transmis en début d'année, avant l'ouverture de la discussion budgétaire de l'année suivante, et sans attendre l'établissement définitif de la déclaration générale de conformité des comptes exécutés.

De plus, la Cour établit la déclaration générale de conformité , qui accompagne le projet de loi de règlement (art.36 de la L.O) ; celle-ci est élaborée au vu du compte général de l'administration des finances, qui agrège l'ensemble des comptes des comptables de l'Etat, produit désormais dès le mois d'avril, et des comptes définitifs des ministres.

La Cour ne manque pas de relever les entorses constatées aux principes et aux règles budgétaires, en signalant au Parlement, par exemple, certaines débudgétisations, des reports de charges et de recettes, des opérations définitives comptabilisées en opérations de trésorerie. A travers les critiques que ces opérations appellent de sa part, la Cour porte une appréciation sur la sincérité de l'exécution budgétaire.

III.2 - L'introduction de l'obligation de sincérité dans la loi organique rendrait plus nécessaire encore la modernisation des comptes de l'Etat et conduirait à transformer la déclaration générale de conformité

Cette obligation ne conforterait pas seulement la démocratie et la transparence financières, ainsi que la portée des considérations faites sur la sincérité ; elle contribuerait concrètement à la modernisation des comptes et à leur contrôle.

III.2.1. La modernisation de la comptabilité de l'Etat devrait être accélérée (Cf. IV ci-après).

Dans le domaine financier, la sincérité s'apprécie par rapport à un cadre objectif : le système des comptes et son référentiel.

a) Le système des comptes devrait être complété.

Le système comptable public fonctionne dans presque tous les Etats sur la base d'une comptabilité de caisse (encaissements/décaissements) : une opération donnée n'est comptée que pour les encaissements et les décaissements intervenus dans l'année. De plus en plus d'Etats instituent une comptabilité en droits constatés, principe de base de la comptabilité commerciale : une opération est comptée dès qu'elle apparaît, pour l'ensemble des produits ou charges qu'elle occasionne, quelle que soit l'année de réalisation. En matière de comptabilité nationale, le conseil européen a décidé en 1996 d'en faire la règle d'enregistrement comptable (dénommé SEC 95) ; il s'y réfère désormais pour apprécier les besoins de financement des Etats et le niveau de leur dette publique, dans le cadre de la surveillance multilatérale des budgets.

La mise en oeuvre de la comptabilité en droits constatés conduit à adopter un ensemble de techniques nouvelles: le mécanisme des provisions, la comptabilisation des stocks, la comptabilisation des immobilisations, la technique d'amortissement, le principe de l'exercice.

Le Royaume-Uni (au-delà des exemples souvent cités de la Nouvelle-Zélande et de l'Islande) est très avancé dans la mise en oeuvre d'une comptabilité en droits constatés et patrimoniale. Le budget pour 2001-2002 sera lui-même présenté sur cette base, à côté de la présentation traditionnelle en caisse.

Pour la France, la secrétaire d'Etat au Budget a annoncé, le 9 février dernier, que le compte général de l'administration des finances pour 1999, publié en avril 2000, comportera une présentation en droits constatés de la gestion de la dette et des recettes.

b) La cohérence de la présentation du budget et des comptes devrait être mieux garantie.

Le recours systématique à la consolidation permettrait de neutraliser l'incidence des débudgétisations, des fonds de concours comptés ou non, des comptes hors budget, qui nuisent évidemment à l'établissement d'une image fidèle. Le périmètre de cette consolidation devrait cependant faire l'objet d'une analyse approfondie, car la frontière est floue.

Pour avoir du sens, cette consolidation des comptes ne devrait pas varier chaque année : elle devrait se faire à périmètre constant , de telle sorte que la cohérence des présentations soit vérifiable de manière permanente.

Les exceptions au principe de l'unité devraient être vérifiées : il paraît aller de soi que l'ensemble des recettes (ex. : le produit des ventes par l'Etat des actions d'une société privatisée) devrait être comptabilisé. S'agissant du hors bilan, les garanties données (ex. : au titre des emprunts, du commerce extérieur) et les engagements (ex. : les retraites) devraient aussi faire l'objet d'une présentation et d'une évaluation, dans une annexe aux comptes.

c) Le référentiel comptable de l'Etat devrait être publié.

Il conviendrait d'affirmer les principes essentiels applicables (indépendance des exercices, permanence des méthodes, importance relative, non-compensation, prééminence de la réalité sur l'apparence, intangibilité du bilan d'ouverture), et d'asseoir le " plan comptable particulier " de l'Etat, tout en tenant compte de ses spécificités (comptes par ministère et consolidation notamment). Bien entendu, ce référentiel devrait être établi en conformité avec les meilleures normes comptables actuellement élaborées au plan international.

III.2.2. La déclaration générale de conformité ( DGC) devrait être redéfinie.

Le cadre de référence comptable précisément établi, l'appréciation de la sincérité devrait également évoluer.

a) L'actuelle DGC n'est pas exempte de critiques.

Selon la loi organique (art. 36), la DGC est établie " entre les comptes individuels des comptables et la comptabilité des ministres ". La réalité n'est pas tout à fait celle là, et les textes d'application sont imprécis.

Le décret de 1962 précise que la DGC est faite entre les comptes des comptables et le compte général de l'administration des finances (art. 150), lui-même défini à l'article 141 comme comprenant la synthèse des comptes des comptables et le développement des recettes et des dépenses budgétaires par ministère .

La loi du 22 juin 1967 (art. 132-1 du code des juridictions financières) ajoute que la DGC est réalisée entre les comptes des comptables et les comptes généraux de l'Etat.

Concrètement, la DGC est établie entre les comptes des comptables, qui relèvent de la Direction générale de la comptabilité publique, et leur synthèse élaborée par l'Agent comptable central du Trésor, qui relève également de cette direction, dans le compte général de l'administration des finances.

Il s'agit donc d'un exercice de vérification de la cohérence formelle de comptes issus du même réseau administratif ; un tel exercice est nécessaire, et la Cour des comptes doit s'assurer de son bon accomplissement, mais il n'est pas suffisant en lui-même pour attester de la sincérité des comptes.

b) La DGC ne peut s'assimiler non plus à une véritable certification des comptes.

- Les textes relatifs à la Cour ne sont pas explicites.

Selon le code des juridictions financières (art. L111-1-2-3), " la Cour des comptes juge les comptes des comptables publics,...elle assiste le Parlement et le gouvernement dans le contrôle de l'exécution des lois de finances,...elle vérifie la régularité des recettes et des dépenses et s'assure du bon emploi des crédits, fonds et valeurs gérés par les services de l'Etat,... ". Il n'est pas prévu que la Cour " certifie " les comptes de l'Etat, c'est-à-dire assure qu'ils sont à la fois réguliers, sincères et donnent une image fidèle (si l'on retient la définition usuelle, en comptabilité privée, de la certification).

Non explicite, ce texte ne paraît pas non plus rédhibitoire. Il existe cependant actuellement deux autres difficultés.

- En l'état actuel de la comptabilité de l'Etat, la certification n'est pas possible.

Dans cette hypothèse, il ne s'agirait pas seulement de vérifier l'exactitude des comptes et la régularité des opérations financières (ce qui est déjà fait, par la Cour des comptes), mais d'assurer, en outre, que les comptes sont sincères et donnent une image fidèle.

La régularité est déjà contrôlée. La sincérité pourrait l'être : il faudrait vérifier que le gouvernement a exprimé, avec vérité, ce qu'il savait au moment de la réalisation du budget, compte tenu des règles en vigueur, de la situation nationale, et des interprétations possibles de la réalité budgétaire par le pays.

En revanche, la fidélité des comptes ne serait pas facile à établir : la Cour devrait dire non seulement si les règles budgétaires et comptables ont été respectées, mais encore si les comptes permettent d'avoir une vision relativement objective de la situation financière de l'Etat et son patrimoine. Or, à l'heure actuelle, la présentation " patrimoniale " des comptes de l'Etat reste trop embryonnaire et ne respecte pas les règles couramment appliquées en la matière.

Ainsi, les comptes de l'Etat ne sont pas aujourd'hui certifiables : la certification serait établie au mieux avec réserve, ce qui donnerait lieu à des débats certainement polémiques.

- Les comptes des comptables sont jugés après l'établissement de la DGC.

L'une des missions essentielles de la Cour des comptes est de juger les comptes des comptables. Or, la Cour est destinataire de ces comptes et de leurs pièces justificatives bien après la réception du compte général de l'administration des finances. En outre, au plan des principes, il n'est pas envisageable que ces comptes soient examinés et jugés dans les délais qui président à l'établissement de la DGC.

c) Toutefois, la DGC peut évoluer de manière substantielle.

L'adoption de l'obligation de sincérité rendrait le statu quo difficilement tenable.

Les efforts engagés pour réduire la durée de la période complémentaire vont permettre d'annexer, à nouveau, au projet de loi de règlement, la DGC et le rapport annuel sur l'exécution des lois de finances.

Plus fondamentalement, au-delà de l'examen des opérations d'exécution auquel elle procède, la Cour devrait se prononcer sur la situation patrimoniale de l'Etat et sur la validité de sa comptabilité, pour autant que celles-ci soient établies selon des principes et des bases qui permettent de le faire.

Une telle novation impliquerait que la Cour soit dotée de moyens pour procéder à un tel contrôle.

Par ailleurs, cette novation conduirait également le ministère des finances à fournir à la Cour les comptes des comptables plus tôt dans l'année (dans l'idéal, et conformément aux textes, l'ensemble des comptes devraient être joints au compte général de l'administration des finances). S'agissant des ordonnateurs, une réflexion pourrait être conduite sur l'établissement et la transmission de leurs comptes, qui ne sont actuellement que des " annexes " des comptes budgétaires établi par le ministère des finances.

Cette réforme obligerait enfin la Cour à faire évoluer ses méthodes de contrôle dans ce domaine : elle devrait procéder toute l'année à des sondages, sur pièces et sur place, pour vérifier la qualité de la tenue de la comptabilité par les ministères.

Dans ces conditions, la Cour pourrait être en mesure d'apprécier si le budget et la comptabilité de l'Etat rendent comptent fidèlement de sa situation financière.

Compte tenu de ce qui a été dit s'agissant de la mission juridictionnelle de la Cour, cette DGC modernisée serait réalisée sans préjuger de l'examen au fond des comptes des comptables effectué ultérieurement.

A terme, la DGC ne se distinguerait guère d'une certification des comptes de l'Etat. Cette pratique nouvelle, qui ne mènerait pas nécessairement à une modification des termes de l'article 36 de l'ordonnance de 1959, conduirait certainement, en revanche, à un travail de normalisation et de précision de la réglementation.

Conclusion

La reconnaissance solennelle d'un principe de sincérité entraînerait la nécessité de préciser les modalités concrètes d'appréciation de ce principe et par voie de conséquence, celle de son contrôle. Une telle réforme contribuerait, à n'en pas douter, à l'amélioration de la transparence et du contrôle des comptes de l'Etat.

IV- Comptabilité publique et système comptable de droit commun

" S'agissant de notre comptabilité publique, quelles sont les dispositions susceptibles d'être élaborées conformément au plan comptable général ou, à l'inverse, celles devant conserver une spécificité ? "

IV.1 - Remarques liminaires

IV.1.1. Ce n'est que dans une période relativement récente que la France a opté pour une organisation des comptabilités basée sur un plan comptable général ( ( * )1) . Dès l'origine un traitement particulier a été prévu pour la comptabilité des organismes publics, et principalement pour celle de l'Etat.

Le premier Plan comptable de l'Etat (PCE) a été mis en oeuvre à partir de 1970, 23 ans après l'adoption du plan comptable général et 10 ans après l'ordonnance relative aux lois de finances. La description du patrimoine y reste limitée ; les dotations, les participations et les créances apparaissent à l'actif du bilan, mais non les immobilisations :les dépenses et les recettes y afférentes sont seulement identifiées parmi les opérations budgétaires ( ( * )2) .

Le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique ( ( * )3) qui avait assigné des finalités ambitieuses à la comptabilité des organismes publics, et donc de l'Etat, n'a été plus complétement mis en oeuvre que par le Plan comptable de l'Etat appliqué à partir de 1988 ( ( * )4) : celui-ci met le système comptable de l'Etat en conformité avec le nouveau PCG introduit en 1982 ( ( * )5) .

Depuis lors, la comptabilité générale de l'Etat (CGE) enregistre toutes les opérations liées tant aux activités budgétaires et à la trésorerie de l'Etat qu'à la gestion des biens qui lui appartiennent. La valeur de ces biens est retracée à l'actif du bilan, selon des modalités spécifiques.

Ainsi, dans son principe, le système comptable de l'Etat constitue une application particulière du droit commun en matière de préparation et de présentation des comptes.

IV.1.2 Le droit commun comptable, en particulier sous la forme du Plan comptable général, est constitué d'un ensemble de principes (sincérité, image fidèle, importance relative, permanence des méthodes, etc...) et de règles de base (organisation, tenue et présentation des comptes) valables pour tous les acteurs économiques, quelque soit leur statut juridique. Les adaptations reconnues nécessaires pour tenir compte des situations spécifiques conduisent à l'élaboration de plans comptables particuliers, qui doivent être publiés.

Le Plan comptable général de 1982 a donné lieu à une nouvelle version officialisée par le règlement n° 99.03 du comité de réglementation comptable, homologué par un arrêté du 22 juin 1999. Une nouvelle adaptation du Plan comptable de l'Etat devient nécessaire : elle pourrait tenir compte de l'évolution sensible des techniques de gestion publique ainsi que des besoins croissants d'informations sur les opérations et la situation patrimoniale de l'Etat.

Au demeurant, il convient d'intégrer dans le système comptable de l'Etat les orientations retenues dans le système européen de comptabilité (SEC 95), en particulier le passage à une comptabilité en " droits constatés ", tout en tenant compte des recomandations émanant des organisations comptables internationales (IFAC-International federation of accountants ) dont les " normes " sont reconnues par le FMI, la Banque mondiale et l'OCDE.

*

* *

Les particularités importantes qui caractérisent l'organisation comptable de l'Etat et qui affectent, dans leur définition même, les règles applicables aux comptes qu'il produit suscitent périodiquement des interrogations quant à leur bien-fondé .

Les deux critiques principales s'articulent comme suit :

- le système comptable de l'Etat comporte des dérogations excessives au " droit comptable " commun et ne remplit pas complétement les objectifs qui lui sont assignés,

- le système comptable de l'Etat ne fournit pas de façon simple et adaptée des informations claires et exploitables sur les coûts de ses diverses fonctions ou missions et ne constitue donc pas un outil efficace pour une gestion publique moderne.

Toutefois , pour chacun de ces griefs, les travaux engagés à partir de 1996-1997 ont conduit le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie à établir un programme de travail sur la modernisation de la comptabilité de l'Etat dont les principales dispositions seront annoncées lors de la publication des comptes de l'Etat pour l'année 1999, qui interviendra avant fin mars 2000.

IV.2 - Des dérogations excessives au droit commun et un respect insuffisant des finalités assignées au système comptable de l'Etat

IV.2.1 Les grands principes énoncés dans le Plan comptable général, en particulier l'obligation de sincérité (voir III ci-dessus) et le principe de permanence des méthodes restent ignorés ou sont mal respectés dans la présentation des comptes de l'Etat. Les règles de droit commun relatives à la séparation des exercices et spécialement les dates de comptabilisation des produits et des charges, sont contredites par l'article 16 de l'ordonnance portant loi organique relative aux lois de finances qui subordonne la prise en compte des recettes et des dépenses à leur enregistrement par un comptable public.

Le principe de séparation des fonctions d'ordonnateur et de comptable, qui constitue une particularité importante des règles de la comptabilité publique a été mis en oeuvre sans qu'aient été définies les modalités précises selon lesquelles les principes comptables de droit commun pouvaient être respectés simultanément. Le passage à une comptabilité en " droits constatés " oblige désormais à réaliser les adaptations nécessaires.

IV.2.2 L'architecture des comptes de l'Etat est caractérisée par la superposition de deux nomenclatures principales

La nomenclature budgétaire découle de l'ordonnance relative aux lois de finances. Celle-ci énumère les cinq catégories de recettes permanentes de l'Etat qui doivent faire l'objet d'une évaluation particulière (art. 3). Elle énumère ensuite les rubriques de dépenses, par titres, parties et chapitres, les désignant ainsi comme les unités fondamentales d'autorisation et d'exécution du budget, valables par ministères ou par organisme gestionnaire assimilé. Alors que la nomenclature de prévision de la LFI 2000 comporte 731 chapitres, l a nomenclature d'exécution , les catégories de crédits en articles et paragraphes, subdivisions du chapitre, et les services utilisateurs, comporte près de 50 000 rubriques, pour le même budget.

Cette structuration des documents budgétaires préserve pleinement, dans son principe, la primauté de l'autorisation parlementaire et permet, de même, d'en assurer le contrôle. Elle conduit cependant à une allocation de moyens, sans lien explicite avec les objectifs poursuivis : dans les " Bleus " budgétaires, seules les " mesures nouvelles " font l'objet de commentaires, généralement succincts.

Il est reconnu, d'autre part, que l'exécution budgétaire est alourdie par les interventions croisées de l'ordonnateur, du contrôleur financier et du comptable. Le respect de leurs compétences règlementaires respectives (principe de séparation des tâches) a été conçu pour assurer la régularité et la sécurité des opérations : cette organisation est souvent considérée comme un frein pour l'efficacité des actions, car elle rend plus complexe, et donc ne favorise pas la transmission des informations utiles entre l'ordonnateur et le comptable. De fait, elle privilégie, voire ne retient que les seules données budgétaires, et non celles relatives à l'ensemble des moyens utilisés (immeubles et équipements notamment).

IV.2.3 - Des codes économiques, issus du système de comptabilité nationale, permettent d'assurer la transcription de toute information figurant sur une rubrique donnée de la nomenclature budgétaire d'exécution dans la nomenclature du plan comptable de l'Etat également appelée, de manière significative, nomenclature de présentation. Cet ensemble de " clefs de passage " entre les deux nomenclatures a donné lieu, jusqu'en 1999, à des divergences d'appréciations entre la Direction du Budget et la Direction générale de la Comptabilité publique. Elles seraient désormais éliminées.

Dans le système en vigueur, la transcription des opérations budgétaires en tableaux de comptabilité générale, notamment pour les opérations retracées en classes 6 (charges), 7 (produits), 1 et 2 (comptes de bilan) n'est effectuée de manière complète qu'une fois l'an, en vue de l'élaboration du compte de résultat, du bilan et du tableau de financement de l'Etat figurant au Compte général de l'administration des finances (CGAF).

Ces documents de synthèse ont pour objet de rendre compte de manière détaillée des résultats de la gestion budgétaire et financière de l'année et de fournir la situation de son patrimoine à la fin de l'année considérée.

Ils sont destinés à fournir des réponses, en principe exhaustives, aux besoins d'information des nombreux interlocuteurs de l'Etat, et en particulier ses prêteurs nationaux et internationaux, ainsi qu'à la Commission européenne et aux Etats partenaires au sein de l'Union Européenne.

Plus aucun de ces interlocuteurs ne se contentant plus d'informations annuelles, et pour répondre aux attentes les plus urgentes des acteurs concernés, l'Etat publie mensuellement :

• une situation du budget de l'Etat

• une situation des opérations du Trésor

Alors que l'Etat a réalisé des progrès considérables dans le calendrier de production et de publication de ses comptes annuels ( ( * )1) les insuffisances signalées plus haut concernant l'exécution budgétaire paraissent modestes au regard des lacunes très sérieuses concernant des volets très importants de la " comptabilité patrimoniale " de l'Etat. Ces lacunes, qui ont été signalées en particulier par la Cour des comptes, en dernier lieu dans le rapport sur l'exécution des lois de finances pour 1998 (pages 14 à 16), concernent notamment :

- le compte 21 - Immobilisations corporelles qui retrace uniquement les immobilisations réalisées à partir de de 1981, en cumulant les paiements constatés dans les budgets annuels. Il est vrai que le solde net ne retrace que la valeur des terrains acquis, à leur coût historique, les autres immobilisations (plus de 1 320 milliards en valeur brute) " amorties à 100 % la même année, par une simple écriture d'ordre ;

- le compte 26 - Dotations, participations et créances rattachées, qui apparait pour une valeur brute de 581 milliards au 31 décembre 1998, déterminée, selon l'expression de la Cour, sur la base de " méthodes frustes et obsolètes " ;

- le compte 41 - Redevables, (353 milliards au 31 décembre 1998) qui retrace plus particulièrement les créances fiscales de l'Etat ( ( * )1) sans distinguer celles pouvant présenter des risques d'irrécouvrabilité ;

Aussi bien, ces insuffisances dans la description de ces éléments de l'actif du Bilan de l'Etat sont largement connues et des corrections très significatives sont apportées à ces divers titres à la fois dans la comptabilité nationale et dans les comptes établis sur la base du système européen de comptabilité (SEC 95) à l'intention, en particulier, des autorités compétentes de l'Union Européenne.

L'un des objectifs prioritaires assignées à la comptabilité de l'Etat, comme des autres administrations publiques, par le règlement général de 1962 (art. 49) à savoir " l'intégration des opérations dans la comptabilité nationale " n'est ainsi respecté que de manière insuffisante.

IV.2.4 - Les comptes arrêtés à fin 1999 vont apporter un premier ensemble des réponses à ces critiques. La situation patrimoniale de l'Etat fera l'objet d'une description plus conforme aux règles applicables, et plus particulièrement sur les points suivants :

- Les charges de la dette seront retracées intégralement en droits constatés, sans impact budgétaire, sauf en ce qui concerne une partie de la dette (OAT  indexées)

- La plus grande partie des immobilisations corporelles feront l'objet d'une évaluation d'ensemble, sur la base d'une valeur estimée en 1996. Les méthodes de valorisation et de traitement comptable seront clairement explicitées et seront affinées ultérieurement,

- Les créances fiscales feront l'objet d'un provisionnement du stock constaté au 1er janvier 1999, avec contrepartie inscrite dans la situation nette, au passif du bilan, le solde net des provisions nouvelles et des reprises de 1999 étant pris en compte dans la détermination du résultat annuel,

- Le compte 26 - Dotations fera l'objet d'une nouvelle estimation, encore partielle, portant sur les entreprises publiques les plus importantes, sur la base de leur bilan consolidé.

A la date de préparation de la présente note, la Cour n'a pas encore connaissance des chiffres qui apparaitront ainsi dans les comptes de l'Etat pour 1999. Elle formulera deux premiers commentaires dans le Rapport préliminaire et des observations détaillées dans son rapport sur l'exécution budgétaire de 1999. Elle précisera en particulier les améliorations à apporter aux nouvelles règles et signalera les autres rubriques appelant des modifications.

D'ores et déjà, il est utile de noter que la démarche engagée consiste à dissocier les règles de présentation et d'évaluation selon que l'on se situe en comptabilité générale (ou patrimoniale) ou en comptabilité budgétaire. Les formules techniques appropriées ont été trouvées, semble-t-il, pour faire apparaître en particulier des provisions sur créances fiscales et des différences d'intégration et de valorisation des actifs immobiliers et financiers sans affecter de manière excessive les résultats de l'année de première comptabilisation.

IV.3 - Un outil encore mal adapté pour une gestion publique moderne

IV.3.1. L'article 53 du règlement général avait posé le principe d'une articulation entre la comptabilité générale de l'Etat tenue sous la responsabilité directe du ministère des finances et les comptabilités analytiques des ministères ( ( * )1)

Dix neuf ans plus tard, tenant compte des perspectives de développement des systèmes informatiques, le décret du 15 avril 1981 relatif à la tenue automatisée des comptabilités de l'Etat a prévu que " l'automatisation des comptabilités analytiques ou de gestion établies pour répondre aux besoins spécifiques de la gestion des services de l'Etat est réalisée par ces services, sous l'autorité du ou des ministères dont ils relèvent ". Le même texte a ouvert la possibilité aux ministères de faire tenir ces comptabilités pour leur compte et selon leurs besoins, par les services du Trésor, en tant que prestataires de services.

La refonte et l'élargissement du Plan comptable de l'Etat intervenus en 1987 ont conduit à une ambitieuse relance de projets conçus pour assurer l'articulation de la comptabilité générale avec les comptabilités analytiques. Toutefois, le progiciel de comptabilité budgétaire conçu et mis en oeuvre par les services du Trésor au niveau central (application SIGMA) n'a pas pleinement répondu aux attentes. Une application mieux conçue (NDL - nouvelle dépense locale) ( ( * )2) a été mise en place, d'abord aux échelons déconcentrés et est, à l'heure actuelle, en cours d'extension aux échelons centraux du Ministère de la Défense.

IV.3.2. Dès 1996, la nécessité est apparue de modifier de manière plus fondamentale le système comptable de l'Etat. L'application SIGMA ne desservant en définitive que la moitié des ministères et ses lacunes étant reconnues, la décision fut prise de doter les services de l'Etat d'un progiciel intégré de comptabilité dénommé ACCORD ( ( * )1) , dont la mise en place doit s'opérer progressivement entre mars 2001 et les années 2002-2003 (selon le programme établi en novembre 1999).

L'objectif central du projet ACCORD est d'assurer :

- une saisie unique de l'information comptable de base (" événement comptable ") en tenant compte d'une définition reconnue du " fait générateur ". Dans la situation actuelle, il y a multiplicité de saisies, selon les intervenants (ordonnateurs, contrôleurs financiers, comptables) et sur la base de faits générateurs différents (engagement, liquidation, paiement)

- des mécanismes automatiques de transcription des informations de base entre les deux nomenclatures principales.

Le système, conçu sur la base des règles existantes, continuera donc de privilégier la nomenclature budgétaire. Mais des présentations selon la nomenclature de comptabilité générale pourront être obtenues sans délai. A l' inverse, les données comptables déterminées périodiquement, en particulier sous la forme d'écritures d'inventaires, seront inscrites directement dans la nomenclature de comptabilité générale. Une articulation simple et fiable pourra donc être assurée avec les nomenclatures de comptabilité analytique que les ministères souhaiteront intégrer dans le système.

IV.3.3 Le programme de travail pour la modernisation de la comptabilité de l'Etat a été établi en particulier pour tirer les conséquences les plus utiles pour une meilleure gestion publique du passage au système de comptabilisation en " droits constatés ".

Les dépenses budgétaires seront retracées en " droits constatés ", dans le cadre du système intégré ACCORD. Celui-ci permettra en particulier des restitutions rapides, selon les périodicités les plus appropriées  avec, en particulier, des reclassements selon la nomenclature des charges par nature de la comptabilité générale.

Il est envisagé d'intégrer dans ces reclassements des éléments de coûts ignorés jusqu'à présent dans les nomenclatures budgétaires, tels que les coûts complets des locaux ou les coûts moyens par catégories d'agents. Des expérimentations seront entreprises sur certains sites, au fur et à mesure du déploiement d'ACCORD. Les ministères, avec l'aide de la DGCP s'ils le souhaitent, pourront réutiliser dans ce cadre leurs applications de gestion.

De son côté, la direction du budget a prévu d'inscrire et de suivre, dans le cadre d'ACCORD, les " agrégats ", qui constituent son approche de la modernisation de la gestion publique : elle aura l'avantage de fournir, selon une même méthodologie, un tableau des coûts, des objectifs et des résultats des actions de l'ensemble des ministères.

Une perspective précise s'ouvre donc de voir se développer des systèmes de gestion, en partie concurrents, permettant de retracer l'ensemble des coûts et de donner une estimation des résultats.

Conclusion

Les travaux engagés dans le cadre du programme de modernisation de la comptabilité de l'Etat devraient permettre de doter l'Etat d'un référentiel comptable cohérent. Il sera utile qu'il soit également établi sur des bases juridiques claires.

Ce référentiel reprendrait, pour l'essentiel, les dispositions générales applicables à l'ensemble des acteurs économiques.Les dispositions particulières, et notamment le plan comptable de l'Etat, seraient élaborés selon une procédure impliquant le Conseil national de la comptabilité ( ( * )1) .

Le système comptable de l'Etat doit nécessairement être aménagé en fonction des missions spécifiques de l'Etat, marquées par la proéminence d'activités non marchandes et par l'exercice de prérogatives de puissance publique pour le recouvrement d'une partie substantielles de ses recettes (impôts et taxes). A l'évidence, la notion de résultat s'écarte de celle qui vaut pour les acteurs économiques relevant du droit commun. L'évaluation des coûts, par mission ou par fonction, doit constituer un objectif essentiel de ce système comptable : il devra être concilié avec la nécessité de disposer d'un outil permettant de suivre fidèlement l'exécution des opérations budgétaires, en dépenses comme en recettes.

La mise au point de ce dispositif, auquel la Cour prévoit de contribuer activement, exigera certainement plusieurs années de travaux .

A une échéance plus rapprochée, s'il est procédé à la révision de la loi organique relative aux lois de finances, la Cour rappelle que les modifications en matière de règles comptables devraient concerner :

• l'article 16 : pour prévoir le passage aux " droits constatés ",

• l'article 35 : pour prévoir également le passage à la comptabilité en " droits constatés " et pour redéfinir les composantes du compte de résultat,

• l'article 36 : pour préciser la liste des annexes accompagnant le projet de loi de règlement.

LISTE DES AUTEURS DE CONTRIBUTIONS ECRITES A LA DEMANDE DU PRESIDENT DE LA COMMISSION DES FINANCES


• M. Michel AURILLAC
, Avocat, ancien ministre, rédacteur de l'ordonnance


• M. Jacques BARROT
, Député de Haute-Loire, ancien président de la commission des finances de l'Assemblée nationale


• M. Jean-Claude BÉCANE
, Secrétaire général du Sénat, M. Jacques RAULINE , Directeur général des Services législatifs du Sénat, et M. Jean-Louis HÉRIN , Directeur du service de la Séance du Sénat


• M. Maurice BLIN
, Sénateur des Ardennes, ancien rapporteur général de la commission des finances du Sénat,


• M. Michel CHARASSE
, Sénateur du Puy-de-Dôme, ancien ministre du budget,


• M. Yves FREVILLE
, Sénateur d'Ille-et-Vilaine, professeur émérite à l'université de Rennes I,


• M. Yann GAILLARD
, Sénateur de l'Aube


• M. Robert HERTZOG
, Professeur à l'université de Strasbourg, secrétaire général de la société française de finances publiques


• M. Philippe MARINI
, Rapporteur général de la commission des finances du Séant, Sénateur de l'Oise


• M. Alain MEAR
, Directeur du cabinet de M. le Président du Sénat


• M. Loïc PHILIP
, Professeur, Président de la société française de finances publiques

COMPTES-RENDUS DES AUDITIONS

Personnalités auditionnées

Page

Jeudi 27 avril 2000

Bulletin de l'audition de M. Pierre JOXE , Premier président de la Cour des comptes, MM. François LOGEROT , Président de la première chambre et Bernard CIEUTAT , conseiller-maître.



237

Mercredi 5 avril 2000

M. Pierre MARIANI , en sa qualité d'ancien directeur de cabinet du ministre du budget (Nicolas Sarkozy)


243

Mme Isabelle BOUILLOT , en sa qualité d'ancienne directrice du budget au ministère de l'économie et des finances

A la demande de l'intéressée, le compte rendu de cette audition ne fait pas l'objet d'une publication



Jeudi 6 avril 2000

M. Christophe BLANCHARD DIGNAC , en sa qualité de directeur du budget au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie


247

M. Loïc PHILIP , professeur de droit à l'université d'Aix-Marseille, président de la société française de finances publiques


252

Mercredi 26 avril 2000

M. Augustin de ROMANET de BEAUNE , en sa qualité d'ancien directeur de cabinet du secrétaire d'Etat au budget (François d'Aubert)



256

M. Jean MASSOT , président de la section des finances du Conseil d'Etat et M. Jacques DELMAS-MARSALET , rapporteur pour les lois de finances



266

Jeudi 27 avril 2000

M. Daniel BOUTON , en sa qualité d'ancien directeur du budget au ministère de l'économie et des finances


269

Mercredi 3 mai 2000

M. Michel PEBEREAU , en sa qualité d'ancien directeur de cabinet du ministre de l'économie (René Monory)


273

Jeudi 11 mai 2000

M. Louis SCHWEITZER , en sa qualité d'ancien directeur de cabinet du ministre délégué chargé du budget (Laurent Fabius)


277

M. Alex MATHESON , chef de division, et M. Jon BLONDAL , administrateur principal du service de la gestion publique de l'OCDE


280

M. Michel AURILLAC , en sa qualité de rapporteur de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959


282

Jeudi 8 juin 2000

M. Jean-Eric SCHOETTL , secrétaire général du Conseil constitutionnel

A la demande de l'intéressé, le compte rendu de cette audition ne fait pas l'objet d'une publication

M. Philippe DELELIS , en sa qualité d'ancien administrateur civil au ministère des finances


287

Jeudi 22 juin 2000

M. Yves FREVILLE , sénateur, professeur émérite à l'université de Rennes I


290

Mercredi 28 juin 2000

M. Raoul BRIET , en sa qualité de directeur de la sécurité sociale, et de M. Dominique LIBAULT , sous-directeur du financement et de la gestion de la sécurité sociale au secrétariat d'Etat à la santé et aux handicapés




302

Jeudi 29 juin 2000

M. François MONIER , en sa qualité de secrétaire général de la commission des comptes de la sécurité sociale


306

Jeudi 15 juin 2000

M. Jean-Jacques FRANÇOIS , trésorier payeur général, responsable de l'Agence comptable centrale du Trésor


309

Bulletin de l'audition de M. Pierre Joxe,

Premier Président de la Cour des comptes, et de
MM. François Logerot, président de la première chambre et Bernard Cieutat, conseiller-maître.

Jeudi 27 avril 2000

Le 27 avril 2000, la commission des finances a procédé à l'audition de M. Pierre Joxe, Premier président de la Cour des comptes, sur l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances.

M. Pierre Joxe a estimé que, depuis longtemps déjà, on avait pris conscience de la nécessité d'une réforme de l'ordonnance portant loi organique de 1959 et s'est ainsi félicité de ce que les commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat réfléchissent sur ce sujet. Il a rappelé que la loi organique sur les lois de finances a été prise par ordonnance, dans le cadre des mesures transitoires prévues par la Constitution de 1958, et a été préparée par des hommes marqués par le contexte de la IVe République, comme la pratique des douzièmes provisoires. Il a constaté que ce texte n'avait pourtant presque pas été modifié depuis quarante ans. Il a voulu souligner qu'il n'appartenait pas à la Cour des comptes de proposer des aménagements à l'ordonnance organique : si une conception extensive de son rôle peut autoriser la Cour à répondre à des questions du Parlement sur ce sujet, ces réponses ne peuvent en aucun cas revêtir le caractère de position officielle de la Cour. Il s'agit d'une participation intellectuelle à un débat dont les termes ne sont pas encore bien fixés.

M. Pierre Joxe a présenté la réforme de l'ordonnance organique autour de trois observations : la péremption du texte, le besoin de précision et celui de comparaison. Il a ainsi fait observer que l'ordonnance organique est périmée pour des raisons de fond : en quarante ans, la France a considérablement changé ; l'Etat se retrouve soumis à des contraintes que l'on ne pouvait imaginer en 1959 ; la loi de financement de la sécurité sociale a bouleversé le champ des finances publiques. Il a souligné la nécessité d'une comptabilité publique modernisée dans le sens d'une plus grande précision, le périmètre des comptes ayant lui aussi considérablement évolué depuis 1959. Il a notamment regretté l'absence d'image consolidée des engagements de l'Etat, du fait de l'absence de comptabilité patrimoniale ou de pluriannualité, et de la multiplication des démembrements budgétaires. Enfin, il a recommandé de s'inspirer, pour l'évolution de notre droit financier et budgétaire, de comparaisons internationales. Il a donné l'exemple du Royaume-Uni et de l'Allemagne, où le problème de la comptabilité patrimoniale est aussi à l'ordre du jour, ou bien de la Suède, où un programme triennal de finances publiques a force de loi.

Il a conclu sur la nécessité d'améliorer la transparence des finances publiques et de faire progresser la sincérité des comptes.

M. Alain Lambert, président, a indiqué que l'intention de la commission des finances du Sénat est de respecter les dispositions constitutionnelles et, dans l'esprit de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, de permettre aux citoyens, par leurs représentants, de constater la nécessité des contributions publiques, de redonner son sens au consentement de l'impôt, à l'autorisation budgétaire et à son respect, bref, de donner à tous une vision complète des finances publiques et, ainsi, de revenir à la source de la légitimité parlementaire.

M. Alain Lambert, président, a rappelé que l'article 47 de la Constitution confiait à la Cour des comptes une mission d'assistance du Gouvernement comme du Parlement. Il a souhaité savoir comment l'on pouvait envisager d'enrichir cette assistance sans provoquer de déséquilibres institutionnels. Il a également voulu obtenir des précisions sur les procédures et les prérogatives dont dispose la Cour des comptes pour se faire communiquer les documents comptables internes des différents ministères. Le président a rappelé que les documents budgétaires ne permettaient pas de connaître le nombre d'emplois publics effectifs, ce qui constitue une lacune essentielle pour l'exercice du contrôle par le Parlement. Il a souhaité connaître les principales conclusions du comité central d'enquête sur le coût et le rendement des services publics. Il a insisté sur l'importance des débudgétisations et a souhaité connaître les propositions de la Cour des comptes pour définir un périmètre constant des finances de l'Etat. Enfin, il a souligné la nécessité de disposer d'une consolidation des dépenses des administrations publiques et des organismes de sécurité sociale.

En réponse au président, M. Pierre Joxe a rappelé que la Cour des comptes disposait de toutes les prérogatives nécessaires afin d'obtenir communication des différents documents budgétaires internes aux ministères. Il a suggéré que la Cour des comptes pourrait être invitée à donner un avis technique sur le projet de loi de finances, tout en soulignant qu'il ne s'agissait pas d'une demande de la Cour. Il a également souligné que la comptabilité patrimoniale de l'Etat, préconisée de longue date par la commission des finances du Sénat, commençait progressivement à être mise en oeuvre, notamment suite au rapport de M. Jean-Jacques François. Concernant le comité central d'enquête sur le coût et le rendement des services publics, il a considéré que ses missions pourraient être exercées directement par la Cour des comptes. Il a indiqué que la circulaire du Premier ministre demandant la réalisation de rapports d'activité dans chaque ministère était inspirée directement des travaux du comité. Il a rappelé que l'évaluation constituait une des faiblesses majeures du système français, cette question soulevant cependant le problème de la distinction entre la critique politique de l'action gouvernementale et l'efficacité de sa mise en oeuvre. Il a souligné les vertus du système américain, où l'auditeur général mène des investigations poussées, qui suscitent des débats importants sur la mise en oeuvre des politiques publiques.

M. François Logerot, président de la première chambre de la Cour des comptes, a rappelé que le contrôle de la Cour sur l'exécution du budget de l'Etat était fortement contraint par le respect des impératifs calendaires. Il a constaté que la déclaration générale de conformité rendue par la Cour des comptes se limitait à une vérification formelle de la conformité des comptabilités des comptables supérieurs du Trésor au compte général de l'administration des finances, et ne constitue donc aucunement une certification des comptes de l'Etat. Il a souligné que les progrès en la matière étaient subordonnés à une amélioration de la présentation comptable de l'Etat. Il a indiqué que la comptabilité de l'Etat ne permettait pas de déterminer exactement l'affectation des dépenses et recettes effectuées en fin d'exercice, ce qui nécessitait un contrôle approfondi de la Cour des comptes sur les opérations en fin de gestion.

M. François Logerot a noté qu'en matière d'emplois publics, une grande divergence existait entre l'autorisation budgétaire accordée par le Parlement et la réalité, ainsi que l'a révélé le rapport récent de la Cour des comptes sur la fonction publique rendu public en janvier. Il a observé que la détermination des emplois effectivement occupés résultait souvent d'un arrangement entre les contrôleurs financiers et les directeurs du personnel des ministères, la compensation budgétaire étant permise par des lignes d'ajustement, dont le contenu et l'utilisation sont difficiles à déceler. Il a ensuite présenté les pistes de réflexion de la Cour des comptes afin de garantir un meilleur respect de l'autorisation budgétaire donnée par le Parlement. Concernant les dépenses de personnel, il a suggéré que l'autorisation porte sur des dotations plus globalisées, et que les procédures de transformation d'emplois soient assouplies afin de permettre des ajustements en cours d'année. Il a rappelé que la Cour des comptes décrit depuis plusieurs années les débudgétisations dans ses rapports annuels, dont les structures de défaisance constituent l'un des exemples les plus flagrants. Il a estimé qu'une présentation consolidée des comptes de l'Etat permettrait d'amoindrir les effets de ces débudgétisations.

M. François Logerot a considéré que la notion de charges permanentes de l'Etat ne devait pas être abandonnée, mais formulée différemment au vu de la configuration actuelle du budget de l'Etat. Par exemple, de nombreux fonds de concours, dont l'incidence financière n'apparaît qu'en exécution, devraient en effet être réintégrés dans le périmètre des charges permanentes. S'agissant de la distinction entre investissement et fonctionnement, il a estimé qu'elle permettrait une présentation plus lisible des opérations budgétaires, en faisant apparaître l'intégralité des ressources permettant d'atteindre l'équilibre. En effet, l'autorisation générale d'emprunt accordée par le Parlement ne permet pas à celui-ci de connaître avec précision les ressources prévisionnelles d'emprunt de l'Etat, comme cela peut être le cas pour les collectivités locales.

M. Bernard Cieutat, conseiller-maître, a considéré que la modernisation de la comptabilité publique constituait un enjeu central, les comptes de l'Etat dérogeant à l'excès aux règles comptables de droit commun. Il a estimé que, de ce fait, les processus d'évaluation de l'efficacité de l'Etat se trouvaient sérieusement entravés. Il a préconisé un rapprochement des règles de la comptabilité publique avec celles de la comptabilité générale en insistant sur la nécessité, d'une part, d'instaurer une comptabilité en droits constatés et, d'autre part, d'établir une annexe à la loi de finances contenant des informations sur le " hors-bilan " de l'Etat et sur les modifications de méthode comptables éventuellement appliquées. Il a enfin observé que le Gouvernement avait pris quelques engagements en ce sens et que la Cour des comptes serait appelée à examiner les conditions de leur mise en oeuvre dans le compte général de l'administration des finances pour 1999 qui vient d'être établi.

M. Jacques Oudin a d'abord rappelé qu'une pratique intéressante de rationalisation des choix budgétaires s'était autrefois instaurée au cours de plusieurs exercices successifs, qui avait eu pour heureux effet de déboucher sur la confection de budgets de programmes par ministère. Il s'est interrogé sur les raisons pour lesquelles cette saine méthode avait, depuis, cessé.

Ayant illustré les effets néfastes des défauts d'évaluation des politiques publiques par l'exemple de la sécurité maritime, il a déploré l'absence de toute culture d'évaluation dans la sphère publique. Il a alors observé que la multiplication des mises à dispositions de fonctionnaires vidait de son sens l'autorisation parlementaire donnée en matière d'emplois publics et a suggéré de mieux encadrer ces pratiques dans la loi organique. Ayant jugé qu'une présentation du budget de l'Etat à l'équilibre accroîtrait sa transparence il a souhaité en ce sens que soient mieux prises en compte les finances des démembrements de l'Etat, ainsi que les exigences d'une comptabilisation sincère des opérations.

M. François Trucy , après avoir dénoncé l'opacité des documents budgétaires et les lacunes de la procédure d'examen des lois de finances au Parlement, s'est demandé comment y remédier.

M. Pierre Joxe, Premier président , a indiqué qu'une discussion parlementaire axée sur les politiques publiques serait de nature à renouveler l'intérêt de l'examen du budget par le Parlement. Il a ajouté que, plutôt que d'interdire les mises à disposition de fonctionnaires il convenait de les encadrer et d'en faire rendre compte.

M. Maurice Blin a abondé dans le sens des propos tenus sur l'opacité budgétaire de l'Etat. Il a suggéré que les réformes éventuellement apportées à l'ordonnance puissent s'appuyer sur les modèles étrangers, insistant pour que soit recherchée une conciliation entre les droits du Parlement et la souplesse nécessaire à tout gouvernement.

M. Michel Charasse ayant rappelé que la réforme de l'ordonnance était en chantier depuis sa naissance sans avoir jamais abouti, s'est inquiété de la faisabilité d'un tel projet. Il a estimé qu'il ne devait pas s'agir de mettre en cause les dispositions constitutionnelles et en particulier celles conférant au Gouvernement l'initiative en matière de lois de finances, ou encadrant l'initiative parlementaire en matière de dépenses. Il a alors considéré qu'en revanche il convenait de se pencher sur plusieurs dispositifs. Il a d'abord dénoncé les pouvoirs excessifs donnés au Gouvernement par l'article 4 de l'ordonnance en matière de taxes parafiscales. Il a ensuite évoqué la présentation de la loi de finances, la répartition des crédits, l'information donnée en matière d'emplois publics, certaines affectations comptables, le formalisme des règles aisément contournées tels la spécialisation et le caractère limitatif des crédits ou la règle du service fait comme autant d'aspects à examiner soigneusement. Il a alors suggéré de s'interroger sur les causes des nombreuses infractions à l'ordonnance portant loi organique, afin d'en déterminer les raisons profondes et d'identifier les règles qu'elle comporte susceptibles de nuire à l'efficacité de l'Etat.

Il a indiqué que plusieurs des dispositions du règlement relatif à la comptabilité publique pourraient utilement figurer dans l'ordonnance portant loi organique. Il a enfin insisté sur la relativité de la portée des textes juridiques, dès lors qu'un contrôle " a posteriori " rigoureux n'était pas effectué par les parlementaires. Evoquant son action de rapporteur spécial en la matière, il a estimé qu'elle pourrait être démultipliée si davantage de moyens lui étaient accordés. Il a alors préconisé que la mission d'assistance du Parlement par la Cour des comptes puisse être plus effective, estimant que la création, au sein de la Cour, d'une chambre dédiée à l'assistance au Parlement pourrait constituer un progrès en ce sens.

M. Jacques-Richard Delong s'est demandé si l'instauration d'un avis de la Cour des comptes sur le projet de loi de finances ne pourrait pas constituer une contrainte supplémentaire pour le Parlement.

M. François Logerot a répondu aux différents orateurs. S'agissant des rôles respectifs de l'exécutif et du législatif en matière de discussion des lois de finances, il a estimé que la Cour n'avait pas à prendre position sur ce qui relève de l'équilibre institutionnel de la Ve République. Il a considéré qu'il fallait en réalité ne revoir dans l'ordonnance portant loi organique que ce qui n'est plus adapté, et n'y rajouter que ce qui y manque : par exemple, tirer les conséquences de la création de la notion de prélèvement sur recettes. Il a estimé que certaines dispositions de l'ordonnance auraient peut-être été censurées par le Conseil constitutionnel s'il avait eu à en connaître. A propos des budgets de programme, il a fait remarquer que si cette expérience n'a pas eu de suite durable, elle n'a pas non plus empêché le Gouvernement de faire des efforts de présentation budgétaire, notamment par le biais des agrégats, même si ceux-ci recouvrent plus des structures que des politiques. Il a indiqué à M. Michel Charasse qu'il transmettrait à M. Pierre Joxe l'idée de créer une chambre spécialisée de la Cour pour répondre aux demandes d'enquêtes des parlementaires. Enfin, sur l'avis technique rendu par la Cour des comptes sur les projets de loi de finances, il a estimé que cette proposition, qui constituerait une nouveauté considérable dont on ne mesure pas encore bien les conséquences, ne pourrait se faire convenablement qu'en permettant à la Cour d'accéder aux dossiers préparatoires d'élaboration des lois de finances.

M. Bernard Cieutat est revenu sur la question de la distinction entre une section de fonctionnement et une section d'investissement, pour se déclarer favorable à cette évolution, tout en restant réservé sur des règles d'équilibre séparées et contraignantes qui relèvent de choix politiques. Enfin, il a estimé nécessaire de consolider davantage les comptes entre l'Etat et ses démembrements que constituent bon nombre d'établissements publics à ressources affectées.

Audition de M. Pierre Mariani,

en sa qualité d'ancien directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy,
ancien ministre du budget

Mercredi 5 avril 2000

Après avoir rappelé qu'il avait quitté ses fonctions de directeur de cabinet du ministre du budget il y a plus de cinq ans, Monsieur Pierre Mariani a fait observé que si la Constitution avait beaucoup évolué ces dernières années, l'ordonnance de 1959 relative aux lois de finances n'avait connu que des retouches très peu nombreuses. Il a fait le constat qu'elle n'était plus guère adaptée, ni aux réalités du ministère des finances, ni aux légitimes demandes du Parlement.

Il a énuméré trois séries de questions : le processus d'élaboration du projet de loi de finances, son contenu, et enfin le rôle de l'ordonnance de 1959 relative aux lois de finances dans la gestion du budget de l'État.

S'agissant de l'élaboration du projet de loi de finances, Monsieur Pierre Mariani a expliqué que les délais imposés par l'ordonnance engendraient un très fort décalage dans le temps entre la prise de décision politique - fondée sur les études de la direction de la prévision et celles des organismes indépendants - relative aux indicateurs économiques (taux de croissance, taux d'inflation etc...), et l'exécution du budget. Une erreur de prévision a des conséquences durant plus de deux ans. Elle se répercute sur l'exécution de la loi de finances en premier lieu, puis sur le ou les collectifs budgétaires, dans la loi de règlement et enfin dans la préparation de la loi de finances de l'année suivante.

Il a ensuite expliqué en quoi le contenu du projet de loi de finances ne donne plus de vision d'ensemble des finances publiques. De ce point de vue, la situation pourrait même se comparer à celle de la fin de la quatrième République lorsque l'éclatement des textes financiers ne permettait plus d'appréhender le budget de l'Etat dans sa globalité. Cette situation concerne notamment la loi de financement de la sécurité sociale et de la loi de finances.

Monsieur Pierre Mariani est alors revenu sur l'actualité récente. Reconnaissant qu'en matière de prévision l'aléa est tout à fait normal, il a relevé qu'à l'automne dernier l'existence d'une " cagnotte ", pourtant observable dès le mois de juin dans les documents relatifs à la situation de trésorerie de l'état publiés mensuellement par le ministère de l'économie et des finances, n'a pas été officiellement confirmée par le gouvernement. Ce dernier n'a pas réévalué les recettes du projet de loi de finances, sans doute dans la crainte de voir ce supplément immédiatement dépensé. Il a observé que cette attitude compréhensible, avait finalement conduit le gouvernement à annoncer des mesures financières en marge du cadre de la discussion du projet de loi de finances, ce qui n'est pas satisfaisant.

Répondant au Président Alain Lambert qui s'étonnait du manque de débat sur les prévisions macro-économiques retenues par le gouvernement, Monsieur Pierre Mariani a relaté ses expériences en la matière. Il a indiqué qu'au cours de l'exercice 1988-1989, le surplus de recettes avait été tout à fait inattendu ; de fait les prévisions avaient été élaborées au moment du krach boursier de Wall Street d'octobre 1987, rien ne laissait penser à cette date que la conjoncture serait aussi favorable. En 1992, la discussion du projet de loi de finances pour 1993 avait clairement fait ressortir la fragilité des hypothèses économiques retenues, cet écart étant aggravé par la crise monétaire de l'automne obligeant à des révisions sans précédent de l'exécution du budget 1993. Il a rappelé que les décisions finales relatives au choix des hypothèses économiques relevaient d'un choix politique du gouvernement. Répondant au Président Alain Lambert qui l'interrogeait sur l'action que pourrait mener le Parlement en la matière, il a cité la solution adoptée par le Congrès américain qui s'est doté d'un Office of Management and Budget (OMB) capable de produire des prévisions de façon indépendante du pouvoir exécutif, ou à tout le moins de mieux contrôler celui-ci.

Pour autant, l'ouverture d'un débat sur les hypothèses et les prévisions économiques ne suffit pas à garantir l'exactitude de la prévision de recettes. En effet, la prévision dans ce domaine ne se résume pas à un calcul strictement mathématique. Ainsi, notre système fiscal amplifie, à la hausse comme à la baisse, les évolutions économiques. S'agissant des prévisions de recettes, il a expliqué que si le rendement de l'impôt sur le revenu était assez simple à estimer, l'élasticité de la taxe sur le valeur ajoutée (TVA) par rapport à la croissance restait-elle, difficile à apprécier. Il a également cité la difficulté des estimations de rendement de l'impôt sur les sociétés, compte tenu notamment de son mode de détermination (avec la possibilité de report en arrière des pertes par exemple) et de ses modalités de recouvrement - en période de retournement de conjoncture. Son produit peut varier fortement de façon difficilement prévisible. Depuis 1992, les seules fluctuations de l'impôt sur les sociétés expliquent la majeure partie des écarts de recettes constatés en fin d'exercice.

Monsieur Pierre Mariani a de même fait remarquer que les dégrèvements d'impôts - traités en moindres recettes, et non en dépenses, ce qui est contestable - constituent également l'une des difficultés de l'évaluation.

Monsieur Pierre Mariani a alors développé le thème de l'universalité des recettes et s'est interrogé sur le contenu même du budget. Il s'est prononcé en faveur d'une intégration des comptes spéciaux du trésor, des budgets annexes et des comptes de prêts au sein du budget général. Il a ainsi expliqué que certains budgets annexes pourraient être transformés en établissements publics, voire purement et simplement supprimés pour être réintégrés dans le budget de l'Etat.

Il a cité en exemple le budget annexe des prestations sociales agricoles (BAPSA), qui perçoit une subvention du budget général. D'un point de vue juridique, il a observé que cette subvention était votée deux fois par le Parlement : une fois lors de l'examen des crédits des ministère, puis une seconde fois au cours de l'examen du BAPSA.

Il a souligné le caractère désuet de certains comptes - les comptes de prêts et d'affectation spéciale par exemple - et a plaidé pour une globalisation de la discussion des comptes publics suivant la présentation qui en est faite au niveau des instances européennes.

De même, il a souligné l'anomalie que constitue l'absence de prévision des recettes de fonds de concours dans le projet de loi de finances, ainsi que de leur contrepartie dans les budgets des différents ministères. Il a confirmé que ces instruments constituaient le moyen pour certains ministères de s'affranchir des contraintes de la discussion budgétaire et de se garantir des moyens financiers dédiés en dehors de tout véritable contrôle parlementaire. Il s'est interrogé sur l'opportunité de discuter simultanément le budget et la loi de financement de la sécurité sociale.

S'agissant des liens entre loi de finances et pilotage de l'Etat, il a fait observer que l'ordonnance de 1959 constituait, dans certains de ses aspects, un frein à la modernisation de l'Etat. Ainsi, la notion d'emploi public ne permet pas de donner aux dirigeants des grandes administrations la possibilité de gérer leur personnel de façon optimale. Il a plaidé pour une réforme en profondeur qui autoriserait non plus un nombre d'emplois, rigidifié dans des cadres distincts, mais une enveloppe représentant une masse salariale dont la gestion serait libre. Indépendamment de l'ordonnance de 1959 relative aux lois de finances, il indiqué qu'à son sens la réforme du statut de la fonction publique et notamment des régimes de retraites était l'un des enjeux les plus importants des prochaines années.

Abordant, à la demande du Président Alain Lambert, la question des services votés - qui représentent à eux seuls plus de 90 % du budget de l'Etat - il a incité le Parlement à user de son droit de voter des mesures nouvelles négatives. Le Président Alain Lambert - faisant référence aux deux contre-budgets récemment bâtis par la commission des finances du Sénat - a objecté que ce type d'amendement donnait lieu à des discussions confuses, qui n'aboutissaient pas à des mesures significatives et ne constituaient pas une avancée pour le débat démocratique. De plus, leur influence sur le solde budgétaire est quasi nulle. Il a émis l'idée d'effectuer un contrôle annuel sur l'ensemble des crédits d'un ou de plusieurs ministères. Il a souhaité que la représentation nationale puisse fixer un montant global des services votés, laissant le soin au pouvoir exécutif de répartir entre les ministères l'enveloppe ainsi déterminée.

Monsieur Pierre Mariani a, lui, défendu l'idée d'une redéfinition du terme " services votés ". Une définition moins large laisserait au Parlement une plus grande latitude. Il a suggéré d'en exclure certains titres ou chapitres budgétaires.

Interrogé sur l'opportunité de présenter le budget en deux sections, d'investissement et de fonctionnement, il s'est dit d'accord avec cette idée. Il conviendrait alors d'intégrer dans la section de fonctionnement les amortissements correspondants, voire de généraliser le mécanisme de provisionnement de certaines dépenses, par exemple les pensions des fonctionnaires. Il a jugé souhaitable de revoir les titres budgétaires et de prévoir un débat sur la trésorerie, ainsi que de présenter de façon uniforme les lois de finances de l'année et les lois de règlement. La France, pour gérer les emprunts pourrait s'inspirer de l'exemple américain qui prévoit un plafond annuel d'autorisation d'emprunt, au-delà duquel l'exécutif doit se présenter au Congrès afin d'obtenir une nouvelle autorisation.

Pour conclure, il a expliqué que l'ordonnance de 1959 relative aux lois de finances constituait la version ultime de la conception juridique du budget de l'Etat. Inspirée d'une philosophie ancienne, elle ne transcrit plus la réalité du budget d'aujourd'hui. Il est difficile de demander à la procédure budgétaire d'être à la fois un instrument économique, ce qu'elle doit être étant donné le poids du budget, et un outil de gestion. Il a constaté que la culture du secret restait très présente au ministère des finances même si la transparence est totale entre l'administration et le ministre dont elle dépend. Le débat récent démontre avant tout la nécessité d'un contrôle parlementaire accru. Il a déploré que l'épisode de la " cagnotte " ait révélé le dessaisissement du Parlement en matière fiscale.

Audition de M. Christophe Blanchard-Dignac,

directeur du budget au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie

Jeudi 6 avril 2000

M. Christophe Blanchard-Dignac a tout d'abord souligné que, contrairement aux idées reçues, les mesures réglementaires et notamment les annulations de crédits étaient restées stables, en montant, depuis bien longtemps. Il n'a noté qu'une seule exception, l'année 1995. Il en a conclu que le pouvoir exécutif n'abusait donc pas des prérogatives que lui confère l'ordonnance.

La diminution des comptes spéciaux - 36 aujourd'hui contre 400 environ sous la IV ème République - illustre la volonté des gouvernements successifs de restreindre l'utilisation des procédures dérogatoires.

Les principes de l'ordonnance de 1959, relative aux lois de finances, n'ont n'y favorisé ni nui à une politique budgétaire vertueuse.

Si, durant les dix premières années de son application, la politique budgétaire a été rigoureuse, la crise pétrolière de la décennie soixante-dix a engendré de fortes perturbations. Depuis lors, avec ou sans l'ordonnance de 1959 relative aux lois de finances, la situation budgétaire s'améliore. Tout au long de ces années, elle a permis, et c'était l'un de ses objectifs prioritaires, le vote du budget par le Parlement en temps et en heure - à l'exception du budget de 1980. Elle a donc prouvé son efficacité.

Depuis 1974 et la saisine automatique du Conseil constitutionnel, une jurisprudence abondante complète l'ordonnance de 1959 relative aux lois de finances.

M. Christophe Blanchard-Dignac a, à ce sujet, remarqué qu'elle avait donné lieu à quelques innovations, entre autre le principe de " sincérité budgétaire ", ce qui ne va pas sans entraîner des difficultés car le Conseil constitutionnel n'a pas précisément défini le contenu et la portée de ce principe.

Il a vu quatre défis pour ce texte très complet et pas toujours appliqué (il a pris l'exemple de l'article 1 er ).

• Le premier défi concerne l'adaptation du système actuel à l'environnement européen, même si la France possède le texte solennel le plus développé.

Le SEC 95, règlement européen contrôlé par Eurostat, retraite l'ensemble du budget selon la norme européenne. Ainsi, la commission européenne vérifie la conformité de la loi de finances avec les règles supranationales (par exemple les 3 % au plus de déficit budgétaire) et organise la transmission et la publication des informations budgétaires.

Si l'ordonnance de 1959 relative aux lois de finances devait modifier la forme du projet de loi de finances, il serait opportun de s'interroger sur la prise en compte dans les règles de présentation, de ces normes européennes (comptabilité en droits constatés, consolidation des finances publiques, intégration des structures de défaisance dans les comptes publics).

• Le deuxième défi consiste, selon M. Christophe Blanchard-Dignac, à instaurer la coordination entre la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale.

Le projet de loi de finances détermine un plafond de dépenses, est examiné au fond par les commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat, autorise les recettes et prévoit l'équilibre.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale, lui, fixe un objectif de dépenses, est examiné par la commission des affaires sociales, établit une simple prévision de recettes et ne détermine pas d'équilibre car les branches (famille, maladie, etc.) sont comptabilisées séparément.

M. Christophe Blanchard-Dignac a estimé que deux aspects au moins nécessitaient une correction : il est indispensable d'établir une synthèse des prélèvements fiscalo-sociaux et non moins indispensable de faire une présentation complète des divers fonds " sociaux " (CMU-FOREC, etc.).

• Le troisième défi consiste à s'adapter à une demande croissante de la société en matière de transparence. Sur ce sujet, M. Christophe Blanchard-Dignac a jugé la pratique en retard sur l'exigence. Il a toutefois estimé qu'il ne fallait pas confondre la notion d'autorisation budgétaire - qui correspond à une obligation de moyens -avec celles de la comptabilité- qui répondent à une obligation de résultat.

Dans le premier cas, il s'agit de présenter des prévisions en cohérence avec les hypothèses économiques ou budgétaires ; dans le second, il convient de vérifier que les comptes sont établis selon les règles applicables.

•  Enfin, le dernier défi aux yeux de M. Christophe Blanchard-Dignac relève de la modernisation de la gestion publique et plus particulièrement la mesure des résultats de l'action publique. Il a estimé que le rapport annuel de la Cour des comptes, instrument de cette reddition des comptes, ne répondait pas encore aux exigences actuelles.

Il a considéré que des progrès sensibles pouvaient être réalisés à l'aide d'un simple décret d'application de l'ordonnance de 1959 relative aux lois de finances, mais que la plupart des améliorations envisageables ne nécessitaient aucune modification des textes.

La modernisation de la gestion publique soulève plusieurs questions : le contour de l'autorisation parlementaire avec l'appréciation de la spécialité budgétaire ; l'intérêt de définir un statut budgétaire d'agence, intermédiaire entre l'inscription budgétaire classique et l'autonomie juridique d'un établissement public ; la nécessité d'une impulsion forte du contrôle parlementaire.

Pour conclure, M. Christophe Blanchard-Dignac a estimé que la réforme serait longue et qu'elle se doit d'être fouillée afin d'aboutir à un nouveau texte de longévité comparable à l'actuel. Abordant l'actualité récente, il a jugé en revanche indispensable d'améliorer rapidement la transparence.

En réponse au Président Alain Lambert, qui regrettait le manque de communication entre les parlementaires et les services du ministère des finances, M. Christophe Blanchard-Dignac a rappelé que la direction du budget était une administration au service du ministre des finances. Il a indiqué qu'il n'était pas possible que cette administration de 232 personnes puisse -au-delà de la reddition des comptes qui est une obligation normale- constituer également une force d'expertise au service du Parlement. Il appartient donc à celui-ci, s'il le souhaite, de se doter de ses propres équipes techniques. Il a également souligné qu'une plus grande transparence était possible sans qu'il soit besoin de réformer l'ordonnance. Il a cité l'exemple de la publication mensuelle de l'exécution budgétaire décidée par M. Jean Arthuis  -à l'époque ministre des finances- et des travaux engagés en vue de la mise en place d'une comptabilité patrimoniale de l'Etat.

Il a fait remarquer que la pratique budgétaire avait évolué depuis les progrès de l'intégration européenne. Un programme annuel des finances publiques est désormais notifié à Bruxelles ; il est suivi d'un rendu des comptes. Ces documents ne font pas l'objet de débats au Parlement. S'il a reconnu que l'exercice désormais annuel du débat d'orientation budgétaire constituait une avancée, il a regretté l'intérêt limité qu'il suscitait auprès de l'opinion publique. Une réflexion sur la date de ce débat pourrait s'avérer nécessaire.

Reconnaissant que notre pays ne savait pas encore évaluer réellement la qualité de la dépense, M. Christophe Blanchard-Dignac a observé que la France se situait dans une position médiane au plan mondial s'agissant des règles de transparence.

Il a expliqué qu'à la demande de M. Christian Sautter, ancien ministre des finances, tous les ministères devront être en mesure dans les documents budgétaires de répondre, d'ici à 2002, à quatre questions sur chacun de leur agrégats budgétaires :

l Quelles sont les missions ou actions conduites dans le cadre de ces agrégats ?

l Quel en est le coût ?

l Quels sont les objectifs poursuivis ?

l Quels sont les résultats obtenus ?

Il a expliqué qu'au terme de ce processus, il serait possible d'enrichir la budgétisation traditionnelle fondée sur les moyens par une démarche axée sur la performance et l'efficacité de l'action publique.

S'agissant d'une présentation basée sur deux sections  -investissements et fonctionnement- il a jugé l'exercice possible sans y être favorable. Il a fait remarquer que la " règle d'or " était pratiquée en Grande-Bretagne, et qu'elle était assortie, d'une part d'une correction en fonction du cycle, d'autre part, d'un plafonnement de l'endettement public. Il s'est déclaré favorable à cette dernière mesure pour son caractère pédagogique. A titre d'exemple, il a expliqué que pour que le ratio d'endettement de l'Etat revienne au niveau qui était le sien au moment de l'entrée dans l'UEM, il faudrait que le budget de l'Etat soit en équilibre en 2003.

M. Christophe Blanchard-Dignac a ensuite indiqué que tout en conservant une comptabilité de caisse, la direction de la comptabilité publique allait éclairer les comptes en appliquant la méthode des droits constatés. Dès 1999, les droits constatés s'appliqueront aux recettes (en intégrant une provision pour non recouvrement), et à la dette ; une remise en ordre serait opérée dans le compte des participations (compte 26). Le passage de l'ensemble des charges en droits constatés s'effectuera au fur et à mesure du développement d'un projet informatique en cours (projet ACCORD).

Il a expliqué que des standards internationaux étaient en cours d'élaboration et qu'il y était particulièrement attentif.

Le Président Alain Lambert a redit que si l'intention des parlementaires n'était pas de dépenser plus mais mieux, ils souhaitent, pour des raisons techniques, réformer les services votés. M. Christophe Blanchard-Dignac en a rappelé l'utilité si le budget n'est pas voté dans les délais (procédure d'urgence prévue à l'article 47 de la Constitution) mais s'est déclaré favorable à leur remise en cause. Il a souligné qu'il ne fallait pas confondre technique de vote et technique d'examen : s'il y avait autant de services votés que de ministères, les votes seraient trop nombreux.

Il a insisté sur le fait que la rigidité du budget de l'Etat ne permettait guère le débat, avec ou sans les services votés. Il a expliqué qu'il faudrait revoir toutes les dépenses au premier franc et non pas seulement celles qui évoluent. Il s'est déclaré favorable à une gestion souple et une autorisation stricte des emplois publics.

En réponse au Président Alain Lambert, qui s'interrogeait sur l'opportunité pour le Parlement de donner une autorisation globale à l'exécutif, une sorte d'enveloppe, M. Christophe Blanchard-Dignac a rappelé que la plupart des pays votent de vrais plafonds limitatifs pour des dotations importantes. Les mesures de régulation budgétaire - qui résultent notamment du cloisonnement de l'autorisation budgétaire - et la reddition des comptes sont des opérations différentes de l'élaboration du budget. La budgétisation doit être sincère, l'exécution souple, et la reddition des comptes détaillée et rapide afin d'apporter au citoyen les informations auxquelles il peut légitimement prétendre.

Enfin, il a plaidé pour que les relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale soient retracées dans un article de la loi de finances et fassent l'objet d'un " jaune " budgétaire unique.

Audition de M. Loïc Philip,

professeur de droit à l'Université d'Aix-Marseille,
président de la Société française de finances publiques

Jeudi 6 avril 2000

M. Loïc Philip a tout d'abord rappelé que la question de la réforme de l'ordonnance organique de 1959, relative aux lois de finances, se posait depuis plus de 40 ans, c'est-à-dire depuis l'origine. Dès la première discussion budgétaire, l'ordonnance a suscité de vives critiques de la part, notamment, de M. Pleven qui contestait le principe du vote unique des services votés. Par la suite, plus de vingt propositions de réforme ont été déposées, successivement par MM. Pellenc, Dejean, Gantier, Dailly, Pfimlin, Blin, Foyer, Vivien, Bonnefous, Chupin, Fabius, Taittinger, Gamboa, Alphandery, d'Ornano, Millon, Gerbaud, Pandrau, de Villiers, Sarkozy et d'autres encore.

Les projets de modification de cette " Constitution financière de l'État " n'ont donc pas manqué. Pourtant seuls deux changements mineurs ont été apportés au texte d'origine : l'un à l'initiative du Sénat afin de porter le délai d'examen des projets de lois de finances en séance publique devant la Haute assemblée de quinze à vingt jours (en 1971), l'autre afin de mettre l'ordonnance organique en conformité avec la réforme constitutionnelle instituant la session unique (en 1995). Ceci montre bien les difficultés qui existent pour modifier ce texte.

M. Loïc Philip n'estime une réforme possible que si trois conditions sont réunies : une bonne concertation entre les deux chambres, un accord entre la majorité et l'opposition et une participation active de la direction du budget du ministère de l'économie et des finances.

Il a ensuite considéré que trois types de réformes étaient envisageables : la plus ambitieuse se traduirait par une refonte totale du texte et une réécriture de pratiquement tous les articles, une deuxième solution consisterait à opérer une réforme ponctuelle sur certains points limités, enfin on pourrait se limiter à un simple toilettage du texte.

Une réforme profonde lui paraîtrait souhaitable pour deux raisons : d'une part, la nécessité de mieux coordonner la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale, d'autre part, la nécessité d'assurer une meilleure lisibilité et une plus grande sincérité du budget. Mais cet ambitieux travail demandera du temps, il faut envisager de l'effectuer sur la durée d'une législature. La réforme opérée, sous la IV ème République, par le décret du 19 juin 1956, dans le cadre des pouvoirs spéciaux reconnus au gouvernement par la loi du 2 avril 1955 (mais soumise à l'avis des commissions des finances des deux assemblées) a nécessité près d'un an de débats.

S'agissant de la coordination entre la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale, il conviendrait, en particulier, de modifier l'article premier de l'ordonnance organique en spécifiant que les lois de finances peuvent contenir des dispositions relatives à l'assiette, aux taux et aux modalités des impositions de toute nature, mais à l'exception de celles affectées au financement de la sécurité sociale, afin que ces dernières ne relèvent que des lois de financement. Il conviendrait aussi de clarifier les relations financières entre l'État et les organismes sociaux (reprise des dettes de la sécurité sociale ou de l'UNEDIC, dont on ne trouve pas trace dans les lois de finances) et de mieux distinguer les opérations budgétaires des opérations de trésorerie, ce qui impliquerait une modification des articles 3, 6 et 35.

En ce qui concerne la présentation budgétaire, de nombreux arguments plaident en faveur d'une distinction entre opérations de fonctionnement et opérations d'investissement, à l'image de ce qui existe au niveau des budgets locaux. Ceci aurait comme conséquence d'interdire le recours à l'emprunt pour financer des dépenses de fonctionnement, le déficit n'étant admissible qu'au niveau de la section d'investissement.

Une réforme plus ponctuelle pourrait consister à ne modifier que quelques articles relatifs, par exemple, à la procédure de vote prévue par l'article 31 (en supprimant la distinction entre services votés et autorisations nouvelles et en rétablissant le vote des crédits par ministères) ou à l'encadrement de la pratique de la rétroactivité fiscale.

Enfin, dans l'hypothèse d'un toilettage du texte, il s'agirait surtout de tirer les conséquences de la jurisprudence du Conseil constitutionnel (en particulier en introduisant dans l'ordonnance le principe de sincérité budgétaire), des observations de la Cour des comptes et de la pratique parlementaire. M. Loïc Philip a rappelé qu'un important hiatus existait souvent entre la lettre du texte et la pratique. Pour illustrer son propos, il a cité l'article 42 de l'ordonnance qui limite l'initiative parlementaire (et aussi gouvernementale) mais qui n'est pas appliqué. Cet article pourrait être supprimé, du moins en ce qui concerne son premier paragraphe. De même, la catégorie des budgets annexes pourrait disparaître et être englobée dans celle des comptes de commerce.

M. Loïc Philip a ensuite abordé la question du contrôle de constitutionnalité du nouveau texte né d'une éventuelle réforme adoptée par les deux assemblées. Il a rappelé que le Conseil constitutionnel serait saisi de droit et, qu'en vertu de sa jurisprudence, il pourrait être amené à examiner, non seulement les articles modifiés, mais aussi ceux qui resteraient en l'état.

Il a aussi expliqué que l'ordonnance de 1959 relative aux lois de finances faisait l'objet de controverses quant à sa place dans la hiérarchie des normes. La majorité de la doctrine s'accorde pour lui reconnaître un statut particulier et une valeur supérieure à celle des autres lois organiques. En effet, l'article 34 de la Constitution dispose que " les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l'État dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique ". Il en résulte que ce texte peut déroger à des dispositions contenues dans la Constitution (c'est le cas de l'article 4 qui déroge à l'article 34 de la Constitution ou de l'article 42 qui déroge à l'article 40 de la loi fondamentale). De même, cette force juridique particulière explique que la méconnaissance des dispositions de l'article 1 er de l'ordonnance de 1959 ait pu justifier l'annulation d'un article de la loi organique relative au statut de la magistrature (décision 355 DC du 10 janvier 1995, cons. 32).

Pourtant, l'ordonnance organique de 1959 ne fait pas véritablement partie du bloc de constitutionnalité, en ce sens qu'elle peut, évidemment, être modifiée selon la procédure applicable aux autre lois organiques.

M. Loïc Philip a estimé que ce texte comportait trois types de dispositions de portée juridique différente : certaines ont valeur constitutionnelle (c'est le cas des principes d'unité et d'universalité budgétaires ou de l'article relatif à la définition de l'équilibre, qualifiés de principes fondamentaux par le Conseil constitutionnel), la plupart ont valeur organique et, enfin, certaines n'ont qu'une simple valeur législative dans la mesure où la loi de finances de l'année y déroge régulièrement (c'est le cas de l'article  20 relatif à la définition des budgets annexes).

A la demande du Président Alain Lambert, M. Loïc Philip s'est exprimé sur le travail et le rôle du Parlement. Il s'est dit convaincu que son influence dans les prises de décisions en matière financière ne pouvait être que limitée. De plus en plus de contraintes s'imposent au gouvernement qui lui-même les fait ensuite accepter par le Parlement. Beaucoup de parlementaires vivent encore dans l'illusion qu'ils sont des législateurs ; la réalité est bien différente : l'intégration européenne et la globalisation de l'économie ont considérablement réduit le domaine de la politique budgétaire, le pouvoir du Parlement se restreint de plus en plus et le rôle des parlementaires ne peut être que marginal. En revanche, il a estimé qu'un développement du contrôle est possible et souhaitable, notamment au cours de l'exécution de la loi de finances et après son exécution.

Il a jugé souhaitable que le projet de loi de règlement soit examiné moins tardivement et même voté avant la loi de finances pour l'exercice à venir. Il a aussi critiqué le principe d'annualité qui, à son avis, n'a pas de raison d'être dans une économie moderne.

Il a, par ailleurs, rappelé que les parlementaires avaient la faculté de modifier le contenu des services votés en adoptant des mesures nouvelles négatives, même si, comme l'a fait remarquer le Président Alain Lambert, cette technique est si peu lisible que les parlementaires ne la comprennent pas. Mais M. Loïc Philip s'est dit convaincu qu'une réduction significative des dépenses ne pouvait, pour des raisons politiques, venir que d'une initiative du gouvernement.

Il a estimé que, d'une manière générale, le Parlement ne devait pas chercher vainement à accroître ses pouvoirs législatifs, mais plutôt développer son contrôle sur les conditions de l'exécution du budget et son droit à l'information. A cet égard, l'exécutif aurait souvent intérêt à approfondir le dialogue avec le Parlement. Il a déclaré que l'échec de la récente réforme du ministère des finances menée par M. Christian Sautter n'aurait peut-être pas eu lieu si le gouvernement l'avait conduite en concertation avec les parlementaires. Le Sénat, en particulier, aurait pu jouer un rôle d'explication auprès des élus locaux.

Abordant la question de la lisibilité des documents budgétaires, il s'est déclaré favorable à une présentation en deux sections, fonctionnement et investissement, en remarquant qu'il serait souhaitable de faire apparaître le solde structurel. Il a également fait remarquer que les documents actuels ne mettaient pas en valeur les évolutions en pourcentage des dépenses d'une année sur l'autre, d'où l'intérêt qu'il y aurait de prescrire l'obligation pour le gouvernement de produire dans les documents budgétaires une présentation du projet de loi de finances à structure constante au regard de l'exercice en cours et du dernier exercice clos.

En conclusion, afin de permettre une meilleure gestion des deniers publics et une plus grande maîtrise des dépenses, il s'est dit favorable à l'idée d'un intéressement financier des administrations aux économies qu'elles réaliseraient. Dans cette optique, il faudrait pouvoir déroger plus facilement à la règle de l'universalité budgétaire et au principe de non affectation des recettes. Selon lui, seule cette solution peut vaincre les résistances. Enfin, il s'est déclaré favorable au vote d'un budget de législature instaurant un plafond de dépenses sur une période de 5 ans, idée ancienne mais toujours d'actualité et qui est déjà devenue une réalité au niveau européen et au niveau local avec les contrats de plan.

Audition de M. Augustin de Romanet de Beaune,

en sa qualité d'ancien directeur de cabinet
du secrétaire d'Etat au budget (François d'Aubert)

Mercredi 26 avril 2000

M. Augustin de Romanet a jugé la situation actuelle peu satisfaisante. Il a cité les conclusions du Rapport Nasse-Bonnet qui transcendent tout clivage partisan. « La question posée, qu'il n'est plus possible d'éluder, c'est celle de l'efficience de l'Etat ». « Cette question est d'autant plus importante que le poids de l'Etat dans l'économie est l'un des plus lourds par rapport à nos concurrents » . « Les finances publiques de la France sont en crise » . « Ces réformes, il est grand temps de les entreprendre ; il est plus que temps ».

Le constat est partagé par tous.

L'opinion publique, qui voit des prélèvements obligatoires et un niveau de dépense publique parmi les plus élevés au monde ; le Parlement qui mesure de plus en plus le peu de prise qu'il a sur les événements ; le gouvernement lui-même qui ne peut pas ne pas se rendre compte que la situation institutionnelle le met tellement systématiquement en première ligne qu'il est un " Gulliver empêtré ". L'exécutif apparaît pourtant structurellement assez conservateur lorsqu'il s'agit de réformer les procédures et l'ordonnance organique en particulier.

Si tous les acteurs partagent le même constat, ils ne le font pas avec le même degré d'acuité et d'urgence. Le gouvernement, en particulier, ne se rend sans doute pas suffisamment compte que la faiblesse du Parlement lui nuit in fine . Dès qu'une réforme difficile doit être entreprise, il en porte, comme pour tout le reste, l'essentiel de la responsabilité et l'impopularité. Mais surtout, ses propositions sont conçues dans une sphère trop exclusivement technicienne, qui conduit parfois à des décisions décalées par rapport à ce qui est souhaité ou souhaitable.

De fait, la Constitution de 1958 et l'ordonnance organique ont été conçues à une époque où il était légitime de vouloir restaurer une unité de direction tant la pression du Parlement rendait difficile une action continue et sereine. Un pouvoir a été donné à l'exécutif : il l'a saisi et l'a bien utilisé jusqu'au jour où les effets pervers d'une responsabilité trop exclusive sont apparus.

Il a cité trois exemples pour illustrer son propos :

une mauvaise décision, prise en 24 heures, qui aurait pu être évitée avec un peu plus de " délibération " : la suppression du plafonnement de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en fonction du revenu imposable ;

une bonne décision qui a été rendue possible grâce à la pression du Parlement : la restauration de l'égalité d'imposition entre concubins et couples mariés avec enfants ;

une bonne initiative qui n'a jamais pu entrer en vigueur faute d'une association suffisamment en amont du Parlement aux intentions du gouvernement : la réforme de l'allocation logement étudiant, aux fins d'éviter une assistance financière inutile aux enfants de familles aisées.

Il s'est donc dit profondément convaincu, depuis l'époque où il appartenait encore à la Direction du Budget, qu'un rééquilibrage des pouvoirs budgétaires en faveur du Parlement était opportun. Lors du premier débat d'orientation budgétaire, il a rappelé le scepticisme de certains fonctionnaires de la Direction du Budget quant à la présentation au Parlement d'un document lisible, en couleurs et correctement illustré. Concernant les " bleus " budgétaires, peu lisibles, il était usuel, il y a encore cinq ans, d'entendre la hiérarchie du budget expliquer que c'était une très bonne chose car cela évitait que les parlementaires puissent s'y retrouver. De ce point de vue, la Direction du Budget a fait, sous l'influence notamment de son actuel directeur, un total aggiornamento qu'il convient de saluer.

Pour autant, ce rééquilibrage ne doit en aucun cas servir une autre cause que celle de l'amélioration de l'efficacité de l'Etat. Si le balancier doit être rééquilibré, il faut aussi prendre garde à ce qu'il ne soit pas déséquilibré dans l'autre sens, au profit d'un Parlement qui pourrait ôter à l'exécutif la plénitude de sa mission.

M. Augustin de Romanet a ensuite développé une séries d'idées :

La première concerne les contraintes posées par l'ordonnance au regard du souci d'une gestion publique moderne, ce qui suppose de s'interroger sur le mode d'élaboration et d'exécution des lois de finances.

Le mode d'élaboration de la loi de finances lui a semblé marqué par trois défauts essentiels :

il se déroule de façon trop tardive au sein de l'exécutif ;

il est encore trop largement déconnecté de toute perspective pluriannuelle ;

il associe le Parlement beaucoup trop tard dans le calendrier.

M. Augustin de Romanet a jugé trop tardif l'examen du budget par le Premier ministre, qui ne se consacre véritablement aux questions budgétaires que deux mois par an, lors de la phase d'arbitrage budgétaire qui suit les conférences dites « de première phase ». Le Premier ministre effectue les arbitrages budgétaires au cours du mois de juin. Lorsque les ministres déposent des recours contre les propositions du secrétaire d'Etat au budget, on arrive rapidement à la date du 15 juillet, date à laquelle le Premier ministre n'est plus en mesure de rendre ses arbitrages. Cette situation a de nombreux effets pervers : impossibilité d'anticiper, absence de réflexion de fond sur les économies à réaliser, mauvaise préparation des décisions.

La perspective pluriannuelle commence à peine à faire son apparition dans les procédures budgétaires. Or, il est impossible de faire de bons budgets avec une vision annuelle, des économies structurelles pouvant en effet se traduire par des surcoûts en début de période.

Enfin, ce n'est pas en étant saisi le premier mardi d'octobre avec une discussion en séance publique qui commence le 10 octobre que le Parlement peut faire un travail de fond.

Ces trois défauts conduisent M. Augustin de Romanet à suggérer trois pistes de réforme de l'ordonnance organique :

Un dépôt beaucoup plus tôt dans l'année du projet de loi de finances qui permettrait une véritable discussion au sein du Parlement et obligerait à une maturation plus grande des mesures d'économie. Il a cité l'exemple des Etats-Unis où le projet de budget est déposé dans les premiers jours de février et n'est voté que fin septembre. Une simple transposition conduirait, pour un vote mi-décembre, à un dépôt du projet de loi de finances vers la mi-avril, ce qui est tout à fait possible techniquement.

A ce dépôt anticipé du projet de loi de finances devrait être associée une systématisation de la pluriannualisation de nos finances publiques qui conduirait le Parlement à être destinataire du programme pluriannuel déposé à Bruxelles.

Dans ces conditions, le débat d'orientation budgétaire se déroulerait en même temps que le dépôt du projet de loi de finances et aurait une vraie fonction explicative des objectifs annuels et pluriannuels du gouvernement, avec une possibilité effective pour le Parlement de faire valoir son point de vue, de manifester son adhésion à telle ou telle réforme et, aussi, de mesurer la difficulté de l'équation. Le Parlement serait responsabilisé puisqu'il aurait le temps matériel, entre avril et fin novembre, de proposer au gouvernement des amendements structurels au projet de loi de finances qui iraient dans le sens des positions exprimées lors du débat d'orientation budgétaire.

Le résultat de ce jeu de réformes serait d'étaler sur une période de temps beaucoup plus longue la discussion sur les politiques publiques, de permettre de vrais débats en commission sur les rapports d'activité des ministères - qu'il faudrait institutionnaliser - et d'obliger le gouvernement à intégrer beaucoup plus systématiquement la dimension pluriannuelle.

Le dernier stade de ce processus devrait être d'obliger le gouvernement à déposer un budget triennal, à l'instar de ce que font les Allemands, les lignes budgétaires pour les années n+1 et n+2 n'ayant qu'un caractère indicatif mais une vertu pédagogique considérable. Dans le même esprit, les amendements aux lois en discussion aux Etats-Unis doivent être accompagnés d'une déclinaison de leur incidence fiscale sur 5 ans.

Abordant la question de l'exécution budgétaire infra-annuelle, M. Augustin de Romanet a jugé que les problèmes paraîtraient beaucoup moins cruciaux dès lors que l'information du Parlement serait améliorée et que les opérations dites de « fin de gestion » seraient mieux encadrées (redéfinition plus précise des opérations de trésorerie) et feraient l'objet d'une plus grande transparence.

Il lui a semblé - en particulier - que l'utilisation des pouvoirs réglementaires dont dispose le gouvernement pour organiser l'exécution des lois de finances était faite avec parcimonie et mesure. Cet aspect ne lui a pas paru appeler de réforme fondamentale, même si des amendements à la marge peuvent être souhaitables. Il a noté que, s'agissant des décrets d'avance, les gouvernements étaient beaucoup plus rigoureux. Depuis une dizaine d'années, il a été mis fin à la pratique des années 70, où l'on gageait les décrets d'avance par simple révision des recettes tendancielles.

M. Augustin de Romanet a ensuite abordé le deuxième sujet : l'ordonnance organique permet-elle une présentation claire, sincère et exhaustive des moyens consacrés aux politiques publiques ?

Il ne semble pas que l'ordonnance soit en elle-même un facteur d'obscurité. C'est plutôt dans l'application qui en est faite que l'on peut identifier des zones d'ombre. Des amendements légers au texte de l'ordonnance permettraient, en précisant un certain nombre de notions, de restaurer la transparence nécessaire et de mettre en oeuvre des instruments de mesure de l'efficacité de l'action publique.

Dès lors que l'on ne peut améliorer que ce qui se mesure, l'obscurité est en effet source de perte d'efficacité.

Il a cité quatre domaines :

les emplois budgétaires ;

les budgets annexes et les comptes spéciaux du Trésor ;

le trop grand nombre de crédits figurant dans le budget des charges communes ;

les prélèvements sur recettes.

En matière d'emplois budgétaires, il lui a semblé nécessaire de redonner son sens à l'autorisation parlementaire en conférant aux tableaux d'emplois figurant dans le budget de l'Etat une force juridique qu'ils ont perdue, notamment sous l'effet de la malheureuse décision du Conseil constitutionnel relative à la loi de finances 2000. A ce renforcement juridique devra être associée une véritable gestion prévisionnelle des effectifs dans laquelle le Parlement devra pouvoir être impliqué.

M. Augustin de Romanet a jugé que les budgets annexes devraient être supprimés car, s'ils ont un sens, comme le budget annexe de l'aviation civile, ils doivent pouvoir être érigés en établissements publics afin d'offrir une lisibilité plus grande et rendre le contrôle externe plus systématique. S'ils ne correspondent à rien d'autre qu'à un démembrement du budget, ce qui est le cas du budget annexe des prestations sociales agricoles (BAPSA) par exemple, ils doivent réintégrer le budget. Concernant les comptes spéciaux du Trésor, il convient de poursuivre le mouvement de rebudgétisation déjà largement entamé. Des comptes spéciaux du trésor, comme le Fonds national de développement du sport (FNDS) ou le Fonds national de développement de la vie associative (FNDVA) ne sont rien d'autre que des excroissances du budget général qui nuisent fortement à l'efficacité de l'allocation des moyens publics en « sanctuarisant » certaines dépenses, dès lors qu'elles ont des recettes propres. Ils doivent être rebudgétisés.

Enfin, il a estimé que plusieurs chapitres figurant au budget des charges communes ressortent en réalité de politiques sectorielles comme les primes d'épargne logement ou certains crédits d'aide au développement qui devraient réintégrer les budgets des ministères compétents. Par de simples amendements à la loi de finances, le Parlement devrait énumérer limitativement les catégories de chapitres figurant au budget des charges communes, en excluant les chapitres ressortissant clairement de politiques sectorielles.

Il a suggéré de limiter, voire supprimer, le recours aux prélèvements sur recettes qui ne font qu'obscurcir la lisibilité du projet de loi de finances. Or il existe toujours un risque d'un accroissement de ces prélèvements, notamment en matière de financement de la protection sociale.

Concernant la distinction fonctionnement/investissements, M. Augustin de Romanet ne s'est pas dit convaincu qu'elle soit un cadre pertinent pour redessiner la structure de la loi de finances tant ces notions peuvent prêter à interprétation et à manipulation. Ceci n'enlève naturellement rien à l'intérêt de présenter cette distinction dans des documents explicatifs accompagnant les projets de lois de finances. Il a jugé que cette idée était intelligente mais que son application pratique risquerait de polluer le débat tant la notion d'investissement public était difficile à définir.

M. Augustin de Romanet a ensuite abordé le troisième point relatif au nécessaire réagencement de l'équilibre des pouvoirs en matière budgétaire.

En réponse au Président Alain Lambert qui s'interrogeait sur la nécessité de donner une autorisation financière extrêmement détaillée au gouvernement, M. Augustin de Romanet a déclaré que cela ne s'imposait pas et que l'on pouvait raisonner en grandes masses budgétaires si les documents fournis au Parlement étaient plus clairs et le temps consacré au débat mieux réparti au cours de l'année.

Il s'est dit convaincu que le Parlement devrait être informé plus systématiquement de l'exécution budgétaire globale, mais aussi ministère par ministère avec l'instauration de rapports d'activité par ministère qui devraient être déposés en même temps que le projet de loi de finances pour l'année suivante c'est-à-dire vers la mi-avril. Les débats en commission seraient ainsi plus riches et nourris. Ces rapports devraient progressivement permettre de systématiser les indicateurs de performance à l'aune desquels l'activité des ministres serait jugée.

Concernant le vote, il lui a semblé nécessaire de systématiser un vote par ministère, en supprimant le vote global des services votés qui a perdu toute signification. La notion peut être conservée, car elle structure la construction du projet de loi de finances et peut être utile en cas de " douzièmes provisoires ", mais elle doit réintégrer la discussion des crédits de chaque ministère.

Abordant la quatrième question relative aux lois de financement de la sécurité sociale, M. Augustin de Romanet a remarqué qu'elles posaient des problèmes considérables d'articulation avec le projet de loi de finances. Il a relevé, en particulier, celui de l'éclatement du débat sur les prélèvements fiscaux et sociaux, qui peut parfois donner lieu à des allers et retours non coordonnés entre les deux textes.

Il est apparu que cette dualité engendrait deux dysfonctionnements majeurs : une mauvaise information du Parlement, auquel n'est pas donné une vision synthétique ; un fonctionnement erratique, pour ne pas dire improbable, de la procédure parlementaire d'examen des deux projets de loi.

Il s'est dit convaincu qu'à ces deux écueils doivent correspondre deux réponses liées :

En premier lieu, le projet de loi de finances devrait être accompagné d'un état consolidé retraçant l'intégralité des relations financières entre l'Etat et la Sécurité sociale. Sans que l'existence de cet état nécessite une modification de l'ordonnance, on devrait néanmoins saisir l'occasion de la réforme de cette dernière pour ajouter la production de cet état à la liste des documents devant accompagner le projet de loi de finances.

En second lieu, s'agissant de la procédure parlementaire, et compte tenu notamment de la date de dépôt anticipé proposée du projet de loi de finances, il faudrait prévoir le vote d'un article du projet de loi de finances évaluant les différents concours de l'Etat à la Sécurité sociale. L'existence de cet article garantirait la nécessaire cohérence entre les deux textes, puisqu'il devrait être en permanence « tenu à jour », jusqu'à la date de son adoption, qui marquerait la fin des modifications possibles sur cet aspect dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale.

Il s'est dit conscient de l'aspect minimaliste de ses propositions, dès lors que la conviction que l'on peut avoir est qu'il faudrait à terme fusionner les deux lois. Mais tant la sensibilité des partenaires sociaux que le statut et le nombre des recettes sociales interdit de régler ce chantier dans les mêmes délais que celui d'une réforme de l'ordonnance.

M. Augustin de Romanet a ensuite abordé un cinquième point : l'européanisation des finances publiques.

Il y a vu trois dimensions :

l'intégration, dans la problématique nationale des finances publiques, de la dimension pluriannuelle qui fait l'objet des programmes pluriannuels transmis à Bruxelles ;

l'évaluation de la contribution annuelle de la France au budget européen ;

le contrôle par le Parlement de l'action du ministre du budget qui participe aux conseils budgétaires semestriels de l'Union, et y parle au nom de la France sans connaître le sentiment du Parlement.

Sur le premier point, il lui a semblé indispensable que le programme pluriannuel soit déposé en même temps que le projet de loi de finances. Il propose aussi de suivre l'exemple allemand qui voit chaque ligne de recettes et de dépenses du projet de loi de finances évaluée pour l'année sous examen et les deux années suivantes.

En second lieu, le vote actuel de l'évaluation du prélèvement européen serait maintenu, sous forme de dépense plutôt que de prélèvement sur recettes.

Enfin, deux débats annuels spécifiques, calés sur la procédure budgétaire de l'Union, devraient se tenir avant les conseils « budgétaires ». Le Parlement serait ainsi informé des intentions du gouvernement en matière de politique budgétaire de l'Union et pourrait émettre des recommandations à cet effet. Ces deux débats devraient se tenir en juin (le vote en première lecture intervient fin juillet) et en octobre (le vote en deuxième lecture intervient vers le 15 novembre).

M. Augustin de Romanet a ensuite abordé le sixième point relatif au développement de la dette publique et aux opérations de trésorerie.

Il s'est limité sur ce point à proposer que l'ordonnance organique prévoie explicitement deux cas :

celui des reprises de dettes qui ne devraient pas pouvoir être « distraites » du solde budgétaire via ce mécanisme. L'ordonnance prévoit déjà que des dépenses publiques ne peuvent pas être payées par émission de titres, le parallèle voudrait qu'elles ne puissent pas non plus être effectuées sous forme de « reprise de titres », comme ce fut plusieurs fois le cas dans le passé.

celui des chapitres de « provisionnement » qui a été pratiqué pour le PEP et les OATI.

M. Augustin de Romanet a ensuite abordé le septième point relatif aux moyens dont est doté le Parlement.

Il a estimé que le Parlement ne peut s'acquitter de sa tâche de contrôle et de prospective budgétaires qu'en renforçant ses moyens.

Il a cité l'exemple des Etats-Unis qui ont créé le Congressionnal budget office (CBO) en 1974 à la suite d'une crise entre le Président Nixon et le Congrès sur les crédits de la guerre au Cambodge. Cette structure rattachée au Parlement permet d'exercer un véritable contrepoids à la direction du budget américain.

Alors que jusqu'en 1921, le Parlement avait la maîtrise des affaires budgétaires, le Budget and accounting act de 1921 avait conféré à l'exécutif le rôle central dans la préparation du budget américain. Le Parlement s'est rebellé en votant le Congressionnal budget act qui avait un triple objectif : faire voter le niveau du déficit, créer le CBO et instaurer une nouvelle procédure budgétaire normalisée.

Interrogé par le Président Alain Lambert sur la possibilité de la transposition en France de la capacité qu'ont les parlementaires américains de réécrire le projet de loi de finances, M. Augustin de Romanet a expliqué que l'article 42 de l'ordonnance s'y opposait. Il a expliqué que si le Parlement proposait de modifier cet article, le gouvernement pouvait y trouver là un motif de blocage à la réforme. Il a suggéré de chercher un autre chemin qui, sans toucher à cet article, permettrait de renforcer le rôle du Parlement.

M. Augustin de Romanet a ensuite énuméré les différentes modifications de l'ordonnance résultant de ses suggestions.

A l'article 1 er : durcir le caractère contraignant de l'autorisation parlementaire en matière d'emplois budgétaires ;

A l'article 3 : établir une liste limitative des prélèvements sur recettes (Europe et collectivités locales) ou les supprimer explicitement, ce qui serait préférable ;

A l'article 6 : supprimer le terme « charges permanentes » de l'Etat qui interdit le minimum de souplesse qui peut parfois permettre une meilleure lisibilité de l'action publique. Il en est ainsi des charges de retraite qui devraient pouvoir être identifiées dans un établissement public autonome, ce qui n'est pas aujourd'hui possible en raison de la jurisprudence du Conseil constitutionnel (DC 351 du 29/12/1994) ;

Après l'article 6 : insérer un article qui prévoit que chaque ligne de recette et chaque ligne de dépense font l'objet, dans le document du projet de loi de finances et en regard de la proposition de l'année sous examen, d'une évaluation pour les deux années qui suivent ;

A l'article 15 : préciser que les reprises de dettes d'organismes liés à l'Etat s'assimilent à des consolidations d'avances et doivent être traduites dans le déficit budgétaire, sans pouvoir être qualifiées « d'opérations de trésorerie ». Interdire la reprise de dette d'organismes non liés à l'Etat ;

A l'article 18 : supprimer la référence aux budgets annexes (par conséquent les articles 20, 21 et 22 ainsi que la référence faite à l'article 41) ;

A l'article 30 : préciser la possibilité de créer des chapitres budgétaires de provisionnement (PEP, intérêts des OATI) ;

A l'article 31 : supprimer la référence à un montant global des services votés (qui doivent être éclatés par ministère) ;

A l'article 32 : ajouter que le projet de loi de finances est accompagné du dernier plan pluriannuel des finances publiques ainsi que des rapports d'exécution de l'année n-2 pour chaque ministère ;

A l'article 38 : avancer la date de dépôt du projet de loi de finances (au deuxième mardi d'avril, par exemple) et modifier les délais de vote en les allongeant de façon à ce que la discussion soit close, par exemple, fin octobre ;

A l'article 41 : revenir à la pratique actuelle en écrivant que les budgets sont votés " par ministère et par titre " et supprimer de ce fait le vote unique pour les services votés.

Interrogé par le Président Alain Lambert sur les chances d'aboutir prochainement à une réforme de l'ordonnance de 1959 relative aux lois de finances, M. Augustin de Romanet s'est déclaré optimiste au vu de la situation délicate dans laquelle se trouve actuellement l'Etat. Il a observé que ce dernier n'avait plus de relais ni au Parlement, ni dans les corps intermédiaires et que cela lui interdisait toute réforme. Il s'est dit convaincu que la méthode employée pour la rédaction de l'ordonnance de 1959 - des rédacteurs peu nombreux qui ont travaillé environ 18 mois - est la bonne et qu'il serait judicieux de s'en inspirer.

Audition de MM. Jean Massot,

président de la section des finances du Conseil d'Etat,
et de Jacques Delmas-Marsalet,
rapporteur pour les lois de finances

Mercredi 26 avril 2000

M. Jean Massot a expliqué que le Conseil d'Etat devait généralement étudier les projets de lois de finances et les projets de lois de finances rectificatives dans la précipitation. De plus, les articles de première et deuxième parties sont transmis en ordre dispersé avant l'examen du projet en Conseil des ministres. Ils parviennent à la section des finances dans un délai compris entre deux semaines et deux jours avant leur examen en section, qui a toujours lieu un mardi. Ils y sont examinés selon leur ordre d'arrivée. Le jeudi suivant, ils sont examinés par l'assemblée générale du Conseil d'Etat, et sont adoptés en Conseil des ministres le mercredi qui suit.

L'article d'équilibre et les états annexés ne parviennent au Conseil d'Etat que le vendredi qui précède le passage en Conseil des ministres. Ils font l'objet d'un unique examen collégial de la commission permanente le lundi matin.

Cette procédure, qui demeure perfectible, s'est améliorée au cours des dix dernières années. Auparavant, tous les articles faisaient l'objet d'un examen unique et collégial de la commission permanente. M. Jean Massot a cependant regretté que ces conditions ne permettent pas d'avoir une vision d'ensemble des projets de loi.

Pour l'aspect proprement budgétaire -en dehors des articles fiscaux-le travail consiste essentiellement à écarter les cavaliers budgétaires. L'avis du Conseil est toujours suivi par le gouvernement car la jurisprudence du Conseil constitutionnel est constante sur ce sujet. Dans le projet de loi de finances rectificative pour 1999 pourtant, le gouvernement n'a pas suivi l'avis du Conseil d'Etat pour un article qui portait sur le remboursement des emprunts russes. Le Conseil constitutionnel ne l'a pas sanctionné.

Pour les articles fiscaux, le travail porte sur le respect de la jurisprudence constitutionnelle et notamment sur le respect du principe d'égalité. L'article d'équilibre est étudié sous l'aspect de la sincérité budgétaire et le respect du principe d'universalité budgétaire. Mais pour cet article, étant donné les délais imposés, l'examen est rapide et M. Jean Massot a regretté qu'il ne soit pas plus approfondi, ce qui aurait pu éviter l'épisode dit de la " cagnotte ". Une solution, afin de perfectionner le système actuel, consisterait à mieux articuler l'action du Conseil d'Etat avec celle de la Cour des comptes.

M. Jacques Delmas-Marsalet a ensuite souligné que le Conseil d'Etat, pour les articles fiscaux, veillait non seulement à leur constitutionnalité mais aussi à leur conformité aux engagements internationaux, notamment communautaires de la France. Le Conseil examine également l'opportunité administrative des mesures. Malheureusement, faute de temps, il ne peut en vérifier le coût ou le gain pour la collectivité. Il a observé que la moitié des articles des lois de finances résultaient d'amendements introduits au cours des débats parlementaires, dont la sécurité juridique était moins assurée.

S'agissant des recettes, et des bonnes ou mauvaises surprises qu'engendre l'exécution du budget, il a jugé inéluctables ces écarts, très liées à la conjoncture économique et aux délais incompressibles qui existent entre la préparation du projet de loi de finances et son exécution.

Interrogé par le Président Alain Lambert sur l'opportunité de réformer, voire de faire disparaître, la notion de " services votés ", M. Jean Massot a rappelé que le Parlement pouvait user de son droit de voter des mesures nouvelles négatives, tout en rejoignant le Président Alain Lambert sur le caractère hérétique d'amender cet article qui fait l'objet d'un vote unique et son manque de lisibilité politique et démocratique. Il a rappelé que l'article 33 de l'ordonnance de 1959 relative aux lois de finances permettait la ventilation des crédits par chapitre au sein des services votés, et que l'article 42 de la même ordonnance n'obligeait pas le Parlement à voter le projet de loi de finances dans un ordre chronologique.

M. Jacques Delmas-Marsalet a fait observer que, dans la pratique, les services votés constituaient une commodité qu'il ne serait pas raisonnable de détruire totalement. Le travail ainsi engendré serait trop lourd. Cependant, il a reconnu que l'établissement, selon une périodicité à définir (par exemple tous les cinq ou dix ans) d'un budget " base zéro " par ministère ne serait pas dénué d'intérêt. De même, il a estimé qu'une définition plus précise des services votés serait utile. Il a par ailleurs jugé qu'une comptabilité patrimoniale de l'Etat, dans la loi de règlement, constituerait un élément appréciable.

Répondant à plusieurs questions du Président Alain Lambert, M. Jean Massot a estimé que la différenciation entre l'investissement et le fonctionnement était de nature comptable et pouvait utilement être abordée au moment de l'examen de loi de règlement. Il a plaidé pour que la règle concernant les emplois budgétaires, qui a le mérite de freiner les recrutements, soit appliquée, et pour que l'on s'assure de son respect.

S'agissant de la détermination du périmètre du budget de l'Etat, il s'est inquiété des démembrements. Il a notamment cité le cas des autorités indépendantes, dont le budget pourrait un jour être détaché du ministère dont elles dépendent. Il a également évoqué les prélèvements sur recettes au profit des collectivités locales, dont il a déploré le manque de sincérité, tout en soulignant que cette pratique ne relevait pas de l'ordonnance de 1959.

Evoquant, à la demande du Président Alain Lambert , la possibilité d'une coopération entre le Parlement et le Conseil d'Etat, M. Jean Massot a écarté cette idée estimant que cela induirait une confusion des rôles. Le Conseil d'Etat est le conseiller juridique du gouvernement et non celui du Parlement.

Audition de M. Daniel Bouton

en sa qualité d'ancien directeur du budget
au ministère de l'économie et des finances

Jeudi 27 avril 2000

M. Daniel Bouton a regretté qu'en dépit d'une situation économique prospère depuis 1997, la France n'ait pas retrouvé l'équilibre budgétaire. A l'avenir, la compétition entre les économies de nos partenaires économiques de la zone euro, participera sans doute à la réduction des déficits publics. On ne pourra l'obtenir que par une meilleure compétitivité de la sphère publique.

Il s'est montré hostile à une transposition des méthodes de gouvernance des entreprises privées au secteur public. Les entreprise privées sont par nature mortelles et leurs salariés en sont conscients, l'administration est quant à elle immortelle et les fonctionnaires ne le savent que trop !

Il a rappelé que le système public français était la propriété des fonctionnaires qui le servent ; ces derniers pilotent l'administration dans l'optique de la perpétuer et ce avec le complicité des parlementaires. Le système français s'en trouve prodigieusement bloqué. Dans l'hypothèse d'une réforme de l'ordonnance de 1959 relative aux lois de finances, des oppositions au changement se manifesteront sans doute de toutes origines, notamment au sein de la Cour des comptes, de la direction du budget et des personnels des commissions des assemblées.

M. Daniel Bouton a toutefois estimé que l'opinion publique pouvait permettre de faire cesser ce vase clos et favoriser la création d'un nouveau système orienté vers la transparence, bien des choses ayant changé depuis 1959.

Au sujet de la répartition des pouvoirs entre le Parlement et le gouvernement, il a tout d'abord abordé le renforcement, qu'il a jugé indispensable, de l'information du Parlement. Après la rationalisation, l'euro, la médiatisation, l'ordonnance de 1959 relative aux lois de finances telle qu'elle avait été conçue par Michel Debré nécessite une réforme.

Il a jugé que le Parlement était scandaleusement sous informé et qu'il était en droit d'exiger :

- une audition publique de la Cour des comptes sur les hypothèses budgétaires et économiques ;

- la présentation par les ministres des analyses pluriannuelles de l'évolution des crédits, à structure constante, dans le cadre d'une émission retransmise par la chaîne parlementaire ;

- l'accompagnement pour chaque crédit inscrit d'un indicateur de performance. Le Parlement ne doit pas se contenter des chiffres " secs " fournis par la direction du budget du ministère des finances ;

- une délibération publique sur la situation financière des collectivités publiques (sécurité sociale, collectivités locales, établissements publics et comptes de l'Etat) en flux et en stock ;

S'agissant des crédits, le Parlement est en droit d'attendre :

- la suppression de la distinction mesures nouvelles/services votés qui résulte d'un compromis passé entre attaché de la direction du budget et le ministre dépensier. Cette répartition échappe même au directeur du budget ;

- la modification de l'article 42 de l'ordonnance et peut être de l'article 40 de la Constitution aux fins d'autoriser la compensation entre recettes et dépenses. Il faut prohiber la baisse des impôts et la hausse des dépenses ;

- la suppression des régulations budgétaires : il n'est pas supportable de voir le budget voté entièrement dénaturé quelques semaines après son adoption. Si l'ordonnance était appliquée à la lettre, le gouvernement n'aurait la faculté de réguler qu'en cas de circonstances exceptionnelles ;

- la suppression des chapitres évaluatifs et l'instauration d'un seul chapitre réservoir à l'exemple de la procédure britannique (hormis l'évaluation du poids de la dette) ;

- l'association de crédits de paiements à toutes les autorisations de programme.

S'agissant de la présentation budgétaire, M. Daniel Bouton , a suggéré plusieurs réformes :

- la fusion entre projet de loi de finances et projet de loi de financement de la sécurité sociale. Ceci supposerait un article d'équilibre commun et des articles - de deuxième partie - distincts. Il a craint que cette solution n'engendre un conflit entre les parlementaires des deux commissions actuellement saisies au fond, et des oppositions de structure de la part des fonctionnaires qui y travaillent ;

- le vote de dotations pluriannuelles en dépenses comme en recettes afin de mettre un terme à l'instabilité fiscale pour les grandes catégories de recettes telles que l'impôt sur les sociétés et la TVA ;

- il n'a pas vu d'intérêt, pour le budget de l'Etat, à la distinction de deux sections - investissement et fonctionnement. Il a estimé qu'elle était une commodité utile pour les collectivités locales, mais pas pour l'Etat, au sein duquel les structures financières sont infiniment plus complexes (ce débat avait déjà eu lieu lors de la définition des critères de Maastricht) ;

- la globalisation des chapitres au sein des bleus, en regroupant par exemple toutes les lignes qui concernent les rémunérations ;

- le vote des engagements latents, notamment en matière de retraite : la présentation actuelle ne permet pas de voter un taux de cotisations patronales de retraite pour le fonctionnaires. Le taux de cotisation ouvrière est de 7 %, le taux patronal réel est de 51 %. Cela devrait pouvoir être voté.

M. Daniel Bouton s'est ensuite exprimé sur la refonte des actions de contrôle. Il a recommandé :

- la stabilisation de la présentation budgétaire, en soulignant que les bleus devaient, d'une année sur l'autre, conserver la même nomenclature afin de permettre des analyses pluriannuelles ;

- la création d'une commission parlementaire - distincte de la commission des finances - entièrement dédiée au contrôle. Ceci impliquerait la révision de l'article 43 de la Constitution. Pour éviter une révision constitutionnelle, il a suggéré de créer une mission, solution plus simple, qui permettrait la représentation bipartisane.

Cette structure pourrait procéder à des auditions mensuelles du ministre ou du fonctionnaire chargé du budget dans chacune des administrations.

- de mettre fin au monopole de la Cour des comptes sur le contrôle, en instaurant le pluralisme des contrôles, et mettre fin au rapport annuel. Il représente une sorte d'exercice d'exorcisme collectif sans lendemain. La Cour des comptes devrait, en permanence distiller des rapports ciblés ;

- d'instaurer des comparaisons internationales systématiques et des indicateurs de performances ;

- de limiter à une vingtaine le nombre des bleus.

La sanction médiatique suffirait à assurer l'efficacité du contrôle. Si la structure chargée du contrôle parvient à médiatiser au-delà des querelles politiques, le contrôle pourrait effectivement progresser. De ce point de vue, non soumis au fait majoritaire, le Sénat a une carte à jouer.

En réponse au Président Alain Lambert qui déplorait que les fonctions de contrôle accordé au Parlement ne soient pas assorties de sanctions, M. Daniel Bouton s'est montré critique envers le faible intérêt que les parlementaires portent à cet exercice. Il a rappelé qu'en dix-sept années passées à la direction du budget du ministère des finances, il n'avait eu qu'une seule fois la visite d'un rapporteur spécial (ce dernier était en charge de la dette publique).

Audition de M. Michel Pebereau,

en sa qualité d'ancien directeur de cabinet du ministre de l'économie (René Monory)

Mercredi 3 mai 2000

M. Michel Pébereau a tout d'abord fait remarquer que l'ordonnance de 1959, relative aux lois de finances, était considérée dans les années 70 par les fonctionnaires du ministère des finances comme l'un des instruments essentiels de la remise en ordre des finances publiques qui avait été réalisée au début de la Vème république.

Le texte était bien adapté à la réalité de la fin des années 50. Il est donc inévitable qu'il ait vieilli. Depuis cette époque, la dépense publique a considérablement augmenté et sa part dans le produit intérieur brut a changé de dimension. Cette évolution est largement la conséquence de la croissance très rapide de la dépense sociale de sorte que la part du budget de l'Etat dans l'ensemble des comptes des administrations publiques s'est fortement contractée.

Or, d'un point de vue économique, les agrégats essentiels sont l'ensemble des prélèvements obligatoires et la dépense publique au sens global du terme. Et dans le cadre de l'Union européenne, les normes du pacte de stabilité se réfèrent bien aux recettes et dépenses des administrations publiques et non à celles de l'Etat seul.

Une révision du cadre juridique permettant de prendre en compte ces grands bouleversements est donc sans doute indispensable. Elle s'inscrirait en tous cas dans la même logique d'adaptation à l'évolution de la situation et des contraintes économiques que celle de 1959.

M. Michel Pébereau a indiqué que l'on devait s'interroger sur le rôle que l'on voulait assigner au texte encadrant les lois de finances, ou plus généralement la dépense publique.

Dans son esprit, un texte de cette nature doit fixer le cadre dans lequel s'exerce le travail parlementaire, de façon à atteindre les objectifs assignés à ce travail : le budget n'est qu'un instrument au service des politiques publiques. Il en a conclu qu'il était nécessaire que ce cadre soit assez souple pour pouvoir s'adapter à une réalité économique qui évolue beaucoup plus rapidement que par le passé. Il a indiqué, comme exemple, que les comptes spéciaux du Trésor avaient été conçus pour donner une souplesse adaptée à la réalité économique de l'après-guerre : l'Etat devait jouer un rôle de prêteur, gérer en régie certaines activités économiques. Ce type de besoin a disparu et le cadre désuet de ces comptes peut être supprimé. Il serait sans doute judicieux de créer de nouveaux outils adaptés aux problèmes auxquels les administrations publiques ont aujourd'hui à faire face. Par exemple, dans une période où les interventions de l'Etat sont appelées à se transformer rapidement pour s'adapter aux réalités économiques nouvelles, il ne serait pas inutile de disposer de cadres budgétaires spécifiques pour suivre, de façon différenciée, les activités dont le développement doit être assuré et celles dont la régression est à organiser.

Il a souligné que dans les périodes de profondes réorganisations, les entreprises mettaient en général en place, à titre transitoire, des structures spécifiques chargées des chantiers de réorganisation, faute de quoi ces chantiers s'enliseraient. Un tel travail suppose une organisation en structure de projet, dotée de personnels et de crédits spécifiques. La réforme administrative suppose probablement, elle aussi, ce type de dispositif et de moyens.

Il a remarqué que, dans l'entreprise, toute grande réorientation ou réorganisation de service nécessitait un programme pluriannuel d'action, en termes de dépenses tant de fonctionnement que d'investissement, ne fût-ce que pour la réalisation des projets informatiques correspondants. Il s'est interrogé sur la capacité du cadre budgétaire actuel à bien répondre à ce type de problème, notamment en raison des conséquences jusqu'à présent tirées du principe d'annualité.

Il a expliqué que si l'Etat voulait progressivement contracter des services " régressifs ", tels que ceux dédiés aux anciens combattants, au profit de services " progressifs ", comme la formation continue ou les universités, il était essentiel d'organiser des transferts de moyens sur plusieurs années avec des objectifs précis fixés à l'avance. En termes de procédure budgétaire, la gestion courante ne peut être traitée de la même façon que les programmes spécifiques de réforme à moyen terme.

S'agissant de la question d'une comptabilité patrimoniale de l'Etat, il a estimé sain de pouvoir disposer d'un bilan et d'un compte d'exploitation. Le passif de l'Etat, constitué en partie des charges à venir des pensions des fonctionnaires, doit être analysé avec précision. Il a suggéré de faire apparaître les charges à venir au sein d'un compte distinct à vertu pédagogique envers les personnels concernés et l'ensemble des Français. Les uns et les autres pourraient ainsi mesurer l'ampleur du problème posé et comprendraient mieux la nécessité d'une réforme. Il n'a pas exclu la possibilité d'affecter ou d'immobiliser une partie de l'actif de l'Etat à ce titre. C'est une solution qui a été adoptée par certaines entreprises ou certaines associations afin d'assurer la réforme de mécanismes de retraites inadaptés tout en sécurisant les droits effectivement acquis.

M. Michel Pébereau a estimé que la réforme de l'Etat relevait du pouvoir exécutif. Il a insisté sur la continuité nécessaire dans ce domaine et y a vu deux obstacles majeurs : le faible intérêt de l'opinion publique pour la réforme de l'Etat, ce sujet n'ayant jamais été au centre du débat politique, et la longévité limitée des ministres qui ne disposent pas, comme les responsables d'entreprise, de la durée indispensable pour la mise en oeuvre de réformes. Elargissant le sujet, il a souligné que l'instabilité législative, fiscale entre autre, nuisait sérieusement à l'effort de modernisation de l'économie : les agents économiques ont besoin de stabilité fiscale pour conduire dans la sécurité leurs propres actions, et pour limiter les surcoûts d'adaptation ; par exemple, chaque loi de finances apporte son lot de bouleversements informatiques coûteux notamment pour l'industrie financière et bancaire. Il a enfin estimé qu'il fallait disposer d'instruments d'action mais aussi d'indicateurs de gestion pour suivre l'exécution des politiques engagées.

Interrogé par le Président Alain Lambert sur le degré de précision que doit comporter une nouvelle ordonnance, il a estimé préférable un texte de portée générale, définissant des principes, tout en permettant une grande souplesse dans l'application, mais qui crée une discipline et suscite une pression. Un texte trop précis ne serait pas adapté aux changements rapides actuellement observés dans la société et n'aurait pas vocation à durer. Il a vu trois enjeux majeurs auquel devrait répondre un texte rénové :

• permettre la détermination des objectifs de l'Etat. Conscient de la difficulté il s'est dit persuadé que des équipes de hauts fonctionnaires tels que ceux de la direction du Trésor seraient capables de mener à bien un tel travail ;

• permettre que la décision parlementaire soit éclairée et consciente, grâce à un chiffrage des moyens mis en oeuvre pour réaliser les objectifs ;

• permettre le contrôle du Parlement sur la réalisation des objectifs votés (vérification ex post ). Ce rôle n'est pas nécessairement du ressort de la Cour des comptes, dont la mission est centrée sur le contrôle de régularité. Plus généralement une telle réforme devrait entraîner une refonte des corps de contrôle. On pourrait envisager de confier la tâche de contrôle de gestion à un organisme rattaché au Parlement.

Il s'est dit convaincu qu'une réforme de l'ordonnance devait être une incitation à la réforme en profondeur de l'Etat. Il a regretté que la loi de règlement ne fasse pas l'objet d'un débat plus riche et que l'on ne s'attache qu'au montant du déficit, alors que cette loi pourrait être l'occasion d'un débat sur l'efficacité des politiques engagées, comme c'est le cas pour l'approbation des comptes des entreprises par le conseil d'administration représentant les actionnaires.

Enfin, à la demande du Président Alain Lambert il s'est exprimé sur le statut de la fonction publique. Il a fait remarquer que si un président d'université pouvait gérer son personnel de façon convenable du fait de la relation de proximité qui peut s'établir, ce ne pouvait pas être le cas d'un ministre de l'éducation nationale, tant le nombre de fonctionnaires dont il doit assurer la gestion est important. Il a donc suggéré de décentraliser au maximum la gestion de la fonction publique pour ramener le problème des réformes au niveau des services ou des centres d'activité, où les gens se connaissent et peuvent débattre concrètement des problèmes à traiter.

Audition de M. Louis Schweitzer

en sa qualité d'ancien directeur de cabinet du ministre délégué chargé du budget (Laurent Fabius)

Jeudi 11 mai 2000

M. Louis Schweitzer a rappelé qu'il avait quitté la sphère publique depuis plus de quinze ans. Pourtant, à cette époque déjà il était convaincu que l'ordonnance de 1959 relative aux lois de finances méritait d'être réformée. Il a expliqué que ce texte reflétait une certaine méfiance à l'encontre du Parlement, et que la direction du budget du ministère des finances avait longtemps été très opposée à une évolution dans ce domaine.

Il a reconnu au texte actuel bien des mérites tels que la contrainte de calendrier ou l'exclusion des cavaliers budgétaires qu'il a estimés absolument indispensables : l'exemple des Etats-Unis illustre bien leur nécessité.

M. Louis Schweitzer a ensuite exposé ses idées de réformes.

Il a souhaité que l'ensemble des dépenses sociales, fiscales et celles liées à l'Union européenne, fassent l'objet d'un seul débat, non législatif, au printemps. En revanche, il convient de ne faire figurer dans le projet de loi de finances que ce qui concerne les dépenses et recettes de l'Etat.

Il a indiqué qu'il fallait partir d'une ambition d'efficacité globale de l'Etat. Il convient de distinguer le contrôle de l'opportunité de la dépense - qui relève de la décision politique - et le contrôle de régularité - qui relève de la comptabilité. Le contrôle de l'efficacité trouve sa place entre ces deux notions et consiste à rapprocher les résultats des objectifs fixés.

M. Louis Schweitzer a toutefois fait remarquer que cela supposait d'avoir fixé des objectifs hiérarchisés, ce qui n'est pas le cas de l'actuel projet de loi de finances qui ne constitue qu'une addition de moyens.

C'est pourquoi il a suggéré que le vote du projet de loi de finances débute par un vote sur un ensemble d'objectifs précis qui remplacerait des déclarations d'intentions non quantifiées.

Il a ensuite abordé la question du contrôle. Il a estimé que le Parlement en était le lieu naturel et légitime car ce dernier a pour lui la durée et le pluralisme politique. Il lui a semblé que le Parlement devait s'attacher à contrôler l'avancée de la réalisation des objectifs fixés, plus qu'à l'exécution purement financière, au mois le mois, du budget voté. Il a également suggéré que le vote de la loi de règlement de l'année n - 1, soit rendu obligatoire avant le vote du projet de loi de finances de l'année n + 1.

Il a écarté l'idée d'une présentation du budget en deux sections, investissement et fonctionnement, mais a plaidé pour la mise en place d'une comptabilité bilantielle qui inclurait les créances et les dettes nées au cours de l'année. Ceci empêcherait de décaler l'encaissement d'une recette d'un exercice sur l'autre par exemple, et serait d'application simple. Il a par ailleurs estimé plus compliquée la mise en place d'une comptabilité patrimoniale complète.

Il a fait remarquer que l'idée de financer les dépenses de fonctionnement par l'impôt et recourir à l'emprunt pour les seules dépenses d'investissement ne présentait guère d'intérêt car les dépenses de fonctionnement induites par l'investissement (salaires des professeurs d'un nouveau collège par exemple) ne trouvaient pas leur place dans ce schéma.

M. Louis Schweitzer s'est dit favorable à l'actuelle structure du projet de loi de finances - par ministère - jugeant qu'elle permet de responsabiliser les ministres.

Il a jugé désastreuse, en termes d'images, la distinction " services votés/mesures nouvelles ", mais ne s'est pas montré favorable à un vote par chapitre qui alourdirait excessivement l'examen au Parlement et qui introduirait une rigidité supplémentaire.

En dehors du vote par ministère, il conviendrait de laisser au gouvernement une grande latitude sur la répartition des dépenses par nature et par service sous réserve de contraintes particulières sur les effectifs des fonctionnaires, les rémunérations et les pensions à la charge de l'Etat et les dépenses engageant plusieurs exercices.

Pour conclure, il a réaffirmé sa confiance envers le bench marking qui selon lui devrait être appliqué à l'Etat.

En réponse au Président Alain Lambert qui s'interrogeait sur le degré de précision que devrait comporter une nouvelle rédaction de l'ordonnance de 1959 relative aux lois de finances, M. Louis Schweitzer a suggéré, afin de parvenir à plus grande souplesse, de modifier tout ce qui a trait aux virements, transferts de crédits etc..., de supprimer la distinction " services votés/mesures  nouvelles " et d'arrêter une nouvelle nomenclature comptable. Il a plaidé pour qu'y soit inséré un vote par ministère sur la base d'objectifs chiffrés et assortis des moyens nécessaires. Il conviendrait, au sein de ces moyens, de séparer ceux qui engagent les exercices futurs de ceux consacrés au présent exercice. Il a rappelé que, par le passé, les " blancs " retraçaient le budget par programme, mais ne suscitaient guère l'intérêt, et a estimé qu'il conviendrait de les rétablir sous une autre forme.

Le Président Alain Lambert a ensuite établi un parallèle entre l'Etat et la gouvernance d'entreprise dans le domaine de l'information et de la transparence vis à vis des actionnaires.

M. Louis Schweitzer a expliqué que dans l'entreprise qu'il dirige actuellement, le lieu de pouvoir est le conseil d'administration. La direction lui présente le budget prévisionnel et la stratégie pluriannuelle. Des objectifs sont fixés et seront tenus ; l'entreprise détermine également des " cibles ", c'est-à-dire des espérances dont la réalisation est moins certaine. Le Parlement pourrait tenir le rôle de ce conseil.

L'assemblée générale des actionnaires - que l'on pourrait transposer à l'opinion publique - se voit présenter les résultats et la stratégie, mais le budget, pour des raisons juridiques (liées au marchés financiers), y est abordé dans un moindre détail. Le Président Alain Lambert a fait remarquer que la contrainte politique pouvait être assimilée à cette contrainte des marchés.

Enfin, un comité d'audit est mis à la disposition du conseil d'administration. On pourrait l'assimiler à la Cour des comptes. Il est indépendant du président, qui possède lui même ses propres procédures de contrôles internes suivant le modèle pratiqué, par exemple, dans les inspections.

Audition de M. Alex Matheson, chef de division
et M. Jon Blondal,

administrateur principal du
service de la gestion publique de l'OCDE

Jeudi 11 mai 2000

M. Jon Blondal a dressé un bref panorama des différentes procédures budgétaires dans le monde. Il a expliqué que le rôle du Parlement était très variable et que quatre groupes de pays pouvaient être distingués :

. ceux dans lesquels le vote du budget consiste en un acte politique, proche du vote de confiance ou de défiance vis à vis du gouvernement ;

Dans ces pays, (Royaume Uni, Canada, Nouvelle-Zélande), le rôle du Parlement est modeste - consistant essentiellement en la formulation de propositions de dépenses -, et il vote souvent le budget alors que l'année fiscale a déjà commencé.

. ceux, à l'autre extrême, où le Parlement détient un rôle considérable. Les commissions parlementaires y possèdent des moyens comparables à ceux des ministères. C'est le cas des Etats-Unis ;

. ceux, et ils représentent la majorité des pays démocratiques, où la répartition des pouvoirs est davantage équilibrée. Dans cette configuration, le Parlement conserve des moyens d'action, mais n'a généralement pas la faculté d'accroître la dépense publique. La France, l'Italie, la Suisse et l'Espagne se situent dans cette catégorie ;

. et enfin les pays où le Parlement ne connaît aucune restriction et a donc la faculté de modifier à sa guise le projet du gouvernement mais n'use pas de cette faculté. C'est le cas de l'Allemagne, de l'Autriche et des Pays-Bas.

M. Jon Blondal a fait observer que, d'une manière générale, le rôle du Parlement avait tendance à s'accroître et que de nombreuses réformes étaient engagées en ce sens.

Il a remarqué que la création du débat d'orientation budgétaire en France avait fait école à l'étranger, et que certains pays l'avaient assorti d'un vote fixant un niveau maximal de dépenses. Certaines réformes tendent également à suivre l'exemple français en votant l'article d'équilibre, puis les dépenses par ministère (Italie, République tchèque, Suède, Etats-Unis, Hongrie, Pays nordiques).

De façon générale les commissions des finances se prononcent sur les grands équilibres, laissant aux autres commissions l'analyse du détail des dépenses par ministère. Il a noté que la tendance au renforcement de la capacité des Parlements à développer leur propre expertise était forte.

En réponse au Président Alain Lambert qui s'interrogeait sur l'opportunité de modifier les relations entre le gouvernement et le Parlement afin d'accroître l'efficacité de la dépense publique, M. Jon Blondal a rappelé que, au cours des dernières décennies, l'idée selon laquelle moins le Parlement intervenait dans la gestion des finances publiques, mieux ces dernières se portaient, avait largement dominé. L'expérience récente - l'épisode de la " cagnotte " et les écarts entre les prévisions budgétaires et l'exécution - conduit à remettre en cause cette idée. Il a illustré son propos en citant l'exemple de la Suède et des Etats-Unis où le Parlement, doté de larges pouvoirs, sait faire preuve de responsabilité. Il a jugé très sain que, dans ces deux pays, le Parlement ait la faculté de contester les prévisions de croissance présentées par le gouvernement.

A la demande du Président Alain Lambert, il a cité les pays dans lesquels le Parlement vote un plafond de dépenses : les Etats-Unis, la République tchèque, la Hongrie et les Pays nordiques.

M. Alex Matheson a analysé les cycles constitutionnels au cours desquels la répartition des pouvoirs entre gouvernement et Parlement évolue. Ces retournements sont étroitement liés aux événements historiques que traversent les pays. Aux Etats-Unis par exemple, c'est la guerre du Viêt-Nam qui a été à l'origine du renforcement des pouvoirs budgétaires du Parlement.

Il a également abordé la transparence de l'information mise à la disposition des parlementaires, qui représente selon lui un élément majeur des réformes actuelles. Une meilleure information est souvent la contrepartie de la réduction du nombre des votes du Parlement et de leur moindre détail. Sur ce sujet il a indiqué que l'OCDE préparait actuellement un bréviaire de la transparence à l'usage des Etats membres. Il a indiqué que les rapports de l'OCDE sur la transparence étaient communiqués aux gouvernements des Etats avant leur publication. Il a insisté sur le fait que l'information du Parlement doit être définie en fonction des résultats recherchés : il est possible de privilégier la phase préparatoire du budget ou bien de concentrer l'effort de transparence sur la période d'exécution. Les pays où le niveau d'information est élevé sont ceux où le contrôle parlementaire a la possibilité de s'exercer le plus efficacement.

Il a plaidé pour le développement d'instruments de gestion des Etats afin de permettre un pilotage économique plus fin. L'OCDE souhaite élever les standards comptables et favoriser la prise en compte des charges futures des Etats (les retraites du secteur public par exemple). Il a noté que les pays signataires du Traité de Maastricht observaient une plus ferme discipline budgétaire que les autres.

Audition de M. Michel Aurillac

en sa qualité de rapporteur de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959

Jeudi 11 mai 2000

M. Michel Aurillac a rappelé que la Constitution du 4 octobre 1958, en dehors de ses principes généraux, a une fonction essentiellement réparatrice des désordres engendrés par les pratiques constitutionnelles des troisième et quatrième Républiques.

Sur le plan budgétaire, le retard endémique du vote du budget, les initiatives parlementaires non gagées en matière de dépenses et l'instabilité gouvernementale étaient à l'origine d'un déficit abyssal des dépenses publiques, qui n'était pas étranger à l'inflation galopante.

A la demande de M. Michel DEBRE, la direction du budget et, plus spécialement, M. DEVAUX, son directeur, avait élaboré un avant-projet qui réaffirmait le principe de l'annualité budgétaire, la distinction entre les services votés et les mesures nouvelles et faisait glisser une grande partie du pouvoir budgétaire du Parlement vers le gouvernement.

Par gouvernement, on pouvait entendre le pouvoir réglementaire du Premier ministre avec les contreseings du ministre des finances et des ministres concernés.

Le directeur du budget et ses collaborateurs auraient évidemment préféré que le pouvoir réglementaire relève de leur seul ministre, d'autant que la signature du ministre pouvait, en fait, être déléguée au chef de bureau compétent de la direction du budget.

Le rapporteur et les autres membres du groupe de travail constitutionnel se sont efforcés de privilégier le décret sur l'arrété. Mais ils ont opté pour la solution du décret simple, sans autre contreseing que celui du ministre des finances.

Telle qu'elle est, l'ordonnance a été très efficace, elle a permis de voter le budget à temps, d'éviter la procédure frustrante des " douzièmes provisoires " et, probablement, de contribuer à réduire le déficit budgétaire.

Néanmoins, quarante ans après, il est légitime de réexaminer l'ordonnance en augmentant le contrôle du Parlement sur le gouvernement tout en interdisant, comme le fait actuellement l'ordonnance, le dérapage des dépenses d'initiative parlementaire non gagées.

C'est dans cet esprit qu'on peut relire l'ordonnance.

L'article 1er-2 ne donne pas aux lois de programme le caractère de lois de finances et les vide de tout effet, puisqu'elles ne peuvent engager l'Etat à l'égard des tiers que dans les limites des autorisations de programme contenues dans les lois de finances de l'année.

L'article 3 introduit une catégorie vague : " produits divers " qui échappe en fait au contrôle du Parlement.

L'article 4 permet la création de taxes parafiscales par décret.

L'article 6 crée des catégories de prêts divers consentis par l'Etat, d'avances de l'Etat qui échappent en fait au contrôle du Parlement.

L'article 10 en matière de crédits provisionnels donne au règlement contresigné par le ministre des finances la même portée qu'à la loi.

Si les dépenses sur crédits provisionnels ne peuvent être ordonnancées que dans la limite des crédits ouverts, ces crédits peuvent être complétés par simple arrêté du ministre des finances, par prélèvements sur le crédit global pour dépenses éventuelles, qui lui-même peut être abondé par des décrets d'avances.

L'article 11 prévoit trois autres cas où le pouvoir réglementaire seul peut majorer les crédits.

L'article 14 relatif aux transferts et virements augmente encore les pouvoirs du ministre des finances et du gouvernement :

- les transferts sont autorisés par arrêtés du ministre des finances,

- les virements sont autorisés par décret pris sur le rapport du ministre des finances.

L'article 15 relatif aux opérations de trésorerie concerne les émissions et remboursements d'emprunts publics pour lesquels l'intervention du Parlement n'est pas prévue.

Les articles 31 à 33 concernant la structure du budget asseoient la distinction entre services votés et autorisations nouvelles qui est la plus archaïque présentation comptable qu'on puisse imaginer.

En réponse au Président Alain Lambert qui se demandait si l'ordonnance de 1959, relative aux lois de finances, était un frein à la réforme de l'Etat, M. Michel Aurillac a répondu que le gouvernement ne détient pas les moyens d'exercer ses pouvoirs en raison du blocage qu'exerce en fait la procédure financière.

On peut citer en exemple la gestion des crédits budgétaires.

Les ministres en exercice se sont battus au cours de la procédure parlementaire, précédée de conseils interministériels, pour obtenir le vote de leurs crédits. Dès le 1 er janvier ceux-ci sont annulés, gelés ou transférés par le ministère de l'économie et des finances.

Le budget tel qu'il est exécuté est différent de celui qui a été voté ; cette situation est inacceptable, elle déresponsabilise le Parlement et les ministres.

Interrogé sur l'opportunité d'insérer le plan comptable de l'Etat au sein de l'ordonnance organique, M. Michel Aurillac a approuvé cette idée estimant que le plan comptable ne doit pas pouvoir être modifié par voie réglementaire.

Une telle réforme est une condition préalable à la sortie de la logique services votés / mesures nouvelles.

Sans attendre ces réformes, le Parlement et, notamment, les commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat, n'exercent pas suffisamment leur pouvoir de contrôle sur l'exécution du budget, en cours d'exercice.

A la suite de son audition, M. Michel Aurillac a répondu par écrit aux questions suivantes :

1. Question : Dans la constitution de 1958, le domaine de la loi est circonscrit par le jeu des articles 34 et 37. La loi ne peut pénétrer que certaines matières. Elle n'est pas censée atteindre un degré de détails excédant l'édiction de règles ou de principes fondamentaux. Curieusement ces limites ne s'imposent, semble-t-il, qu'au législateur ordinaire. Elles paraissent épargner le législateur organique qui, ainsi, pourrait aborder toutes les questions et dans le détail qu'il souhaite. Partagez-vous cette analyse ?

Réponse :

Oui, sous réserve bien entendu que la loi organique reste conforme à la Constitution elle-même. Elle peut y ajouter ; elle ne peut rien en retrancher.

L'origine de cette interprétation peut être trouvée dans le compte rendu de la réunion du groupe de travail constitutionnel du 12 juin 1958 présidée par Michel DEBRE. Ce compte rendu est publié par la documentation française, document pour servir à l'histoire de l'élaboration de la constitution du 4 octobre 1958 (volume 1 page 243).

On y trouve l'annotation suivante :

" Dispositions à placer en dehors de la Constitution :

Des lois organiques doivent être prévues entre la loi constitutionnelle et les lois ordinaires.

Lois organiques :

Modifier plus facilement que la loi constitutionnelle mais plus difficilement que la loi ordinaire (majorité qualifiée ou délai de réflexion).

Domaine de ces lois organiques : à préciser

- Conseil Supérieur de la Magistrature (un ou deux articles seulement dans la Constitution pour poser les principes) ;

- Lois électorales ;

- Lois sur l'organisation gouvernementale (structure du gouvernement) ".

Il me paraît clair que les rédacteurs de la Constitution ont voulu faire des lois organiques, des lois intermédiaires entre la Constitution et les lois ordinaires dont les normes sont supérieures à celles des lois ordinaires.

Cette première approche est confirmée par une note concernant les lois organiques en date du 2 juillet 1958 soumises pour discussion au conseil interministériel du 7 juillet 1958, note figurant dans les archives Solal - Céligny. Elle est publiée pages 336 à 339 de l'ouvrage précité.

2. Question : L'expression " la loi organique prévoit les réserves sous lesquelles les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l'Etat " suscite un besoin d'interprétation.

Peut-on, selon vous, considérer que parmi ces réserves peut figurer l'énoncé des pouvoirs de contrôle du Parlement ?

Réponse :

Cette question revient à savoir si la loi organique telle qu'elle a été établie, par l'ordonnance du 2 janvier 1959, non soumise au contrôle du Conseil constitutionnel, est ou non conforme à la Constitution.

Si on admet qu'elle peut ajouter à la Constitution sans pouvoir y retrancher, la question revient à savoir si la loi organique limite les pouvoirs de contrôle du Parlement, plus que la Constitution elle-même.

J'aurais tendance à considérer que l'ordonnance respecte la Constitution mais, il convient d'avoir à l'esprit que toute loi organique modifiant l'ordonnance du 2 janvier 1959, sera soumise au Conseil constitutionnel dont la jurisprudence est, aujourd'hui, devenue plus favorable à une extension des pouvoirs de contrôle du Parlement.

Audition de M. Philippe Delelis

en sa qualité d'ancien administrateur civil
au ministère des finances

Jeudi 15 juin 2000

M. Philippe Delelis a rappelé qu'au temps où il exerçait des fonctions au sein de la direction du budget du ministère des finances, une réforme de l'ordonnance de 1959 relative aux lois de finances relevait du tabou absolu. Il a expliqué que l'ordonnance recelait une unité fonctionnelle forte, en dépit d'une présentation des articles à la cohérence inégale. Elle est le reflet du concept d'un budget de moyens. Il s'est interrogé sur sa pertinence dans la situation actuelle de notre économie.

Dans l'optique d'un éventuel toilettage du texte, il a suggéré de simplifier les articles 3 et 4 et d'étudier la réduction du nombre des comptes spéciaux du Trésor. Il a plaidé pour la transformation de budgets annexes en établissements publics puis en sociétés commerciales sur l'exemple de l'évolution suivie par l'Imprimerie nationale. Il s'est dit convaincu de la nécessité de préciser la nature des ressources de l'Etat, et s'est dit favorable à la suppression des taxes parafiscales qu'il a qualifiées de " rémanences d'un passé corporatiste ".

M. Philippe Delelis a jugé qu'il était possible de rationaliser les catégories de recettes. Il a fait remarquer que les parlementaires sont globalement favorables au système des recettes affectées car ils estiment qu'ainsi, l'argent collecté allant directement à une dépense, ceci facilite leur communication vis-à-vis des citoyens. Ce n'est cependant pas de bonne gestion.

Abordant l'article 13 qui traite des crédits sans objet, il a souligné que la gestion de ces crédits ne relevait, dans la pratique, que du pouvoir discrétionnaire du ministre des finances. Il a relevé que si les constituants avaient souhaité que le gouvernement dispose de pouvoirs larges pour faire face à des situations de crise, ils n'auraient pas admis que cet article soit utilisé, comme c'est le cas aujourd'hui, dans le but de dénaturer, 15 jours après le vote de la loi de finances, la répartition des crédits. Il a jugé que cette pratique portait atteinte à la souveraineté du Parlement, et a proposé de mieux encadrer l'application de cet article.

M. Philippe Delelis a ensuite abordé la question des reports de crédits et des virements indiquant que ces éléments de la " cuisine budgétaire " échappaient au contrôle du Parlement. Il a expliqué que le ministre des finances disposait d'un pouvoir discrétionnaire en matière de report de crédits d'un exercice sur l'autre. Il a préconisé, pour mettre fin à cette situation qu'il n'a pas jugé acceptable, que les reports prévisibles soient annoncés au cours de la discussion budgétaire. S'ils sont jugés inacceptables par le Parlement, une sorte d'apurement technique pourrait être prévu. Il a reconnu que cette dernière solution serait toutefois très complexe à mettre oeuvre.

Il a estimé que l'encadrement des procédures de virements lui semblait suffisante. S'agissant des fonds de concours, il a proposé de réintégrer les vrais fonds de concours au sein des recettes du budget général de l'Etat. Il a attiré l'attention sur le fait que cette opération pourrait donner lieu à des manipulations, tant la matière est technique. Il a relevé le caractère hautement politique d'une telle réintégration, mais a estimé que l'effet d'affichage sur les masses budgétaires n'avait pas d'importance.

S'agissant de la nomenclature, M. Philippe Delelis a redit qu'elle était l'expression d'un budget de moyens. Les subdivisions - chapitre, paragraphe - ne peuvent être modifiées que par arrêté. Cette contrainte engendre des lourdeurs, incite à l'inertie et nourrit des luttes de pouvoirs entre les services administratifs, même si cela ne transparaît pas au Parlement.

Il a préconisé de restructurer le chapitre, et de passer à un budget de programme. Toutefois, il s'est montré sceptique quant à la faculté de l'administration à se réformer ; il a rappelé le récent échec de la réforme du ministère des finances. Il a estimé que l'administration, tenterait probablement de reconstituer un budget de moyens derrière le budget de programme ; elle pourra reconstituer des ratios a posteriori , et pour faire face à la nouvelle charge de travail embaucherait de nouveaux fonctionnaires. La réforme de l'ordonnance de 1959 relative aux lois de finances ne suffira pas à convaincre les syndicats -dont on a vu récemment le pouvoir-. M. Philippe Delelis s'est dit convaincu que l'actuel statut de la fonction publique, la multiplicité des corps, des grades et l'inertie sociale, ne permettrait pas, à moins d'une révolution culturelle, les grandes réformes dont l'Etat a tant besoin.

M. Philippe Delelis a jugé qu'une gestion moderne de l'Etat passait par l'instauration d'un certaine liberté de choix laissée au gestionnaire entre emplois et crédits mais qu'il était dangereux de laisser toute liberté aux ministres en matière de recrutement dans la mesure où cela génère des charges sur le long terme. Il s'est dit convaincu de la nécessité d'assouplir les règles sans toutefois tout déléguer au gouvernement. L'administration n'étant pas capable de dénombrer ses fonctionnaires, il a préconisé une plus grande souplesse dans l'utilisation des crédits, une réduction du nombre des corps et l'instauration d'une fluidité entre ces derniers. Les transformations d'emplois pourraient être ratifiées par le Parlement.

Interrogé sur la faisabilité d'un vote pluriannuel de certains crédits et sur l'information du Parlement M. Philippe Delelis a expliqué que la distinction entre autorisations de programme et crédits de paiement devait sans doute être supprimée. Les autorisations de programme " dormantes " sont considérables. Elles doivent être annulées. Toutefois il a mis en garde contre la tentation, pour les ministres de ne gérer que le court terme au détriment de l'investissement.

S'agissant de la comptabilité il ne s'est pas montré favorable à la présentation basée uniquement sur le bilan et sur le compte de résultat. Il a jugé cette vision trop réductrice par rapport à la nature des missions d'un Etat moderne. Si l'on se focalise sur le résultat comptable, il devient indispensable d'extérioriser un résultat. Pour qu'il soit positif, ou au moins équilibré, la tentation d'accroître les prélèvements obligatoires -puisqu'en France on ne sait pas maîtriser les dépenses - sera forte. Cela conduirait à faire payer aux actifs d'aujourd'hui les dépenses de demain.

Le Président Alain Lambert ayant objecté que -pour les retraites par exemple- le besoin de financement pourrait être gagé sur des recettes certaines, M. Philippe Delelis a jugé que cette solution serait en effet de nature à provoquer une baisse de la provision. Il a alors considéré que s'il ne faut pas trop chercher à rapprocher l'Etat d'une entreprise privée, il est cependant nécessaire de bien connaître son patrimoine, de l'entretenir et d'investir. La présentation en deux sections, investissement et fonctionnement, sur le modèle des collectivités locales ne lui a pas semblé plus indiquée. Les titre 1 à 4 du budget de l'Etat retracent déjà le fonctionnement, les titres 5 et 6 l'investissement, mais les titres 7 et 8 n'y trouveraient pas leur place. Quant à ne financer que l'investissement par l'emprunt, il a déclaré cette solution illusoire au vu du déficit, qui est durablement supérieur aux seules dépenses d'investissement.

Il a préconisé, qu'une information claire et sincère soit mise à la disposition du Parlement, sous forme d'une annexe au projet de loi de finances précisant l'impact financier futur des décisions proposées.

Abordant la question des services votés, il a expliqué que si l'ordonnance les définissait comme étant le minimum nécessaire au fonctionnement de l'Etat, cette notion était traduite par les fonctionnaires comme étant égale au dernier budget, ce qui n'est pas intellectuellement convenable, compte tenu notamment des progrès technologiques en matière de traitement de l'information. Il a regretté que le Parlement ne fasse pas un usage plus large de sa capacité à voter des mesures nouvelles négatives.

Pour conclure, M. Philippe Delelis a prôné une clarification de la notion de ressource publique, un effort de globalisation des comptes nationaux et leur audit par des acteurs indépendants.

Audition de M. Fréville

sénateur, professeur émérite à l'université de Rennes I

Jeudi 22 juin 2000

M. Yves Fréville s'est exprimé comme économiste (utilisateur de données sur la politique et l'activité financières de l'Etat) et comme parlementaire (participant à la discussion budgétaire).

Il a fait deux remarques préalables :

L'ordonnance organique fait partie du bloc de constitutionnalité et doit être, de ce fait, modifiée avec beaucoup de précautions et avec l'accord des deux chambres. Un grand nombre de modifications souhaitables de la présentation et de la procédure budgétaires n'impliquent pas une révision de la lettre de l'ordonnance organique.

L'amélioration du système financier de l'Etat ne passe pas par le canal exclusif de l'ordonnance organique. L'élaboration d'une comptabilité décisionnelle (au sens donné à cette expression par le rapport Jean-Jacques François, page 27) n'implique pas que les principes du nouveau système comptable soient définis dans l'ordonnance organique. D'ailleurs l'article 45 de l'ordonnance organique renvoie à des textes d'application, tel le décret du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, sur l'amélioration desquels devrait porter l'essentiel de l'effort, par exemple en matière de comptabilité patrimoniale.

M. Yves Fréville a estimé qu'il faut se garder de recommencer, au niveau de l'Etat, l'erreur commise par les collectivités locales : la M14 est une magnifique instruction comptable et budgétaire, mais elle s'avère tout à fait impropre à la conduite d'une procédure budgétaire démocratique, car plus personne n'est capable de lire le budget d'une collectivité locale tant sa complexité est grande.

M. Yves Fréville a jugé nécessaire le maintien de la dualité entre la comptabilité publique et la comptabilité budgétaire. En revanche, un rapprochement entre comptabilité budgétaire et comptabilité nationale lui a paru souhaitable au niveau macro-économique.

Après ce propos liminaire M. Yves Fréville a rappelé que l'ordonnance organique était visée à deux reprises dans la Constitution :

• Article 34 : " Les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l'Etat, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique. "

• Article 47 : " Le Parlement vote les projets de lois de finances dans les conditions prévues par une loi organique. "

I - La détermination des ressources et des charges de l'Etat

La détermination juridique des ressources et des charges de l'Etat dans l'ordonnance organique doit être harmonisée avec les concepts économiques définis à l'article 104 C et son protocole annexe n° 5 sur la procédure concernant les déficits excessifs du Traité sur l'Union européenne. Il convient également de clarifier les relations financières entre l'Etat (visé par la Constitution) et le gouvernement général (visé par le Traité). Cet alignement porte sur les agrégats de ressources et de charges mais laisse entier le problème de la présentation fine des documents budgétaires.

A - Pour une meilleure définition économique des ressources et des charges de l'Etat

Le protocole n° 5 définit le déficit (qui correspond au besoin net de financement), l'investissement, la dette, par renvoi au système européen de comptes économiques intégrés, et donc au système européen de comptabilité nationale.

Il a estimé que la définition du solde des opérations définitives de la loi de finances devrait coïncider avec la notion économique de besoin de financement net et sans qu'il y ait besoin de table de passage à ce niveau entre comptabilité budgétaire et comptabilité nationale (cf. tableau annexe aujourd'hui publié dans les comptes de la Nation).

En termes simples, les opérations définitives du budget général et des comptes d'affectation spéciale ne devraient plus inclure d'opérations financières (par exemple, ne plus comprendre le produit des privatisations, les recettes sur coupons courus, ou le versement en capital de la CADES). En sens inverse, certaines opérations " non budgétaires et non financières " figurant aujourd'hui en opérations de trésorerie seraient réintégrées dans les opérations définitives (par exemple, la reprise de dette de l'UNEDIC de 15 milliards en 1995 ou les remises de dettes en francs CFA). Le renvoi à un système comptable cohérent éviterait les multiples problèmes de frontières qui, chaque année, font l'objet de discussions interminables au Parlement (cf. soulte France - Télécom). Ainsi, le solde des opérations définitives coïnciderait avec l'accroissement net de la dette. Une autorité indépendante pourrait certifier la conformité du solde des opérations définitives du projet de loi de finances au besoin net de financement défini selon les critères du SECN.

M. Yves Fréville a ensuite abordé un problème connexe, celui du contenu des opérations financières (au sens de la comptabilité nationale). Il faudrait en budgétiser certaines, c'est-à-dire les classer en opérations permanentes au sens de l'ordonnance organique.

On connaît la technique définie par l'ordonnance organique en la matière : ne sont budgétisées que les opérations temporaires donnant lieu à décaissement immédiat et génératrices de créances, c'est-à-dire les prêts et avances. En revanche, les opérations temporaires génératrices de dettes tels les emprunts (et leurs remboursements) sont classées en opérations de trésorerie.

Il lui a semblé que la frontière actuelle entre opérations temporaires (classées en opérations permanentes) et opérations de trésorerie (non budgétisées) devrait être redéfinie moyennant certaines précautions. Cette redéfinition nécessiterait une répartition des opérations financières de la Comptabilité nationale en opérations financières permanentes (budgétisées), opérations financières non permanentes (non budgétisées mais autorisées par la loi de finances) et opérations de trésorerie à court terme. Pour l'information du Parlement, il serait souhaitable de réintroduire dans le tableau d'équilibre la plupart des données du tableau indicatif de financement (emprunts à long et moyen terme et amortissements correspondants), mais cette information risquerait de dégénérer en une autorisation par le Parlement du volume des opérations d'emprunt et d'amortissement. Il a estimé que le ministère des finances doit conserver la possibilité de procéder à toutes les opérations de gestion de la dette prévues aujourd'hui dans la seconde partie de l'article d'équilibre.

Devraient être soumises à autorisation budgétaire les opérations patrimoniales sur titres concernant les entreprises nationales (recettes de privatisation en recettes, dotations en capital aux entreprises publiques en dépenses), les opérations de prêts à plus d'un an et leurs remboursements, les engagements à long et moyen terme de l'Etat sans réception préalable de fonds actuellement classés en opérations de trésorerie (reprise de dettes, etc...), le solde des autres comptes spéciaux du Trésor (hors comptes d'affectations spéciales et comptes de prêts).

L'autorisation générale d'emprunter accordée au ministre des finances devrait l'être au vu d'un état annexé à l'article d'équilibre, retraçant le montant indicatif des opérations d'emprunt à long et moyen terme. Il devrait indiquer les pertes et profits sur emprunts prévisibles (par exemple, les pertes dues à l'indexation de " l'emprunt Giscard ") et le solde des comptes d'avances à court terme (y compris le compte d'avances sur impositions locales).

Concernant les comptes d'avances (à court terme) sur impositions locales, au FSR ou à l'ACOSS, M. Yves Fréville a eu tendance à considérer qu'il s'agissait d'opérations de trésorerie (non permanentes) et qu'il suffirait que le législateur les autorise et définisse pour chaque type d'avances le montant éventuel -limitatif ou évaluatif- du découvert autorisé (il n'y aurait pas de plafond pour le compte d'avances sur impositions locales).

M. Yves Fréville a ensuite résumé ses propositions :

1) Opérations définitives : => solde A " besoin net de financement "

2) Opérations financières classées en opérations permanentes :

- Opérations sur titres (entreprises publiques) sans contraction des recettes et dépenses ;

- Opérations de prêts sans contraction de recettes et dépenses ;

- Solde des comptes spéciaux du Trésor (hors CAS et comptes d'avances) ;

- Engagements à long et moyen terme de l'Etat sans réception de fonds et sans contraction entre recettes et dépenses ;

- Pertes et profits sur emprunts assimilables à des intérêts.

=> Solde d'exécution (A+B) de la loi de finances = besoin d'emprunt net

3) Opérations financières non permanentes autorisées globalement au vu d'un état indicatif annexé à l'article d'équilibre :

- Emprunts à long et moyen terme ;

- Amortissement des emprunts à long et moyen terme ;

- Pertes et profits en capital sur emprunts ;

- Solde des comptes de trésorerie à court terme (emprunts BTF et avances à court terme, y compris comptes d'avances sur impositions locales).

L'état indicatif ne définit nullement des plafonds pour les opérations financières non permanentes.

4) Opérations de trésorerie à court terme (pour mémoire)

M. Yves Fréville a ensuite abordé la question des opérations définitives (ressources et dépenses) en évoquant l'application de la règle de l'universalité et de non contraction des recettes et dépenses.

a) La règle de l'universalité s'applique notamment aux remboursements et dégrèvements d'impôts (ce sont juridiquement des dépenses) et aux recettes d'ordre de la dette. La non contraction des recettes et des dépenses est cependant économiquement injustifiée et devrait être autorisée dans certains cas particuliers :


• Contraction dans l'état A des recettes fiscales et des dégrèvements et remboursements d'impôts d'Etat (et non des dégrèvements d'impôts locaux) ;


• Contraction dans le Titre I de la charge d'intérêts de la dette et des recettes sur coupons courus de la ligne 806.

Une procédure devrait être mise en place pour autoriser ces contractions.

b) La répartition par titres des dépenses devrait être revue pour permettre la discussion du budget par titres. La dette viagère devrait être réintégrée dans le titre I. Concernant la présentation, il a indiqué que :


• Il serait souhaitable, ainsi que le fait la Grande-Bretagne, de faire apparaître dans les dépenses de fonctionnement du titre III l'amortissement des biens capitaux (avec contrepartie au titre V) ;


• Il serait souhaitable de développer la pratique des provisions (elle existe déjà de façon homéopathique avec le PEP) ;

M. Yves Fréville en a déduit deux propositions :

La stabilisation de la nomenclature budgétaire est une impérieuse nécessité. Les modifications apportées à la nomenclature devraient être approuvées par un " Comité de la nomenclature budgétaire " au sein duquel seraient représentés le Parlement, la Cour des comptes, le Conseil d'Etat, l'INSEE et le ministère des finances. En cas de modifications, de transferts, de débudgétisations, les documents budgétaires (y compris la loi de règlement) seraient établis pendant deux ans suivant l'ancienne et la nouvelle nomenclature (deux ans pour mesurer l'impact du changement en année pleine).

La distinction entre les opérations réelles et les opérations d'ordre devrait être introduite dans l'ordonnance organique.

Elle permettrait de régler les problèmes de contraction des recettes et dépenses, d'amortissements, ainsi que les problèmes de doubles comptes (subvention du budget général au Budget annexe des prestations agricoles, aux comptes d'affectations spéciales, retenues pour pensions sur les traitements des fonctionnaires). Les agrégats significatifs seraient évidemment évalués en termes réels. Mais il ne faudrait pas tomber dans les errements de la M 14 et abuser des opérations d'ordre (d'où leur autorisation par le Comité de la nomenclature budgétaire).

c) La comparaison des prévisions et des réalisations doit être rendue possible pour les opérations définitives. Cela implique d'abord que les fonds de concours ne soient plus inscrits " pour mémoire " en loi de finances initiale, mais pour leur montant évaluatif (en ressources et crédits), ensuite que les opérations définitives des comptes d'affectations spéciales ne soient pas contractées sous forme de soldes, mais soient retracées en brut, enfin que les opérations internes entre budget général et comptes d'affectation spéciale, voire budgets annexes soient retracées en opérations d'ordre (exemple subvention du budget général au Budget annexe des prestations agricoles ou à un compte d'affectation spéciale). Il est en effet nécessaire que puisse être établie sans ambiguïté une consolidation du budget général et des comptes d'affectations spéciales.

S'agissant de la distinction du budget général et des comptes spéciaux du Trésor, M. Yves Fréville souhaite qu'elle demeure afin de traiter correctement le problème des affectations de recettes.

En revanche, la catégorie des budgets annexes pose problème et pourrait être supprimée car elle est totalement inadaptée à la gestion économique de services industriels et commerciaux. Cela ne poserait qu'un problème de protocole pour les budgets annexes de la Légion d'honneur et de l'ordre de la Libération (qui pourraient cependant être reclassés en Titre II dans le budget de la Chancellerie). Le Budget annexe des prestations agricoles n'a pas de raison d'être et pourrait être reclassé pour partie dans le budget de l'agriculture. On supprimerait ainsi l'affectation comptable de certains impôts (TVA) dans ce budget annexe. Quant aux trois autres budgets annexes qui correspondent mieux à la définition de l'ordonnance organique, ils devraient disparaître par transformation en d'autres structures externes au budget de l'Etat (établissement public ou entreprise nationale ) comme ce fut déjà le cas pour le service des poudres, la Poste ou France Télécom.

B - Les relations financières entre l'Etat et le reste du " gouvernement général " (au sens de l'article 2 du protocole n° 5, soit les administrations centrales, autorités régionales et locales et les fonds de Sécurité sociale)

Cette question est totalement ignorée par l'ordonnance organique de 1959, alors qu'elle devient centrale pour la conduite de la politique budgétaire. C'est au niveau du budget de l'Etat que la cohérence d'ensemble de la politique financière du gouvernement général est assurée. La notion de prélèvements sur recettes de l'Etat ne figure pas dans l'ordonnance organique et fait l'objet de critiques sévères de la Cour des Comptes.

Si l'on prend comme exemple les relations financières entre l'Etat et les collectivités locales, on constate un éparpillement des dotations entre plusieurs rubriques :


• prélèvements sur recettes : dotations [ex. : DGF (dotation globale) FCTVA (dotations d'investissement)] ;


• prélèvements sur recettes : compensations d'exonérations fiscales ;


• dégrèvements d'impôts locaux : dépenses des charges communes déduites en recettes et dépenses dans l'article d'équilibre ;


• dépenses de fonctionnement (ex : DGD, titre IV, ministère de l'intérieur) ;


• dépenses d'investissement (ex : DRES, DDEC, titre VI, ministère de l'intérieur).

La création d'une exonération fiscale compensée par l'Etat peut accroître les dépenses nettes si la compensation transite par la DGD (cas des DMTO) ou réduire les recettes nettes si la compensation prend la forme d'un prélèvement. Ceci explique les multiples difficultés d'appréciation du taux de croissance exact des recettes et dépenses.

Cet éparpillement correspond à la nature juridique différente des diverses dotations. Ici encore il faudrait faire prévaloir l'exigence de lisibilité (économique) du budget.

Un choix doit être opéré : ou on généralise la notion de prélèvement et de " partage des ressources " (revenue sharing), ou on réintègre tous les prélèvements dans le budget de l'Etat, le cas échéant en créant de nouveaux titres IV bis et VI bis. Mais le pire serait de rester assis entre deux chaises comme aujourd'hui. M. Yves Fréville a montré sa préférence pour la première solution. Elle conduirait à un Etat A modifié et un tableau d'équilibre en deux parties.

a) L'état A comprendrait : les recettes fiscales brutes dont on déduirait les dégrèvements et remboursements d'impôts d'Etat, les recettes non fiscales et les fonds de concours. On obtiendrait ainsi le solde c'est-à-dire les recettes nettes à partager.

Les dégrèvements et remboursements d'impôts d'Etat devraient être redéfinis juridiquement et ne figureraient plus au budget des charges communes (ils sont d'ailleurs évalués dans le fascicule des voies et moyens). Les fonds de concours seraient évalués en loi de finances initiale. Le solde de l'état A ferait apparaître les recettes nettes à partager entre l'Etat, les collectivités locales et la sécurité sociale.

b) Une première partie du tableau d'équilibre décrirait le partage des recettes au sein du gouvernement général :

Les recettes à partager seraient réparties selon le schéma suivant : les prélèvements au profit de l'Union européenne, les prélèvements au profit de la Sécurité sociale et les prélèvements au profit des collectivités locales. Le solde ainsi obtenu constituerait les recettes nettes de l'Etat.

Chaque groupe de prélèvements ferait l'objet d'un article en première partie de loi de finances initiale (généralisation de la pratique instituée pour le prélèvement au profit de l'Union européenne).

Les " prélèvements " regrouperaient des crédits de nature diverses sur le plan juridique. En ce qui concerne les collectivités locales : dégrèvements d'impôts locaux, prélèvements actuels, dotations diverses. Seules les subventions spécifiques resteraient inscrites dans les budgets des ministères.

La renaissance d'un prélèvement au profit de la Sécurité sociale (qui a existé au début des années 1970) assurerait l'articulation entre la loi de finances et la loi de financement. Ce prélèvement devrait permettre la suppression des divers fonds auxquels ont été affectés d'anciens impôts d'Etat et la rebudgétisation des " impositions de toutes natures " affectées à la sécurité sociale, y compris la CSG, la CRDS etc...

Ainsi les prélèvements conserveraient leur nature de ressources " négatives " au regard de l'article 40 de la Constitution. Leur extension accroîtrait le champ du droit d'amendement des parlementaires

c) La seconde partie de l'article d'équilibre correspondrait alors au budget de l'Etat stricto sensu.

II - Contenu, présentation et vote des lois de finances

A - La procédure budgétaire

M. Yves Fréville a exposé sa philosophie générale : le Parlement perd beaucoup trop de temps à discuter en deuxième partie les divers fascicules ministériels pour un résultat quasi nul. Les ministres exposent sans grand danger des politiques pour le futur alors qu'il serait beaucoup plus sain, comme en Grande Bretagne, de contrôler l'exécution du budget précédent (avec auditions télévisées en commission). La discussion de la première partie fait une place de plus en plus grande à la discussion des réformes fiscales (par exemple la réforme Juppé de l'impôt sur le revenu) alors que celles-ci devraient faire l'objet de lois séparées. En revanche, le fond de la discussion budgétaire est à peine abordé dans la discussion générale.

Il a préconisé pour le moins de revenir à la lettre de l'ordonnance organique avec la discussion du budget par titres et en respectant la distinction de l'article d'équilibre entre crédits civils et militaires : titre I : politiques de la dette et des retraites (dette viagère) ; titre III : politique de l'emploi et des salaires pour la fonction publique, coût de fonctionnement des services publics ; titre IV : politiques d'interventions par grands secteurs (économique, social, éducatif et culturel, logement) ; titres V et VI : politique d'investissement).

Il a abordé quelques points particuliers :

1) Le pouvoir d'amendement du Parlement

Toute réforme est d'ordre constitutionnel. De toute façon, l'article 42 de l'ordonnance organique est plus restrictif que l'article 40 de la Constitution, mais n'est pas invoqué en pratique en ce qui concerne les recettes.

Sur le plan procédural, le contrôle quasi-juridictionnel exercé par le président de la commission des finances de l'Assemblée nationale sur la recevabilité des amendements parlementaires est d'ailleurs un élément essentiel pour le respect des délais d'examen de la loi de finances initiale devant l'Assemblée nationale .

Au fond, la dissymétrie entre le pouvoir d'amendement en matière de recettes et en matière de dépenses est pernicieuse. Le parlementaire qui souhaite obtenir un résultat tangible lors de la discussion budgétaire ne peut l'obtenir qu'en obtenant le vote d'un amendement fiscal c'est-à-dire qu'au prix de la complexification de la loi fiscale. De plus, la technique du gage " à due concurrence " lui donne une totale liberté d'initiative en ce domaine alors que celle-ci est nulle en matière de dépenses.

Néanmoins M. Yves Fréville s'est dit convaincu qu'il n'était ni possible ni souhaitable de revenir sur le principe de l'article 40.

2) La distinction en deux parties de la loi de finances et le vote " positif " de la première partie (article 40 de l'ordonnance de 1959 relative aux lois de finances).

Il n'a pas paru souhaitable à M. Yves Fréville de revenir sur l'exigence posée en 1979 par le Conseil constitutionnel d'un vote " positif " de la première partie avant de passer à l'examen de la seconde partie. Il est essentiel que le gouvernement puisse contraindre sa majorité à adopter l'article d'équilibre qui sert de loi des maxima pour la discussion de la seconde partie fut-ce par le biais de l'article 49-3. La question se limite à savoir si cette exigence du vote positif doit être appliquée au Sénat. M. Yves Fréville s'est dit convaincu que oui, car il serait dangereux de s'engager dans la voie d'une procédure de vote différente dans chaque chambre.

B - Le contenu et la présentation des lois de finances

1) Le contenu des documents budgétaires et la comptabilité budgétaire

La présentation actuelle conduit à répartir les crédits par titres et par ministères, puis à les sous-répartir par chapitres (et à les sous sous-répartir par articles, paragraphes, etc..) en distinguant à chaque étape les services votés et les mesures nouvelles. C'est une classification descendante arborescente.

M. Yves Fréville a affirmé que, la cohérence macro-économique étant assurée par une discussion par titres, un autre type de présentation devrait être adopté au niveau de chaque ministère pour permettre un contrôle fructueux des actions gouvernementales. La notion d'agrégat devrait être affinée et devenir le fondement de la présentation de chaque fascicule ministériel en loi de finances initiale et en loi de règlement.

On aurait ainsi une double répartition des crédits (et des dépenses) : une répartition administrative traditionnelle par chapitre, article etc... , et une répartition par objectif, par agrégat.

Le contenu d'un chapitre pourrait être réparti entre plusieurs agrégats. Inversement, un agrégat regrouperait des crédits de nature différente (dépenses de personnel, de fonctionnement-matériel, d'intervention, provisions et amortissements). Les crédits d'investissement ne figureraient pas dans les agrégats, à la différence évidemment des amortissements.

L'agrégat regrouperait ainsi l'ensemble des crédits de fonctionnement (en loi de finances initiale) ou des dépenses (en loi de règlement), correspondant à un objectif ou à une fonction de l'administration. Le coût, les indicateurs de moyens (personnels) et de résultats par agrégat serviraient alors de fondement à la fonction de contrôle du Parlement.

M. Yves Fréville s'est dit convaincu que le gouvernement a besoin d'une certaine liberté en matière de transfert des crédits au sein d'un agrégat donné, à l'exception cependant des créations d'emplois qui doivent être contrôlées.

2) Le problème spécifique des crédits de personnel

Les créations et transformations d'emplois relèvent du domaine exclusif des lois de finances (article 1 de l'ordonnance organique). On relèvera le paradoxe suivant : les 9/l0èmes des mesures nouvelles concernent avec un luxe de détails inouï les transformations d'emplois, directes ou générées en cascade par les créations d'emplois. Il a jugé que les transformations pourraient être autorisées globalement par la loi de finances.

Il a fait remarquer que l'on ignore en revanche à peu près tout de la politique du personnel menée dans chaque ministère, sa répartition géographique ou par âges, l'échelle réelle des traitements, les effectifs réels, etc.... Les " bleus " intéressent de ce fait plus les syndicalistes que les parlementaires... Un énorme effort de modernisation des documents budgétaires restera à accomplir en ce domaine après adaptation de l'ordonnance organique.

3) Les crédits de pension

Ainsi qu'il a déjà été dit, les crédits de pension devraient être rattachés au titre I (dette viagère) et votés globalement dans le cadre du budget des charges communes (où ils sont transférés après le vote de la loi de finances initiale). La ventilation de ces crédits entre les divers départements ministériels relève de l'art de la " gonflette " (pourquoi rattacher par exemple les pensions des universitaires... à la section scolaire du ministère de l'Education nationale ?)

4) Le problème de l'annualité budgétaire

Dans ce domaine, M. Yves Fréville a jugé une évolution de la présentation budgétaire et notamment du rapport économique et financier indispensable afin de mesurer l'impact réel des mesures nouvelles. La présentation de la loi de finances de l'année devrait être accompagnée d'une projection des dépenses et des recettes pour les années (n+1) et (n+2), compte tenu d'abord des mesures discrétionnaires de l'extension en année pleine des mesures nouvelles de fonctionnement, des échéanciers des crédits de paiement en matière d'investissement et des lois programmes et de programmation militaire, des engagements divers de l'Etat (contrats de plans Etat-région, négociations salariales dans la fonction publique), compte tenu ensuite de l'impact de la conjoncture et du jeu des stabilisateurs automatiques.

En d'autres termes la France doit se doter de 1'équivalent du " Red Book " britannique afin que les principales grandeurs budgétaires soient retracées :

- en exécution, pour les deux dernières années connues ;

- en prévision, pour l'année en cours et l'année de la loi de finances initiale ;

- en projection, pour les deux années suivantes.

C'est sur cette base que devrait être menée la discussion générale du projet de budget, discussion actuellement quasi inexistante.

Interrogé par le Président Alain Lambert sur l'ampleur d'une réforme, M. Yves Fréville s'est dit convaincu que le Parlement doit faire comprendre au gouvernement qu'il souhaite trouver un accord sur l'objectif et la philosophie générale ; les moyens viendront ensuite.

En réponse au Président Alain Lambert qui lui demandait de relater ses expériences d'ancien député quant à la meilleure procédure d'examen, il a estimé que, quelle que soit l'organisation retenue -elle a changé plusieurs fois, plus ou moins longue en commission ou en séance publique-, l'exercice lui avait semblé toujours inadapté. Il a jugé vain l'examen actuel de la deuxième partie qui fait perdre beaucoup de temps au Parlement et demeure très conventionnelle. La vraie révolution consisterait à voter la seconde partie (et les mesures nouvelles) titre par titre et non plus ministère par ministère.

Il conviendrait ensuite d'organiser sur des bases nouvelles le travail de contrôle des commissions qui porterait simultanément sur la loi de règlement de l'exercice (n-1), l'exécution en cours du budget de l'année n, et les mesures nouvelles de la loi de finances pour (n+1). Ce contrôle aurait lieu, ministère par ministère et ferait l'objet de débats télévisés en commission.

Il lui semble en effet que la réhabilitation nécessaire du contrôle parlementaire est soumise à une double condition. Il faut d'abord que les commissions disposent de temps pour y procéder. Ce temps peut être obtenu par l'allégement des débats en séance publique de la deuxième partie de la loi de finances, grâce à la suppression de la discussion largement inutile des fascicules ministériels. Il convient ensuite que les parlementaires, et en particulier les députés, aient intérêt à s'investir dans le contrôle parlementaire et bénéficient à ce titre d'un " retour médiatique ", grâce à la diffusion sur la chaîne parlementaire des auditions des ministres et de leur questionnement par les rapporteurs et les commissaires.

Audition de M. Raoul Briet, en sa qualité de directeur de la sécurité sociale,

et de M. Dominique Libault, sous-directeur du financement et de la gestion de la sécurité sociale au secrétariat d'Etat à la santé et aux handicapés

Mercredi 28 juin 2000

M. Raoul Briet a indiqué qu'il avait assisté à la préparation et à l'exécution des lois de financement de la sécurité sociale depuis l'origine et que, actuellement, aucun débat n'était engagé, au ministère des affaires sociales, sur une réforme éventuelle de la loi organique.

M. Raoul Briet a expliqué que la loi de financement de la sécurité sociale relevait d'une démarche intellectuelle et politique très différente de celle de la loi de finances.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale instaure un cadre général de cohérence financière qui s'applique à de multiples régimes sociaux. La notion de " sécurité sociale " est, en effet, l'addition d'une multitude d'entités juridiquement autonomes. Cette vision reflète le choix politique qui a été effectué par le législateur organique en 1996 : l'objectif du gouvernement était de permettre au Parlement d'intervenir dans les choix fondamentaux relatifs à la sécurité sociale et non de fixer les paramètres de fonctionnement de chacun des régimes. Ceci s'est traduit par un souci de ne pas transposer la structure et l'esprit de la loi de finances aux lois de financement de la sécurité sociale. M. Raoul Briet a illustré son propos en rappelant que le projet de loi de financement de la sécurité sociale ne comportait pas d'article d'équilibre.

S'agissant plus particulièrement des dépenses, M. Raoul Briet a indiqué que la frontière entre celles qui sont prises en charge par l'Etat et celles qui incombent à la sécurité sociale était naturellement conventionnelle et donc évolutive. Il faut donc admettre que la nature de la dépense ne détermine pas son mode d'imputation entre les deux textes (allocation de parent isolé, allocation rentrée scolaire). En outre, le partage du financement entre recettes fiscales et produit des cotisations sociales s'affirme de plus en plus. Il est particulièrement présent au sein de la branche famille, dont le caractère assurantiel est moins net que dans la branche maladie.

La tendance actuelle conduit à s'éloigner d'un financement entièrement assuré par les cotisations. La création de la Contribution sociale généralisée (CSG) en 1991 et son évolution depuis lors, les prélèvements sur recettes, les recettes fiscales affectées, sont autant de changements qui accroissent le contenu fiscal des projets de loi de financement de la sécurité sociale. M. Raoul Briet a fait remarquer que le ministère des finances avait tendance à transformer les crédits d'Etat, au profit de la sécurité sociale, en apports directs de recettes fiscales (taxe générale sur les activités polluantes, contribution sociale sur les bénéfices notamment). Il a jugé cette évolution positive car elle conduit à diversifier les secteurs économiques responsables du financement de la protection sociale. Cette politique contribue en outre à la baisse des charges sociales sur les salaires et, de ce fait, favorise l'emploi.

M. Raoul Briet a ensuite abordé les récentes créations d'établissements publics destinés à gérer financièrement certaines actions. Il a jugé injustes les critiques dont ils font l'objet. Il a en effet affirmé que l'existence de ces établissements permettait d'accroître la transparence des actions gouvernementales car il est désormais possible d'en identifier les coûts. Il a rappelé que le législateur organique avaient prévu en 1996 le vote du Parlement sur les comptes de ces établissements. Leur contrôle est ainsi inséré dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Il a expliqué, à la demande du Président Alain Lambert, que cette disposition avait été prise en raison de la création du Fonds de solidarité vieillesse (1993), antérieure à la promulgation de la loi organique, afin de favoriser une vision globale des comptes sociaux.

Puis M. Raoul Briet a souligné que le calendrier de la loi de financement de la sécurité sociale posait problème au regard de son articulation avec celui de la loi de finances, tant dans sa phase préparatoire (arbitrage avec le ministère des finances puis avec le Premier ministre), qu'au cours de la discussion au Parlement. Les nombreuses incidences d'un texte sur l'autre, notamment lors du vote du Budget annexe des prestations agricoles (BAPSA), qui figure dans les deux projets de loi, rendent le suivi des navettes particulièrement complexe.

Il a relevé que la lisibilité d'ensemble n'allait pas toujours de soi - par exemple le financement partagé de l'allocation de rentrée scolaire - et que certains votes pouvaient être contradictoires, comme ce fut le cas, pour l'exercice 2000, pour les frais de perception de la CSG.

Il a suggéré de créer des annexes informatives communes aux deux projets de loi. Il a également espéré qu'à l'avenir, les recettes fiscales ne fassent plus l'objet d'un partage, mais que l'on procède plus souvent à des affectations uniques de recettes fiscales à la sécurité sociale. Il a indiqué que le BAPSA créait des difficultés car il ne constitue pas un vrai budget annexe. Votées au sein du projet de loi de finances, ses dépenses et ses recettes sont également reportées dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Cette structure d'examen constitue un facteur de complexité.

M. Raoul Briet a, pour conclure, expliqué que la Direction de la sécurité sociale travaillait à la réforme de la comptabilité des régimes : le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 sera présenté et voté en droits constatés (pour l'exercice 2001, il donnera lieu à une première présentation en droits constatés, à titre exclusivement informatif). La production des comptes en cours d'année, à compter de 2002, permettra également un meilleur suivi de l'exécution.

Le Président Alain Lambert , tout en admettant que la modification d'un texte législatif récent devait être prudente, s'est dit préoccupé par l'actuelle organisation dans laquelle le Parlement doit étudier, dans des délais très brefs, deux documents, au sein de deux commissions, et cela dans les deux chambres. M. Dominique Libault a lui aussi reconnu que l'organisation comportait des difficultés qui avaient été soulevées lors de l'examen du BAPSA. La coordination ne peut s'effectuer aisément au Sénat. Mais il a fait remarquer que si le régime agricole pourrait trouver sa place au sein de la loi de financement de la sécurité sociale (le régime des mines, qui est très fortement subventionné par l'Etat, s'y trouve), le Conseil constitutionnel n'avait pas jugé la procédure d'examen actuelle inconstitutionnelle. Le calendrier pourrait être amélioré, mais il est lié aux décisions du Premier ministre.

En réponse au Président Alain Lambert qui s'interrogeait sur la contradiction existant entre l'autorisation de lever l'impôt - autorisation propre à la loi de finances - et l'utilisation des recettes par la loi de financement de la sécurité sociale, M. Dominique Libault a expliqué que l'on pouvait avoir la tentation de penser que les recettes affectées seraient susceptibles d'être autorisées par la loi de financement de la sécurité sociale. Il a précisé que cette question n'était pas à l'ordre du jour.

Interrogé sur l'incidence de la comptabilité en droits constatés, M. Dominique Libault y a vu une supériorité évidente sur la comptabilité de caisse. Il s'est dit convaincu qu'elle permettrait un meilleur pilotage des finances sociales. Pour son application, la Direction de la sécurité sociale oeuvre à l'harmonisation du travail des agents comptables des différents régimes, et entend mettre en place prochainement une instance jouant un rôle de " police comptable permanente ".

En réponse au Président Alain Lambert, qui déplorait que le citoyen ne puisse pas disposer d'une vision claire des finances publiques et notamment de l'utilisation qui est faite des impôts et taxes qu'il acquitte, M. Dominique Libault a fait remarquer que la création du projet de loi de financement de la sécurité sociale représentait une avancée démocratique. Il a considéré que cette pratique, encore jeune, ne pouvait pas répondre dès à présent à toutes les exigences démocratiques.

Il a toutefois admis que la coexistence d'une comptabilité en droits constatés pour la sécurité sociale et d'une comptabilité de caisse pour les opérations budgétaires, ne favoriserait ni l'agrégation des comptes nationaux, ni la lecture démocratique des finances publiques. A terme, le plus logique serait que tous adoptent une comptabilité en droits constatés.

M. Raoul Briet a indiqué que la confection des comptes nationaux échappait totalement à sa direction. Les agrégats sont peu contrôlés au regard de leur impact au plan international, et il a regretté qu'ils ne fassent pas l'objet d'un audit externe. Le nouveau plan comptable adopté par la sécurité sociale a été élaboré en concertation avec les comptables de l'INSEE et le ministère des finances. Il permet de satisfaire les besoins de chacun.

Interrogé sur la liaison entre projet de loi de finances et projet de loi de financement, M. Raoul Briet s'est dit favorable à la confection d'une annexe commune aux deux projets, qui retracerait les transferts de l'un à l'autre. Il a toutefois objecté qu'il fallait s'entendre sur la notion de transferts, l'Etat apportant des contributions à trois titres, en tant qu'employeur, garant et expression de la solidarité nationale.

M. Raoul Briet ne s'est pas déclaré opposé au vote d'un article spécifique au sein du projet de loi de finances sur ces transferts. Pour conclure, il a insisté sur la nécessité de maintenir un périmètre constant, d'une année sur l'autre, dans la présentation des projets, afin de permettre l'établissement de comparaisons.

Audition de M. François Monier,

en sa qualité de secrétaire général de la

Commission des comptes de la sécurité sociale

Jeudi 29 juin 2000

M. François Monier a abordé trois points relatifs au projet de loi de finances et au projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Le premier point concerne les impôts et les taxes affectées à la sécurité sociale. Leur montant s'est considérablement accru, principalement à cause de l'importance de la Contribution sociale généralisée (CSG), dont le montant s'élevait à 300 milliards de francs en 1999. Il a également cité les taxes sur les tabacs et sur les assurances. Il a fait remarquer que ces impôts et taxes sont discutés en loi de financement de la sécurité sociale, et doivent le rester, même si l'autorisation de les percevoir relève de la loi de finances.

Le deuxième point concerne les transferts entre le budget de l'Etat et la sécurité sociale. Il les a évalués à 200 milliards de francs pour l'année 1999. Ils sont constitués de subventions aux régimes sociaux, de remboursements d'exonérations (70 milliards de francs en 1999) et de prise en charge de prestations (revenu minimum d'insertion, allocation adulte handicapé). M. François Monier a jugé que ces transferts, qui figurent nécessairement dans les deux projets, devraient faire l'objet d'une présentation plus claire et plus lisible, qui pourrait prendre la forme d'une annexe commune. A cet égard, il a souligné la difficulté que représentera la cohabitation de deux types de comptabilité : l'une en droits constatés - pour la sécurité sociale - et l'autre en comptabilité de caisse - pour l'Etat.

Le troisième point concerne les fonds (fonds solidarité vieillesse, fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale). M. François Monier a estimé que leur création contribuait à améliorer la transparence des finances sociales car elle permet d'isoler une dépense. Cependant, elle entraîne un changement des périmètres financiers de l'Etat et de la sécurité sociale. C'est notamment le cas du fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale (FOREC) instauré par la dernière loi de financement. Afin de ne pas brouiller la vision globale des finances publiques, il a suggéré que des documents permettant de reconstituer les évolutions à périmètre constant soient annexés aux deux projets de lois.

Il a indiqué que la direction du budget du ministère des finances souhaitait accroître les recettes directement affectées à la sécurité sociale, afin de limiter les transferts d'Etat.

Le Président Alain Lambert a fait remarquer que les citoyens étaient excédés par le manque de transparence et de lisibilité des comptes de l'Etat. Il a regretté que l'Etat cherche à s'organiser d'un point de vue administratif sans mettre le citoyen - qui acquitte les impôts et taxes - au coeur de l'organisation.

M. François Monier a estimé pour sa part que les consolidations actuelles des comptes nationaux étaient correctes, et ne permettaient pas de dissimuler des éléments. Il a toutefois reconnu que ces agrégats, trop larges, n'étaient pas très parlants pour le citoyen.

Il a expliqué qu'il souhaitait établir un passage clair entre les comptes de la sécurité sociale et les comptes nationaux, mais que les différences comptables évoquées plus haut y faisaient obstacle. D'autres difficultés apparaissent tenant à des différences de champ, de concept, de calendrier d'élaboration des comptes : en 1999 le solde du régime général était excédentaire de 3,8 milliards de francs en droits constatés, mais négatif de 5 milliards au sens de la comptabilité européenne. La Cour des comptes demande une table de passage entre les deux types de comptabilité.

Interrogé sur les missions et l'organisation de la Commission des comptes de la sécurité sociale, M. François Monier a expliqué que celle-ci devait contribuer à éclairer le citoyen. Le secrétaire général commente les comptes. Par exemple, au printemps 2000, il a estimé que les prévisions de dépenses d'assurance maladie seraient dépassées. Le secrétaire général est garant de la qualité et de la vérité des comptes. Il a indiqué qu'il était seul affecté à cette commission et qu'il s'appuyait, pour la préparation des rapports, sur une équipe de la direction de la sécurité sociale. Il a par ailleurs indiqué qu'il cumulait cette fonction avec d'autres, et qu'il ne consacrait à la Commission des comptes que deux ou trois mois dans l'année (afin d'en préparer les réunions).

Il s'est déclaré optimiste quant à la qualité des comptes car les diverses directions du ministère de l'emploi et de la solidarité y travaillent assidûment, et a jugé la période favorable, en raison de la disparition des gros déficits. Les délais de reddition se réduisent, et le nouveau plan comptable entrera prochainement en vigueur.

La nomination du secrétaire général, actuellement du ressort du ministre de la sécurité sociale, a fait l'objet d'un amendement au Sénat visant à faire précéder cette nomination d'une proposition conjointe des présidents des deux assemblées. Il a précisé qu'il n'intervenait pas dans la préparation du débat d'orientation budgétaire, mais qu'il souhaitait que cela soit possible.

Interrogé par le Président Alain Lambert sur l'éventuel regroupement au sein d'un chapitre unique en loi de finances de l'ensemble des transferts de l'Etat à la sécurité sociale, il a déclaré cette idée réalisable. Il conviendrait de distinguer trois lignes : les virements effectués au titre de l'Etat employeur, de l'Etat puissance publique (remboursements, subventions) et de l'Etat gérant un régime de sécurité sociale (transferts de compensation entre régimes de sécurité sociale).

Audition de M. Jean-Jacques François,

Trésorier-payeur général
responsable de l'Agence comptable centrale du Trésor

Jeudi 15 juin 2000

M. Jean-Jacques François a indiqué qu'il avait été chargé, par les ministres des finances, d'une mission sur la comptabilité patrimoniale de l'Etat (MCP).

Il a expliqué que la mission avait tout d'abord cherché à définir un concept pertinent. La notion de budget de l'Etat lui a semblé trop restrictive, car elle exclut la trésorerie et minimise la question des coûts. Celle de comptabilité lui a semblé trop technique et ne représente pas un objectif en soit. Le terme de gestion lui a semblé trop vague.

La mission a donc proposée un nouveau concept : le système financier de l'Etat, qui comporte à la fois les règles, les acteurs (ministère des finances, ministères dépensiers, Cour des comptes, Parlement etc), et les processus (la façon dont travaillent concrètement les administrations).

Il a insisté sur la nécessité d'examiner les trois dimensions simultanément, de nombreux échecs de réforme pouvant s'expliquer par une vision trop partielle des choses.

La mission s'est posée les questions suivantes : l'Etat dispose t-il de l'information utile au bon moment ? les processus sont-ils efficaces au regard des délais, des coûts, des résultats ? l'argent public est-il dépensé au mieux ? Les acteurs publics accepteront-ils de passer d'une logique de moyens à une logique de résultat ?

M. Jean-Jacques François a ensuite comparé le système français actuel à ceux des autres pays industrialisés, et a constaté que la France accusait un retard croissant. La globalisation des crédits, et la pluriannualité est pratiquée plus largement à l'étranger. Par ailleurs la comparaison objectif/coût/résultat, est trop souvent absente de notre culture.

Enfin, la MCP a noté une tendance lourde à la séparation du politique et de l'administratif dans les pays développés.

Il a noté une forte convergence des pratiques budgétaires. S'agissant en revanche des états financiers (les comptes) les marges de manoeuvre restent importantes en dépit des normes SEC 95 et de l'International Federation of Accountants (IFAC).

Il existe deux grandes familles : budget et comptabilité intégrés (modèle anglo-saxon) et budget et comptabilité articulés (Etats-Unis).

Il a déploré que, depuis 1989, de nombreuses réformes aient été lancées puis abandonnées (renouveau, projet de service, qualité, centre de responsabilité).

M. Jean-Jacques François a en revanche noté que la France avait des atouts dans son organisation financière actuelle. Le budget est présenté en " cash ", ce qu'il a jugé sain, estimant que la comptabilité en droits constatés représentait une forme élaborée de suivi mais qu'à l'expérience d'un établissement public administratif, le budget en droits constatés était difficile à interpréter. La notion d'unité de trésorerie d'unité budgétaire et comptable lui a semblé très moderne et structurante. Il a indiqué que la centralisation comptable française était étudiée par nos homologues étrangers qui envient le ministère des finances de disposer d'une situation hebdomadaire et que le contrôle des dépenses a priori par des fonctionnaires de haut niveau relevant du ministre des finances était très important, même si ses modalités devaient évoluer.

Il s'avère donc nécessaire de faire évoluer le dispositif en le complétant, et non de le casser en s'inspirant d'un modèle tout fait.

M. Jean-Jacques François a ensuite exposé les pistes de réformes envisagées par la mission.

Il s'est demandé si la nomenclature budgétaire n'était pas dépassée, et si elle permettait au Parlement de se prononcer sur les vrais enjeux financiers ce qui pourtant relève d'une exigence démocratique élémentaire.

Le débat d'orientation budgétaire constitue à cet égard une avancée très intéressante. La notion d'agrégat, associée aux indicateurs d'efficacité et d'efficience, mise en oeuvre à l'initiative de la direction du budget, va également dans le bon sens. Il a estimé que la comptabilité publique devait évoluer et qu'il était nécessaire de développer une comptabilité décisionnelle, c'est à dire qui permette d'éclairer la prise de décision.

L'Etat est en retard sur le secteur local (instruction comptable M14) faute notamment d'une réelle attente de la part des "clients ".

Il est souhaitable, entre autre, de comptabiliser les engagements et les risques dans le " hors bilan ", de travailler sur les coûts et de décrire complètement la situation financière de l'Etat (droits constatés, filiales, éléments patrimoniaux). Il a estimé indispensable de consolider les comptes des administrations publiques (collectivités locales, établissements publics et secteur social).

M. Jean-Jacques François a estimé ces modifications d'autant plus nécessaires que le contexte actuel est très différent de celui de 1959 :

• l'Etat n'a pas assez de marge de manoeuvre financière, il est indispensable de lui en redonner.

• la mondialisation engendre une mise en concurrence des administrations et induira la convergence des systèmes financiers.

• le système d'information public n'est pas adapté aux nouvelles technologies de l'information, et sa structuration est archaïque. Seul le Trésor public propose un dispositif pyramidal, certes perfectible, mais globalement performant.

• les attentes de l'opinion sont fortes : solidarité, transparence des administrations, efficacité, revendication d'un statut de " client " et non plus d'usager.

• la bonne gestion est devenue une priorité face à des observateurs qui ne supportent plus les " dérives " : gaspillages, erreurs de gestion, opacité.

Il a noté qu'il n'existait pas à sa connaissance de consensus sur la nécessité d'agir vite et en profondeur - non plus que sur le sens de l'évolution à retenir, et que seules la responsabilisation et la déconcentration faisaient largement l'unanimité. Il a souligné que le débat sur l'ordonnance de 1959 relative aux lois de finances était l'occasion de réformer les principes, mais aussi les comportements.

Le texte actuel permet d'évoluer à condition qu'on en fasse une interprétation dynamique: droits constatés, calcul des coûts, hors bilan, qualité comptable, globalisation, pluriannualité, reports etc...

La réforme des textes sera d'autant plus efficace qu'elle s'appuiera sur un cadre conceptuel moderne : budget en cash articulé avec un système d'information structuré par une comptabilité décisionnelle.

M. Jean-Jacques François a ensuite énuméré ce qui, a ses yeux, devait être réformé en priorité :

• la description fidèle de la réalité financière de l'Etat dans ses dimensions budgétaire, patrimoniale, relation avec les tiers, trésorerie etc...

• le " reporting " financier doit être développé afin de procurer aux responsables un outil de pilotage de l'Etat et au Parlement des éléments d'appréciation de l'exécution ;

• la mise en place d'un nouveau référentiel  comptable : une comptabilité financière et une comptabilité économique, qui permette de mesurer l'efficacité et les coûts ;

• la modernisation du système d'information (infocentre, ERP)

• la mise à niveau des comptes nationaux au regard des standards internationaux, afin de pouvoir faire la promotion de notre système à l'étranger et faire jeu égal avec les anglo-saxons ;

• la qualité des informations comptables, afin de garantir les données chiffrées pour le moment.

• la création d'un office des comptes publics. Certains bureaux du ministère des finances n'y sont pas pour le moment favorables, mais cet office - dont l'agence comptable centrale du Trésor serait le point de départ - pourrait répondre aux attentes suivantes :

- la professionnalisation de l'audit des comptes publics ;

- une plus grande précision dans les chiffres utilisés par le ministère des finances ;

- une meilleure transparence vis-à-vis de l'opinion publique ;

- une meilleure lisibilité des comptes pour le Parlement ;

- des comparaisons internationales rendues possible.

A son avis, l'office serait chargé de la production des comptes et de leur qualité. L'analyse et la communication financière seraient du ressort exclusif du ministère des finances.

Ces éléments permettraient d'obtenir une comptabilité décisionnelle dont l'Etat a besoin. M. Jean-Jacques François a également suggéré de mettre à disposition du public les comptes de l'Etat par le biais du réseau internet et de poursuivre au profit du Parlement la modernisation des supports (CD-ROM).

M. Jean-Jacques François a ensuite suggéré de moderniser les processus financiers actuels. Il les a jugés trop souvent contre-performants car trop cloisonnés, hyper réglementés, et ignorant les délais et les coûts. C'est un sujet fondamental sur lequel toutes les administrations financières doivent se mobiliser, avec le soutien du Parlement.

Enfin, M. Jean-Jacques François a souhaité que le souci d'évaluer la pertinence des dépenses soit renforcé. Il a jugé qu'il fallait donner une plus grande liberté aux acteurs et laisser aux représentants du ministre des finances le pouvoir de déroger dans des conditions à préciser à la règle, au nom de l'efficacité. La bonne décision n'est pas toujours celle faite dans les règles, c'est avant tout la moins coûteuse et la plus efficace. Pour conclure, M. Jean-Jacques François a rappelé qu'il avait remis les conclusions de son étude - " le système financier de l'Etat en question " - aux ministres en juin 1998, et que les conclusions ont été soumises à l'examen des directions du ministère des finances.

Le Président Alain Lambert a constaté que l'Etat ne dispose plus de marge de manoeuvre en matière budgétaire ; il a estimé que cette situation constituait un danger pour la démocratie car le Parlement n'a plus la faculté de décider, et la représentation nationale est ainsi privée de ses droits. Il s'est interrogé sur la rigidité de la nomenclature. M. Jean-Jacques François s'est dit convaincu que la seule présentation valable était la suivante : fixation des objectifs, détermination des moyens, mesure des résultats. La direction du budget travaille dans ce sens (agregats) en liaison avec la direction générale de la comptabilité publique (DGCP), qui introduit des innovations substantielles dans le compte général de l'administration des finances pour 1999.

Il a noté que l'opinion publique était parfois attachée aux symboles quantitatifs  ; (par exemple accorder 1 % du budget à la culture n'a pas de sens, pourquoi pas 2 %), qui conduisent à revendiquer des moyens et non à chercher à atteindre des résultats. Il s'est dit convaincu que cette nouvelle approche pouvait être adaptée à toutes les situations, même si, dans certains secteurs, les résultats sont difficiles à mesurer.

En réponse au Président Alain Lambert qui s'interrogeait sur l'opportunité de globaliser le vote des crédits sous forme d'une autorisation unique, M. Jean-Jacques François s'est dit convaincu que le Parlement doit pouvoir s'assurer que l'exécution est conforme aux autorisations données et que les comptables publics étaient qualifiés pour fournir cette information en toute objectivité.

Il a insisté enfin sur la nécessité de faire progresser tous les intervenants en même temps, dans une logique " gagnant-gagnant " et a noté que, à l'étranger, les réformes réussies s'étaient réalisées grâce à une collaboration active des parlementaires et du ministère des finances.

Il a constaté enfin que les travaux de la MCP ne visaient qu'à alimenter positivement le débat sur la gestion publique, et à fournir aux directions des solutions "prêtes à l'emploi ", sous forme de scénarii alternatifs présentés par degré d'ambition, afin de respecter la liberté des décideurs.

Depuis fin 98, il souligne que trois innovations importantes ont été engagées par la DGCP à l'initiation de son directeur général, M. Jean Basseres :

- la modernisation des comptes de l'Etat : les comptes 1999 innovent pour la dette, les participations, l'immobilier, les droits constatés, et les hors bilans.

- le projet " gestion publique " dont l'ambition est très large et qui fait réfléchir l'ensemble du réseau, notamment sur le contrôle de la dépense et les comptes de l'Etat.

- le projet ACCORD, cogéré avec la direction du budget et la direction de la réforme de l'Etat qui vise à moderniser les conditions d'enregistrement de la dépense au niveau central.

M. Jean-Jacques François a insisté enfin sur le fait que les propositions qui précèdent ne sont qu'une modeste contribution d'expert.

La position du ministère des finances relève bien évidemment de la décision exclusive des ministres qui se sont exprimés, notamment devant l'IFAC, pour la Secrétaire d'Etat au budget, et devant le Parlement pour le ministre de l'économie et des finances, lors du débat d'orientation budgétaire.

" Doter la France de sa nouvelle constitution financière "

Un préalable à la réforme de l'Etat

Dans une France en constante évolution, largement ouverte sur l'extérieur, partageant la monnaie unique européenne, et où les finances publiques absorbent plus de la moitié de la richesse nationale, la nécessité de modifier les normes de présentation, d'adoption et d'exécution du budget de l'Etat, vieilles de plus de quarante ans, devient chaque jour plus évidente.

Vue du Sénat, cette évidence est d'autant plus frappante qu'une des clés de la longévité de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances réside dans la mise à l'écart du Parlement, et donc de la Nation.

Ce sentiment semble faire aujourd'hui l'objet d'un large consensus : à l'Assemblée nationale, au Sénat, mais aussi au Gouvernement.

La tâche qui s'offre au législateur est impressionnante et complexe. La commission des finances a souhaité en prendre la mesure avant, d'une plume respectueuse, et en étroite concertation avec les autres autorités intéressées, de s'engager dans la réécriture du texte.

Deux principes lui paraissent d'ores et déjà s'imposer.

Redonner du sens aux lois de finances au moyen d'un examen renforcé des objectifs et des résultats de la dépense publique, et d'un suivi des comptes publics aussi complet que possible. Affirmer aussi l'autorité financière du Parlement par un respect plus strict de ses autorisations et par l'approfondissement de sa mission de contrôle, tout en laissant aux gestionnaires les souplesses qui lui sont nécessaires dans un Etat moderne.

Rendre les lois de finances aux citoyens, tel est l'objectif que l'Etat doit aujourd'hui se fixer pour le bien de la France et de la vitalité de sa démocratie.

* 1 Les conclusions de cette commission devraient faire l'objet d'un débat à l'Assemblée en février 2001, avant d'être soumises au Sénat en avril.

* 2 Proposition de loi organique n° 1718 du 14 mai 1980 tendant à modifier, préciser et compléter les dispositions de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances. L'ensemble du groupe socialiste de l'Assemblée nationale avait signé la proposition de loi. Parmi les signatures figurent notamment celles d'Henri Emmanuelli, Raymond Forni, Pierre Joxe et Christian Pierret.

* 3 " En finir avec le mensonge budgétaire " - Sénat n° 485 (1999/2000) Alain Lambert - Philippe Marini.

* 4 Il pourrait également être intéressant de connaître la part, au sein des crédits de chaque ministère, des actions en faveur de la politique décrite par le jaune. Le jaune " environnement " est le seul à comporter ces chiffres, qui permettent d'avoir une idée de l'ampleur de l'implication des différents acteurs dans un champ de l'action gouvernementale.

* 5 Le système financier de l'Etat en question. Situation d'urgence ? 16 projets pour avancer ensemble. Jean-Jacques François. Cette mission avait été mise en place par notre collègue Jean Arthuis, alors ministre de l'économie et des finances.

* 6 Amendement présenté par le rapporteur spécial du budget annexe de l'aviation civile, Yvon Collin, au projet de loi de finances pour 1996.

* 7 Rapports dits " Lépine " et " Bert-Champsaur ".

* 8 Voir à ce sujet : Rapport général n° 66 (1998/1999) sur le projet de loi de Finances pour 1999. Tome I pages 50 à 53 - Philippe Marini.

* 9 " La gestion budgétaire et la programmation au ministère de la défense ", juin 1997.

* 10 Loi n° 94-66 d'orientation quinquennale relative à la maîtrise des finances publiques.

* 11 Soit de l'Etat, des collectivités locales et des fonds de sécurité sociale.

* 12 Résolution n° 120 - Sénat 1997/1998.

* 13 281 voix contre 31.

* 14 Plan comptable général, version révisée de 1999, section relative aux comptes 47.

* 15 Au moins pour ceux qui concernent le budget de l'Etat. En effet, certains d'entre eux sont relatifs aux collectivités locales, établissements publics ou correspondants du Trésor.

* 16 Voire au cours d'un exercice ultérieur (en l'absence d'imputation définitive courant 1999), mais un tel cas est peu probable et ne sera pas pris en compte ici.

* 17 Rapport de la Mission comptabilité patrimoniale présenté à M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget, le 30 juin 1998.

* 18 La problématique de la comptabilité patrimoniale rejoint celle de la pluriannualité (v. supra II-B.)

* 19 Compte général de l'administration des finances.

* 20 Cette communication aux présidents des commissions des finances est effective depuis juillet 2000.

* 21 Le Congrès des Etats-Unis dispose de deux organes propres, le Congressional Budget Office (CBO - environ 300 personnes) et le General Accounting Office (GAO - environ 1.000 personnes).

* 22 A l'occasion de l'exposé du mécanisme des reports de crédits.

* 23 L'article 15 de l'ordonnance en prévoit l'autorisation par la loi de finances.

* 24 On aurait aussi pu imaginer de distinguer, à l'instar du système européen de comptabilité, les ressources définitives des ressources financières, la différence avec les catégories imaginées par votre commission portant uniquement sur les produits des cessions du patrimoine non financier et les produits exceptionnels divers.

* 25 Cela pourrait prendre la forme, au sein de l'article consacré aux émissions d'emprunts, de deux alinéas ainsi rédigés :

" Les titres d'emprunt émis par l'Etat ou toute autre personne morale de droit public ne peuvent être utilisés comme moyen de paiement.

Toutefois, pour l'exercice au cours duquel elles interviennent, sur autorisation expresse d'une loi de finances, les dépenses de remboursement de la dette de l'Etat peuvent être opérées par échange avec des titres de la nature de ceux mentionnés au précédent alinéa ".

* 26 Cette technique permet de faire apparaître le prélèvement au profit de l'Union européenne parmi les prélèvements obligatoires, ce qu'il est effectivement.

* 27 Selon votre commission, l'enjeu de la création de cette catégorie nouvelle est plus importante à ce stade que celui de l'éventuelle suppression des budgets annexes et des comptes spéciaux du Trésor (voir supra A.).

* 28 Si l'on en croit le " jaune " annexé au projet de loi de finances pour 2000.

* 29 Cette contribution est jointe en annexe au présent rapport.

* 30 Louis-Ferdinand de Rocca-Serra ; Une réserve de crédits à l'utilisation aléatoire : Les dépenses éventuelles et accidentelles ; commission des finances, Sénat n° 244 (1999-2000).

* 31 Edition de novembre 1987.

* 32 Jusqu'au vote de la première loi de finances rectificative pour 2000, un contraste s'établissait contre les sanctions très lourdes liées aux entraves aux commissions d'enquête, et leur absence dans les cas d'entrave aux rapporteurs spéciaux (voir infra-B)

* 33 " Classification des institutions supérieures de contrôle financier ". In Revue française des finances publiques n° 36. 1991.

* 34 Le président Edgard Faure avait résumé la discussion budgétaire au Parlement par ces trois mots : " litanie, liturgie, léthargie ".

* 35 Voir supra - chapitre Ier - II - B - 3.

* 36 On note à cet égard que dans sa décision n°98-405DC du 29 décembre 1998, le Conseil constitutionnel considère que " si, en principe, les concours apportés par l'Etat aux collectivités locales en compensation d'exonérations, de réductions ou de plafonnements d'impôts locaux constituent bien des dépenses de l'Etat, et devraient figurer au budget général en application de l'article 18 de l'ordonnance précitée, de tels concours peuvent néanmoins, sans méconnaître les principes d'universalité et de sincérité budgétaires, donner lieu à un mécanisme de prélèvements sur recettes, dès lors que celui-ci est, dans son montant et sa destination, défini de façon distincte et précise dans la loi de finances, et qu'il est assorti, tout comme les chapitres budgétaires, de justifications appropriées... ". On peut en déduire, a contrario, que les autres concours aux collectivités territoriales ne sauraient revêtir la forme de prélèvements sur recettes, ce qui correspond à la clarification proposée par la Cour.

* 37 Les équipements militaires constituent-ils des investissements ? Ne s'apparentent-ils pas plutôt à des dépenses de consommation ? A l'inverse, les dépenses d'éducation et de recherche, financées pour l'essentiel par des crédits de fonctionnement, ne contribuent-elles pas à préparer l'avenir de la Nation ?

* 38 Comme il est impossible, du moins dans l'état actuel des connaissances, de déterminer avec une précision suffisante le bénéfice que la collectivité est susceptible de retirer de ces dépenses, l'optimisation du rapport coût-efficacité est dépourvue, en ce qui les concerne, de référence probante.

* 39 Le total des interventions et des subventions d'investissement a représenté le tiers des dépenses du budget général en 1998 (554 milliards sur 1674).

* 40 Ou des produits et des charges dans le cas d'une présentation " patrimoniale " des prévisions budgétaires (cf . ci-dessous)

* 41 D'autres pays ont mis ou mettent en oeuvre une réforme comparable. Il s'agit de la Nouvelle-Zélande et de l'Australie, pays les plus souvent cités, mais aussi, à un stade moins avancé, de la Finlande, de la Suède et de l'Islande. Comme la Grande-Bretagne, ces pays développent à la fois une comptabilité et un budget fondés sur une approche patrimoniale (droits constatés et charges calculées). Les Etats-Unis, le Canada, l'Irlande, l'Italie et les Pays-Bas progressent également dans cette voie, à des degrés divers, mais en limitant leur réforme au domaine des comptes.

* 42 Cette réforme, présentée sous l'appellation de " Resource accounting and budgeting " (RAB) a été lancée en 1993 et poursuivie avec continuité depuis lors. La comptabilité d'exercice est généralisée dans tous les ministères depuis 1998-1999. Le contrôle de la dépense publique s'effectuera sur cette base à partir de 2000. Sous réserve de l'accord du Parlement, le budget sera également présenté et voté dans cette forme à partir de 2001-2002. A la même date, la comptabilité d'exercice se substituera à la comptabilité budgétaire actuelle. Cf. les documents publiés par la Treasury et le National Audit Office, en particulier celui diffusé en décembre 1999 par la Treasury : " Resource accounting and budgeting. A short guide to the financial reforms ".

* (1) Le plan comptable général de 1947, officialisé par un simple arrêté, n'avait été rendu obligatoire, sous forme de plans comptables particuliers, que dans les grands établissements publics nationaux, et les sociétés d'économie mixte à participation publique supérieure à 20 %. Ce n'est que la Loi de Finances de 1959 qui a rendu obligatoires les plans comptables professionnels.

* (2) Instruction n° 69-124 du 5 novembre 1969 : l'Etat abandonne la référence à une nomenclature entièrement spécifique, conçue dans l'optique d'une simple comptabilité de caisse et s'oriente vers la mise en place d'une comptabilité patrimoniale, avec des adaptations particulières.

* (3) L'article 49 du règlement général sur la comptabilité publique, énumère les cinq finalités assignées à la comptabilité des organismes publics, et donc de l'Etat , dans les termes suivants :

- La connaissance et le contrôle des opérations budgétaires et de trésorerie

-  La connaissance de la situation du patrimoine .

-  Le calcul des prix de revient, du coût et du rendement des services

-  La détermination des résultats annuels

-  L'intégration des opérations dans la comptabilité économique nationale

* (4) Instruction codificatrice n° 87-128 PR du 29 octobre 1987 sur la comptabilité de l'Etat

* (5) Publié par arrêté du 27 avril 1982, le PCG de 1982 a adapté le système français de comptabilité aux prescriptions de la 4 ème directive européenne du 25 juillet 1978.

* (1) Le calendrier de production des comptes de l'Etat a été ramené de décembre de l'année n+1 (en 1991) au 27 septembre 1999 (pour les comptes 1998). Après une nouvelle réduction de la période complémentaire (ramenée du 8 mars 1994 pour 1993, au 28 janvier 2000 pour 1999) les comptes 1999 seront publiés jusqu'en mars 2000.-

* (1) Le montant de 353 milliards au 31 décembre 1998 comprend 242,6 milliards restant a recouvrer par les comptables du Trésor et 76 milliards à recouvrer par les comptables des administrations financières (DGI, principalement).

* (1) Article 53 du règlement général " Les objectifs assignés à la comptabilité analytique et les modalités de son organisation sont fixés soit par le ministère des finances, soit conjointement par le ministre des finances et le ministre interessé ".

* (2) Dans l'application NDL l'option a été prise d'une saisie unique par l'ordonnateur avec validation par le comptable, de l'événement comptable initié par l'ordonnateur : l'ordonnateur, le contrôleur financier et le comptable disposent des informations qui en sont issues.

* (1) L'application coordonnée de comptabilisation, d'ordonnancement et de règlement de la dépense de l'Etat (ACCORD) a fait l'objet d'un très important marché entre 1996 et 1999 au plan interministériel dont l'exécution, engagée en novembre 1999 pour le système de base s'étendra jusqu'en 2005 (système complet).

Le réseau comptable et financier interministériel reliera l'ensemble des utilisateurs concernés des administrations : ordonnateurs, contrôleurs financiers, comptables publics. Le système base desservira les échelons centraux des ministères : le ministère de l'Intérieur (lot-pilote) servira de banc d'essai (mis en service prévu en mars 2001) , suivi par l'extension à l'ensemble des ministères prévu pour les années 2002-2003. Le système complet englobera ensuite l'ensemble de la dépense locale actuellement retracé par l'application NDL

* (1) Une procédure de ce type a été suivie par l'élaboration de l'instruction M 14 sur la comptabilité des grandes communes.

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