B. LA DEPRECIATION DE L'EURO : CAUSES ET CONSEQUENCES

L'idée généralement admise avant le lancement de l'euro était que celui-ci aurait tendance, à ses débuts, à s'apprécier par rapport au dollar.

Cette prévision reposait en particulier sur l'accentuation de l'excédent de la balance des paiements courants de la future zone euro et l'aggravation du déficit de la balance des paiements courants des Etats-Unis. En effet, un déficit de la balance des paiements courants augmente l'offre de monnaie sur le marché des changes, ce qui tend à la dépréciation de celle-ci, un excédent de la balance des paiements courants ayant l'effet inverse.

En outre, on estimait que les banques centrales en-dehors de la zone euro augmenteraient leurs réserves de changes en euros, suscitant une augmentation de la demande d'euros, contribuant ainsi à l'appréciation de l'euro.

Certains craignaient même que l'euro soit durablement surévalué.

Pourtant, depuis la mise en place de l'euro début 1999, la parité euro/dollar est passée de 1,17 dollar à 0,82 dollar le 26 octobre 2000, ce qui correspond à une dépréciation de 30 %.

Cette dépréciation est représentée par le graphique ci-après.

1. Pourquoi l'euro se déprécie-t-il depuis janvier 1999 ?

a) L'écart de taux d'intérêt entre la zone euro et les Etats-Unis : une explication valable seulement jusqu'à la mi-1999 ?

Selon certains économistes, le lien entre taux d'intérêt et taux de change, traditionnellement considéré comme un déterminant essentiel du taux de change, serait affaibli dans le cas de la zone euro depuis le milieu de l'année 1999.

• Le lien entre taux d'intérêt et taux de change vient du fait que des taux d'intérêt élevés tendent à une appréciation de la monnaie , parce qu'ils accroissent la demande de titres libellés dans la devise considérée.

• Toutefois le différentiel de taux d'intérêt ne semble expliquer l'évolution du taux de change de l'euro qu'au cours des 6 premiers mois de l'année 1999.

Au cours de la première moitié de l'année 1999, les taux d'intérêt réels à long terme ont en effet augmenté aux Etats-Unis, alors que la zone euro connaissait le phénomène inverse.

En revanche, à partir du milieu de l'année 1999 l'évolution des taux d'intérêt à long terme ne semble plus expliquer celle du taux de change : l'euro a continué à se déprécier, alors que l'augmentation des taux d'intérêt à long terme était supérieure en Europe.

Cette modification du lien entre différentiel de taux d'intérêt à long terme et taux de change apparaît dans le graphique ci-après.

De 1990 au milieu de l'année 1999, le taux de change euro/ dollar (simulé avant 1999 à partir des taux de change des 11 pays concernés) et l'écart de taux d'intérêt à 10 ans entre la zone euro et les Etats-Unis évoluent dans le même sens.

A partir du milieu de l'année 1999, l'euro se déprécie bien que le différentiel de taux d'intérêts soit stable (jusqu'à la fin de l'année 1999) puis se réduise (à partir du début de l'année 2000).

Sources : Banque centrale européenne, Federal Reserve Board.

b) Le différentiel de croissance entre la zone euro et les Etats-Unis

Ainsi, certains économistes estiment que la dépréciation de l'euro s'explique par le différentiel de croissance entre la zone euro et les Etats-Unis.

En effet, le différentiel de croissance peut susciter des flux de capitaux vers la zone dont les perspectives de croissance semblent les plus élevées . Ces flux de capitaux sont des investissements directs et des investissements de portefeuille, provenant d'anticipations de profits importants, mais aussi des créances sur les marchés monétaire et obligataire, du fait d'anticipations de taux d'intérêt plus élevés.

En effet, l'observation empirique montre que la corrélation entre taux d'intérêt à long terme et croissance est forte , en particulier dans le cas de certaines monnaies, comme le dollar et le deutschemark. Cela s'explique par le fait qu'à cause des tensions inflationnistes qui risquent d'apparaître en période de forte croissance, les taux d'intérêt à long terme augmentent, les créanciers voulant se prémunir du risque d'une dépréciation réelle de la monnaie.

Or, depuis l'instauration de l'euro les prévisions de croissance des Etats-Unis ont toujours été supérieures à celles de la zone euro, et ont été systématiquement revues à la hausse de manière plus importante que ces dernières, ainsi que le montre le tableau ci-après.

Prévisions de croissance du FMI pour l'année en cours (en % du PIB)

Etats-Unis

Zone euro

Prévisions de croissance pour l'année 1999

mai 1999

octobre 1999

3,3

3,7

2,0

2,1

Prévisions de croissance pour l'année 2000

mai 2000

octobre 2000

4,4

5,2

3,2

3,5

Augmentation entre les prévisions de mai 1999 et celles d'octobre 2000

+ 1,9

+ 1,5

Source : FMI.

Ainsi, certains économistes estiment que le différentiel de croissance entre les Etats-Unis et la zone euro peut expliquer la dépréciation de l'euro depuis le début de l'année 1999.

c) Le développement des investissements directs de la zone euro vers les Etats-Unis

Selon une deuxième thèse, la dépréciation de l'euro proviendrait essentiellement du rattrapage par les entreprises de la zone euro de leur retard en matière d'internationalisation.

En effet, la zone euro connaît depuis quelques années d'importantes sorties nettes de capitaux à long terme , du fait du développement des investissements directs en-dehors de la zone euro.

Les entreprises de la zone euro acquièrent des entreprises américaines, principalement pour mieux accéder au marché américain (par exemple, en 1998 Daimler a acheté Chrysler, devenant le troisième constructeur mondial d'automobiles ; en l'an 2000, Vivendi a acheté Seagram, devenant le deuxième groupe mondial de communication derrière AOL-Time Warner).

Certes, il s'agit vraisemblablement en partie de la conséquence d'une croissance potentielle plus faible en Europe qu'aux Etats-Unis : certaines entreprises de la zone euro préféreraient investir aux Etats-Unis plutôt que sur le vieux continent, du fait de perspectives de croissance à long terme supérieures.

Toutefois, certains économistes estiment qu'il s'agit essentiellement d'un phénomène de rattrapage , les entreprises européennes ayant pris du retard dans leur diversification internationale.

d) La faiblesse de l'union politique de la zone euro

Une autre explication fréquemment avancée à la dépréciation de l'euro est celle de la faiblesse de l'union politique de la zone euro.

On peut en particulier remarquer que l'euro a baissé a chaque fois que l'on a observé la faiblesse de l'Europe politique, comme lors de la crise du Kosovo ou au moment de la démission de la Commission européenne.

La dépréciation de l'euro s'explique-t-elle par des insuffisances de la politique de change ?

Selon un premier argument, il découlerait de cette faiblesse de l'union politique une absence de politique de change clairement définie, qui aurait contribué à la dépréciation de l'euro.

• En effet, le cadre institutionnel de la politique de change de la zone euro serait excessivement complexe.

Tout d'abord, la rédaction de l'article 111 du traité de Maastricht (ancien article 109), qui définit les fonctions respectives du Conseil et de la Banque centrale européenne à cet égard, serait ambiguë 7 ( * ) .

Ensuite, la pratique a montré que les ministres des finances des Etats de la zone euro ne s'interdisaient pas de donner des avis contradictoires sur la politique de change.

La conséquence de cette complexité institutionnelle est que la plupart des observateurs estiment que l'Europe n'a pas de politique de change.

Ainsi, la création d'un « Monsieur Euro », chargé de renforcer la visibilité de la zone euro, est parfois envisagée.

Cette éventualité fait l'objet de débats quant à son principe et quant à l'institution à laquelle ce « Monsieur Euro » serait rattaché ( l'euro 11 ou le comité économique et financier 8 ( * ) en particulier).

• Faut-il rappeler toutefois qu'une politique de change ne peut pas , à elle seule, éviter la dépréciation d'une monnaie ?

Tout d'abord, ses instruments présentent des limites importantes. Une augmentation des taux d'intérêt à court terme peut certes permettre de lutter contre une spéculation à la baisse, mais elle peut également contribuer à la dépréciation de la monnaie en suscitant des anticipations de croissance défavorables. Ainsi, à plusieurs reprises, l'augmentation des taux d'intérêt à court terme par la Banque centrale européenne a été suivie non d'une appréciation, mais d'une dépréciation de l'euro. En outre, une intervention sur le marché des changes pour soutenir la monnaie semble être d'autant plus efficace qu'elle est coordonnée avec celle d'autres banques centrales, compte tenu notamment du caractère limité des réserves de change .

Ensuite, si la dépréciation de l'euro face au dollar provient de facteurs structurels , comme l'écart entre les croissances potentielles de la zone euro et des Etats-Unis, l'efficacité d'une politique de soutien de l'euro ne peut être que limitée.

Au total, les insuffisances de la politique de change de la zone euro ne semblent avoir constitué qu'un facteur aggravant pour la dépréciation de l'euro.

• Selon un second argument, la faiblesse de l'union politique de la zone euro aurait contribué à la dépréciation de l'euro du fait d'une insuffisante coordination des politiques économiques des Etats membres.

Ce manque de coordination contribuerait à un certain pessimisme des investisseurs quant aux perspectives de croissance à long terme de la zone euro, ce qui réduirait les investissements à destination de cette zone, et donc la demande d'euros sur le marché des changes.

Ainsi, selon l'OCDE, le déficit structurel de la zone euro (c'est-à-dire la part de son déficit public qui ne dépend pas de la conjoncture) réaugmenterait : il passerait de 0,7 point de PIB en 1999 à 0,9 point en l'an 2000 , et celui de la France de 1,5 point en 1999 à 1,7 point en l'an 2000 , ces évolutions se poursuivant en l'an 2001. Inversement, les Etats-Unis connaissent un excédent structurel. On peut voir dans cette aggravation du déficit structurel de la zone euro la conséquence d'une insuffisante coordination des politiques économiques , dans la mesure où si un faible déficit public semble être dans l'intérêt de la zone euro (en particulier parce qu'il permet des taux d'intérêt à long terme plus faibles), chaque Etat pris isolément peut estimer avoir intérêt à faire un moindre effort de réduction de son déficit public que celui qui serait souhaitable au niveau de la zone euro dans son ensemble.

Plus généralement, on peut s'interroger sur la capacité des Etats de la zone euro à réaliser des réformes structurelles , en particulier dans les domaines de la lutte contre le chômage ou du financement des retraites.

* 7 Selon l'article 111 du traité de Maastricht (ancien article 109), " (...) le Conseil, statuant à la majorité qualifiée soit sur recommandation de la Commission et après consultation de la BCE, soit sur recommandation de la BCE, peut formuler les orientations générales de politique de change vis-à-vis de ces monnaies. Ces orientations générales n'affectent pas l'objectif principal du SEBC, à savoir le maintien de la stabilité des prix.".

Certains estiment que cette dernière phrase permettrait à la BCE de ne pas appliquer une politique de change décidée par le Conseil dès lors que, selon la BCE, elle nuirait à la stabilité des prix (cf. Center for European Policy Studies, Quo Vadis Euro ? , 2000).

* 8 Le comité économique et financier, à caractère consultatif, contribue notamment à la préparation des travaux du Conseil pour la coordination des politiques économiques et à la surveillance des déficits excessifs. Lors du passage à l'euro, il a succédé au comité monétaire, dont il reprend les principales attributions.

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