EXAMEN EN DÉLÉGATION

La délégation s'est réunie le mercredi 15 novembre 2000 pour l'examen du présent rapport. A l'issue de la présentation faite par le rapporteur, M. Hubert Haenel, le débat suivant s'est engagé :

Mme Danièle Pourtaud :

Je crois qu'il serait nécessaire, dans votre rapport d'information, de retracer l'historique de la lutte menée par la France pour obtenir la reconnaissance des services publics dans les textes institutionnels européens. Il faut rappeler que c'est le gouvernement de Lionel Jospin qui a obtenu l'inscription de l'article 16 dans le traité instituant la Communauté européenne.

M. Hubert Haenel :

Dans mon propos, je n'ai fait aucune différence entre les gouvernements français successifs.

Mme Danièle Pourtaud :

Vous avez raison de souligner que la Commission, sous des allures de consensus, ne souhaite pas vraiment inscrire les services publics au coeur du développement européen. Il y a certes un " apaisement doctrinal ", comme vous l'avez dit, mais quand on entend M. Mario Monti, le commissaire européen chargé de la concurrence, on a l'impression que cela reste très superficiel.

Je partage globalement votre analyse sur ce qui mérite d'être approuvé dans la communication de la Commission. Mais je voudrais suggérer des réserves supplémentaires.

Ainsi, en ce qui concerne les grands principes des services publics, il me semble nécessaire de souligner que l'ensemble des citoyens doit pouvoir accéder à des services publics de qualité et modernes.

M. Hubert Haenel :

Sur ce point, nous pourrions reprendre dans notre proposition de résolution l'article 36 du projet de Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Mme Danièle Pourtaud :

Par ailleurs, il me semble que la Commission a une conception des services publics trop conservatrice : pour elle, les services publics, c'est un résidu du passé. Il faudrait, au contraire, inscrire expressément les services publics dans une perspective d'avenir du développement européen.

Prenons l'exemple du secteur des télécommunications. Le service universel y est actuellement réduit aux services téléphoniques de base. Personnellement, je défends une conception, plus dynamique, d'un accès de l'ensemble des citoyens aux nouveaux services de la société de l'information.

Il me semble également qu'il manque, dans votre proposition de résolution, un rappel de l'importance des radios et télévisions de service public pour le maintien de la diversité culturelle en Europe. Nous pourrions regretter la manière trop comptable dont la Commission fait souvent application du principe de proportionnalité des aides, qui me semble particulièrement délicate lorsqu'il s'agit des services publics de radio et de télévision.

Je vous propose donc d'ajouter ces deux points à la proposition de résolution que vous nous avez soumise.

M. Jean-Pierre Fourcade :

Votre rapport d'information confirme que, dans le domaine des services publics, les Français ont toujours du mal à " se raccrocher " aux conceptions de la Commission.

Pour la proposition de résolution, je voudrais ajouter un regret relatif au lien de proportionnalité entre l'importance des services publics et le niveau des prélèvements obligatoires. Notre attachement inconsidéré aux services publics " à la française " condamne la France à garder un niveau trop élevé de prélèvements obligatoires.

M. Aymeri de Montesquiou :

Sauf erreur de ma part, la baisse des prélèvements obligatoires est une obligation prévue par le traité de Maastricht.

M. Jean-Pierre Fourcade :

Je suis donc favorable à l'amélioration de la transparence et de la rentabilité des services publics qui est proposée par la Commission, afin que le niveau des prélèvements obligatoires puisse être maîtrisé. Bien sûr, ces principes s'appliquent aux services publics marchands, donc concurrentiels. Il me paraît important de ne pas mélanger les deux notions de services publics marchands et non marchands.

Comme vous, je ne suis pas d'accord sur l'interdiction de la compensation directe entre les charges de service public et les activités rentables. Au contraire, la justification des services publics marchands est de faire une péréquation tarifaire, dans une optique d'aménagement du territoire. Il faut le dire. C'est la vraie raison d'être des services publics, beaucoup plus importante que les questions de statuts, qui garantit l'accès de tous à des services publics de qualité à des prix raisonnables.

Un autre point de la proposition de résolution où la confusion entre services publics marchands et non marchands me paraît regrettable est celui relatif à la perspective de l'élargissement de l'Union. Je ne crois pas que les services publics marchands soient fondamentaux pour la préparation des pays candidats.

De même, il faudrait préciser clairement que les services publics européens évoqués à la fin de la proposition de résolution sont non marchands. J'espère bien que la future Agence européenne de sécurité alimentaire ne sera pas un service marchand !

M. Robert Del Picchia :

Cette remarque est valable également pour le projet Galileo de système de navigation par satellites. En raison de la gratuité du GPS américain, qui est actuellement en situation de monopole, son concurrent européen Galileo ne pourra être que gratuit.

M. Jean-Pierre Fourcade :

La distinction entre services publics marchands et non marchands est essentielle. Un accès égal de tous les citoyens aux services publics est nécessaire, et justifie la notion d'aménagement du territoire européen.

M. Claude Estier :

On ne peut pas abandonner la notion même de service public !

M. Hubert Haenel :

Chers collègues, je vous rappelle que la communication de la Commission porte aussi bien sur les services publics non marchands que sur les services publics marchands, même si les règles communautaires du marché intérieur et de la concurrence ne s'appliquent pleinement qu'aux seconds. Une mission de service public peut parfaitement être définie et organisée dans un secteur d'activité concurrentiel.

M. Jean-Pierre Fourcade :

Certes, la définition des termes faite par la Commission me paraît très claire. La Commission distingue entre " services d'intérêt général ", " services d'intérêt économique général ", " service public " et " service universel ".

Mme Danièle Pourtaud :

Monsieur le Président, permettez-moi de faire encore une autre suggestion. Je crois qu'il faudrait ajouter un alinéa pour déplorer le manque d'orientation volontariste de la Commission pour inscrire les services publics en Europe dans un dynamique de développement. Il faut le dire clairement, pour mettre un terme au " grignotage par petits bouts " des services publics dans l'Union européenne.

*

A l'issue du débat, la délégation a autorisé la publication du présent rapport et a conclu, à l'unanimité, au dépôt d'une proposition de résolution dans les termes suivants :

Proposition de résolution

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu l'article 16 du traité instituant la Communauté européenne,

Vu la communication de la Commission (E 1560) sur les services d'intérêt général en Europe,

Rappelle que, selon l'article 36 du projet de Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, " L'Union reconnaît et respecte l'accès aux services d'intérêt général tel qu'il est prévu par les législations et pratiques nationales, conformément au traité instituant la Communauté européenne, afin de promouvoir la cohésion sociale et territoriale de l'Union " ;

Souligne que les services d'intérêt général contribuent à la croissance économique et au développement de la société de l'information en Europe ;

Approuve les orientations générales de la communication de la Commission, qui apparaît comme un texte équilibré consistant essentiellement dans la réaffirmation des grands principes du droit communautaire applicables aux services publics marchands ;

Approuve sans réserve certaines orientations de la Commission, qui lui paraissent opportunes :

- la priorité donnée aux utilisateurs, trop souvent relégués au second plan dans les préoccupations des gestionnaires de services publics ;

- l'affirmation de la nécessité d'introduire plus de concurrence, comme aiguillon dans le fonctionnement des services d'intérêt général ;

- la préoccupation de rentabilité, facteur d'efficacité et garantie contre d'éventuelles dérives dans la gestion des services publics, qui seraient coûteuses pour les finances publiques et iraient à l'encontre du souci d'abaisser le niveau des prélèvements obligatoires ;

- le souci de transparence du financement des services d'intérêt général, qui permet aux autorités de tutelle des services publics d'orienter leurs aides en connaissance de cause ;

- le principe d'évaluation des performances des services d'intérêt général, garantie d'efficacité de l'action publique et facteur d'émulation entre les gestionnaires européens de services publics ;

Estime que d'autres orientations de la Commission peuvent être jugées préoccupantes :

- le renvoi des propositions pratiques pour l'application du principe de subsidiarité aux services d'intérêt général au futur Livre blanc sur la gouvernance européenne, qui fait figure de procédé dilatoire ;

- la définition au niveau communautaire, en accompagnement du processus de libéralisation des marchés, d'un service universel risquant d'aboutir à un service public minimum ;

- l'interdiction faite aux prestataires de compenser directement les charges de service public par les activités rentables, alors que l'une des principales justifications des services d'intérêt économique général est la péréquation qui permet, dans une perspective d'aménagement du territoire, l'égalité d'accès de tous les citoyens ;

- la coordination des autorités nationales de régulation des services publics par la Commission, qui risque d'aboutir à leur mise sous tutelle ;

Regrette l'absence de certaines orientations dans la communication de la Commission :

- le rôle des services d'intérêt général dans la préparation de l'élargissement, et l'aide apportée par l'Union européenne et les Etats membres aux pays candidats pour rebâtir, sur des bases éprouvées, des services publics efficaces ;

- la contribution de l'Union européenne au financement des services publics, à travers les fonds structurels, les fonds de préadhésion, la participation communautaire aux réseaux transeuropéens de transport et d'énergie, et les prêts de la Banque européenne d'investissement ;

- la nécessité de mettre en place, là où l'intervention communautaire est la plus efficace, des services publics européens, tels que les projets d'agence européenne de sécurité maritime, d'agence européenne de sécurité alimentaire, d'autorité communautaire de coordination du trafic aérien, ou le projet Galileo de navigation par satellites ;

- l'importance des services publics de la radio et de la télévision pour la défense de la diversité culturelle dans l'Union européenne.

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