INTRODUCTION PAR M. JEAN FRANCOIS-PONCET, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES ET DU PLAN DU SÉNAT,
PRÉSIDENT DU COMITÉ DE BASSIN ADOUR GARONNE

Ce colloque est tout à fait opportun car il coïncide avec deux textes importants : la directive européenne adoptée le 15 septembre dernier, et le projet de loi préparé actuellement par le Gouvernement. Ce dernier texte reste délicat à évoquer car il fait, à ce jour, l'objet d'un différend important entre les ministères de l'environnement et de l'agriculture, qui nécessitera, pour être résolu, l'arbitrage du Premier ministre.

Il faut rappeler que le contenu de la directive européenne s'inspire largement du système français, considéré dans le monde comme exemplaire, et qui a, en effet, engendré de bons résultats. Il a notamment permis de diminuer significativement le taux de pollution de l'eau, même si les marges de progrès restent très larges, notamment pour atteindre les seuils fixés par la directive cadre européenne.

La réforme en cours de préparation ne peut être comprise qu'au regard du système tel qu'il fonctionne actuellement et qui est fondé sur quatre grands principes :

• une politique de l'eau organisée par bassins hydrographiques,

• une gestion de cette ressource confiée, depuis la loi de 1964, à des agences autonomes associant tous les utilisateurs du bassin à la gestion de l'eau,

• un financement qui ne s'effectue pas par des crédits d'Etat, mais exclusivement par des redevances acquittées dans chaque bassin en fonction de paramètres locaux spécifiques. Ces redevances sont payées par tous ceux qui polluent l'eau ou qui en prélèvent.

• la poursuite d'un double objectif : contribuer au financement des investissements nécessaires pour mettre un terme à la pollution et financer la création de nouvelles réserves d'eau, en particulier dans les zones de pénurie.

L'avant-projet de loi en cours de préparation apporte de nombreux changements à ces principes. Parmi ceux-ci, certains sont globalement acceptables, d'autres, en revanche, s'avèrent plus contestables.

Orientations globalement acceptables

• Le principe du vote des redevances par le Parlement me paraît difficile à rejeter bien que cela conduise, sous couvert de démocratie, à confier en réalité le pouvoir de fixation des redevances à la direction du budget du ministère des finances. Je rappelle d'ailleurs que les modalités de calcul de ces redevances ne seront soumises au vote parlementaire que tous les cinq ans, après approbation des plans quinquennaux d'intervention des agences de l'eau.

• Par ailleurs, l'avant-projet de loi crée trois redevances importantes. Une première taxe est assise sur les excédents d'azote, produit utilisé pour fertiliser les sols. Une deuxième s'attachera aux modifications apportées au régime des eaux, les travaux urbains qui consistent à imperméabiliser de grandes surfaces au sol étant particulièrement visés. Enfin, une troisième redevance portera sur les substances radioactives et sur les ouvrages entraînant une augmentation de la température de l'eau. EDF est concernée prioritairement par cette mesure.

• Enfin, il est prévu -et ceci semble logique- que les redevables de la pollution domestique ne soient plus les particuliers mais les syndicats d'assainissement, eux seuls ayant la capacité d'agir en faveur d'une maîtrise des rejets polluants.

Ces modifications sont acceptables car il est tout à fait légitime et nécessaire de revoir certaines modalités d'un système instauré en 1964 et les agences de l'eau y sont prêtes. Mais nombre d'autres mesures rendent le projet très contestable.

Orientations contestables

• L'avant-projet de loi se caractérise par une orientation profondément centralisatrice et jacobine, même si le ministère de l'environnement s'en défend avec la plus grande énergie. Ainsi, il est clair que le recours au vote du Parlement entérine une nationalisation " rampante " de la politique et que le principe de fixation au niveau national des redevances s'oppose à ce qui prévaut aujourd'hui, les agences ayant le pouvoir de faire varier ces redevances en fonction des conditions locales. Par conséquent, l'autonomie des agences disparaît, sur le plan à la fois financier et décisionnel.

• Les propositions du Gouvernement suppriment une disposition importante permettant de faire varier le taux de redevance en fonction de l'usage qui est fait de l'eau.

Au nom du principe d'égalité, la nouvelle loi taxerait ainsi de la même façon tous les types de consommateurs, quelle que soit l'utilisation qu'ils font de cette ressource. Bien entendu, personne ne s'oppose a priori au principe de l'égalité de traitement. Pourtant, il n'est parfois rien de plus injuste que de traiter également ce qui relève de situations différentes. Il me semble en effet que l'eau, quand elle est utilisée comme outil de travail, qu'elle crée des emplois et de l'activité économique, ne devrait pas être traitée de la même façon que l'eau utilisée pour des consommations domestiques. En outre, l'application du principe d'égalité entraîne également une égalité du prix de l'eau sur tout le territoire national, ce qui constitue un autre facteur important de recentralisation et de son adaptation aux conditions locales.

Si la loi est appliquée, les agriculteurs vont notamment devoir, au nom du principe d'égalité, payer leur eau d'irrigation bien plus cher qu'aujourd'hui. Bien entendu, le différend opposant les ministères de l'environnement et de l'agriculture porte précisément sur cette disposition. La situation est d'autant plus délicate que les agriculteurs vont devoir également acquitter la taxe générale sur les activités polluantes sur l'usage des produits phytosanitaires et la future redevance sur les excédents d'azote.

• En outre, la philosophie écologique de cette taxe est sujette à controverse. Il est vrai que le produit de la TGAP n'est pas affecté à l'environnement. Toutefois, il ne s'agit absolument pas d'une erreur stratégique, mais bien d'un choix politique fondé sur le principe du " double dividende " : pour lutter contre la pollution, il suffit de punir le pollueur en le faisant payer, ce qui doit le conduire à corriger son comportement et par ailleurs, avec l'argent ainsi récolté, on peut financer d'autres politiques. Dans le cas présent, la réduction de la pollution constitue un premier dividende, mais il s'accompagne d'un second dividende : l'allégement des charges sociales sur les bas salaires ou plus précisément la compensation du surcoût imposé aux entreprises avec la mise en place des 35 heures.

• Mais cette philosophie écologique est contraire aux principes de fonctionnement des agences. En effet, celles-ci utilisent les redevances payées par les pollueurs pour financer des investissements nécessaires à la lutte contre la pollution.

• D'autre part, l'avant-projet de loi a pour objectif d'établir une péréquation entre bassins pour que ceux qui sont moins frappés par la pollution contribuent financièrement aux actions visant à aider les bassins gravement pollués. Certes, le principe de péréquation est bon a priori ; cependant il perd sens s'il ne tient pas compte des ressources générales de ces bassins et de leur capacité contributive. Si elle existe, la péréquation doit être globale.

• Enfin, il est totalement anormal de prélever, sur le budget des agences, des moyens permettant de financer les fonctions régaliennes de l'Etat. C'est au budget de l'Etat de financer les compétences qui incombent à celui-ci.

L'avant-projet de loi nécessite donc un véritable réexamen. A ce titre, la mobilisation des acteurs et l'organisation de débats comme ceux d'aujourd'hui peut amener le Gouvernement à réviser certaines des dispositions qu'il envisage.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page