Introduction

Les incertitudes sur les résultats d'exécution du budget de l'Etat 1999 ont souligné la difficulté pour les observateurs extérieurs à un petit cercle de l'administration de se faire directement une opinion sur l'état réel des finances publiques. Elles ont suscité chez beaucoup de nos concitoyens une forte attente de transparence sur l'ensemble du secteur public. Le problème dépasse largement la seule question de l'exécution du budget de l'Etat en cours d'année. Il concerne plus généralement l'accès à l'information sur l'ensemble du secteur des administrations publiques, sur leurs moyens, sur leurs résultats et sur leur performance. On rappellera que la dépense publique représente 53 % du PIB français et l'ensemble des emplois publics 25 % de l'emploi salarié en France. Le paradoxe est que les publications statistiques détaillées et régulières sont sans doute plus fournies sur le secteur privé, grâce au nombre et à la qualité des travaux de l'INSEE, que sur le secteur public. Cette situation est particulièrement dommageable à l'exercice normal de la démocratie et au pluralisme du débat en France.

L'information des citoyens sur le fonctionnement de l'Etat est en effet une exigence constitutionnelle : « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée » 7 ( * ) . Nonobstant cette exigence, de nombreux travaux mettent régulièrement en évidence les obstacles nombreux et récurrents auxquels se heurte la connaissance quantitative du secteur des administrations publiques, sans qu'il en résulte pour autant d'avancées réelles et significatives.

La présente étude réunit des données comparatives sur les statistiques concernant les administrations publiques en France, au Royaume-Uni, en Allemagne et aux Etats-Unis. Elle s'efforce de comparer la périodicité, la précision et l'étendue des données disponibles sur les recettes et les dépenses, sur les moyens (personnel et patrimoine) des administrations centrales, locales et sociales des quatre pays retenus et d'en tirer des enseignements pour notre pays.

Deux raisons essentielles légitiment la nécessité pour tous de pouvoir accéder à une connaissance détaillée des administrations publiques. Il y a d'abord « l'exigence démocratique » 8 ( * ) déjà rappelée précédemment. Il y a également et plus simplement la nécessité d'une recherche permanente de l'efficacité de l'action publique et d'une bonne gestion des administrations. Comme le soulignait déjà il y a plus de vingt ans le Rapport Lenoir et Prot 9 ( * ) , la production et la circulation des informations dans une société ne sont pas seulement une affaire de moyens. Elles dépendent également des questions que ses membres acceptent de se poser à eux-mêmes. Les conceptions qui prévalent en matière de transparence ou de secret déterminent autant la qualité des informations existantes que l'étendue de leur diffusion . Dans l'administration comme dans les autres secteurs d'activité, l'information constitue une variable stratégique. Mais si l'information économique est de façon générale une nécessité sociale, elle l'est ou devrait l'être tout particulièrement sur le secteur des administrations publiques qui combine des exigences de démocratie et d'efficacité économique.

Il y a une vingtaine d'années, l'initiative de diversifier les compétences macroéconomiques, à l'époque concentrées dans une administration publique très fermée, avait fait franchir un pas significatif au débat sur les prévisions et les politiques macroéconomiques dans notre pays. Mais dans beaucoup d'autres domaines, les progrès se sont révélés insignifiants et dans certains cas, on constate peut-être même des régressions. La masse considérable de données recueillies par l'administration sur elle-même reste sous-exploitée et peu accessible aux chercheurs, aux économistes et aux citoyens.

La lecture des différents rapports sur la disponibilité, la diffusion et le traitement de l'information sur les administrations publiques met en évidence la permanence des mêmes enjeux depuis une vingtaine d'années. Malgré quelques avancées, les objectifs d'il y a vingt ans restent toujours à concrétiser. Les problèmes sont depuis longtemps cernés, mais les réponses tardent à être mises en oeuvres.

Dans le Rapport Lenoir et Prot de 1979, la légitimation d'une bonne information sur l'administration renvoyait plus à des exigences d'ordre démocratique et macro-économique qu'elle ne découlait d'objectifs visant à l'efficacité de la gestion publique. Il est vrai que les besoins d'informations qui étaient alors jugés suffisants ne le sont plus en règle générale aujourd'hui. Cela est particulièrement évident en matière financière où des masses considérables d'informations sont aujourd'hui accessibles en temps réel. Pourtant, malgré l'exigence moindre de l'époque, l'information sur l'administration publique était déjà l'objet de critiques. La présentation des dépenses était jugée trop liée aux nomenclatures de la comptabilité publique. Il était déjà demandé une présentation plus fonctionnelle afin de s'articuler avec les méthodes de Rationalisation des Choix Budgétaires (méthode RCB). On croyait alors que « la lacune la plus criante (l'ignorance des effectifs) allait être comblée » 10 ( * ) . On comptait sur les travaux de l'INSEE à partir de l'exploitation des fichiers de paie informatisés pour combler les insuffisances. La mauvaise connaissance des effectifs et des salaires de la fonction publique, l'inadaptation de la présentation comptable en chapitres, articles et paragraphes et les lacunes en matière de suivi des investissements étaient ainsi mis en exergue dès 1979.

L'administration apparaît d'autant plus légitime qu'elle est perçue comme efficace et soucieuse de l'usage des ressources qu'elle prélève sur la nation. Or l'évaluation de cette efficacité nécessite une grande transparence. Une meilleure information sur la situation et l'action des administrations publiques apparaît désormais comme incontournable ainsi que le soulignait récemment le rapport Cieutat : « l'Etat ne peut lui-même être justifié que s'il est perçu comme efficace dans la satisfaction des attentes des citoyens et si son action concourt à ce qui est reçu comme étant le « bien commun » » 11 ( * ) . Diverses initiatives récentes témoignent de ce souci d'amélioration et de transparence.

La Haute Assemblée a notamment engagé des études approfondies en vue d'une lisibilité et d'une sincérité accrues des documents budgétaires et d'un meilleur contrôle parlementaire 12 ( * ) 13 ( * ) . Il est aussi envisagé dans certaines réflexions que les budgets ministériels soient présentés par programme et fassent l'objet de rapports de performance a posteriori .

Une autre préoccupation est récemment apparue touchant la connaissance du patrimoine de l'Etat. Elle s'est concrétisée par la mise en place d'une commission « comptabilité patrimoniale » présidée par M. Jean-Jacques François dont les travaux de grande qualité ont abouti à certaines recommandations mises en oeuvre dans le Rapport de présentation des comptes de l'Etat de 1999. Ce dernier contient en effet quelques avancées, en matière patrimoniale notamment, par rapport à celui de 1998 et traduit des améliorations du Compte Général des Finances.

Le 19 septembre 2000, un Observatoire de la fonction publique a été installé avec l'objectif de pallier une autre lacune de la situation actuelle, le manque d'information détaillée sur les personnels de la fonction publique. L'objectif aujourd'hui affiché est non seulement de mieux connaître le parcours et les compétences de chaque agent mais également d'anticiper et de planifier les besoins en personnel.

On notera que ces évolutions encore modestes ou à l'état de projets ne touchent pour l'essentiel que l'administration de l'Etat. De nombreuses lacunes touchent également les administrations locales et de sécurité sociale. En outre, pour ce qui concerne les administrations d'Etat, les réflexions ont été surtout concentrées sur la procédure budgétaire et les règles comptables plus que sur les moyens et les résultats ou sur les initiatives à prendre en vue de faciliter l'accès de tous à l'information. Au total, malgré les avancées récentes et attendues, des efforts substantiels de transparence restent à concrétiser.

L'appréciation de la qualité de l'offre d'information sur les administrations publiques peut être conduite de plusieurs points de vue.

L'information diffusée permet-elle une connaissance effective des équilibres budgétaires des administrations publiques ? Le Parlement et les instituts économiques disposent-ils des moyens d'analyser les conséquences des inflexions de conjoncture économique sur les recettes publiques ? La communication des ratios de déficit et de dette publique à la commission européenne a formalisé cette exigence de communication (au sens du Traité de Maastricht). Mais ce souci n'est qu'une exigence minimale. Il convient, pour la pluralité du débat économique, que chacun puisse avoir accès à une connaissance intime des dépenses et des recettes des différentes administrations publiques. Il serait également utile que soient mieux explicités et connus les hypothèses et les raisonnements utilisés dans les perspectives affichées par les différentes administrations.

La seconde exigence se réfère au critère d'efficacité. L'information disponible permet-elle de mesurer l'efficacité des services publics et de proposer les améliorations possibles ? Cette interrogation est vaste puisqu'elle engage bien évidemment la mesure de l'adéquation des résultats aux objectifs poursuivis et aux moyens mis en oeuvre. Mais elle comprend également une interrogation sur l'information disponible en matière de personnel et de patrimoine. Si l'information sur les fonctions publiques n'est pas suffisante afin d'élaborer une véritable gestion du personnel, il en découle une moindre efficacité. Par ailleurs, la méconnaissance du patrimoine des administrations, qu'il soit informatique ou immobilier, ne permet pas non plus des arbitrages de gestion satisfaisants.

Les comparaisons internationales montrent que si les objectifs de transparence sont sensiblement les mêmes dans chacun des pays étudiés, les résultats sont quant à eux contrastés. Il apparaît tout d'abord un grand décalage entre les Etats-Unis d'une part, et les autres pays européens (France, Allemagne et Royaume-Uni), en matière de transparence publique. Les informations disponibles aux Etats-Unis sont à la fois beaucoup plus précises et détaillées, plus pertinentes et réellement accessibles aux chercheurs et aux citoyens.

La situation générale de l'Europe est assez peu satisfaisante. A première vue, la situation française peut apparaître comme comparable à celle de ses grands voisins. Cependant la situation française fait apparaître des lacunes importantes. L'information sur les collectivités locales et sur les administrations sociales s'avère peu fréquente et disponible avec retard en France. En outre, l'organisation même des pouvoirs publics conduit dans les faits à disposer d'une information plus abondante au Royaume-Uni en raison de l'existence d'agences publiques soumises à une véritable obligation d'information et souvent aux règles communes de comptabilité. Il en est de même en Allemagne au niveau des Länder en raison de l'organisation décentralisée des pouvoirs publics et de l'effort réalisé par les collectivités territoriales. Il apparaît en définitive que la France cumule les inconvénients d'une forte centralisation et d'une faible conscience du devoir d'informer. La réforme de l'Etat ne pourra pas progresser sans la mise en oeuvre d'un système d'information sur les administrations publiques qui soit fiable et ouvert à tous.

Le présent rapport de synthèse comporte quatre chapitres. Le premier chapitre rappelle quelques tendances de l'information économique sur les administrations publiques françaises. Le second (qui est largement développé dans les rapports spécifiques par domaine de la deuxième partie du rapport) résume les principaux enseignements des comparaisons internationales. Le troisième chapitre propose une mise en perspective historique et fait apparaître la faiblesse des progrès accomplis en matière d'information sur les administrations publiques en France. Le quatrième chapitre pose la question des institutions chargées de l'information économique et de l'insuffisance des efforts entrepris pour diffuser une information statistique régulière et fiable sur les administrations publiques en France.

* 7 Art 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.

* 8 « Pour répondre à l'exigence démocratique de transparence de l'Etat, un accès plus aisé à l'information publique est par ailleurs indispensable », discours d'Hourtin en août 1997 du Premier Ministre Lionel Jospin.

* 9 Rapport Lenoir et Prot, (1979), La Documentation française.

* 10 Rapport Lenoir et Prot (1979), p. 123.

* 11 Rapport Cieutat (2000), p. 15.

* 12 Doter la France de sa nouvelle constitution financière - Alain Lambert, Président - Rapport du Sénat n° 37, 2000-2001.

* 13 Rapport d'information n° 485, par MM. Alain Lambert et Philippe Marini (29 septembre 2000).

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