Des blocages dus à l'insuffisance d'information

29. Le Rapport d'orientation budgétaire déposé par le gouvernement en mai 2000 rappelle la nécessité de la transparence : « la transparence des finances publiques vise deux objectifs : accroître la crédibilité de la politique budgétaire et donc sa soutenabilité à moyen terme, éclairer la gestion et les choix de dépense publique par une meilleure mesure des coûts et des performances ».

30. Un bref rappel historique montre que ces objectifs, qui étaient présents au moment de la loi organique de 1959, ont été depuis perdus de vue et que le poids relatif accordé à chacun de ces deux objectifs a beaucoup varié dans le temps.

31. Pour ce qui concerne l'objectif d'amélioration des choix publics, les dispositifs de rationalisation du processus budgétaire mis en place dans les années soixante-dix se sont avérés plus lourds que prévu et ils se sont heurtés à l'insuffisance de l'information statistique et économique nécessaire à l'éclairage des choix. A la fin des années soixante-dix, une nouvelle étape méthodologique s'imposait. C'est en fait l'objectif lui-même qui a été abandonné. Rationalisation des choix budgétaires, budgets de programmes et indicateurs de résultats ont été supprimés de notre pensée budgétaire. L'information budgétaire n'a plus enregistré aucun progrès et elle a même régressé dans plus d'un cas.

32. Des tentatives parcellaires sont réapparues récemment (comptes rendus de gestion budgétaire par ministère) mais sans stratégie claire et structurée

33. La Commission des Comptes et des Budgets Economiques de la Nation a été supprimée et remplacée par une Commission Economique de la Nation. Il est trop tôt pour apprécier les avantages et les inconvénients de cette nouvelle procédure. Ce qui apparaît d'ores et déjà, c'est qu'elle ne résoud en rien ni le problème de la disponibilité et de l'accès à l'information statistique sur les administrations publiques, ni même le problème de l'accès aux données comptables et budgétaires relatives au projet de loi de finances lui-même.

34. Un Observatoire de l'emploi public a été créé par décret le 13 juillet 2000. L'Observatoire de l'emploi public est chargé d'assurer la collecte, l'exploitation et la diffusion de l'information sur l'emploi dans les fonctions publiques de l'Etat. A cette fin, la définition même du champ d'observation s'inspire d'une approche juridique (la fonction publique) plutôt que d'une approche économique (la nature de l'employeur). Or, les concepts de production, d'emploi ou de productivité n'ont de sens que par référence à l'unité de production. Limitant son champ d'analyse à l'emploi, l'Observatoire s'interdit d'avance les statistiques et les études de productivité.

35. On voit mal en outre ce qui ne pouvait pas être réalisé dans le domaine statistique par les administrations existantes.

36. Enfin, les 41 membres de l'Observatoire sont pour l'essentiel des représentants de l'administration publique ou de son personnel.

37. Il est à craindre que le souci d'une bonne diffusion des données collectées soit en définitive peu présent dans les travaux de l'Observatoire comme c'est en règle générale le cas dans notre administration publique, et que les travaux de l'Observatoire soient en définitive plus orientés vers des débats entre les administrations que vers une information externe et le débat public sur l'administration.

Les institutions responsables de l'information économique se sentent peu en charge du problème.

38. Le système statistique public français est animé et coordonné par l'Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques qui en constitue le pôle principal. La fonction spécifique de l'INSEE implique une compétence, une objectivité et une garantie d'indépendance qui sont aujourd'hui très largement reconnues.

39. Le système statistique français comprend non seulement l'INSEE, qui en assure la coordination, mais aussi plusieurs services statistiques ministériels chargés d'établir les statistiques concernant leur domaine. Ces services publient épisodiquement des documents statistiques mais l'accès à ces documents reste mal structuré et souvent difficile.

40. L'INSEE ne semble pas se considérer véritablement en charge d'un programme d'information statistique destiné à éclairer les acteurs économiques (citoyens, monde professionnel, organismes de recherche) sur le secteur des administrations publiques.

41. Le rôle des services statistiques ministériels présente de nombreuses ambiguïtés. Dans certains cas, il s'agit surtout d'exploiter des données de gestion pour des besoins internes avec peu de diffusion externe. Dans d'autres cas, l'accent est mis sur des études dont les résultats sont loin d'être toujours publiés. Dans d'autres cas encore, il s'agit de véritables prolongements de l'INSEE qui procèdent à des enquêtes sur des populations extérieures (étudiants, délinquants, etc...) mais publient en revanche assez peu d'informations sur l'administration à laquelle ils appartiennent.

42. En définitive, il apparaît que le système statistique français est certes d'une qualité très généralement reconnue mais qu'il se sent peu investi d'une mission de diffusion organisée de statistiques régulières, fiables et documentées sur les administrations publiques et encore moins d'une mission d'analyse et d'étude de ce secteur.

43. En conclusion, la comparaison entre les statistiques disponibles sur les administrations publiques en France, au Royaume-Uni, en Allemagne et aux Etats-Unis suggère que des progrès substantiels sont possibles dans notre pays. Ces progrès apparaissent d'autant plus nécessaires que notre propre expérience passée suggère que l'insuffisance d'information est un facteur de blocage de la réforme de l'Etat.

Cinq propositions de méthode

Les observations précédentes appellent une réflexion en profondeur sur les initiatives à prendre afin d'améliorer le système d'information sur les administrations publiques. Nous nous contenterons d'évoquer ici cinq propositions de méthode :

1. Une revue mensuelle de statistique sur les finances publiques devrait être créée afin de rendre compte rapidement, régulièrement et de façon documentée de l'évolution des comptes de l'Etat, des collectivités territoriales et de la sécurité sociale. Cette revue devrait comporter des séries rétrospectives longues et des études de comparaisons internationales.

2. Un calendrier prévisionnel de diffusion des résultats financiers des comptes des administrations publiques devrait être annoncé et bien entendu respecté.

3. Un accès permanent des instituts d'étude et de recherche indépendants aux administrations financières devrait être organisé et officiellement reconnu afin que les chercheurs puissent identifier les sources d'information disponibles, interroger les administrations sur leurs méthodes et demander le cas échéant certaines exploitations statistiques particulières.

4. Des études d'intérêt général sur le financement de crédits de recherche publique devraient être confiées à des équipes universitaires et à des instituts de recherche indépendants, et bien entendu publiées afin de comparer la situation des administrations publiques françaises avec celle des pays similaires en termes de coûts et de résultats.

5. Enfin, la fonction de collecte et de diffusion des données sur les administrations publiques devrait être explicitement créée et mise en oeuvre avec une autonomie suffisante par rapport aux tâches de gestion administrative courante.

Deux grands ensembles de données devraient être distingués : les données à caractère comptable (comptabilité financière et comptabilité de gestion), et les données à caractère statistique (résultats et moyens des administrations publiques). A ces deux ensembles pourraient correspondre deux agences publiques.

La fonction comptable et financière serait mise en oeuvre par une agence chargée de réunir et de diffuser auprès du public les comptes financiers de l'ensemble des administrations (Etat, collectivités locales, organismes sociaux, ainsi que leurs divers et nombreux organismes rattachés). La fonction statistique serait mise en oeuvre par une agence chargée d'organiser auprès de l'ensemble des acteurs publics la collecte, le traitement et la diffusion des données statistiques (personnel, moyens matériels, résultats, etc...), et de mener des études économiques sur les administrations publiques. De telles agences devraient être dotées d'une certaine autonomie dans leur action et disposer d'un conseil de personnalités indépendantes afin de veiller à la bonne diffusion des données recueillies.

On pourrait envisager que ces agences relèvent du Parlement. Cependant, dans notre organisation des pouvoirs publics, il peut être plus simple de les rapprocher d'une part de la direction de la comptabilité publique, d'autre part de l'Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques, structures qui disposent déjà de la compétence technique et humaine pour gérer de telles missions. Encore faut-il que ces missions soient explicitées, effectivement attribuées et mises en oeuvre. L'essentiel est de bien reconnaître le rôle d'une information fiable, régulière et accessible dans le débat sur l'orientation et la gestion des administrations publiques.

Au moment où se discute une révision de la loi organique de 1959, il est essentiel de souligner que la réforme de l'Etat ne pourra pas progresser sans la mise en oeuvre d'un système d'information sur les administrations publiques qui soit efficace, fiable et ouvert à tous.

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Rapport de synthèse

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