B. UNE CONCERTATION LONGUE ET APPROFONDIE

A la différence de nombreux pays, la Suède s'est engagée, dès les années 1980, dans un processus concerté de réforme de son système de retraites. Le débat a été particulièrement approfondi et s'est déroulé sur une quinzaine d'années.

Le processus de réforme a ainsi été engagé au début des années 1990 suite aux conclusions et propositions présentées par une commission instituée en 1984. Si les principes de la réforme ont été adoptés par le Parlement dès le 8 juin 1994, les modalités pratiques du nouveau régime de retraite qui viendra remplacer le régime de la pension de base et celui de la pension complémentaire (ATP), n'ont été adoptées que quatre ans plus tard, le 8 juin 1998.

La réforme est finalement entrée en vigueur le 1 er janvier 1999, mais les premières pensions de retraite qui en résultent ne seront versées qu'à partir de janvier 2001.

1. Un processus initié en 1984

Réformer un système de retraite est toujours une tâche ardue. Instruits de l'expérience du passé - la mise en place, en 1959, du régime complémentaire obligatoire ATP a donné lieu à une bataille politique particulièrement rude qui a débouché sur un référendum et des élections générales extraordinaires, les seules de la période d'après-guerre -, les principaux partis politiques suédois ont choisi de tenter d'éviter que de tels conflits ne se reproduisent. Il a fallu pour cela recourir à un processus politique nettement plus long et à une très large concertation 8 ( * ) .

Le processus de réforme des retraites a débuté avec la nomination d'une commission spéciale, en novembre 1984, par le Gouvernement social-démocrate de l'époque. Le sous-secrétaire du ministère des Affaires sociales a été nommé président de cette commission. Outre le président, la commission comprenait sept membres : trois représentants du Parti social-démocrate, un représentant pour chacun des quatre autres partis politiques présents au Parlement (mais qui n'étaient pas au pouvoir) : le Moderaterna (parti conservateur), le Folkpartiet (Parti libéral), le Centerpartiet (Parti du centre, ancien Parti des paysans) et le Vänsterpartiet (ancien Parti communiste).

Outre les membres eux-mêmes, deux catégories d'experts ont été nommés : les " sakkunniga " et les " experter ". Les " sakkunniga " étaient nommées pour l'ensemble des travaux de la commission et se trouvaient plus ou moins dans la même position que les membres, hormis le fait qu'elles ne représentaient pas des partis politiques. Les " experter " aidaient la commission en la faisant bénéficier de leurs compétences. Ces deux catégories avaient le droit d'écrire des rapports représentant l'avis de la minorité et d'émettre des réserves sur tout ou partie des recommandations de la commission.

Historique de la réforme des retraites

Octobre 1984

Le Gouvernement demande au ministre de la Santé et des Affaires sociales de constituer une Commission des retraites.

1990

Rapport final de la Commission des retraites qui analyse le problème auquel est confronté le système public de retraite et propose des solutions pour garantir l'avenir des retraites.

Novembre 1991

Le ministre Bo Könberg est chargé de mettre en place un groupe de travail sur les retraites, constitué de représentants de tous les partis politiques présents au Parlement et chargé de formuler des propositions de réforme.

Août 1992

Le groupe de travail sur les retraites présente un mémorandum intitulé : " Un système de retraite réformé : origine, principes, perspectives ".

Février 1994

Le groupe de travail sur les retraites présente son rapport intitulé : " Un système de retraite réformé ".

28 avril 1994

Le Gouvernement présente au Parlement un projet de loi sur la réforme du système de retraite.

8 juin 1994

Le Parlement approuve les orientations proposées.

23 juin 1994

Le Gouvernement décide de constituer un groupe de travail chargé de suivre la mise en place de la réforme et composé de représentants des partis politiques ayant adopté les orientations de la réforme. Le groupe de travail a pour mission de préparer les textes législatifs sur lesquels reposera la réforme.

1 er juin 1995

Création d'une contribution de 1 % du revenu affecté au système de retraite.

28 juin 1995

Mémorandum ministériel intitulé : " Un système de retraite réformé : des pensions fonctions du revenu ".

Projet de loi de finances pour 1995

L'entrée en vigueur des premiers éléments de la réforme est reportée au 1 er janvier 1997.

Projet de loi de finances pour 1997

L'entrée en vigueur des premiers éléments de la réforme est reportée au 1 er janvier 1999.

Juin 1996

• Enquête officielle conduisant à des propositions pour un nouveau système de compensations financières pour les personnes invalides.

• Enquête officielle sur le système de la pension de réversion.

Projet de loi de finances pour 1998

L'âge minimum pour bénéficier d'une pension de retraite passe de 60 ans à 61 ans.

Décembre 1997

• Enquête officielle sur le niveau des pensions des retraités nés avant 1937.

• Enquête officielle : étude sur les mécanismes des suppléments de logement.

Janvier-Mars 1998

Quatre études sur le système réformé des retraites sont présentées par le conseil de législation.

14 avril 1998

Maj-Inger Kingvall, ministre de la Protection sociale, présente au Parlement les projets de loi 1997/1998 : 151 et 1997/1998 : 152.

Juin 1998

La réforme du système des retraites est définitivement adopté par le Parlement.

Des personnes appartenant aux trois grandes confédérations syndicales, LO (cols bleus), TCO (cols blancs) et SACO (travailleurs de formation universitaire) ont été nommées " sakkunniga ". D'autres " sakkunniga " représentaient la principale association patronale du secteur privé (la SAF), l'association patronale des municipalités, les deux plus grandes organisations de retraités, la fédération des organisations de handicapés, trois ministères (Finances, Travail, Affaires sociales), l'Office national d'assurance sociale et l'Institut de recherche de LO. Les " experter " venaient de LO, TCO et SACO, de la SAF et de l'Office national d'assurance sociale.

Au total, tous les partis politiques présents au Parlement, de même que les principaux partenaires sociaux et les groupes plus particulièrement concernés par le régime de retraite, ont participé aux travaux de la commission.

La commission a publié quatre rapports, en 1986, 1987, 1988 et 1989, sur des aspects spécifiques du système de retraite, tels que les pensions de réversion ou le régime de retraite à temps partiel. Le rapport final et la proposition de modification du régime de pensions de vieillesse ont été présentés en 1990. Toutefois, l'ampleur des protestations suscitées par ces conclusions a conduit le Gouvernement à nommer une nouvelle commission, composée cette fois uniquement de représentants de tous les partis politiques représentés au Parlement.

2. L'adoption des principes généraux de la réforme en 1994

La seconde commission a été désignée en novembre 1991 par le Gouvernement libéral-conservateur arrivé au pouvoir après les élections de septembre. Le ministre chargé des retraites, M. Bo Könberg 9 ( * ) , a été nommé président de la commission. Cette nomination traduisait l'importance que le Gouvernement attachait aux travaux de la commission. Les autres membres représentaient les partis présents au Parlement, dont le nombre s'élevait alors à sept. Cette fois-ci, les experts ne provenaient que du ministère des Finances, du ministère des Affaires sociales et de l'Office national d'assurance sociale.

Cette commission a rendu son rapport en mars 1994, en proposant une refonte radicale du système public de retraite. La proposition a été soutenue par les quatre partis libéraux et conservateurs alors au pouvoir, mais également par le principal parti d'opposition -le Parti social-démocrate. Les représentants du Vänsterpartiet (ancien Parti communiste) et de Ny Demokrati, un parti de droite représenté au Parlement de 1991 à 1994, se sont déclarés opposés aux propositions formulées.

Le Gouvernement a alors présenté au Parlement, le 28 avril 1994, un projet de loi définissant les principes généraux d'une réforme des retraites. Le 8 juin 1994, le Parlement approuvait les orientations proposées.

3. La définition des modalités de la réforme en 1998

Les principes de la réforme adoptés, il a fallu s'attacher aux modalités pratiques de celle-ci.

Une troisième commission - officiellement, un groupe de travail - a ainsi été constituée le 23 juin 1994. Composée uniquement de membres des cinq partis favorables à la réforme, elle était présidée par le ministre des Affaires sociales. Elle avait pour mission de travailler à la transformation des principes généraux en dispositions législatives.

Les élections de septembre 1994 ont vu le départ du Gouvernement libéral-conservateur et l'arrivée au pouvoir d'un Gouvernement social-démocrate. Le nouveau Ministre social-démocrate des affaires sociales a été nommé président du groupe de travail, mais ce dernier a continué à être composé des mêmes cinq partis politiques qu'avant les élections.

Les modalités définitives de la réforme n'ont finalement été adoptées que quatre ans plus tard, le 8 juin 1998, à une très large majorité (257 pour, 17 contre et 16 abstentions).

Initialement, le nouveau système, dont les principes avaient été adoptés par le Parlement en juin 1994, devait être mis en oeuvre, en ce qui concerne le paiement des cotisations et l'accumulation des points de cotisation vieillesse, dès le 1 er janvier 1996. Cette date a toutefois été repoussée, par trois fois, au 1 er janvier 1999. Les premières pensions du nouveau système commenceront à être payées en l'an 2001.

Il apparaît à l'issue de ce processus que la réforme des retraites a débuté sous la forme d'une vaste étude impliquant partenaires sociaux et partis politiques, que les intervenants dans cette réforme ont ensuite été essentiellement les partis politiques représentés au Parlement et que, dans une troisième et dernière phase, la réforme n'a plus impliqué que les partis politiques qui lui étaient favorables 10 ( * ) .

Si l'influence des partenaires sociaux a progressivement diminué, du moins en ce qui concerne leur apport officiel aux travaux des commissions gouvernementales, ils n'ont cependant jamais cessé d'exercer des pressions, dans certains cas, même, en étroite coopération avec les partis politiques impliqués.

Il n'en reste pas moins que le rôle finalement limité joué par les syndicats dans le processus reste, aux yeux des Suédois, une " énigme ".

* 8 Cf Eskil Wadensjö, " Suède : les révisions des régimes publics de retraite ", dans Réforme des retraites et concertation sociale , sous la direction d'Emmanuel Reynaud, Bureau international du travail, Genève, 1999, p. 70 et suivantes.

* 9 avec qui la délégation de la commission a pu avoir un entretien particulièrement fructueux.

* 10 Cf Eskil Wadensjö, op. cit. p. 78 et suivantes.

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