2. Une vocation rénovée pour la Villa : un impératif et une option

Après quelques jours passés à Rome et à l'issue d'une vingtaine d'auditions, votre rapporteur spécial ne peut prétendre apporter des solutions toutes faites à la crise latente que traverse cette institution.

A partir d'un diagnostic simple - la Villa a besoin de renforcer sa cohésion interne et n'est pas vraiment en prise avec le monde extérieur -, il veut apporter des éléments de réflexion sur la façon dont on pourrait redonner de la cohérence, donc sa dynamique à l'institution.

La conviction de votre rapporteur est qu'il est sans doute plusieurs manières envisageables pour relancer l'institution, mais qu'elles doivent partir d'un fait simple : la France a hérité avec la Villa Médicis d'un instrument magnifique qu'il serait dommage de ne pas chercher à utiliser pleinement au service du rayonnement de la culture française.

Il peut paraître de bonne politique, aujourd'hui, à la fois d'exporter notre culture et d'affirmer une présence en dehors de nos frontières, car la culture française ne doit pas simplement se défendre sur le territoire national.

Comment, alors, articuler la mission « Colbert » et en faire un complément et un moyen de renforcer une action culturelle extérieure ?

Une telle approche apparaît d'autant plus logique qu'elle valorise les efforts importants accomplis pour la restauration du bâtiment lui-même et qu'elle répond à une évidente volonté des Italiens d'avoir accès à un des monuments les plus symboliques de Rome.

Il faut se donner les moyens pour faire de la Villa une fenêtre ouverte en Italie sur la culture française et ce à l'intention non seulement des Italiens eux-mêmes mais aussi des nombreux touristes qui fréquentent la ville éternelle.

Dans cette perspective, la mission « Colbert » doit être, non pas négligée, mais simplement redéfinie pour assurer sa meilleure articulation à la fois avec les politiques menées par ailleurs pour encourager la création et la recherche, et avec la vie artistique et culturelle en général, sans que cela débouche sur un modèle unique.

La démarche de votre rapporteur est de s'appuyer sur les modèles de référence en matière de bourses artistiques en l'occurrence les aides accordées au titre de la « Villa Médicis Hors les murs » et du château « Solitude », patronné par le Land de Bade-Wurtemberg. Il y a là deux logiques, a priori également concevables, de nature à rendre cohérence et dynamisme à la Villa Médicis, même si elles sont à bien des égards opposées du point de vue du mode de fonctionnement de l'institution :

• dans un cas, la Villa fonctionnerait comme une sorte de « porte-avions » de la culture française, sans que l'on cherche nécessairement à lui assurer une personnalité propre ;

• dans l'autre, on chercherait, au contraire, dans une perspective de complémentarité plus que de normalisation, à préserver l'identité de l'institution comme un espace de liberté créatrice à l'écart des pressions de la vie contemporaine.

Ainsi, selon votre rapporteur, l'État se trouverait-il face à un impératif et une option.

L'impératif , c'est d'accentuer et de rendre plus efficace l'instrument que constitue la Villa Médicis comme outil de coopération culturelle à l'échelle européenne. Certes, Rome n'est plus le centre du monde, pas plus que Paris d'ailleurs, mais cette ville reste un pôle d'attraction culturelle majeur pour les Italiens bien entendu, mais également pour toute une élite intellectuelle à travers le monde. Il y a donc un intérêt pour notre pays à utiliser cette position éminente sur la ville pour donner une efficacité accrue à sa politique de promotion de la culture et de la langue françaises.

L'option , votre rapporteur la voit lorsqu'il s'agit de repenser son mode de fonctionnement.

Considérant que la Villa Médicis constitue une forme de base avancée de la culture française, on peut envisager deux modes d'utilisation :

• soit on considère la Villa comme une plate-forme « off shore » de l'action culturelle menée par le ministère de la culture, c'est-à-dire comme la vitrine d'une politique et de choix dont les grands axes sont déterminés depuis l'hexagone;

• soit on estime qu'il est possible de constituer la Villa en une sorte de pôle d'excellence autonome de la création d'expression française, intégré dans un réseau culturel européen.

Le choix entre ces deux solutions dépend des moyens en hommes ou en crédits dont on dispose, du degré d'autonomie que l'on estime devoir et pouvoir conférer à son directeur, ainsi que de la possibilité d'assurer, en l'état actuel de l'art contemporain, une véritable cohérence esthétique et culturelle à l'institution.

a) Un impératif : faire de la Villa un outil privilégié de la coopération culturelle européenne élargissant la mission « Malraux »

Ainsi qu'on l'a annoncé, il s'agit d'utiliser pleinement le potentiel que représente la Villa Médicis dans la promotion de notre politique culturelle. Il faut, de ce point de vue, se tourner résolument vers les Italiens au sein desquels la culture française est en recul, en faisant notamment des expositions grand public, et en accueillant des stagiaires du pays.

On lui conférerait une mission que l'on pourrait qualifier de « Chirac » dans la mesure où elle correspondrait aux buts de l'institution que le président de la République avait proposé de créer pour l'Allemagne lors de son discours devant le Reichstag du 27 Juin : « Je propose la création à Berlin, à l'image de ce qui existe à Rome et à Madrid, d'un lieu où nos créateurs, qui souhaitent chercher l'inspiration dans cette ville en plein renouveau, soient accueillis ».

Cette orientation consistant à renforcer la coopération culturelle franco-italienne n'est pas exclusive de l'utilisation de la Villa Médicis à destination de ressortissants d'autres pays et, en particulier, d'un rapprochement avec les autres académies nationales présentes à Rome 18 ( * ) .

(1) Programmer des expositions grand public

L'examen des résultats obtenus par les expositions organisées à la Villa Médicis démontre clairement qu'il y a trois catégories de manifestations : les expositions d'art français du XIX ème et du début du XX ème siècles qui rencontrent un très vif succès, les expositions d'art classique du XVI ème au XVIII ème siècles, qui connaissent un succès inégal mais en général honorable, les expositions d'art contemporain, qui se révèlent, du point de vue de la fréquentation, des échecs flagrants, en dépit d'un redressement récent.

Une telle situation doit amener les responsables à en tirer certaines conséquences. Sans vouloir remettre en cause les expositions d'art contemporain, qui font incontestablement partie de la vocation de la Villa, il convient, sur la lancée de ce qu'a fait l'actuelle direction, de ne pas se contenter de présenter les oeuvres des pensionnaires.

Ce n'est sans doute rendre service ni aux pensionnaires ni à l'institution que de s'obstiner à présenter des expositions qui ne répondent manifestement pas aux attentes du public local. Le peu d'appétence des Romains pour un art contemporain que l'on peut qualifier « d'émergent », est un fait qui s'explique par l'absence d'une véritable dynamique du marché de l'art dans la ville pour des raisons culturelles et économiques. Il y a sans doute des amateurs, des galeries, mais en nombre insuffisant pour créer un véritable intérêt.

Mieux vaudrait, dans ces conditions, concentrer les efforts sur la présentation des oeuvres d'artistes déjà reconnus et sur la présentation du travail des pensionnaires en France ou à l'occasion des grandes manifestations internationales.

L'idée de votre rapporteur spécial est d'inciter le ministère de la culture à demander à la Villa d'accueillir une exposition majeure organisée à Paris par la Réunion des musées nationaux . Il ne se dissimule pas les difficultés d'une telle entreprise, compte tenu de l'exiguïté des lieux et de la question de la durée des prêts. Mais une version allégée de certaines expositions concernant des artistes aussi connus que Picasso, Matisse, ou des grands peintres impressionnistes, drainerait à l'évidence un public suffisant pour que le coût résiduel de l'organisation de ce genre d'exposition restant à la charge de la Réunion des musées nationaux, reste acceptable.

Il y a là une politique simple que d'aucuns qualifieront de simpliste, mais qui devrait avoir le mérite de l'efficacité. Et c'est sur ces bases que l'on peut envisager la poursuite d'expositions moins grand public insistant sur les liens entre la France et l'Italie comme les expositions -on les cite pêle-mêle- Le rêve d'un Cardinal, le Dieu caché, Salviati ou, il y a quelques années, Subleyras.

(2) Accueillir des résidents étrangers

L'examen des listes des pensionnaires et des hôtes en résidence étrangers accueillis à la Villa Médicis depuis 1990, montre que l'on n'utilise peut-être pas suffisamment cette possibilité comme un outil de renforcement tous azimuts de notre coopération culturelle.

Sept pensionnaires de nationalité italienne depuis 1990, ce n'est pas négligeable, mais c'est probablement insuffisant. En outre, on ne trouve qu'un Polonais, un Slovaque et une Bulgare, c'est peu compte tenu de l'enjeu que constitue l'établissement de liens culturels avec les pays de l'ex bloc soviétique. On peut rappeler qu'une fondation comme le Getty fait porter une part très importante de son effort vers ces pays.

Dans toutes les disciplines, comme dans toutes les formes d'expression artistique, il y a des enjeux de pouvoir essentiels pour notre culture. Si la France ne veut pas se trouver complètement marginalisée par l'anglais, et même distancée par l'allemand, il conviendrait de pouvoir attirer dans notre orbite culturelle des jeunes, artistes, architectes ou historiens d'art que la perspective de passer, en plus de leur séjour en France, quelques jours en Italie déciderait à se tourner vers notre pays. Dans cette perspective, la Villa Médicis pourrait offrir des résidences courtes à un certain nombre de ressortissants des ex pays de l'Est venus suivre une scolarité en France.

On peut ajouter qu'une telle possibilité serait également de nature à renforcer l'attrait, pour les étrangers, d'études au nouvel Institut national d'histoire de l'art, qui pourraient alors comporter - un bref stage de 1 à 3 mois à Rome.

La France ne peut espérer attirer sur sa seule culture tous ceux qui, à travers le monde, veulent préserver la diversité des cultures face au monde anglo-saxon. Avec la Villa Médicis, elle dispose d'un atout de nature à se présenter non seulement comme une culture nationale mais comme une voie d'accès, une forme de « portail » pour reprendre un terme en vogue, vers d'autres cultures latines ou méditerranéennes. Il est sans doute vain d'espérer que la France puisse être la seconde langue des non anglophones sans liens historiques avec notre pays mais en revanche, elle peut revendiquer, si elle sait mettre en valeur les outils dont elle dispose, un statut de seconde culture, notamment pour des élites des pays d'Europe centrale.

* 18 Il existe à Rome, outre l'Académie d'Espagne, des académies américaine, allemande et hongroise, ainsi qu'une British School.

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