b) Un bilan flatteur

Une vingtaine d'années après la mise en place de la réforme, on trouve une première tentative officieuse, certes, pour faire un bilan de la réforme mais qui reflète assez bien la conception officielle de la rénovation réussie d'une institution qui aurait pu être indissociablement liée à celle de mandarinat et de privilèges.

Le prestige de son premier directeur, Balthus, qui tout comme Malraux était déjà entré dans l'histoire, des jurys et un conseil d'administration composés de personnalités de haut niveau, quelques anciens pensionnaires qui ont su se faire un nom, ont suffi pour dissuader les sceptiques.

Cette tentative émane de M. Alfred Pacquement, ancien Délégué aux arts plastiques et directeur de l'Ecole nationale des Beaux-Arts.

La note est d'autant plus intéressante qu'elle recouvre ce qui aurait pu être un des objets du présent rapport, si votre rapporteur spécial n'avait pas voulu s'en tenir à des considérations fonctionnelles.

Par cette note, il s'agissait « d'aborder la période la plus récente dans l'histoire de l'Académie de France et d'étudier les personnalités de ceux qui ont séjourné à la Villa Médicis, d'en saisir les motivations, d'évaluer les qualités des artistes pensionnaires, depuis qu'a été abandonné le Prix de Rome ».

Au-delà des précautions de son auteur qui met en avant, non sans raison, le manque de recul du temps nécessaire à l'historien, et plus généralement le dossier « singulièrement vide » pour ce qui est des études approfondies, M. Alfred Pacquement aboutit à un constat rassurant : « le nombre d'artistes choisis comme pensionnaires depuis 25 ans et faisant aujourd'hui partie intégrante de l'art contemporain français est considérable. A elle seule, cette abondance de noms 26 ( * ) suffirait à justifier les mesures qui ont été prises.

La réforme de 1971, l'après Prix de Rome, « c'est la fin du pouvoir absolu de l'Ecole des Beaux-Arts au profit de candidatures d'origine multiple, et censées représenter ainsi une variété de comportements novateurs, à l'image de l'évolution de l'art contemporain : à l'uniformité académique vont répondre, par contraste, la diversité, l'innovation, la rupture ». Il note que cette diversité n'est pas inscrite dans les textes, il se contente d'indiquer que la Villa Médicis « accueille de jeunes artistes pour leur permettre de poursuivre leurs travaux, études et recherches ».

Après avoir rappelé le processus de diversification des formes d'expression artistiques accueillies à la Villa, M. Alfred Pacquement souligne que les choix traduisent une réelle prise de risques, avec une majorité d'artistes peu connus, même si un certain nombre d'entre eux ont déjà été « identifiés évidemment dans un cercle de spécialistes ».

Pour lui, « le but recherché est donc atteint : l'Académie de France n'est plus le prolongement ou l'aboutissement d'un parcours scolaire. Elle ne consiste plus à introniser un heureux élu choisi parmi ses maîtres pour en faire bientôt un artiste officiel ». En tant qu'institution adaptée aux besoins d'aujourd'hui, la Villa Médicis lui paraît répondre au concept de lieu d'accueil, de travail, d'échanges, multidisciplinaire s'il en est, un espace d'activités caractérisé par la multiplicité intellectuelle, récemment renforcé par l'ouverture à des disciplines nouvelles : le cinéma, la littérature, l'histoire de l'art, et plus tard, la photographie, le graphisme, le design et la scénographie.

Pour lui, la Villa Médicis a réussi progressivement sa « désacadémisation » : le pensionnaire n'est plus un jeune artiste en fin d'études, mais une personnalité que l'on commence à identifier dans le circuit de l'art, un artiste émergent sélectionné en fonction de son potentiel artistique et non parce qu'il appartient à une école, à un clan, ou à un atelier 27 ( * ) .

Considérant que le jury a tendance à faire preuve d'un certain classicisme, qui se traduit notamment par la prédominance des peintres, il note une attitude nouvelle plus ouverte, qui se traduit par une plus grande diversité de candidatures, entraînant un changement d'image de l'institution.

Pour lui, « la liberté de création et d'expression est, qu'on le veuille ou non, la principale conquête de la suppression des Prix de Rome. Elle autorise dès lors toutes sortes de modalités dans un séjour, y compris ce privilège d'en tirer bénéfice que dans ses lointaines suites. Il est peut-être regrettable de ne pas garder de trace concrète du séjour romain, mais cela me paraît plutôt un problème de documentation et d'archives, moins celui de la constitution d'un patrimoine. A la linéarité des oeuvres primées, de plus en plus étouffée par les contraintes académiques, répondent désormais une diversité d'expression, des inégalités patentes, d'aussi grandes réussites que peuvent l'être parfois les échecs. »

La conclusion de l'étude est d'une logique inattaquable : « le nombre d'artistes reconnus qui sont passés par Rome est en augmentation spectaculaire. C'est là où mon propos est éminemment subjectif, car l'histoire, peut-être, n'en retiendra que bien peu dans les manuels de l'histoire de l'art. Nul ne peut d'ailleurs, ni l'affirmer, ni en prétendre le contraire ».

Incidemment, M. Alfred Pacquement, reconnaît que si « aller à Rome ne constitue plus cette absolue nécessité dans la formation d'un artiste, qu'il réussisse ou non le concours, « cf. Géricault, Delacroix », le voyage, la rencontre du passé antique, classique ou tout autre, la quête personnelle et autonome de l'art à travers les siècles, restent par contre d'une évidente acuité ».

Il ajoute « qu'une intéressante étude serait à entamer sur les relations entretenues par les pensionnaires plasticiens sur l'histoire de l'art et quant à l'impact de leur séjour en ce domaine ». Nombre d'artistes interrogés reconnaissent en effet avoir consacré lors de leur séjour, un temps inhabituel, en tout cas excédant largement leurs habitudes, l'art du passé dans la ville éternelle est évidemment riche au delà de tout ce qui est possible. ».

Tout se passe comme si la nouvelle organisation se trouvait mise à l'abri dans les circuits officiels de toute critique par l'autorité de ses pères fondateurs et plus généralement par celle des personnes qui sont ou ont été associées à la rénovation et au fonctionnement de la Villa et par la correspondance que l'on peut trouver entre certains pensionnaires de la Villa et ceux représentés dans les circuits officiels.

* 26 Parmi les peintres : François Rouan, Yves Reynier, Thierry Delaroyere, Ange Leccia, Christian Bonnefoi, Bernard Frize, Philippe Favier, Denis Laget, Philippe Cognee, Frédérique Lucien, Ian Pei Ming.

Parmi les sculpteurs : Jacques Vieille, Elisabeth Ballet, Emmanuel Saulnier, Florence Valay, Pascal Convert, Nicolas Herubel, Claire-Jeanne Jezequel, Nathalie Elemento, Jean-Michel Othoniel, Eric Samakh.

Parmi les photographes : Georges Rousse, Patrick Faigenbaum, Alain Fleischer, Eric Poitevin, Thierry Urbain, Thibault Cuisset, Philippe Gronon.

* 27 Ne s'agirait-il pas du contraire ?

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