II. UNE PROPAGATION DE L'AGENT INFECTIEUX DE L'ESB MALGRÉ L'INTERDICTION DES FARINES DANS L'ALIMENTATION DES BOVINS

A. L'INERTIE BRUXELLOISE

L'affaire de la « vache folle », qui se développe depuis plus de dix ans, est avant tout une crise européenne. Apparue au Royaume-Uni, l'ESB semble, en effet, limitée géographiquement à notre continent. Il est vrai que déjà la mythologie grecque nous avait mis en garde, puisque l'Europe tire son nom d'une héroïne enlevée par un taureau 33 ( * ) .

Crise européenne, donc, crise sérieuse pour les institutions européennes également, dont elle a mis en lumière les dysfonctionnements, ébranlant ainsi la confiance des citoyens.

La commission d'enquête a tenu à se rendre à Bruxelles où elle s'est entretenue avec les commissaires européens, M. Franz Fischler et M. David Byrne, chargés respectivement de l'agriculture, d'une part, de la santé et de la protection des consommateurs, d'autre part, accompagnés de leurs collaborateurs.

Comme il a été dit, elle regrette qu'à cette occasion, les services de la Commission européenne -laquelle, il est vrai, n'est aucunement responsable devant les parlements nationaux- ne se soient pas montrés disposés à un dialogue approfondi.

1. Le constat

La crise de l'ESB a mis en évidence les limites de l'efficacité des institutions communautaires, en raison des lourdeurs du processus de décision et de l'insuffisance des contrôles. Elle a fait apparaître un déficit de transparence et un manque de clarté dans l'attribution des responsabilités.

Mais cette crise a aussi affaibli les bases mêmes de la construction européenne : la confiance mutuelle entre les Etats membres et la définition par la Commission européenne de « l'intérêt général européen ».

Les conséquences de la crise, tant économiques que politiques, sont appelées à perdurer.

Des trois institutions communautaires qui forment le triangle institutionnel -le Conseil, la Commission européenne et le Parlement européen- seul le Parlement européen a véritablement cerné les enjeux de la crise dès son déclenchement et appelé le premier à prendre les mesures nécessaires.

Le rapport de la commission temporaire d'enquête du Parlement européen sur l'ESB, mise en place en juillet 1996, est accablant, tant pour les autorités britanniques de l'époque, que pour la Commission européenne et le Conseil 34 ( * ) .

a) Des décisions communautaires tardives

Ce qui caractérise l'action de l'Union européenne en matière de lutte contre l'ESB, c'est le retard constant avec lequel les mesures ont été adoptées au niveau communautaire, par rapport aux décisions prises par la France ou par le Royaume-Uni, si bien que l'on peut parler d'une véritable « inertie bruxelloise ».

Ainsi, il a fallu attendre six années avant que la Commission européenne n'interdise l'exportation des farines animales en provenance du Royaume-Uni (27 juillet 1994) vers les autres Etats membres.

De même, en ce qui concerne les matériels à risques spécifiés (MRS), ce n'est qu'en octobre 2000 que la décision communautaire interdisant l'utilisation des MRS dans la chaîne alimentaire est entrée en vigueur, soit plus de quatre ans après les mesures prises par la France.

Enfin, l'interdiction de l'utilisation des farines carnées dans l'alimentation des animaux d'élevage n'est intervenue qu'au 1 er janvier 2001 au niveau de l'Union : encore cette mesure n'a-t-elle été prise que pour une période transitoire de six mois.

Lorsque l'on compare les décisions communautaires aux décisions prises par le Royaume-Uni, le retard des décisions communautaires est encore plus flagrant.

Il a fallu, en effet :

- un an à la Communauté pour prendre les premières mesures visant l'interdiction d'exporter certains bovins vivants du Royaume-Uni (28 juillet 1989) ;

- 19 mois pour rendre obligatoire la notification des cas d'ESB (6 mars 1990) ;

- 20 mois pour interdire l'exportation à partir du Royaume-Uni de certains tissus et organes bovins ;

- 72 mois (27 juin 1994) pour interdire l'utilisation des farines de mammifères dans l'alimentation des ruminants ;

- 92 mois pour décider un embargo sur tous les produits bovins originaires du Royaume-Uni (27 mars 1996).

Ce décalage dans le temps entre les mesures décidées au niveau national et les mesures prises au niveau communautaire, qui a été particulièrement important jusqu'à une date très récente et qui perdure encore aujourd'hui, est difficilement compréhensible pour le citoyen.

Comment expliquer, en effet, qu'actuellement les mesures en vigueur en France restent plus contraignantes que les mesures prises au niveau communautaire, tant en matière d'abattage, que de matériels à risques spécifiés ou encore d'étiquetage ? Comment justifier, par exemple, la dérogation dont bénéficient le Royaume-Uni et le Portugal en matière de retrait de la colonne vertébrale des bovins (le retrait a lieu chez les animaux de plus de trente mois au lieu de douze mois dans les autres Etats membres), alors que ces deux pays ont été les plus affectés par l'épidémie ?

En matière d'abattage-destruction, le ministre de l'Agriculture, M. Jean Glavany, relève que « aujourd'hui, sur quinze pays en Europe, quatre ou cinq le font, dont seulement deux sérieusement : l'Irlande et la France ».

De même, le dispositif européen en matière d'étiquetage et d'identification de la viande bovine, prévu par la décision de juillet 2000 (règlement 1760/2000), est en retrait par rapport à l'accord interprofessionnel signé en France en 1997, comme l'ont dénoncé M. Jérôme Bedier, Président de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD) et Mme Marie-josé Nicoli, Présidente de l'Union fédérale des consommateurs (UFC), lors de leurs auditions devant la commission d'enquête.

* 33 Il s'agissait en fait de Zeus, qui avait habilement emprunté cette forme animale.

* 34 Les membres de la commission d'enquête sénatoriale ont rencontré à Bruxelles son rapporteur M. Manuel Medina Ortega, à l'occasion d'un déjeuner de travail au Parlement européen.

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