2. L'explication de ces retards : une prise de conscience tardive du ministère de l'agriculture

La lecture des comptes rendus des réunions interministérielles tenues de 1994 à 2000 sur le sujet de l'ESB montre que le ministère de l'agriculture et de la pêche a cherché constamment d'empêcher ou de retarder l'édiction de mesures de précaution, qui se sont avérées ensuite être des mesures de sécurité sanitaire, au motif qu'elles n'avaient pas de fondement scientifique.

Au terme de ses travaux, la commission d'enquête considère que trois principales raisons peuvent expliquer les retards constatés :

a) L'ESB analysée comme une variante de la tremblante du mouton...

Les vétérinaires de la DGAL du ministère de l'Agriculture ont conseillé les ministres en croyant savoir . Depuis plus de deux siècles, la tremblante sévit en France, sans que cette maladie affecte l'homme. Par analogie, ils ont conclu que l'ESB ne présentait aucun risque.

Haut fonctionnaire du ministère de l'Agriculture, M. Régis Leseur a indiqué devant la commission qu'un « certain nombre d'informations parcellaires » avaient montré dès 1994 qu'il pouvait exister un passage à l'homme mais que « jusqu'en 1996 nous n'imaginions pas collectivement que la maladie passerait à l'homme » .

Le compte rendu de la réunion interministérielle tenue le mardi 14 juin 1994 atteste de cet optimisme. Alors que le représentant du ministère des affaires sociales, de la santé et de la ville considère que « si les expériences n'ont jamais permis de transmettre la maladie à un animal en lui faisant consommer de la viande, cela ne veut pas dire que la viande de « vache folle » soit consommable » et évoque « l'incertitude quant à l'existence d'un risque de transmission de l'ESB à l'homme (qui, dans cette hypothèse, pourrait s'exprimer sous forme de maladie de Creutzfeldt-Jakob et ne se manifesterait en tout état de cause qu'à partir de l'an 2000, étant donné la durée d'incubation de la maladie » , le ministère de l'agriculture et de la pêche « s'étonne de la position du ministère de la santé, qui au cours des réunions précédentes, à Matignon notamment, n'avait fait part d'aucune information nouvelle concernant le risque de transmission à l'homme de l'ESB » .

M. Henri Nallet, ancien ministre de l'Agriculture, a évoqué pour sa part une réflexion d'un responsable vétérinaire, lui disant, en mai 1990, au moment même où il était alerté par le décès de Max, chat siamois anglais victime de l'encéphalopathie spongiforme féline : « C'est la tremblante du mouton, restez tranquille, on connaît cela depuis deux siècles et c'est répertorié, cela ne s'est jamais transmis à l'homme. Aucune chance. C'est la presse, les media... » .

Tous les vétérinaires n'ont pas eu ce « réflexe tremblante ». L'Académie nationale vétérinaire avait ainsi remis dès le 21 juin 1990 au ministre de l'Agriculture un avis rédigé par le professeur Henri Brugère 53 ( * ) : « Considérant qu'aucune étude ne permet pour l'instant d'affirmer que l'homme est insensible à l'agent transmissible et que la plupart des études d'inoculation de prions aux animaux de laboratoire, y compris les primates, se révèlent positives, l'Académie vétérinaire de France souhaite que le risque potentiel de zoonose soit examiné dans tous ses aspects et que la plus grande rigueur soit prise pour la surveillance des denrées d'origine bovine. En particulier, tant que dureront les importations, les tissus potentiellement virulents (encéphale, moelle, nerfs, thymus, abats en général devraient être retirés des consommations humaine et animale » .

* 53 Que la commission d'enquête a pu rencontrer lors de son déplacement à l'Ecole nationale vétérinaire de Maisons-Alfort.

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