2. En pratique l'accès aux documents administratifs est bien mieux garanti aux États-Unis qu'en France

a) L'accès aux documents administratifs d'intérêt général est en fait limité en France

En 1979, le rapport Lenoir-Prot 66 ( * ) relevait, s'agissant notamment de la loi relative à l'accès aux documents administratifs, que « les gens hésitent à croire à cette reconversion de l'appareil administratif, à cette fin du secret qu'ils vitupèrent ».

En l'espèce, cette prudence ne semblait pas sans fondements, compte tenu notamment des modalités d'élaboration de la loi.

En effet, le titre premier de la loi du 17 juillet 1978 relatif à l'accès aux documents administratif avait été introduit à l'Assemblée nationale sous la forme d'amendements parlementaires dans un projet de loi qui ne comportait principalement à l'origine que des mesures de simplification administrative.

La loi relative à l'accès aux documents administratifs est donc une initiative parlementaire et non un projet porté par l'administration .

En raison du consensus soulevé par ces amendements, le gouvernement n'avait pu s'y opposer, même s'il s'était efforcé d'en limiter la portée en proposant des sous-amendements restrictifs.

Dès 1987, trois maîtres des requêtes au Conseil d'Etat, M. Bruno Lasserre, ancien rapporteur général de la commission d'accès aux documents administratifs, Mme Noëlle Lenoir et M. Bernard Stirn, dressaient ainsi dans un ouvrage collectif 67 ( * ) un bilan nuancé de la mise en oeuvre de l'accès aux documents administratifs.

Après avoir souligné une « prise de conscience » et une collaboration « plus grande et plus loyale » de la part des administrations, puis indiqué que « la loi [était] peu à peu descendue dans les services » de sorte qu'elle « ne surprend plus le fonctionnaire, même si elle ne le satisfait pas toujours », ces praticiens relevaient en effet, neuf ans après l'adoption de la loi, « la prudence excessive des fonctionnaires qui subissent la loi du 17 juillet 1978, plus qu'ils ne la font ».

Ils soulignaient surtout que « l'administration, trop souvent encline à penser qu'un problème est réglé lorsqu'ont été adoptés la loi et ses textes d'application, n'a pas tiré toutes les conséquences matérielles de l'obligation de communiquer les documents :

- ...peu de services ont créé des locaux spécifiques pour recevoir le public, lui permettre de consulter les documents qu'il recherche ou de photocopier ceux dont ils souhaite garder une reproduction... ;

- il est très rare qu'un personnel spécifique se voie confier la tâche de recevoir et de traiter les demandes de communication de documents. [Pourtant], n'existe-t-il pas un minimum qui consiste à désigner dans chaque administration une personne qui puisse, sinon traiter elle-même les demandes d'accès, du moins conseiller les fonctionnaires, leur indiquer la marche à suivre, et, en cas de difficultés, saisir préventivement la CADA ?

- ...les délais de réponse sont trop longs. La plupart du temps, l'administration laisse écouler le délai de deux mois au terme duquel naît une décision implicite de refus : c'est un moyen d'éviter un refus explicite, dont la motivation apparaît parfois délicate »... ;

- plus généralement, « les délais laissés à l'administration pour répondre aux demandes de communication sont trop longs. Deux mois à l'administration pour se prononcer sur une demande de communication, un mois à la CADA pour rendre son avis, deux mois à l'administration pour décider de la suite qu'elle y donne : l'intéressé peut donc obtenir satisfaction cinq mois après sa demande [sous réserve que l'administration ne gagne pas encore des délais supplémentaires en laissant le demandeur engager une procédure contentieuse]. L'on peut se demander si, communiqué si tardivement, le document conservera encore un intérêt » ;

- enfin, les auteurs soulignaient que les administrations ne respectent pas l'obligation résultant de l'article 9 de la loi du 17 juillet 1978 de signaler les documents communicables , tels que les rapports, les études, les compte rendus de réunions, les statistiques réunies à l'issue d'enquêtes ou les avis rendus, c'est à dire, aux termes du décret du 22 décembre 1979, d'en publier sous quatre mois le titre, la date, l'objet et l'origine, ainsi que le lieu où ils peuvent être consultés ou communiqués.

Force est de constater que ces observations sont toujours d'actualité, ce qui valide rétrospectivement la prudence, sinon le pessimisme exprimé par M. Guy Braibant en introduction à l'ouvrage collectif précité.

En France, la loi du 17 juillet 1978 constitue ainsi aujourd'hui un progrès incontestable pour les démêlés individuels des particuliers avec l'administration. En effet les particuliers finissent, tôt ou tard, par accéder aux informations personnelles qu'ils recherchent.

En revanche, l'esprit initial de la loi, qui visait à assurer une large diffusion des documents d'intérêt général détenus par l'administration, s'est largement perdu .

En premier lieu, la plupart des citoyens ignorent leurs droits en la matière.

En second lieu, ceux qui connaissent leurs droits ne peuvent guère les utiliser. En effet, l'obligation de signalement des documents n'est pas respectée, de sorte qu'il est difficile de savoir quels sont les documents communicables qui existent.

Enfin, lorsque « par miracle » des citoyens connaissent leurs droits et les documents dont ils souhaitent avoir communication, l'administration met souvent en oeuvre les dispositions de la loi du 17 juillet 1978 avec réticence, sinon avec mauvaise foi, dès lors que les documents concernés pourraient être réellement utiles au débat public.

* 66 Cf. rapport précité, page 151.

* 67 « La transparence administrative », Puf, 1987.

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