B. LES UNIVERSITÉS EXERCENT UN RÔLE INSTITUTIONNEL MODESTE, MAIS RÉEL, DANS LES DÉBATS PUBLICS DE POLITIQUE ÉCONOMIQUE

1. Un rôle réel

a) Des formations en économie appliquée

Au delà de leur rôle primordial en matière de recherche de recherche « académique », les universités américaines participent à l'animation des débats publics en matière de politique économique.

Quelques universités conduisent ainsi des enquêtes statistiques originales qu'elles s'efforcent de diffuser auprès des média. D'autres universités, comme celles du Michigan, du Maryland ou de Pennsylvanie, réalisent des prévisions ou des projections économiques, notamment à l'aide de modèles macro-économétriques. L'université de Yale met également gratuitement en ligne sur internet un modèle macro-économétrique national (FAIRMODEL) et un modèle macro-économétrique international (cf. http://fairmodel.econ.yale.edu). Plus généralement, nombre de formations universitaires en économie mettent l'accent sur la recherche appliquée .

Certains centres universitaires (comme le Jerome Levy Institute du Bard College ) proposent d'ailleurs des services de consultants, ou servent d'incubateurs technologiques pour des cabinets de consultants privés. Par exemple, le premier modèle macro-économétrique de la société Macroeconomic Advisers fut développé au début des années 1980 à l'université de Washington.

Ces initiatives répondent à une double finalité :

- en premier lieu, elles accroissent la notoriété des universités concernées, au bénéfice de leurs étudiants comme de leurs chercheurs, ce qui attire des financements privés. On peut en effet rappeler que les économistes universitaires américains sont souvent obnubilés par la recherche des financements publics et privés indispensables à la poursuite de leurs travaux ;

- en second lieu, elles préparent les étudiants aux fonctions d'économistes d'entreprise ou d'administration auxquelles ils peuvent aspirer.

Les étudiants en économie appliquée des universités disposent en effet aux États-Unis de réels débouchés : en effet, non seulement les institutions financières, mais aussi les administrations leur sont ouvertes. En outre, il existe aux États-Unis plusieurs dizaines de cabinets de consultants qui recrutent de jeunes économistes.

b) Des centres de recherche pluridisciplinaires

Par ailleurs, les universités hébergent près d'une vingtaine de centres de recherche pluridisciplinaires d'envergure nationale dont les études nourrissent les débats publics, comme le Center for Economic Policy Analysis (à la New School University de New York), l'Institute for Research on Poverty (à l'université du Wisconsin) le James M. Buchanan Center for Political Economy (à l'Université George Mason en Virginie) ou l'Institute for Social Research (ISR).

A titre d'exemple, l'ISR, fondé en 1948 à l'Université du Michigan (à Ann Arbor), dispose aujourd'hui d'un effectif administratif et scientifique de 350 personnes , qui conduisent des études économiques et sociales dans une perspective pluridisciplinaire, et qui réalisent des enquêtes statistiques .

L'histoire de ces enquêtes reflète d'ailleurs assez bien l'évolution des préoccupations de la société américaine depuis 1945 (successivement l'avènement de la consommation de masse, le baby-boom, puis le développement de la contre-culture et la discrimination positive en faveur des minorités ethniques, enfin la mondialisation et le vieillissement). En effet, l'ISR a développé :

- une enquête mensuelle sur les comportements de consommation (depuis 1946) ;

- une enquête bisannuelle sur les comportements électoraux (depuis 1948) ;

- une enquête sur les familles américaines (depuis 1962) ;

- le suivi longitudinal du revenu d'un échantillon de ménages (depuis 1968) ;

- une enquête annuelle sur les habitudes de vie et sur la consommation de drogue des jeunes (depuis 1975) ;

- une enquête sur la situation des afro-américains (depuis 1979) ;

- une enquête quinquennale sur l'évolution des « valeurs » mondiales, en collaboration avec le réseau international de l'ISR ;

- une enquête bisannuelle sur les personnes âgées (depuis 1992);

Ces enquêtes sont largement diffusées dans les média. Elles contribuent aux débats publics relatifs au vieillissement démographique, à la participation aux élections ou à l'intégration économique des afro-américains.

L'ISR est adossé à l'université du Michigan, où nombre de ses chercheurs sont par ailleurs enseignants, mais il en est administrativement indépendant.

Le budget annuel de l'ISR était en 1999 de 33 millions de dollars , soit près de 250 millions de francs au taux de change courant. Il provient pour l'essentiel de contrats de recherche financés par des fondations et des entreprises privées, et surtout par le gouvernement fédéral, soit directement, soit au travers de la fondation nationale pour les sciences ( National Science Foundation ) et de l'institut national de la santé ( National Institute for Health ).

Ce type de centres de recherche ne trouve guère son équivalent en France.

En effet, l'ISR dispose de moyens nettement supérieurs à ceux des centres de recherche (comme l'Observatoire national des conjonctures économiques - OFCE - et le Centre d'études de la vie politique française -CEVIPOF -) de la fondation nationale des sciences politiques (FNSP), qui sont probablement les institutions qui lui ressemblent le plus en France. En outre, le financement de l'ISR est plus diversifié.

De même, l'ISR se distingue des laboratoires du CNRS par son caractère plurisciplinaire, par l'importance accordée à la recherche empirique et par l'ampleur des contributions financières privées à son fonctionnement.

Il est vrai que développement de ce type d'institution rencontre aux États-Unis un terrain particulièrement favorable grâce à :

- l'intérêt des décideurs et du public pour une approche pragmatique et empirique des évolutions respectives des inégalités, des structures familiales et de la situation des minorités ethniques, alors que l'étude de certaines de ces questions soulève en France des débats de principe ;

- l'idée américaine selon laquelle les politiques publiques et les utilisations alternatives potentielles des fonds publics constituent des sujets d'étude essentiels ;

- un environnement favorable aux recherches plurisciplinaires, alors que les modes de recrutement et d'avancement en vigueur dans les universités françaises et au CNRS favorisent encore trop le cloisonnements entre les disciplines ;

- l'existence de sources de financement privées (cf. infra) ;

- enfin l'accès des chercheurs, gratuitement et sans restrictions, à la plupart des données sociales recueillies par les administrations publiques, alors que cet accès est restreint et/ou onéreux en France.

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