6. L'expertise des choix publics et la prospective

Au delà de ses missions réglementaires, et de ses missions de contrôle et d'évaluation, le GAO joue un rôle, méconnu en France, mais essentiel, d'expert au service du Congrès. Cette expertise prend non seulement la forme de rapports écrits (les « livres bleus »), mais aussi de la préparation de notes, de briefings à destination des staffers des commissions et des parlementaires, et d'auditions de responsables du GAO par les commissions et sous-commissions du Congrès.

Le GAO exerce ainsi, en amont des débats législatifs, une mission de veille et de prospective . En particulier, le GAO réalise, soit à la demande du Congrès, soit de sa propre initiative, des rapports relatifs à des problèmes de long terme, comme les conséquences du vieillissement démographique, en s'efforçant à la fois d'anticiper les besoins futurs du Congrès et d'adopter le cas échéant une perspective plus longue que celle qu'auraient spontanément adoptée des parlementaires.

Par exemple, le programme stratégique pluriannuel du GAO identifie six grands thèmes où les évolutions en cours requièrent une réflexion prospective approfondie : « l'interdépendance des entreprises, des économies et des gouvernements ; la nature des menaces pour la sécurité nationale ; le vieillissement et l'évolution de la composition de la population ; la qualité de vie pour le monde, les pays, les communautés, les familles et les individus ; l'innovation technologique, les gains de productivité et les nouvelles vulnérabilités qui en résultent ; enfin, le rôle des administrations publiques et l'évolution des attentes à leur égard » .

A partir de cette réflexion prospective, le programme stratégique pluriannuel du GAO identifie ensuite une vingtaine d'enjeux pour les années à venir, comme les besoins en matière de santé d'une population vieillissante, l'amélioration du système judiciaire, les conséquences de la globalisation sur l'économie américaine ou une meilleure gestion des ressources naturelles, autour desquels doivent s'organiser les missions de contrôle engagées à l'initiative du GAO.

Par exemple, le GAO conclut que les nouveaux besoins de la population en matière de santé publique doivent s'accompagner d'un renforcement de la sécurité alimentaire. En conséquence, le GAO a diligenté une série d'investigations relatives à l'organisation de la sécurité alimentaire.

Cette réflexion conduit également le GAO à engager des travaux plus prospectifs, dans une perspective de long terme (souvent de l'ordre de 75 ans), comme le montre l'encadré ci-après.

Un exemple de travail prospectif :

le compte rendu d'une audition du directeur de la division du budget du GAO devant la commission du budget du Sénat sur les perspectives budgétaires
de long terme

Alors que le CBO se limite en principe à un horizon de 10 ans, le GAO réalise régulièrement des projections des finances publiques à l'horizon de 75 ans.

Ces projections sont ensuite diffusées dans le cadre des rapports du GAO, ou d'auditions de responsables du GAO par des commissions du Congrès.

Par exemple, le directeur de la division des affaires budgétaires du GAO a été auditionné en février 1998 par la commission du budget du Sénat. Cette audition s'est déroulée en deux temps : la présentation d'un texte écrit ( testimony ) de quinze pages serrées, accompagnées de 10 pages d'annexes, préparé à l'avance et validé par la hiérarchie du GAO, puis la réponse à quelques questions.

Dès le lendemain de sa présentation, le texte écrit fut mis en ligne sur le site internet du GAO, puis publié sous forme écrite.

En introduction, ce petit rapport souligne la nécessité d'examiner les équilibres budgétaires dans une perspective de long terme, au regard notamment d'évolutions prévisibles comme le vieillissement démographique, puis présente à grands traits le modèle économique utilisé pour réaliser des projections des finances publiques à l'horizon de 75 ans, ainsi que les principales hypothèses choisies et le compte central retenu (qui n'est autre que la projection du CBO pour les dix premières années). Enfin, à l'instar des rapports annuels de la délégation du Sénat pour la planification sur les perspectives macro-économiques, ce rapport expose les principales limites inhérentes à ce type d'exercice de projection.

Ensuite, le rapport compare les principaux résultats de trois scénarii : un scénario tendanciel, sans inflexion de politique économique ; un second scénario, où les finances publiques (alors en excédent aux États-Unis), sont ramenées à l'équilibre à court terme, soit par des baisses d'impôt, soit par une hausse des dépenses ; et un troisième scénario, normatif et vertueux, qui préserve la soutenabilité de très long terme des finances publiques, ce qui passe notamment par l'accumulation d'excédents avant que les effets du vieillissement démographique ne se fassent pleinement sentir.

Compte tenu des spécificités du modèle, dont les limites sont discutées plus loin, ainsi que de l'horizon retenu (75 ans), qui tend à accentuer les divergences entre ces différents scénarios, les résultats de la projection sont particulièrement tranchés. Par exemple, selon cette projection, le PIB par habitant serait moitié plus élevé en 2050 dans le scénario vertueux que dans le second scénario.

La conclusion de cette simulation n'est pas explicitée par le GAO, mais elle est évidente : les États-Unis doivent consacrer les excédents budgétaires actuels au désendettement et non pas à la baisse des impôts ou à la hausse des dépenses. Cette conclusion n'est pas sans répercussions politiques fortes. En effet, ce rapport appuyait alors de facto la politique préconisée par l'administration Clinton et la minorité démocrate du Congrès, contre les souhaits de la majorité républicaine du Congrès, et ce qui sera le programme électoral de G.W. Bush, ces derniers préconisant de « rendre » les excédents budgétaires aux contribuables.

A bien des égards, ce rapport et ce témoignage devaient donc être particulièrement « désagréable »s à la majorité du Congrès.

Peut-être pour cette raison, ce témoignage se conclut ainsi par des considérations générales attirant l'attention des parlementaires sur la nécessité de mieux prendre en compte les engagements de long terme des administrations publiques, notamment en matière de retraite, mais aussi par exemple, en matière de dépollution. De la part du GAO, il s'agit là, sans doute, d'une pédagogie de la répétition.

Certains des travaux du GAO peuvent également s'inscrire dans une perspective plus rapprochée et plus opérationnelle. Par exemple, à partir de 1997, le GAO a alerté le Congrès sur le problème du bogue de l'an 2000, puis, entre 1997 et 1999, et en liaison avec les travaux de commissions et sous-commissions ad hoc du Congrès, et avec le groupe de travail a -hoc placé auprès du Président des États-Unis, le GAO a publié 160 rapports sur le sujet, près de 100 recommandations aux agences fédérales et quatre guides méthodologiques destinés aussi bien aux administrations publiques qu'aux entreprises privées.

Le GAO joue ainsi un rôle de vigie comparable, par certains aspects, à celui joué en France par le Commissariat général du Plan.

Par ailleurs, le GAO intervient plus directement comme expert au cours de la procédure législative proprement dite.

En effet, les services du GAO sont susceptibles d'évaluer, dans des délais relativement brefs, les effets des différentes options qui s'offrent au législateur (cf. encadré ci-après), les résultats étant présentés sous la forme de rapports et/ou de briefings oraux formels (182 au total en 1999).

Un exemple d'évaluation d'alternatives législatives par le GAO :

le rapport du GAO de novembre 1999 relatif à l'évaluation de diverses propositions de réforme du système de retraites

Saisi par sept parlementaires des deux chambres et des deux partis, dont des présidents de commission, le GAO a réalisé à partir d'août 1999, en un peu plus de deux mois, une évaluation de quatre propositions de réforme du système de retraite, émanant pour deux d'entre elles des commanditaires de l'évaluation.

Ces évaluations ont été présentées dès la mi-octobre 1999 sous la forme d'un briefing oral formel, dont la trame a été complétée à la fin octobre avec l'évaluation d'une proposition annoncée le 26 octobre 1999 par le Président des États-Unis. Ainsi complétée, cette trame, qui se compose en fait d'une soixantaine de pages de documents sous format Power point, a été envoyée aux commanditaires le 4 novembre 1999 sous la forme d'un rapport écrit, adressé par courrier dès le lendemain aux présidents et aux responsables de la minorité de l'ensemble des commissions du Congrès concernées, au directeur de la Sécurité sociale et au secrétaire d'Etat au Trésor, puis rendu public.

L'introduction du rapport, qui reproduit le courrier d'envoi, rappelle tout d'abord les critères d'évaluation définis en accord avec le staff des commanditaires : l'impact des réformes proposées sur le déficit public et sur la croissance, l'équilibre entre équité actuarielle et redistribution, enfin, la facilité avec laquelle les réformes proposées pourraient être mises en oeuvre, gérées, et expliquées au public. Ensuite, cette introduction présente à gros traits les hypothèses conventionnelles et la méthodologie qui ont été retenues, et qui sont détaillées en annexe. Il est à noter que le GAO a notamment retenu comme scénario macro-économique central pour les 10 prochaines années les projections du CBO. Il s'est appuyé sur les calculs actuariels réalisés par l'administration fédérale de la sécurité sociale, et il indique s'être conformé aux principes du guide méthodologique d'audit des administrations publiques. En outre, le GAO indique avoir transmis une version d'étape de ce rapport à l'administration fédérale de la sécurité sociale, qui a fait part de ses observations techniques.

Après cette introduction, le rapport détaille les trois critères d'évaluation proposés, précisant par exemple que l'impact budgétaire et financier des réformes proposées peut être apprécié à partir des questions suivantes : dans quelle mesure la réforme proposée réduit le déficit public, réduit la dette publique, réduit le ratio dépenses publiques de retraite/PIB, réduit le ratio dépenses de retraite/PIB, augmente l'épargne de la Nation, restaure les équilibres actuariels du régime, accroît les dépenses publiques ou les impôts, comporte des dispositifs de sécurité pour contrôler d'éventuelles dérives des dépenses, etc.

Ensuite, le rapport décrit brièvement le modèle utilisé, ainsi que le compte central retenu.

Puis le rapport procède successivement à l'évaluation de chacune des propositions en débat. La présentation de ces évaluations semble par certains aspects, extrêmement intéressante, notamment parce qu'elle propose des graphiques année par année jusqu'en 2074.

Ces évaluations, relativement brèves au demeurant (l'équivalent d'une ou deux pages de texte) sont toutefois bien décevantes à certains égards. En premier lieu, les réformes alternatives sont évaluées successivement, et ne sont jamais comparées. En outre, comme les résultats financiers sont présentés sous la forme de courbes et non pas de tableaux, leur comparaison par le lecteur est difficile, sinon impossible. Plus généralement, non seulement le rapport ne contient aucune conclusion ou recommandation, mais sa lecture semble peu conclusive. En outre, l'impact des réformes proposées sur les différentes catégories sociales n'est pas détaillé. Enfin, le rapport estime souvent que les réformes proposées seraient peu lisibles pour le public, mais n'étaye pas cette conclusion.

Au total, même si le rapport contient de-ci, de-là, des remarques incisives, soulignant notamment l'incomplétude, l'irréalisme ou le manque de clarté de certains aspects des propositions évaluées, la démarche semble empreinte d'une prudence telle que l'on peut s'interroger sur son caractère opérationnel.

Par ailleurs, les principaux dirigeants du GAO, c'est à dire le Comptroller General , son adjoint et les chefs de division sont régulièrement auditionnés par les commissions et les sous-commissions du Congrès (à 229 reprises en 1999).

Enfin les experts du GAO peuvent dans certains cas conseiller directement les staffers des commissions pour la mise en oeuvre de leurs recommandations et la rédaction de textes législatifs.

Au total, le GAO est beaucoup plus proche du législateur que ne le sont, en France, la Cour des Comptes et surtout les corps d'inspection de l'Etat.

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