CHAPITRE I -

L'ÉVOLUTION DU TRANSPORT AÉRIEN RÉGIONAL

I. L'ÉVOLUTION DU SECTEUR

Votre rapporteur brossera, tout d'abord, un rapide historique du transport aérien régional français.

Créée en 1954, la compagnie Air Inter commence réellement son activité au début des années 60 avec l'exploitation de quelques lignes régulières (Paris-Toulouse, Paris-Pau, Lille-Lyon-Nice...). Elle a vocation à assurer seule l'exploitation du réseau intérieur français mais ce monopole a pour corollaire une mission de service public explicitée dans des conventions signées avec l'Etat (1967, 1974 et 1985).

On lit, par exemple, à l'article premier de la convention de 1985 que la compagnie s'engage « à assurer sa mission de service public dans le cadre de la législation existante, en offrant au moindre coût le meilleur service possible notamment en ce qui concerne la continuité et la régularité ».

Après quelques années durant lesquelles Air Inter bénéficia de subventions de la part de l'Etat et des collectivités locales pour ses lignes les moins rentables, la compagnie mit au point, au début des années 1970, le système de péréquation tarifaire qui fonctionna jusqu'au début des années 1990.

En 1972, le réseau Air Inter était ainsi constitué :

- un réseau en étoile sur Paris comprenant 30 radiales (liaisons Paris/province) et acheminant 86 % du trafic de la compagnie ;

- un réseau en étoile sur Lyon comprenant 10 lignes et acheminant 8,6 % du trafic ;

- un réseau transversal (liaisons province/province) comprenant 10 lignes et acheminant 3,7 % du trafic).

Très vite, ce réseau est apparu insuffisant face à une demande de plus en plus forte de desserte régionale, émanant du public, des collectivités locales et des chambres de commerce et d'industrie.

Se sont alors constituées les premières compagnies régionales qui ont offert leurs services pour exploiter les liaisons négligées par Air Inter.

Un certain nombre de transporteurs « indépendants » ont ainsi, d'une part, complété le réseau bi-radial sur Paris et Lyon au bénéfice d'autres villes et, d'autre part, mis en place un réseau transversal plus diversifié.

Afin d'encourager les collectivités à lancer, avec les transporteurs aériens régionaux, de nouvelles lignes aériennes intérieures, il a été institué un mécanisme d'aide budgétaire, géré par la DATAR, à la création de lignes aériennes desservant la province.

En complément de l'aide de la DATAR ou de manière autonome, les collectivités locales et les chambres de commerce et d'industrie se sont puissamment engagées dans le soutien aux lignes aériennes régionales dont le réseau est rapidement devenu le plus dense d'Europe.

Ainsi, sur le seul réseau « DATAR », on a dénombré 184 lignes subventionnées entre 1971 et 1989 (dont 60 assurant une liaison entre une ville de province et une ville de province étrangère).

Beaucoup de ces liaisons, de même que les compagnies qui les assuraient (à chaque liaison correspondait souvent une compagnie spécifique) ont disparu et c'est un réseau de quelque 37 liaisons régionales qui complétait encore le réseau « Air Inter » à la veille des mesures de libéralisation.

La mise en concurrence du réseau sur lequel Air Inter bénéficiait d'un monopole d'exploitation s'est effectuée, quant à elle, en plusieurs étapes.

Dès 1987, « Nouvelles Frontières » et la compagnie « Corse Air » étaient autorisées à organiser des vols « charter » entre Paris et Toulouse puis en direction d'Ajaccio, de Bastia, de Biarritz, de Brest, de Clermond-Ferrand et de Marseille.

Mais l'année « charnière » a été l'année 1990, date à laquelle huit « routes » radiales domestiques (Paris-Nice, Paris-Strasbourg, Paris-Bastia, Paris-Ajaccio, Paris-Marseille, Paris-Toulon, Paris-Bordeaux et Paris-Montpellier) étaient ouvertes à la concurrence à la suite d'un accord signé par la Commission des Communautés européennes, le Gouvernement français et Air France.

Cet accord constituait la contrepartie de l'autorisation communautaire du rachat par Air France des compagnies UTA et Air Inter et de la constitution du Groupe Air France .

En 1993 -soit quatre ans avant la mise en oeuvre (le 1 er avril 1997) de la libéralisation communautaire prévue par les règlements européens de 1992 et deux ans avant la création du FIATA- le marché domestique aérien français occupait largement le premier rang en Europe avec 21 millions de passagers (16,5 millions en Espagne, 13,5 millions en Italie, 12 millions en Grande-Bretagne).

Ce marché intérieur restait largement dominé par la Compagnie Air Inter (16 millions de passagers) qui assurait alors les liaisons les plus denses qu'elles soient radiales (Paris -province) ou transversales (province -province).

Sur les 37 liaisons locales desservies par les compagnies régionales, 12 avaient un trafic annuel supérieur à 10.000 passagers et 25 un trafic annuel inférieur à ce seuil.

Ces transporteurs -dont l'autorisation d'exploitation pouvait concerner une ou deux liaisons voire un petit réseau de liaisons- bénéficiaient de subventions pour un montant global de 80 millions de francs environ émanant en général des chambres de Commerce et d'Industrie avec le concours des communes et des départements. Par ailleurs, des aides dégressives et limitées à trois ans de la DATAR intervenaient souvent au moment du lancement de la liaison.

Sont néanmoins entrées en lice, dans l'ancien réseau sous « monopole » d'Air Inter, des compagnies telles que TAT European Airlines, AOM et Air Liberté qui ont fait subir à la compagnie une rude concurrence notamment sur ses lignes les plus rentables (le cas de Paris-Nice avec AOM !). En 1995, la compagnie Air Inter (rebaptisée « Air France Europe » depuis 1993) estimait avoir perdu 1.300.000 clients au profit des trois transporteurs.

Certes, l'arrivée de la concurrence ne se fit pas sans « tiraillements » s'agissant notamment de l'obtention des créneaux de décollage et d'atterrissage (les « SLOTS ») par les nouveaux arrivants. C'est à l'issue d'une longue bataille juridique, par exemple, que TAT se fit rendre justice par la Commission européenne (Décision du 27 avril 1994) afin de pouvoir exploiter certaines liaisons (Paris-Marseille, Paris-Toulouse) au départ de la plate-forme d'Orly « réservée » jusqu'alors à Air Inter.

Mais dans les années 1994-1995, les perspectives de développement restaient prometteuses.

Les transporteurs « indépendants » « portèrent le fer » de la concurrence à différents niveaux. Tandis qu'AOM et TAT privilégiaient l'arme du confort et de la qualité du service, Air Liberté eut plutôt tendance à pratiquer une politique très attractive de tarifs.

A l'automne 1996, premier « coup de tonnerre » dans le ciel de notre transport aérien régional (il y en aura d'autres) : Air Liberté dépose son bilan.

Les années qui suivirent verront s'impliquer deux grands transporteurs européens, British Airways (qui bénéficia de son statut d'entreprise communautaire) et le Sairgroup suisse (qui, par définition, n'en bénéficia pas et dût imaginer des formules pour respecter la réglementation européenne).

Au mois de janvier 1997, le tribunal de commerce de Créteil autorisa la reprise d'Air Liberté par British Airways. Le transporteur britannique est à l'époque, rappelons-le, (après le rachat de Deutsche BA en 1992) le deuxième transporteur allemand après Lufthansa !

Au milieu de l'année 1997, British Airways accroît sa participation dans le capital d'Air Liberté (70 %) et rachète, au surplus, TAT. Les déficits enregistrés en 1998 (après consolidation des pertes enregistrées au cours de précédentes années par les deux compagnies françaises) conduisent le transporteur anglais à abandonner son projet de construire un second grand pôle aérien en France.

Au milieu de l'année 1999, il abandonne ses participations au groupe suisse Sairgroup qui avait déjà fait l'acquisition de la compagnie régionale Air Littoral en septembre 1998 (en assurant sa recapitalisation) et d'AOM au mois de février 1999.

Le groupe suisse se préparait donc à constituer un second pôle aérien régional à côté de celui du groupe Air France renforcé en 2000 de Regional Airlines (prise de contrôle total en août 2000), de Proteus Airlines (prise de contrôle en octobre 2000), de Brit Air (prise de contrôle total en octobre 2000) et de Flandre Air (racheté par Proteus Airlines en décembre 1999).

Le 1 er avril dernier, le groupe Air France fusionnait, d'ailleurs, les compagnies Regional Airlines, Proteus Airlines et Flandre Air.

Signalons que, par rapport aux 98 compagnies régionales européennes, Brit Air atteignait en 2000 le 6 e rang, au même niveau qu'Air Littoral, Regional Airlines et Proteus-Flandre Air occupant respectivement les 18 e et 28 e rang.

Le nouveau groupe fusionné devrait se situer devant Brit Air et Air Liberté.

On relèvera que depuis le mois d'octobre 1999, le groupe Air France a, pour sa part, annoncé 17 suppressions de lignes. Il s'agit de :

- Lyon - Hambourg

- Rennes - Gatwick

- Le Havre - Gatwik

- Strasbourg - Hambourg

- Genève -Nice

- Charles de Gaulle - Teesside

- Clermont - Pau

- Lyon - Le Havre

- Clermont - Toulon

- Clermont - Caen

- Clermont - Limoges

- Le Havre - Brest

- Le Havre - Birmingham

- Le Havre - Amsterdam

- Le Havre - Bruxelles

- Le Havre - Caen

- Le Havre - Rennes

Quel bilan peut-on, aujourd'hui, tirer de la dizaine d'années qui vient de s'écouler ?

Tout d'abord, dans un premier temps, l'ouverture du ciel français à la concurrence eut des retombées positives du fait du développement des petites lignes régionales et de l'arrivée des transporteurs étrangers. Une des moindres ne fut pas une tendance à la baisse des tarifs , conséquence logique de la concurrence.

On relève cependant qu'il s'est rapidement creusé un écart de tarif entre petites et grandes liaisons régionales. En l'absence d'un soutien public adapté, le coût des petites lignes d'aménagement du territoire demeurera proportionnellement élevé et souvent dissuasif pour une partie de la clientèle potentielle. De nombreux opérateurs disparaîtront faute d'avoir pu disposer du temps nécessaire à une indispensable « montée en puissance ».

Ce sont précisément ces disparitions de petites lignes et le retour en force du groupe Air France qui ont caractérisé la seconde partie de la période.

L'insuffisance du dispositif public d'accompagnement a « tué dans l'oeuf » les petites compagnies régionales qui ont rapidement perdu leur autonomie, contraintes soit de disparaître soit de « rentrer dans le giron » de l'ancien monopole ou d'un groupe étranger.

L'entrée en lice des étrangers a, parallèlement, montré à Air France tout le parti qu'il pouvait tirer de la prise de contrôle des petites liaisons régionales à faible rentabilité dans le cadre d'une politique tendant à « rabattre » la clientèle régionale sur son grand « hub » de Paris-Charles de Gaulle.

Le calendrier conduit le groupe de travail à présenter son rapport alors que de grandes incertitudes planent sur l'avenir des différentes entités de ce qui aurait pu constituer le deuxième pôle aérien régional français.

Il n'est pas question pour lui de porter un jugement sur les stratégies financières et industrielles des uns et des autres.

L'objet de sa réflexion, rappelons le, est l'avenir de la desserte aérienne régionale française prise globalement.

Il lui semble que les auditions auxquelles il a procédé ainsi que les très nombreuses réponses qu'a provoquées son questionnaire, fournissent des pistes d'explication et de solution aux problèmes du jour.

Ses conclusions seront explicitées dans le chapitre III du présent rapport.

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