B. UNE ACCUMULATION D'ERREURS : LES DÉBOIRES CONSTITUTIONNELS DU GOUVERNEMENT

1. Le refus d'un collectif social

Examinant, le 13 janvier 2000, la loi relative à la réduction négociée du temps de travail, le Conseil Constitutionnel 28 ( * ) déclarait contraire à la Constitution la taxation des heures supplémentaires.

La recette correspondant, telle qu'évaluée par le Gouvernement, soit 7 milliards de francs, était inscrite dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, promulguée une quinzaine de jours auparavant, le 29 décembre 1999.

Lors de la réception des conseils économiques et sociaux régionaux le 19 janvier 2000, M. le Président de la République déclarait :

« L'ancrage du dialogue social dans notre démocratie doit être renforcé. Cela n'implique pas, bien sûr, que l'Etat doive se tenir toujours à l'écart du champ social, comme si le législateur n'avait pas pour vocation de poser des principes, d'établir des garanties, de donner l'impulsion aux changements nécessaires pour développer l'activité et pour améliorer les systèmes de protection sociale.

« C'est d'ailleurs dans cet esprit que j'ai voulu en 1996 que le Parlement se prononce chaque année sur l'équilibre de la sécurité sociale. C'est une réforme à mes yeux essentielle et je suis très attentif à ce que les nouveaux droits du Parlement dans ce domaine soient toujours respectés .

« Je promulguerai aujourd'hui, c'est ainsi, en l'état comme la Constitution le prévoit, la loi sur la réduction du temps de travail, dans toutes celles de ses dispositions qui n'ont pas été jugées contraires à la Constitution par la récente décision du Conseil constitutionnel. Mais cette décision juridictionnelle affecte les conditions de l'équilibre financier de la sécurité sociale que le Parlement vient, par ailleurs, de déterminer. Pour que les droits du Parlement, soient pleinement respectés, je souhaite qu'une loi de financement rectificative soit soumise dans les meilleurs délais au Parlement ». 29 ( * )

La réaction du « ministère de la Solidarité » 30 ( * ) à ce souhait du premier personnage de l'Etat, a pris la forme d'un argumentaire distribué à la presse le 20 janvier 2000 :

« Loi de financement rectificative

« Après la promulgation par le Président de la République de la loi sur les trente-cinq heures, l'opposition tente de susciter une polémique autour de la suppression de la contribution de 10 %.

« Les 7 milliards de francs de cette contribution sont à mettre en regard des 64 milliards de dépenses du fonds, dont 40 milliards seront financés par une affectation de droits tabac, 7,5 milliards par la contribution sur les bénéfices et la TGAP, 5,6 milliards de droits alcool et 4,3 milliards de contribution de l'Etat, soit 57 milliards de ressources au total.

« Il est possible d'ores et déjà d'indiquer les grandes lignes qui permettront d'équilibrer le fonds .

« Du fait des excellents résultats économiques et sociaux de 1999, les recettes de la contribution sur les bénéfices et de la TGAP seront plus importantes que prévu ; il faut rappeler que la LFSS et la LF ont été construites sur des prévisions qui datent de septembre. Il en va de même pour les droits sur les tabacs , dont 85,5 % sont affectés au fonds d'allégement 31 ( * ) .

« Au total, cela devrait compenser la majeure partie de la perte de recettes pour le fonds d'allégements de charge.

« De plus, conformément aux dispositions de la loi de financement pour 2000, le fonds doit être équilibré. Il le sera donc. Au cas où des recettes supplémentaires seraient nécessaires, des moyens supplémentaires seront apportés en gestion au cours de l'année 2000 qui n'impacteront pas la sécurité sociale.

« Les recettes 1999 et les nouvelles perspectives pour 2000 sont en cours d'examen. Des éléments plus précis seront communiqués au Parlement dès que cet examen sera achevé .

« Le Gouvernement s'engageant à équilibrer le fonds comme le prévoit la loi, la sécurité sociale sera intégralement remboursée des exonérations de cotisations patronales. Il n'y aura donc aucune perte de recette. Au contraire, les cotisations sur la rémunération des heures supplémentaires viendront abonder les recettes de la sécurité sociale et auront un impact positif sur ses comptes.

« En outre, l'opposition fait une mauvaise lecture de la loi organique. Quand bien même il y aurait un impact sur les comptes, une loi de financement rectificative ne s'imposerait pas pour autant .

« La loi de financement prévoit des recettes et fixe des objectifs de dépenses. Elle ne comporte pas d'articles d'équilibre.

« Ce sont des lois qui tracent un cadre pour l'action des pouvoirs publics. Les lois de financement rectificative n'ont été prévues que pour éviter que des lois ordinaires puissent venir modifier ce cadre.

« Il serait bien évidemment aberrant de débattre d'une loi de financement rectificative dès lors qu'un des paramètres des prévisions est modifié. Nous devrions réunir le Parlement, chaque mois, dès la première grippe. » . 32 ( * )

Ce sont ces considérations qui ont été reprises, notamment par M. Claude Bartolone, ministre délégué à la Ville, lors des questions au Gouvernement au Sénat 33 ( * ) .

La relecture de cet argumentaire laisse pantois et il est heureux que cette « lecture » a minima de la loi organique du 22 juillet 1996 ait été implicitement démentie par le Conseil constitutionnel lui-même.

En effet, saisi par les groupes de la majorité sénatoriale sur la question de l'inclusion, dans les prévisions de recettes de la loi de financement pour 2001, de la recette TGAP, hypothétique car relevant de la discussion de la loi de finances rectificative, le Conseil a, tout en rejetant l'argumentation présentée par les requérants, pris soin de préciser « qu'il appartiendrait à une loi de financement ultérieure de prendre en compte les excédents sur les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale des mesures en définitive arrêtées par la loi de finances rectificative pour 2000 ».

De plus, dans sa décision sur la loi de finances rectificative pour 2000 (n° 2000-441 DC du 28 décembre 2000), il a montré qu'il était impossible, par une seule loi de finances rectificative, de bouleverser l'équilibre de la loi de financement 2000.

Le Conseil a clairement établi que, seule une « loi de financement ultérieure » (rectificative ou loi de financement postérieure) pouvait remédier aux conséquences de ses décisions.

* 28 Décision n° 99-423 DC du 13 janvier 2000.

* 29 Allocution de M. Jacques Chirac, Président de la République - réception des conseils économiques et sociaux régionaux - Palais de l'Elysée - mercredi 19 janvier 2000 - c'est votre rapporteur qui souligne.

* 30 Pour reprendre les termes de la dépêche AFP du 20 janvier 2000.

* 31 L'ensemble de ces allégations ont naturellement été systématiquement démenties par les faits.

* 32 Communiqué à la presse du « Ministère » de l'emploi et de la solidarité - Jeudi 20 janvier 2000.

* 33 Réponse à M. Charles Descours, Sénat, Séance du 20 janvier 2000 (JO débats Sénat page 193).

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