B. UNE GESTION A RETARDEMENT

L'une des principales causes de la crise qui se déroule au Royaume-Uni serait la combinaison de la lenteur avec laquelle l'épizootie s'est manifestée et de l'impréparation patente des services compétents pour y faire face.

Le graphique ci-dessous, qui présente l'évolution du nombre de cas détectés quotidiennement témoigne de l'explosion de la maladie :

Source : MAFF

1. Lacunes du contrôle et importance des mouvements d'animaux

a) Des interrogations sur l'état du système vétérinaire

Aux dires mêmes du Chief Veterinary Officer, la Grande-Bretagne a été « prise de court » 36 ( * ) par la crise aphteuse. Un constat aussi sévère se justifie probablement par le manque de moyens dont souffrent les services vétérinaires britanniques. On ne compte qu'environ 220 vétérinaires des services officiels . En outre, selon plusieurs observateurs rencontrés par votre mission, il semble que les relations entre les éleveurs et les vétérinaires soient beaucoup moins étroites en Grande-Bretagne qu'en France. La connaissance des exploitations par les vétérinaires libéraux serait également moins précise. Au demeurant, elle va de pair avec des carences dans le recensement des animaux et des élevages eux-mêmes. Selon le témoignage d'un vétérinaire étranger qui s'est rendu sur le terrain, certaines fermes qui avaient cessé leur activité d'élevage depuis plusieurs années étaient considérées par l'administration comme détenant encore des troupeaux, alors même qu'il est arrivé qu'un élevage existant ne soit pas recensé. 37 ( * )

Face à cette situation, votre mission d'information rappellera que le rapport présenté par la Commission européenne en 1992, sur la situation des services vétérinaires dans la CEE, conformément aux dispositions de la directive n° 90/423, indiquait déjà qu'un plan de réorganisation devait prévoir un accroissement du nombre de vétérinaires permanents 38 ( * ) au Royaume-Uni.

Il semble enfin que certains des moyens disponibles étaient sans rapport avec l'importance de l'épizootie : ainsi, a-t-on signalé le 28 février, soit une semaine à peine après l'apparition du premier cas dans un abattoir de l'Essex, que les stocks de désinfectant commençaient à manquer vu la croissance exponentielle du nombre de foyers. 39 ( * )

b) Des mouvements d'animaux incontrôlés ?

L'absence d'identification des ovins et d'enregistrement de leurs ventes sur les marchés aux bestiaux et par les négociants a, sans nul doute, favorisé la dissémination du virus , d'autant que l'activité des principaux marchés de bétail britanniques était à son comble, peu avant que survienne la crise, du fait de la préparation de la fête de l'Aïd el kébir et de la future campagne d'agnelage. En outre, les mouvements d'animaux étaient renforcés par la période de contrôle de cheptels ovins, préalable à l'attribution de primes. On notera d'ailleurs que la presse a signalé de nombreux échanges frauduleux susceptibles d'être motivés par ces considérations. Au cours de la crise elle-même, les autorités britanniques ont recensé plus de 300 cas de mouvements illégaux d'animaux susceptibles de véhiculer le virus. 40 ( * )

Selon la presse, la diminution du nombre d'abattoirs de 1.400 en 1990 à 400 en 1999, a aussi accru les mouvements d'animaux , lesquels suscitent en outre -du fait du stress- une sensibilité plus forte du cheptel transporté aux maladies.

On doit enfin constater que si le premier foyer est apparu le 20 février, les autorités n'ont interdit les mouvements d'animaux que trois jours plus tard, le 23 février.

2. Une conjonction de retards aux conséquences dramatiques

a) Dans la découverte des foyers

Dépassés par l'ampleur des contrôles à accomplir, les services vétérinaires ont été épaulés par 240 vétérinaires privés britanniques, puis renforcés par des équipes de vétérinaires étrangers venant notamment d'Australie, du Canada, des Etats-Unis, de France, lesquels ont reçu des pouvoirs analogues à ceux des vétérinaires publics. Le nombre total de vétérinaires sur le terrain s'est progressivement élevé, atteignant 800 au début de la dernière semaine de mars, plus de 1.300 au début avril et plus de 1.500 mi-avril 41 ( * ) .

Le délai excessif de réalisation des tests sérologiques a été initialement critiqué par les éleveurs, d'autant qu'à la mi-mai, la télévision britannique a révélé que 30 % des cas suspectés de fièvre aphteuse -qui motivaient notamment les abattages préventifs- ont été infirmés par les examens de laboratoire 42 ( * ) . Finalement, le laboratoire de Pirbright est parvenu à examiner 40.000 échantillons par semaine, contre 400 avant la crise. Un second laboratoire a, en outre, été créé à Port Down-Salisbury (comté de Wiltshire), dont la capacité était de 20.000 échantillons par semaine. 43 ( * )

b) Dans la mise en oeuvre des abattages et la destruction des cadavres
(1) La mise en oeuvre des abattages

Pour mener à bien les abattages préventifs, les autorités ont notamment fait appel :

- à des vétérinaires étrangers, comme on l'a vu ci-dessus ;

- à des vétérinaires retraités ;

- à des étudiants vétérinaires de 3 e année ;

- à des bouchers de l'armée ;

- voire même parfois à des chasseurs pour l'abattage des gros animaux.

Une fois le diagnostic effectué par un vétérinaire, les abattages ont parfois dû attendre pour commencer, faute de personnel , encore que des progrès aient été réalisés au cours de l'épizootie, le délai moyen entre diagnostic et abattage ayant été progressivement ramené au-dessous du maximum de 24 heures fixé par les autorités. 44 ( * )

Un plan d'abattage préventif intitulé « bien être animal » [ sic ] a débuté dans les comtés de Cumbria, en Ecosse, plus d'un mois après la découverte du premier foyer aphteux . Il a été ultérieurement étendu aux zones situées dans un rayon de trois kilomètres autour de chaque foyer dans le reste du pays. Il concernera 1,97 million d'animaux dont 1,10 étaient abattus à la date du 14 juin 2001.

Les problèmes de contamination croisée des animaux domestiques et des animaux sauvages ont aussi été évoqués, suscitant des interrogations sur la nécessité de détruire également les animaux sauvages (cerfs, chevreuils,...) susceptibles de véhiculer le virus. 45 ( * )

Au total, à la date du 14 juin 2001, sur 3,34 millions d'animaux à abattre, 3,31 millions avaient été euthanasiés , ainsi que le montre le tableau ci-dessous :

RÉPARTITION DES ANIMAUX ABATTUS
DANS LES FERMES INFECTÉES ET CONTIGUËS
A L'EXCEPTION DE CEUX CONCERNÉS PAR LE PROGRAMME « BIEN ÊTRE ANIMAL »

Répartition
par
espèce animale

Nombre d'animaux
à abattre

Nombre d'animaux
déjà abattus

Nombre d'animaux
en attente

Nombre d'animaux
à éliminer

3.342.000

3.310.000

32.000

13.000

Bovine

521.000 (15 %)

Ovine

2.662.000 (80 %)

Porcine

125.000 (4 %)

Caprine

2.000

Source : MAFF

(2) La destruction des animaux

L'expérience de terrain a montré les difficultés rencontrées pour détruire les cadavres des animaux abattus , qui sont parfois restés en souffrance quelques jours à l'air libre, entrant en décomposition et dégageant une odeur pestilentielle aux alentours. 46 ( * )

L'accumulation des cadavres d'animaux a rendu nécessaire l'intervention de près de 3.000 soldats qui ont creusé dans l'urgence des fosses, certaines permettant même l'ensevelissement de dizaines de milliers de carcasses. Des conteneurs chargés de cadavres furent, par exemple, acheminés sur le terrain militaire désaffecté de Great Orton (Carlisle), lequel était susceptible de recevoir 500.000 carcasses de moutons.

L'enfouissement des carcasses a donné lieu à des heurts parfois violents avec la population , qui a même obtenu la fermeture momentanée de certains sites, comme celui de Widdrington dans le Northumberland. Compte tenu du risque, certes très minime, mais non nul, de voir des bovins enfouis être vecteurs de l'ESB, les pouvoirs publics n'ont pas exclu d'exhumer leurs carcasses après avoir évalué les risques potentiels qu'ils constituent. Un autre problème est, au demeurant, posé par la gestion des « stocks » de cendres consécutifs aux bûchers et de leur éventuel enfouissement. 47 ( * )

c) Dans le recours à une vaccination d'urgence ?

Le gouvernement n'a, dans un premier temps, pas exclu de recourir à la vaccination « en anneau ». Le 30 mars 2001, la Commission a autorisé le Royaume-Uni à procéder à une vaccination de protection 48 ( * ) entendue comme « la vaccination d'urgence des animaux de l'espèce bovine de certaines exploitations situées dans un périmètre déterminé [...] qui a pour objectif d'enrayer le risque de propagation du virus au-delà du périmètre délimité ». Cependant, les autorités se sont refusées à procéder à cette vaccination , malgré les risques encourus par certaines races ovines très rares, et bien que le M. Roy Anderson, Professeur à l'Imperial College et épidémiologiste réputé, ait observé, le 23 mars : « aujourd'hui nous ne contrôlons plus l'épizootie » 49 ( * ) .

3. Un processus d'indemnisation accéléré

S'il est un point sur lequel les services britanniques ont mis en oeuvre une action efficace, c'est bien l'indemnisation des éleveurs dont les troupeaux étaient décimés . C'est ainsi que le 15 mars -alors que 160.000 animaux avaient été abattus-, le ministère de l'agriculture a annoncé l'extension de l'abattage des animaux avec compensation intégrale à la valeur de marché pour les ovins ayant transité par :

- des lieux à haut risque avant le 23 février ;

- les marchés de Welshpool, Northampton et Longtown ;

- deux négociants importants qui ont déjà subi des cas ;

- ainsi que pour les ovins et porcins dans la zone de restriction de 3 km pour le sud de l'Ecosse et le nord de l'Angleterre.

Les pouvoirs publics ont, en outre, institué un système facultatif d'abattage reposant sur une indemnisation plus faible (70 % de la valeur marchande), versée aux éleveurs qui préfèreraient faire disparaître leurs animaux plutôt que continuer à les élever . Cette faculté a été largement exploitée par les éleveurs. Mi-avril, 5.700 demandes d'abattage étaient enregistrés par l'administration, ce qui correspondait à 1,7 million d'animaux. Devant le succès de cette opération, le Gouvernement a cependant envisagé de revoir à la baisse les barèmes d'indemnisation fixés initialement.

* 36 The Times, 20 mars 2001.

* 37 Farmer's Weekly, 10 avril 2001, BBC New et Times du 11 avril 2001.

* 38 Commission of the European Comunities, DG Agriculture, Appraisal of the National Veterinary Service in EEC, november 1992, page 69 : « Availability of Staf : « The reorganisation plan should also include a numerical upgrading of the permanent veterinary staff working with veterinary public health matters. Regular emergency exercices should be planned for all fields staff employed within the Veterinary services including the private practitioners».

* 39 Farmer's Weekly,28 février 2001.

* 40 BBC News, 11 avril 2001, Farmer's Weekly, 10 avril 2001.

* 41 Communiqués du MAFF.

* 42 BBC News, et The Times, 11 mai 2001.

* 43 Communiqué News Release du MAFF, 4 mai 2001.

* 44 Communiqué de presse du MAFF, 23 mars 2001, BBC News, 5 mars 2001.

* 45 The Guardian, 22 avril 2001, BBC News, 24 avril 2001.

* 46 BBC News, 23 et 24 avril 2001, The Times, 25 avril et 11 mai 2001.

* 47 Farmer's Weekly, 24 mai 2001, BBC News, 25 mai 2001.

* 48 Décision n° 2001/257/CE, JOCE du 31 mars 2001 pages 91-98 et 91-99, article 2.

* 49 Cité par Le Monde du 23 mars 2001

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