D. AUDITION DE MME RÉGINE GOINÈRE, FONDATRICE ET PRÉSIDENTE DE L'ASSOCIATION D'AIDE ET DE SOUTIEN AUX MALADES ATTEINTS DU CANCER « VIVRE AVEC » (LYON)

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Nous allons maintenant entendre Mme Régine Goinère.

Quelle appréciation portez-vous sur les conditions de prise en charge (médicale, psychologique, sociale et financière) des malades atteints du cancer dans notre pays ?

Mme Régine GOINÈRE - Avant de « mettre des mots sur des maux » en répondant à votre question, je souhaiterais formuler quelques remarques.

Nous nous adressons à vous, sénateurs, pour que vous soyez nos représentants auprès de notre président de la République et de notre Premier ministre et leur fassiez notamment part de notre volonté de voir exister un vrai ministère de la Santé avec un vrai budget assurant la mise en oeuvre d'un projet de santé publique dans lequel la lutte contre le cancer, considérée comme prioritaire par les Français, doit avoir sa place. Il serait peut-être pour cela souhaitable de créer une Agence du cancer disposant d'un budget autonome.

Comme nous avons pu le déclarer récemment à Bernard Kouchner, nous, les malades, nous ne voulons plus être des numéros de dossier ou des éléments de statistiques, bref des SDF de la santé, c'est-à-dire des Sans Droit Fondamental. Nous voulons être des partenaires car non seulement il y a urgence, mais de plus nous disposons également d'une certaine compétence. La volonté politique, la compétence des soignants, l'expérience et la détermination des soignés sont les fondements et la dynamique de notre politique de santé. La santé est malade, il est urgent de la soigner.

Pour répondre à votre question, je dirai qu'il faut étendre rapidement les dispositions de prise en charge globale du cancer aux 22 régions. Seuls 8 ou 11 d'entre elles sont dotées d'un volet sur le cancer dans leur programme régional de santé. Quant à l'égalité d'accès aux meilleurs soins, privilégions la mise en place de réseaux, tels qu'ONCORA, ONCOLOR, CONCORDE qui permettent de concilier pluridisciplinarité, concertation et coordination entre la médecine de ville et l'hôpital. Il faut également étendre l'hospitalisation à domicile à l'ensemble des départements, car celle-ci ne concerne pour le moment que 50 % d'entre eux.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Pourriez-vous nous dire ce qui est particulièrement inacceptable pour les malades ?

Mme Régine GOINÈRE - Le point essentiel porte sur l'inégalité d'accès aux meilleurs soins pour tous. Le deuxième point concerne l'annonce brutale du diagnostic. Des réflexions concertées sur la consultation des annonces sont indispensables. A cet égard, la formation à l'écoute des soignants doit être renforcée. La mauvaise prise en charge de la douleur représente le troisième point. Elle est généralement due à un manque d'information des patients. Je suis présidente d'une association qui très souvent reçoit des appels de malades du cancer qui ne savent pas où s'adresser. L'accueil humain à l'hôpital relève encore de la loterie. Il serait tout à fait souhaitable de créer un label qualité portant sur l'humanisation du monde hospitalier. Ce dispositif constitue l'objet de l'association que j'ai créée il y a dix ans. Cette humanisation nécessite la mise en place d'espaces au sein du monde hospitalier qui permettent d'organiser des groupes de parole réunissant des patients, des volontaires et un tissu associatif de qualité.

L'inacceptable concerne également le manque de soutien psychologique. Il faut nous donner les moyens d'écouter nos patients. A cet égard, il faut savoir que seulement 30 % des patients ont un besoin plus spécifique que la simple écoute. Ce simple chiffre nous invite à nous doter des moyens nécessaires pour un accompagnement efficace.

Un autre domaine porte sur l'accès au dossier médical, qui ne pourra être qualifié comme tel que lorsqu'il sera unique. Ce sujet représente un domaine d'action important de l'association.

L'inacceptable porte également sur le manque de respect et d'intégration sociale des malades cancéreux. Il faut accélérer le processus législatif permettant de renforcer l'assurabilité des malades. La lutte contre le cancer devrait sans doute être considérée comme une catastrophe naturelle de manière à pourvoir dégager les fonds nécessaires à son financement. Cette suggestion devrait être sérieusement étudiée.

Par ailleurs, il faudrait améliorer le remboursement des produits essentiels à la vie quotidienne. Nous ne voulons plus que le terme de « matériels de confort » nous soit opposé pour justifier des mauvais remboursements de prothèses mammaires ou des perruques par exemple. Nous souhaitons au contraire que les dépenses inhérentes à la maladie soient prises en charge globalement. Nous ne voulons pas devenir des exclus sociaux pour cause de maladie.

Je sais que vous allez me poser la question de savoir si le malade est ou non un véritable partenaire. Pour vous répondre, je préciserai tout d'abord qu'il existe deux formes de partenariat. Le partenariat dans le projet thérapeutique par rapport à la pathologie du patient nécessite l'information de celui-ci et l'écoute du soignant. Le second type de partenariat porte sur le partenaire présent dans l'organisation et l'amélioration du système de soins. Une telle organisation nécessite du patient un certain recul par rapport à sa maladie. Cela nécessite également la mise en place d'une part de comités de patients permettant d'associer ceux-ci à l'élaboration des protocoles thérapeutiques et d'autre part de comités de malades. Ces dispositifs de partenariat supposent bien sûr une réelle volonté politique.

Vouez-vous que je traite la question portant sur les projets de réseau ?

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Oui.

Mme Régine GOINÈRE - Afin que nos attentes et nos propositions soient prises en compte, nous voulons voir s'améliorer la qualité et l'égalité de soins, ainsi que la qualité de notre vie quotidienne. Le réseau que nous mettrons prochainement en place à travers les 101 comités de la Ligue s'appuie sur trois thèmes :

- vivre mieux avec son cancer ;

- exister socialement ;

- améliorer l'égalité et la qualité des soins.

Ces thèmes ont d'ores et déjà structuré les seconds Etats généraux des malades du cancer organisés par la Ligue. Ils doivent fournir un cadre de réflexion et de propositions aux membres du réseau, et ce sur les plans départemental et national. La priorité sur la mise en place du « plan cancer » concerne le projet de loi sur les droits des malades. Le réseau, véritable dynamique supplémentaire dans le monde de la cancérologie, représentera une source vive et favorisera la prise de conscience et la prise de mesures concrètes.

Sur le problème de la réinsertion sociale des malades, je crois qu'il va falloir travailler sur le mi-temps thérapeutique en réalisant préalablement une étude sur ce sujet, qui constitue une priorité dans la mesure où il est extrêmement difficile pour les malades cancéreux de se réinsérer dans la vie économique et sociale. Nous attendons donc beaucoup des politiques, car le cancer constitue un problème de société urgent et grave. Il s'agit véritablement de concilier la qualité de soins et la qualité de vie afin que les malades puissent se réconcilier avec la vie.

Il est impératif que les hommes politiques, les soignants et les soignés conjuguent ensemble le futur des malades. La santé est malade, il est temps de la guérir.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Je vous remercie.

M. Jean CHÉRIOUX - A plusieurs reprises, vous avez interpellé les hommes politiques. Le point frappant de votre intervention concerne l'inacceptable en ce qui concerne l'accès. Or dans un pays comme le nôtre, nous sommes très attachés à ce point. Pourriez-vous préciser s'il s'agit des inégalités par rapport aux ressources ou par rapport à la répartition géographique des moyens ?

Mme Régine GOINÈRE - L'inégalité est à la fois géographique et sociale. Les facilités sont en effet plus ou moins importantes selon le milieu auquel une personne appartient.

M. Jean CHÉRIOUX - L'inégalité est peut-être liée au milieu, mais certainement pas à l'organisation des soins. Car au cours de mes 36 ans d'expérience à l'assistance publique de Paris, je n'ai jamais pu constater que dans les hôpitaux français il y avait une limitation de l'accès aux soins sous prétexte qu'une personne n'avait pas de ressources. Cet état de fait constitue une réalité dont nous nous honorons beaucoup.

Mme Régine GOINÈRE - Mes propos se situent dans le registre de l'information.

M. Claude HURIET, président de la mission - Ma question porte sur un point particulièrement délicat que vous avez évoqué dans votre présentation concernant le volet « droits du malade et accès au dossier médical » de la loi de modernisation de la santé. Or en tant que médecin, je considère que l'idée de pouvoir accéder librement à son dossier ne peut pas tenir compte des conditions psychologiques ni du choix du moment. Il me semble que seuls les médecins et les aides soignants sont capables d'apprécier la nature des informations transmises et le meilleur moment pour les communiquer. Certaines révélations apparaissent en effet comme brutales et prématurées.

Si vous le souhaitez, nous aurons l'occasion de discuter de ce texte lorsqu'il sera présenté devant le Sénat. Je profite de votre présence ici pour vous demander une réponse, aussi brève soit-elle, sur cette question du droit d'accès qui me préoccupe beaucoup.

Mme Régine GOINÈRE - Vos préoccupations sont les nôtres. Dans le cadre de la Ligue, nous réfléchissons sur la question de l'accès au dossier qui est demandé par de nombreux malades. Quand la relation de confiance sera systématique entre le patient et le médecin, l'accès au dossier ne constituera plus une préoccupation majeure. Il est vrai que l'accès au dossier présente des risques considérables. La consultation d'annonce est capitale pour régler en partie les problèmes d'accès au dossier médical.

M. Claude HURIET, président de la mission - Permettez-moi de vous contredire sur ce point, car l'exigence du malade de faire valoir son droit à l'accès à son dossier médical peut, au contraire de ce que vous avez affirmé, procéder d'un climat de défiance. Si vous mettez comme condition première l'instauration d'un climat de confiance, le malade doit-il dans ce cas revendiquer en plus l'accès totalement libre à son dossier ?

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - En matière de cancer, le malade est généralement informé de sa maladie avant d'accéder à son dossier.

Mme Régine GOINÈRE - Ce dossier délicat nécessite une réflexion concertée entre les soignants et les soignés. L'accès au dossier doit s'accompagner d'un suivi médical.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Je vous remercie. Je connais votre action dans la région lyonnaise qui est déterminante compte tenu de la situation psychologique de beaucoup de malades. Je tiens également à vous remercier pour toutes les actions que vous menez actuellement dans ce domaine.

Mme Régine GOINÈRE - Merci beaucoup.

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