18. Audition de MM. Alain Perret, sous-directeur de l'organisation des secours et de la coopération civilo-militaire au ministère de l'Intérieur, Jean-Bernard Bobin, chef du bureau de coordination interministérielle de défense et de sécurité civiles et Patrick Sauvage, responsable du Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC) (13 juin 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons aujourd'hui MM. Alain Perret, sous-directeur de l'organisation des secours et de la coopération civilo-militaire au ministère de l'Intérieur, Jean-Bernard Bobin, chef du bureau de coordination interministérielle de défense et de sécurité civiles et Patrick Sauvage, responsable du Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC).

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Alain Perret, Jean-Bernard Bobin et Patrick Sauvage.

M. Alain Perret - Je tiens à commencer par rappeler la mission qui m'a été assignée au sein de la direction de la défense et de la sécurité civiles. Ma sous-direction est celle de l'expression de la solidarité nationale. En fait, je dispose de certains moyens (avions, hélicoptères, services de déminages, unités militaires mises à la disposition du ministre de l'Intérieur, sapeurs pompiers territoriaux), qui relèvent de l'autorité opérationnelle des préfets et du ministre de l'Intérieur. Ces moyens constituent un dispositif qui peut être mis en oeuvre en fonction de la gravité de la situation constatée.

Pour cela, il existe un Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises, qui fonctionne 24 heures sur 24 et qui rassemble à la fois des sapeurs pompiers territoriaux, des militaires -Génie, Aviation, Marine-, des policiers, des gendarmes. Ce dispositif est chargé de recueillir en France les informations sur tous les évènements touchant à la sécurité et à la défense civiles, qui doivent être portés à la connaissance du ministre de l'Intérieur. Entre 70 et 90 % de l'information opérationnelle délivrée au ministre de l'Intérieur proviennent du Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises, qui est placé sous l'autorité du colonel Patrick Sauvage.

Ce dispositif est récent puisqu'il fonctionne depuis le début de l'année 1998, à la suite d'une réforme dont la sécurité civile a bénéficié, et qui concerne la fusion des compétences de défense civile et de sécurité civile. Il permet l'envoi d'un renfort national auprès des préfets, lorsque ceux-ci ne peuvent plus gérer une crise, qu'il s'agisse d'avalanches, d'inondations ou d'accidents industriels. Nous sommes dans un domaine où le spectre est particulièrement large, puisqu'il va de la catastrophe naturelle au risque industriel. Les moyens, notamment en matière Nucléaire Bio Chimique (NBC), permettent d'intervenir en milieu particulièrement sensible. Ce dispositif est interconnecté avec de nombreuses structures nationales, notamment avec Météo France. En effet, nous avons une lourde responsabilité vis-à-vis des départements d'Outre-mer pour les risques cycloniques ou volcaniques.

Au niveau national, notre pluralité de moyens nous conduit aussi à aider les préfets qui doivent faire face à une situation de crise. Si un préfet est confronté à des inondations, la loi de 1987 lui permet de déclencher un plan de secours spécialisés. Nous sommes ici dans un schéma qui est particulièrement rigoureux ; les préfets ont une responsabilité particulière pour la sauvegarde de nos concitoyens. Parallèlement au préfet, nous déclenchons également le plan de secours au Centre opérationnel, grâce à un système informatique très élaboré, qui nous permet de savoir à quel moment un préfet est susceptible de solliciter le concours d'hélicoptères ou d'avions, en renfort des moyens locaux.

La structure la plus élaborée du système est sans conteste la Mission d'appui aux situations de crise. Elle regroupe des officiers des sapeurs pompiers, de l'armée de terre mais aussi des experts. Ces hommes peuvent être détachés en trois heures auprès du préfet qui en fait la demande ; ils sont immédiatement opérationnels. Pour autant, l'objectif n'est pas qu'ils se substituent aux moyens locaux. Leur rôle est plutôt celui du « poil à gratter ». En effet, en situation de crise, les préfets sont conduits à gérer de multiples problèmes, ce qui les conduits parfois à oublier la stratégie. Dans ces conditions, les hommes de la Mission doivent permettre d'engager un débat contradictoire préalable à la décision que le préfet prendra en matière opérationnelle. Ce dispositif rencontre un grand succès depuis sa mise en place. En 2000, nous avons constitué une trentaine de Missions d'appui, dans des domaines très diversifiés -avalanches, inondations, risques industriels...

La palette des moyens de réponse dont le ministre de l'Intérieur dispose pour aider au niveau local à une meilleure prise en compte du risque est donc très large. Dans la Somme, dès que le préfet l'a demandé, un groupe de sapeurs pompiers et de militaires est intervenu, afin de mettre en oeuvre le dispositif opérationnel. Comme nous avons pu le constater lors du naufrage de l'Erika ou lors de la tempête, les moyens dont dispose le ministre de l'Intérieur se révèlent parfois un peu limités par rapport à l'expression du besoin. C'est pourquoi une coopération civilo-militaire est nécessaire.

J'ai la charge de cette coopération et je dois reconnaître que nous faisons tous preuve d'un engagement de service public qui fait plaisir à voir. Nous l'avons déjà mise en oeuvre dans des situations très variées et nous savons que son potentiel est énorme, grâce aux unités militaires et aux conseils que les militaires peuvent nous apporter. Les militaires ont un dispositif sans doute moins rapide que celui des unités militaires de la sécurité civile, dont les deux régiments doivent pouvoir mobiliser 100 hommes en une heure et 300 hommes en trois heures, ce qu'ils ont toujours réussi à faire jusqu'à présent. Toutefois, les 1.600 hommes des unités militaires de la sécurité civile ne peuvent pas toujours suffire. C'est pourquoi les autres militaires nous apportent une aide au sein d'un deuxième échelon d'intervention, dans le cadre du dispositif prévu par l'ordonnance de 1959 et les décrets de 1965 et de 1983.

L'expérience que nous avons retirée du naufrage de l'Erika ou de la tempête, ainsi que de la mission nationale de retour d'expérience des tempêtes de décembre 1999 à Monsieur l'Ingénieur général Sanson, nous ont permis aujourd'hui de définir des mesures à mettre en oeuvre pour mieux sensibiliser les élus aux risques de crise majeure et pour mieux organiser la gestion de la crise au niveau départemental, indépendamment des capacités dont dispose le niveau national. La coopération civilo-militaire a donc pris des contours différents.

Après le naufrage de l'Erika et la tempête, le Gouvernement a été conduit à modifier le contour des zones de défense. En effet, nous sommes passés de 9 à 7 zones puisque les zones Centre-Ouest à Orléans et Centre-Est à Dijon ont été supprimées. La première a été rattachée à Rennes et la seconde à Metz. Nous nous sommes rendus compte qu'il existait un seuil critique à la mutualisation des moyens de secours. La zone de défense nous a semblé être un niveau pertinent pour que le préfet de zone puisse engager des moyens supérieurs à ceux du département, sans pour autant générer l'intervention massive du niveau national.

De fait, le Gouvernement réfléchit à un dispositif qui permettra aux préfets de zone de disposer d'une responsabilité et d'outils juridiques plus efficaces qu'aujourd'hui, afin de mieux coordonner l'action des pouvoirs publics en matière de secours aux personnes, lorsque plusieurs départements sont concernés par une crise majeure. Dans le cas de Vimy, la zone de défense a joué son rôle : nos collègues militaires sont intervenus en force parce qu'ils disposaient de matériels et de compétences d'une autre nature que ceux dont disposait le ministre de l'Intérieur.

Il y a eu une sorte d'apprentissage, une reconnaissance mutuelle, qui fait qu'aujourd'hui, on constate une forte solidarité, qui a très bien joué lors des inondations de la Somme. En effet, les militaires disposent de moyens lourds de génie, que les pompiers et les unités militaires de la sécurité civile ne possèdent pas. Il s'agit donc d'un dispositif permanent de réponse à une attente locale. Ainsi, les 230.000 sapeurs pompiers constituent aujourd'hui la première armée de France ; grâce aux lois de 1996, ils sont structurés dans le cadre départemental, avec un nouveau niveau de formation modifié, et ils bénéficient de l'effort des collectivités territoriales en matière de rénovation du matériel. Ces hommes sont immédiatement disponibles, qu'il s'agisse des professionnels ou des volontaires.

Parallèlement, des moyens de renfort nationaux sont prévus, qu'il s'agisse des unités militaires de la sécurité civile ou des deux autres structures sur lesquelles le ministre de l'Intérieur a une autorité naturelle : le bataillon des marins pompiers de Marseille et la brigade des sapeurs pompiers de Paris. En tout, 12.000 hommes peuvent intervenir dans des délais très rapides : ainsi, les feux de forêt de Vivario ont nécessité l'engagement de plusieurs centaines d'hommes -1.000 hommes sont partis pour la Corse en l'espace de 24 heures. Le dispositif est donc interconnecté avec l'autorité militaire ; il est échelonné, afin de dimensionner la réponse des pouvoirs publics à la nature réelle du danger et du sinistre.

La direction de la défense et de la sécurité civiles répond de manière satisfaisante et de façon diversifiée à toutes les sollicitations. Pour autant, tout ne dépend pas seulement des moyens. En 1997, une fusion est intervenue entre les compétences du haut fonctionnaire de défense, c'est-à-dire le dépositaire de la coopération civilo-militaire et la sécurité civile, qui était surtout assimilée aux hommes qu'elle regroupe et qui interviennent dans le cas d'inondations, de feux de forêt ou de catastrophes.

Aujourd'hui, le dispositif permet d'apporter des « bras » mais aussi des conseils et des experts. Ainsi, pour le risque chimique (à Rouen ou à Fos-sur-mer), le Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises a la possibilité de solliciter les conseils des experts, notamment ceux qui sont dans des entreprises privées ; ils peuvent même être agrégés au sein des missions d'appui sollicitées par les préfets pour jouer le rôle de conseils et de débatteurs.

Les missions d'appui en situation de crise ont toujours été transférées auprès des préfets en moins de trois heures. Depuis trois ans, la réactivité des unités n'a jamais été prise en défaut et nous sommes toujours parvenus à mettre en ligne 300 hommes en trois heures. Les avions de la sécurité civile sont pilotés par des hommes hors du commun, tout comme les hélicoptères rouges. Ces derniers ont sauvé 10.000 personnes en 2000, que ce soit en montagne, sur les routes ou dans les campagnes. Cela montre l'aspect positif de l'action que nous menons. La défense civile est un concept mais sa matérialité est la possibilité qu'ont les préfets de solliciter le concours des forces armées dans la diversité des spécialités qu'elles recèlent. Dans la Somme, nous avons pu constater la capacité des forces armées, sous l'autorité des préfets, qui sont intervenues positivement pour nos populations.

Pour terminer, je tiens à rappeler que nous avons perdu neuf hommes au cours de l'été dernier -pilotes d'hélicoptères, sapeurs pompiers, soldats-, notamment lors de la lutte contre les feux de forêt. En tout, ce sont vingt-trois hommes qui sont morts en deux ans. Cela montre le sens du dévouement et de la solidarité des équipes, ce qui est rassurant : dans un système où les valeurs sont chamboulées, il existe donc encore certains hommes qui ont leurs points de repère. De plus, cela montre que la réactivité de l'Etat constitue aussi un élément très fort pour la sauvegarde des populations.

M. Pierre Martin, Rapporteur - Lors de nos précédentes auditions, il nous a été précisé que l'annonce de la crue avait été effectuée mais que les structures n'étaient pas suffisantes pour recueillir cette annonce. Néanmoins, je suppose que l'annonce est arrivée sur le bureau du sous-préfet puisque ce dernier a envoyé le 12 février une note aux maires des communes concernées pour les prévenir de l'imminence du danger. A-t-on vraiment pris conscience de ce danger ? A votre niveau, étiez-vous directement prêt à y faire face ?

M. Alain Perret - Le premier point concerne la transmission de l'information opérationnelle. Le Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises a été informé par Météo France d'un risque de précipitations importantes. En revanche, nous ne savions pas que le risque pouvait provenir d'une remontée de la nappe phréatique. En effet, cette possibilité n'est pas mentionnée dans les éléments d'information qui sont transmis par Météo France. Le Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises est un élément de transmissions. Sa première mission est de retransmettre l'information donnée par les bulletins régionaux et nationaux d'alerte météorologique, selon un schéma réglementairement définie par la sécurité civile et Météo France, au niveau des Centres interrégionaux de coordination de la sécurité civile, en sachant qu'il appartient aux préfets de diffuser ensuite les informations aux maires et à toutes les structures susceptibles d'être concernées.

Dans ce cas précis, le COGIC a retransmis l'information, non pas au CIRCOSC de Lille, pour lequel la formalisation ne sera mise en oeuvre qu'à partir du 1 er août prochain, mais au CODIS 59, qui assure une coordination zonale. Le dispositif indique que l'information sur le risque n'a pas engendré une mise en alerte de nos unités, pour la simple et bonne raison qu'elles sont toujours en alerte. En effet, à Brignoles (unité n°7) et à Nogent-le-Rotrou (unité n°1), 100 hommes sont toujours prêts à partir en une heure. L'information n'a donc pas eu d'incidence sur notre mécanique opérationnelle. En cas de problème majeur, nos hommes auraient pu être détachés dans la Somme.

Le schéma nous paraît donc avoir fonctionné dans des conditions satisfaisantes, au regard de la transmission de l'information et de ses modalités de répercussion aux niveaux souhaités, tels qu'ils avaient été définis par le préfet. Au niveau national, de toute façon, nous étions déjà dans un schéma d'intervention pour répondre aux sollicitations du terrain. Nous sommes en alerte permanente mais nous ne pouvons être engagés qu'à la demande des autorités préfectorales ; il va donc de soi que nous sommes à leur disposition, dans un cadre d'alerte, d'évaluation d'un risque, mais aussi dans un cadre opérationnel, sur la base d'une méthodologie d'engagement définie par ces autorités.

M. le Rapporteur - Sur le terrain, l'impression des élus a été qu'ils sont restés seuls, durant les huit premiers jours, face à la réalité de la situation. Il est vrai qu'il s'agissait de petites communes, qui n'ont peut-être pas été informées assez rapidement ou de façon assez précise. Toujours est-il que durant la première semaine, c'est le bon sens qui a gouverné. Les pompiers étaient en première ligne ; ont-ils informé leurs supérieurs ? Tous ceux qui étaient présents ont-ils eu la bonne réaction ?

M. Alain Perret - Je suis gêné pour répondre à cette question. En effet, nous ne pouvons agir que sur sollicitation du corps préfectoral. Les moyens que nous engageons répondent donc à des besoins avérés. Je pense malgré tout que les sapeurs pompiers volontaires engagés dans les premières communes touchées ont fait remonter l'information au CODIS, en soulignant que le schéma pouvait devenir dramatique. Entre le 13 et le 15 avril, nous avons constaté une baisse des eaux brutale, qui a pu laisser penser que le plus difficile était passé ; en fait, le 22 avril, les pluies ont été de nouveau catastrophiques. Je ne pense donc pas que l'information ne soit pas remontée.

Ces inondations se répètent avec une certaine occurrence. Dans certains départements, il existe un risque d'inondation, chaque année à la même époque. Les procédures sont donc préparées par les sapeurs pompiers. Leur mode d'engagement et les mesures prises sont aujourd'hui tout à fait ordonnancées. Toutefois, pour les sapeurs pompiers engagés à la demande des maires dans les communes qui commençaient à souffrir des premiers effets de la remontée des nappes phréatiques, il a peut-être pu apparaître qu'il s'agissait d'un événement banalisé.

C'est le risque que nous encourons : nous devons donc toujours nous demander si la situation est la même que l'année d'avant. Ici, le phénomène était exceptionnel car il ne s'agissait pas d'inondations à cinétique lente mais de remontées de nappe phréatique. Dans ces conditions, la capacité réactive a été plus longue que d'habitude, tout simplement parce que l'amplitude du phénomène n'a pas été parfaitement perçue dès le départ. Toutefois, je suis convaincu que l'information est remontée.

A notre niveau, nous avons compris qu'il s'agissait d'un phénomène nouveau, ce qui a généré la mise en alerte et l'engagement progressif des moyens de sapeurs pompiers et des formations militaires de la sécurité civile. Lorsque la situation a pris les proportions que vous connaissez, les militaires ont été engagés à leur tour. Il ne s'agissait plus simplement de déposer des sacs de sable mais de mener une réflexion hydrologique globale, qui a permis finalement d'assainir la situation, grâce au déverrouillage des goulets d'étranglement.

M. le Rapporteur - Différentes alertes ont eu lieu au cours des années précédentes -1988, 1994, 2000-, ce qui conduisait d'ailleurs les habitants à dire qu'une catastrophe allait se produire. Malheureusement, la situation a été banalisée. Si la prise en compte avait été plus importante, notamment par la mise en place d'un plan ORSEC, n'aurait-il pas été possible de réduire l'ampleur des dégâts ? Je rappelle que durant huit jours, les équipes communales n'ont fait que remonter les meubles à l'aide de parpaings, pensant que le problème allait se résoudre rapidement. Pourquoi une autre solution n'a-t-elle pas été choisie dès le départ ?

M. Alain Perret - Le plan ORSEC n'aurait pas donné au préfet des moyens supplémentaires. En effet, il n'est pas un dispositif opérationnel technique de terrain ; il s'agit d'un dispositif financier. Les dispositions qui ont été prises par le préfet, notamment le fait de solliciter les forces armées, ont constitué une réaction positive, dès que la dimension de la catastrophe a pris de l'ampleur.

Le plan ORSEC n'aurait rien apporté de plus en termes de moyens. Ces derniers peuvent être engagés totalement en dehors du plan ORSEC, comme cela a d'ailleurs été fait avec le succès que l'on connaît. Si le plan ORSEC avait été déclenché, l'incidence n'aurait été que budgétaire, sous la forme de la prise en charge par l'Etat des moyens publics ou privés engagés par les collectivités.

Le rapport Sanson sur la tempête insiste sur la nécessaire refondation du plan ORSEC. On se rend compte que le traitement de cette tempête ont été de même nature dans tous les départements touchés, que le plan ORSEC ait été déclenché ou pas. De surcroît, l'aspect budgétaire a été balayé par un lourd dispositif de solidarité pris en charge par l'Etat.

Dans la Somme, nous nous sommes posé la question de savoir s'il fallait déclencher le plan ORSEC. Cette compétence ne relève pas du niveau central mais de l'autorité préfectorale locale. Toutefois, en aucune manière le plan ORSEC n'aurait apporté un supplément de moyens. Nous aurions peut-être pu affecter des hommes plus nombreux mais cela aurait pu être contre-productif au-delà d'une certaine limite.

M. le Rapporteur - Avec l'arrivée de l'armée et la création d'une cellule de crise, nous avons eu l'impression que beaucoup de choses changeaient, le tout en l'espace d'une semaine. Que ce soit pour l'une ou l'autres des raisons, nous avons constaté que l'affaire était prise en compte. Ainsi, les premiers magistrats de nombreuses communes faisaient part de leur besoin en sacs de sable depuis plusieurs jours mais on leur répondait que cela était inutile. Or la première action de l'armée a été de mettre en place ces sacs de sable. Les sinistrés ne comprenaient plus rien ; ils ont même pensé qu'on leur avait caché quelque chose. C'est ce qui a déclenché ce que l'on a appelé la rumeur d'Abbeville. Comment était-il possible que l'eau monte à un mètre, alors qu'aucune annonce n'avait été effectuée ? S'agit-il d'un manque d'information, de coordination ?

M. Alain Perret - Le concours des militaires et des UIISC auprès de la population a été déterminant pour produire des mesures de prévention immédiates mais aussi pour jouer ce rôle de conseil en vue du déverrouillage des goulets. De manière lourde, il a fallu que les moyens en hommes soient engagés. Je pense que nous devons saluer cette démarche.

M. le Rapporteur - Quelle conséquence la professionnalisation de l'armée a-t-elle eu sur les mesures prises ?

M. le Président - Le fait que nous n'ayons plus un régiment disponible dans chaque département a-t-il joué un rôle ?

M. Alain Perret - Le concept qui conduit au reformatage des forces armées est celui de la projection intérieure. Si un problème survient à Marseille ou à Aix-en-Provence, il est donc possible que ce soit un régiment de Lille ou de Verdun qui descende pour intervenir, et pas forcément celui qui est basé à trois kilomètres. Le nouveau mode de gestion des forces armées intègre donc ce concept, qui a d'ailleurs donné pleinement satisfaction à l'autorité militaire jusqu'à présent.

M. le Président - Quelle liaison existe-t-il entre le BRGM et votre cellule d'alerte ? Etes-vous alerté des situations critiques par ce biais ?

M. Alain Perret - Il n'existe pas de connexion permanente avec le BRGM, qui est simplement l'un des conseils que nous pouvons solliciter le cas échéant. Toutefois, le dispositif opérationnel ne prévoit pas une information spontanée de la part du BRGM. Le schéma est très orienté vers Météo France.

M. le Président - Le contact avec Météo France est évidemment nécessaire mais nous pensons que le BRGM pourrait aussi être utile.

M. Alain Perret - Juste avant la tempête en 1999, à 6 heures 30 du matin, nous avons reçu un appel apeuré du prévisionniste de permanence de Toulouse, nous annonçant qu'une catastrophe allait se produire à Paris. Nous avons immédiatement téléphoné à l'Agence France Presse pour diffuser une dépêche ; nous avons contacté le préfet de police pour lui dire qu'il fallait décréter une alerte générale. A 7 heures 25, la catastrophe s'est produite. En fait, le modèle informatique de Météo France, Arpège, n'avait pas prévu des valeurs de vents supérieures à 220 km/h.

Avec nos amis de Météo France, nous produisons un fascicule qui contient une carte de vigilance météorologique. C'est l'une conséquences de la tempête, à la suite de laquelle Météo France a reconnu que son dispositif pouvait être perfectionné. Le dépliant, qui sera diffusé par les communes et les préfets, fait apparaître les différents risques au niveau français, en distinguant leurs intensités. Il s'agit donc de favoriser la prise de conscience de chacun d'entre nous. Nous le ferons aussi à l'avenir pour les zones sismiques, comme nous y encourage l'incident qui s'est produit récemment en Vendée.

Dans notre pays, certaines structures disposent d'une information opérationnelle qui doit être diffusée. Il est vrai qu'il existe des informations théoriques sur lesquelles nous avons peu de prises. En revanche, la vulgarisation de l'information opérationnelle doit permettre à cette dernière d'être transmise à l'ensemble des acteurs responsables que sont les préfets. Plus encore, il nous appartient d'aller de l'avant : nous l'avons fait pour le risque météorologique ; nous le ferons pour le risque sismique. En effet, nous considérons que la prise en charge d'une évaluation d'un risque est possible par chacun de nos concitoyens. Ces derniers ne doivent pas obligatoirement être pris au piège par les feux de forêt ou les risques de tempête. Outre-mer, il existe des graduations de risque, qui permettent à chacun de savoir ce qu'il a à faire.

Dans le domaine des inondations, notamment torrentielles, nous devons être en mesure de sensibiliser nos concitoyens. Des progrès extraordinaires ont déjà été effectués en quelques années en matière d'imagerie satellitaire. Il y a peu, les opérateurs nous vendaient des images, dont nous souhaitions disposer directement dans les camions de pompiers. A l'époque, un traitement de 48 heures était nécessaire. Aujourd'hui, on constate que le traitement de l'image informatique se fait dans des délais nettement plus courts. Dans deux ou trois ans, il sera possible de recevoir les images en temps réel. Il nous appartient donc de pouvoir traduire l'information en actes simples de précaution, de prévention, d'alerte et d'engagement opérationnel, sous l'autorité des préfets. Le système fonctionne pour les cyclones ; il doit pouvoir fonctionner pour les inondations.

M. Hilaire Flandre - Pour les inondations de la Somme, le préfet a indiqué aux maires, dès le mois de février, qu'il existait un risque d'inondation.

M. le Président - 56 maires sur 783 ont été avertis.

M. Hilaire Flandre - Tous les maires n'étaient évidemment pas concernés par les inondations.

M. le Rapporteur - 107 communes ont été sinistrées.

M. Hilaire Flandre - Les réactions ont été pratiquement nulles. Je suis d'un département qui est soumis régulièrement aux inondations ; nous avons même vécu des crues centennales de la Meuse deux années de suite. Aujourd'hui, nous disposons d'un système d'alerte plus performant, qui nous permet d'anticiper. Toutefois, les gens ont pris en compte les annonces la première fois. Ensuite, comme il ne s'était rien passé, ils les ont ignorées. Lorsque l'on crie au loup trop souvent, les gens ne réagissent plus. Aux Antilles, les gens sont plus vigilants parce qu'ils connaissent les effets d'un cyclone. Pour autant, le dernier étant passé à côté des îles, il est probable que les précautions prises seront moins importantes lors de la prochaine alerte.

Par ailleurs, en France, la tradition est celle des secours gratuits. Or les imprudences de certains conduisent les simples citoyens ou les responsables de la gestion des lieux publics à s'interroger. Est-il bien normal que la personne qui descend dans un gouffre et à qui l'on sauve la vie, au risque d'en perdre d'autres, ne soit pas sanctionnée ? La réflexion est la même pour quelqu'un qui part en mer sans en avoir les compétences. Est-il bien normal que l'on aille le secourir sans lui faire supporter le risque ?

M. Alain Perret - Ce problème est au centre d'une réflexion que le ministère de l'Intérieur nous a demandé de mener et qui devrait se traduire par un ensemble d'actes législatifs. Les secours portés par les hélicoptères de la sécurité civile sont gratuits, alors que l'intervention d'un hélicoptère privé, pour lequel une convention a pu être passée avec la mairie, coûte 1.200 francs de l'heure. Cela génère un facteur de discrimination au regard du secours et une injustice par rapport à la nature du risque que prennent les sauveteurs.

Il y a plus de deux ans, pour sauver les gens qui s'étaient réfugiés dans un igloo, le maire avait été obligé de payer l'hélicoptère d'une société privée, alors que les moyens publics qui avaient été engagés étaient gratuits. Je crois qu'il y a une réflexion à mener, notamment avec les autorités sanitaires. En effet, les hélicoptères rouges transportant une personne gravement blessée de Marseille à Nice sont gratuits, alors même que l'hôpital de départ est remboursé par la Caisse primaire d'assurance maladie lorsque c'est un hélicoptère blanc qui effectue le transfert.

La mission de solidarité ne se discute pas. Toutefois, en fin d'année, nous avons parfois des difficultés de gestion. Dans tous les cas, nous devons être attentifs à la règle d'équité. C'est pourquoi le Parlement sera conduit à évoquer certaines orientations en cours de discussion au sein des services. L'objectif est de bien distinguer ce qui doit faire l'objet d'un remboursement par celui qui est secouru, de ce qui fait partie du service public et qui doit rester gratuit.

M. Michel Souplet - Ces oppositions d'intérêts ne sont pas nouvelles.

M. Alain Perret - Le problème est le même pour les véhicules de sapeurs pompiers qui sont de plus en plus sollicités au regard de la raréfaction des moyens dont sont dotés les SAMU. Je crois que nous devons poser les problèmes.

M. Fernand Demilly - Pour bien organier les secours, il faut anticiper les catastrophes. Est-il possible de déterminer des indicateurs pour ce faire, notamment pour les inondations ?

M. Alain Perret - Normalement, il existe des plans de prévention des risques naturels, qui sont mis en oeuvre sous l'autorité du ministre de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement. En liaison avec les moyens de secours à la disposition du préfet, ces documents doivent pouvoir donner une information réaliste et forte à la population sur la nature du risque encouru. Actuellement, de plus en plus de PPRI sont mis en oeuvre.

M. Fernand Demilly - Un directeur du Laboratoire du contrôle des eaux avait constaté des variations très anormales des paramètres physico-chimiques de l'eau six mois avant les inondations. Il souhaite d'ailleurs que des études soient faites à partir de ses observations, qui pourraient apparaître comme un élément prédictif.

M. Alain Perret - Il faut certainement faire en sorte que toutes les structures de nature scientifique qui disposent de résultats pouvant intéresser l'autorité responsable de la sauvegarde de la population soient mieux centralisées, afin que des analyses communes soient effectuées. Au ministère de l'Intérieur, nous sommes capables de le faire ; nous le faisons d'ailleurs déjà dans de nombreux domaines, notamment en matière d'inondation, lorsque les phénomènes sont moins pervers que ceux que nous avons connus dans la Somme. En effet, peu de personnes ont pu dire dans les premiers jours que les inondations étaient dues à des remontées de la nappe phréatique.

M. le Rapporteur - Dans la Somme, étant donné que l'événement s'est produit, nous n'allons plus analyser la situation de la même façon. La crise aura donc eu au moins un aspect positif.

M. Alain Perret - Toute situation de crise contient toujours un aspect positif. Nos concitoyens ont donc tout à gagner de notre capacité à mener des retours d'expérience, à améliorer nos procédures et à accroître notre vigilance, que ce soit au niveau des préfets territoriaux ou de l'administration centrale.

Par ailleurs, je peux vous assurer que les comparaisons avec les pays étrangers, notamment la Grande-Bretagne, montrent que la solidarité, la mobilisation des moyens, l'investissement des hommes au contact de ceux qui souffrent restent une spécificité française.

M. le Président - Nous vous remercions pour votre intervention.

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