40. Audition de M. Jérôme Bignon, président du syndicat mixte pour l'aménagement de la Côte picarde (18 juillet 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons aujourd'hui M. Jérôme Bignon, ancien député et conseiller général, en sa qualité de président du syndicat mixte pour l'aménagement de la Côte picarde (SMACOPI).

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Jérôme Bignon.

M. Jérôme Bignon - Le syndicat mixte d'aménagement de la Côte picarde (SMACOPI) a été créé en juillet 1974. Il a pour objet de favoriser le développement touristique du littoral picard et de son arrière-pays, par l'aménagement des espaces, la mise en valeur des potentialités et la protection des milieux naturels.

Le SMACOPI s'est vu assigner les missions suivantes :

- élaborer des programmes généraux d'aménagement ;

- concevoir et coordonner des opérations d'investissement ;

- assister les maîtres d'ouvrages ;

- assurer la maîtrise d'ouvrage d'opérations ;

- gérer des équipements touristiques.

Il est composé du Conseil général de la Somme et d'un syndicat intercommunal d'aménagement du littoral picard, lui-même constitué par une vingtaine de communes.

Le littoral picard se compose de 70 kilomètres de côtes qui commencent à la frontière du Pas-de-Calais, descendant dans le Marquenterre, paysage de dunes, jusqu'à l'estuaire de la baie de Somme. Puis, au Sud, à partir de la commune de Cayeux, le paysage se mue en décors de falaises de craie. L'embouchure de la Bresle fixe la frontière entre la côte picarde et la Seine-Maritime.

L'Etat s'est trouvé confronté à une difficulté majeure : parmi les 20 communes composant le littoral picard, aucune ne comptait plus de 2.500 habitants en hiver et ne pouvait être considérée comme un acteur susceptible d'aménager ce littoral. En outre, les services techniques de ces municipalités éprouvaient d'importantes difficultés à concevoir et à réaliser les opérations d'aménagement, qui leur permettaient de promouvoir un véritable développement touristique et de gérer de fortes concentrations de populations pendant la période estivale.

Certaines de ces communes, Fort-Mahon notamment, accueillent aujourd'hui 30.000 à 50.000 estivants chaque année, alors que leur population permanente n'excède toujours pas 2.500 administrés. Cette donnée implique une grande souplesse des services et des infrastructures, en termes d'adduction d'eau, de collecte des déchets, de voirie, etc. Ceci s'avère d'autant plus problématique que les équipes municipales sont réduites et n'ont que peu de moyens à leur disposition. Pour faire face à cette situation, le SMACOPI a donc été institué.

Les différentes missions du syndicat se structurent autour de trois axes principaux :

- la maîtrise d'ouvrage déléguée ou directe ; Le SMACOPI met ainsi à la disposition de ces vingt communes un savoir-faire et des moyens techniques, pour les aider à mener des opérations de reconquête et de rénovation urbaines essentiellement.

- la gestion des milieux naturels ; Le Conservatoire du littoral est fortement impliqué dans le territoire du littoral picard. Il s'y est porté acquéreur d'espaces importants. En vertu d'une délégation du Conservatoire, le SMACOPI gère aujourd'hui 5.000 hectares d'espaces naturels ou protégés, parmi lesquels la réserve naturelle de la baie de Somme. Le Conservatoire n'achète que de manière très exceptionnelle des terrains sur lesquels du bâti est présent. Il rétrocède la gestion des espaces naturels qu'il a acquis à des acteurs locaux comme le SMACOPI. Ce partenariat privilégié s'effectue naturellement dans le cadre d'une convention, dont l'échéance est prévue pour la fin de l'année 2002. Dans le cadre de la mission confiée par le Gouvernement à M. Louis Le Pensec relative à l'évolution du Conservatoire, nous réfléchissons actuellement aux nouvelles formes à donner au partenariat entre cette structure et le SMACOPI. Cette réflexion est menée de manière tripartite, le Conseil général y étant également associé. Le SMACOPI gère, par ailleurs, des espaces naturels pour le compte du Conseil général, le littoral picard constituant une zone de préemption.

- la gestion d'équipements touristiques ; Dans les années 1970, le littoral picard souffrait d'un manque manifeste d'équipements touristiques. Progressivement, un certain nombre d'opérateurs privés et publics viennent y investir, mais ne parviennent pas toujours à assumer la gestion de ces équipements. Le Conseil général confie au SMACOPI la gestion d'un certain nombre de ces équipements menacés d'être abandonnés. Aujourd'hui, le syndicat a la charge de sept ou huit équipements de ce type, parmi lesquels un golf, une aire autoroutière, un hôtel, le jardin public de Valoires et la maison de l'oiseau. Pour l'heure, nous avons adopté un statut de régie industrielle et commerciale. Nous générons un chiffre d'affaires de 30 millions de francs, nous dégageons d'ailleurs des bénéfices et payons 2,5 millions de francs d'impôts sur les sociétés. Ceci tend à prouver que la rigueur permet à un acteur public de dégager des bénéfices. Ceci nous permet d'ailleurs de financer d'autres investissements. Certains de nos projets sont même en autofinancement complet. Je suis d'autant plus fier de ceci que ces équipements étaient initialement proches de la faillite et que le SMACOPI est parvenu à les relancer, à leur donner une cohérence et à les moderniser, afin qu'ils répondent pleinement aux attentes des touristes contemporains. Nous avons également bénéficié du désenclavement lié à l'autoroute transmanche. L'arrivée des touristes d'Europe du Nord constitue, en effet, un vecteur majeur du développement touristique de notre littoral.

En 2001, le budget du SMACOPI s'élève à 22 millions de francs de frais de fonctionnement et à 142 millions de francs de frais d'investissement.

Après 25 ans d'existence, il nous est apparu nécessaire de faire le point et de nous poser différentes questions. Devons-nous évoluer vers un statut juridique privé, en empruntant éventuellement un statut intermédiaire de société d'économie mixte ? Notre partenariat avec le syndicat intercommunal d'aménagement du littoral picard doit-il évoluer ? Ce dernier n'a, pour l'heure, guère d'autres fonctions que celle de participer au syndicat mixte. Devons-nous alors créer de nouveaux partenariats au niveau intercommunal, eu égard aux lois Joxe et Chevènement ? L'inter-territorialité est-elle susceptible de constituer une réponse adaptée aux problématiques de l'aménagement du territoire, dans le cadre de la loi Voynet ? Quelle sera la place de la structure SMACOPI dans cette évolution ? Nous espérons pouvoir apporter un certain nombre de réponses à toutes ces questions dans le semestre ou dans l'année à venir.

Pour l'avenir, nos principaux projets sont les suivants :

- un nouveau terrain de golf ; la création d'un second golf peut paraître superfétatoire, mais toutes les études de marché tendent à prouver que les amateurs de golf sont précisément attirés par la multiplicité des terrains. Nous vendons à l'heure actuelle 27 000 droits d'entrée, dont 60 % à des touristes étrangers.

- la gestion des flux touristiques ; après s'être longtemps faits attendre, les touristes arrivent en masse à tel point que nous sommes désormais confrontés à des problèmes d'insuffisance de places de stationnement, de gestion de la taxe de séjour, de sécurité et de qualité de l'accueil. Or il nous paraît indispensable de préserver nos atouts : le calme, la qualité des espaces naturels et des paysages. En coopération avec l'Etat, nous menons donc une vaste réflexion sur le sujet. Depuis le CIADT du 9 juillet, la baie de Somme bénéficie de l'opération « Grands sites » au même titre que la baie du Mont Saint Michel et de la Pointe du Raz. La baie de Somme bénéficiait déjà de différentes reconnaissances de ce type, tout à la fois valorisantes et contraignantes. L'opération « Grands sites » s'avère extrêmement valorisante pour nous : elle nous impose un certain nombre de contraintes et nous permet, en contrepartie, d'obtenir des aides en matière de gestion de sites touristiques, de suppression de friches industrielles, de préservation du caractère maritime de la baie, etc.

La préservation du caractère maritime de la baie constitue également une piste pour gérer les problématiques d'inondations.

Au regard de ses missions, le Syndicat mixte se révèle peu compétent en matière d'inondation, dans la mesure où la zone concernée par les crues s'arrête précisément au point où commence le champ d'intervention du SMACOPI.

Je suis toutefois responsable des questions environnementales au sein du Conseil général. S'agissant des causes profondes d'inondation, je ne peux que partager l'avis des inspecteurs généraux de l'administration missionnés par le Gouvernement. Leur analyse est également partagée par l'expert mandaté par le Conseil général, M. Pierre Hubert. Le Courrier picard titrait, d'ailleurs, avant hier : « Inondations : la rumeur est liquidée », en référence à la théorie selon laquelle les eaux destinées à la région parisienne auraient été déversées, de manière malencontreuse ou malintentionnée, dans le bassin de la Somme.

Il semble donc que la pluviométrie exceptionnelle - moins d'ailleurs par son intensité que par sa durée - et sa coïncidence avec un niveau de nappe phréatique très élevé soient à l'origine des inondations que nous avons subies. Ce phénomène de saturation des nappes et de pluviométrie exceptionnelle se révèle difficilement prévisible, dans la mesure où son cycle est pluriséculaire.

Il est toutefois légitime de s'interroger sur l'existence de facteurs aggravants, éventuellement imputables à des carences humaines. Les catastrophes résultent fréquemment d'une succession de phénomènes mineurs, qui mis bout à bout produisent des drames. Ce fut le cas pour les inondations de la Somme. Toutefois, les facteurs mineurs ou aggravants ne doivent pas occulter la cause majeure. Il est évident que l'occupation des sols a été mal gérée et que le lit majeur de la Somme a été mal aménagé, mais cet aménagement reflète les erreurs d'urbanisation commises depuis des siècles. Même si de petits aménagements techniques sont envisageables pour améliorer l'écoulement du lit mineur, il n'existe pas d'autres solutions, sur le long terme, que de se résigner aux inondations dans le lit majeur et de s'organiser en conséquence. Ces erreurs d'urbanisation à Amiens ou à Abbeville notamment remontent à 500 ou 600 ans et il me semble donc peu justifié d'incriminer tel ou tel maire pour avoir accordé un permis de construire il y a dix ans.

Un autre problème tient à l'absence de mémoire des crues : personne n'avait présent à l'esprit un phénomène d'une telle ampleur. Ceci explique que personne n'ait mis un frein aux constructions. Le rôle de la commission d'enquête consiste à éviter que de tels dommages ne se reproduisent. Pour se faire, il sera nécessaire de faire prendre conscience aux populations qu'un tel phénomène est susceptible de se reproduire, mais qu'il est possible de le rendre moins dommageable.

S'agissant des préconisations en matière de prévention du risque d'inondation sur le bassin de la Somme, nous devons envisager des mesures à court terme :

- la DDE et des experts ont déjà formulé un certain nombre de propositions en ce sens : renforcer les berges, détruire certains ponts, curer les fossés, etc.

- l'élaboration d'outils scientifiques de mesure ; il est également fondamental que nous nous dotions des outils de mesures et de connaissance de ces phénomènes. J'ai eu l'occasion de présider l'association interdépartementale de la Vallée de la Bresle, qui gère ce cours d'eau. Le Conseil général de la Somme et le Conseil général de la Seine-Maritime y participent. A mon arrivée, j'avais été étonné par l'absence totale d'outils scientifiques de mesure à notre disposition. Notre seule référence en la matière résidait dans la consultation des archives de la presse locale.

- l'organisation de « bassins tampons » ; ces mesures sont en train d'être mises en oeuvre dans la vallée de l'Oise.

- l'action relative au lit majeur ; il est nécessaire de se préparer à l'occurrence d'une crue dans le lit majeur. Il s'agit d'un travail de long terme, puisqu'il n'est possible d'exproprier les personnes que lorsque la sécurité du bâti est en jeu. Lorsqu'un tel risque existe pour le bâti, il faut se montrer suffisamment ferme. En outre, il faut naturellement revoir les plans d'occupation des sols, pour éviter la construction de nouvelles maisons dans les zones à risque.

- l'identification de bassins de sur-stockage ; ces derniers seront en mesure d'accueillir certains excédents d'eau.

Un certain nombre de mesures sont en lien avec la mission du SMACOPI.

Il faut, en effet, organiser le curage des fossés et repenser le fonctionnement des associations syndicales. Ces structures ont été créées en vertu d'une loi de 1865, pour régler les problèmes en Sologne. Cette loi a continué à s'appliquer sans être véritablement actualisée, si ce n'est en matière d'urbanisme, les notaires l'utilisant pour gérer les problèmes des grands ensembles immobiliers. Dès lors qu'ils ne sont pas gérés en copropriété, ces ensembles, sont gérés par des associations syndicales. Cet outil n'est donc plus aujourd'hui en mesure de régler les problèmes qui se posent à nous. Certaines de ces associations fonctionnent correctement, mais il suffit que le fonctionnement de quelques unes ne soit pas satisfaisant pour que le système soit paralysé. Dès que l'Etat et les collectivités locales n'y participent pas, ces associations n'ont que peu de moyens à leur disposition, pour contraindre les propriétaires riverains à agir.

Le SMACOPI peut également jouer un rôle face aux problèmes d'écoulement. Cette question ne peut pas être exclusivement traitée au niveau de Saint-Valéry, mais une action à ce niveau est susceptible de faire baisser le niveau de l'eau dans le canal maritime et s'avérera donc probablement utile. Mais il serait judicieux également de modifier les dimensions du canal. Le SMACOPI est actuellement confronté à un problème a priori sans rapport avec les questions d'inondations. Ces deux questions sont tout de même susceptibles d'être traitées par des politiques coordonnées. En effet, la baie de Somme, comme la plupart des estuaires, tend à s'ensabler. Les effets de chasse étant insuffisants, les sédiments apportés par la mer s'accumulent. Ce problème touche également la baie du Mont-Saint-Michel, la Camargue ou le bassin d'Arcachon. En baie de Somme, ce phénomène était déjà observé par les contemporains de Jeanne d'Arc, mais il revêt aujourd'hui une ampleur telle, que trois ports sont également menacés par l'ensablement : Le Crotoy, Le Hourdel et, à un moindre degré, Saint-Valéry. L'Etat et le Conseil général mènent depuis longtemps une réflexion à propos des politiques à conduire pour préserver le caractère maritime de la baie. Il s'agit d'enjeux considérables impliquant des moyens pharaoniques. Nous ne disposions pas de l'aura dont bénéficiait le Mont-Saint-Michel et l'Etat ne s'était pas mobilisé pour notre dossier comme il l'avait fait pour ce site. C'est d'ailleurs pour cette raison que nous avons tout mis en oeuvre pour bénéficier de l'opération « Grands sites ». Tant sur le plan de la faune et que sur celui de la flore, la baie de Somme constitue un écosystème tout à fait exceptionnel, bien plus riche que celui de la baie du Mont-Saint-Michel. La préservation du caractère maritime de la baie était donc au coeur des préoccupations des élus, non seulement pour des raisons touristiques, mais également écologiques. Plusieurs études avaient été initiées : elles nous incitaient à modifier différents ouvrages, notamment à la sortie de Saint-Valery. Les crues de mars 1991 nous ont amenés à reconsidérer les travaux envisagés pour les barrages et les écluses à la sortie de Saint-Valéry pour tenir compte du problème de l'écoulement.

D'une certaine manière, ces crues se sont avérées utiles : elles nous ont permis de ne pas engager 150 millions de francs sans intégrer le paramètre de l'écoulement. Qui plus est, l'Etat s'est engagé à nous soutenir dans ce projet, dans le cadre du CIADT. Ce projet devrait donc permettre d'abaisser le niveau de l'eau dans le canal maritime entre Saint-Valery et Abbeville.

Par ailleurs, certains se sont légitimement étonnés du fait qu'il n'y ait pas eu d'inondation entre Saint Valéry et Abbeville et qu'il n'ait pas été possible de provoquer des bassins de rétention. Le SMACOPI et le Conservatoire du littoral ont commencé à réfléchir sur la possibilité pour le Conservatoire d'affecter une partie de ses terrains au stockage de l'eau en cas d'inondations. Certes, ces terrains sont loués soit pour la chasse, soit pour l'agriculture, soit pour les deux dans le cadre de conventions précaires. Mais cette solution permettrait de stocker des millions de m 3 en amont de Saint-Valéry et en aval d'Abbeville, en période de fortes crues. Tout le problème tient pour l'instant dans la détermination d'un moyen d'évacuation de cette eau. Il serait éventuellement possible de l'évacuer vers le fond de la baie, en intensifiant le cours d'une petite rivière côtière, le Dien, qui pourrait d'ailleurs être ré-estuarisé à cette occasion. Ceci permettrait tout à la fois de lutter contre les crues et de préserver le caractère maritime de la baie. Il convient toutefois de rester prudent pour l'heure, car cette opération se révèle tout à fait complexe sur un plan technique. En effet, certains ouvrages font barrage, en particulier la route départementale 940.

M. le Président - Nous aboutirons certainement à des préconisations de gestion globale à l'échelle du bassin par une entité publique ou semi-publique. Quel est votre avis sur la question ?

M. Jérôme  Bignon - Il n'existe pas de multiples structures susceptibles d'assumer une telle fonction. Tout le problème tient à la définition du périmètre géographique de l'outil. Il est possible de se référer à une structure de type Entente interdépartementale. Elle aurait pour avantage de ne composer que de deux membres : le Conseil général de la Somme et celui de l'Aisne. Mais il serait, selon moi, peu judicieux sur le plan démocratique comme politique de ne pas associer à cette gestion les communes, ne serait-ce que parce qu'elles disposent de la connaissance de terrain des problèmes. Le syndicat mixte unique m'apparaît donc comme la solution idéale. Il serait constitué d'une part par le Conseil général concerné par la gestion du lit mineur, puisqu'il lui a été concédé par la Région pour une durée de cinquante années en 1992 et, d'autre part, par les communes.

M. le Président - Comment y associer les propriétaires également ?

M. Jérôme Bignon - Une structure de syndicat mixte n'interdit nullement d'y associer les propriétaires.

Le problème le plus délicat réside dans la pertinence du territoire couvert. Si nous souhaitons y associer toutes les communes du lit majeur, le nombre de membres sera tout à fait important et ceci risque d'aboutir à une organisation extrêmement complexe, eu égard notamment aux procédures relatives au quorum. Pour l'instant, le drame étant proche, l'émotion règne encore, mais très rapidement l'intérêt pour ces enjeux va aller décroissant. Néanmoins, une telle solution me paraît faisable, même si elle nécessite un travail considérable. En effet, elle permettra d'envisager les problématiques dans leur intégralité, de l'amont à l'aval, et de leur apporter des solutions cohérentes. Si plusieurs syndicats devaient se mettre en place, nous pourrions nous trouver confrontés à des projets contradictoires, à moins d'instituer une fédération de syndicats. Je ne suis pas persuadé que cette organisation serait efficace.

La solution du syndicat unique doté d'une équipe technique de qualité me semble donc plus rationnelle à tous points de vue. Elle permet également aux communes d'être associées à la gestion de ces problèmes. Je redoute, en effet, que leur exclusion du processus décisionnel ne les conduisent à se désintéresser de ces enjeux, d'autant plus que le Département constituera alors l'unique bailleur de ces projets. Le fait d'apporter une contribution financière favorisera naturellement leur implication dans ces dossiers, même s'il est évident qu'il sera tenu compte de leur capacité contributive.

Un autre élément à prendre en compte réside dans le problème des affluents. La Somme compte une douzaine d'affluents principaux. Il est probable que ces cours d'eau sont mal entretenus, lorsqu'ils le sont. Le Conseil général cherche depuis longtemps à mettre en place des syndicats de rivières. L'entretien des cours d'eau s'effectue sur la base du volontariat. Il n'est donc pas possible de contraindre les riverains ou les communes à le prendre en charge. Aujourd'hui, nous bénéficions d'une opportunité historique de profiter de la pression des sinistrés pour inciter les riverains propriétaires et les édiles à assumer ces responsabilités.

Il nous faut donc agir avant que l'émotion ne s'estompe : le préfet et le président du Conseil général ont donc raison de considérer que les outils doivent être mis en place en septembre.

M. Pierre Martin, Rapporteur - Ils doivent être mis en place en septembre, certes, mais de quelle année ?

M. Jérôme Bignon - Je parle naturellement de septembre 2001.

M. le Rapporteur - Je me permets de vous rappeler que cette échéance ne nous laisse que sept semaines.

M. Jérôme Bignon - Ce délai me paraît parfaitement réaliste : il s'agit d'une pure question de volonté politique.

M. le Rapporteur - Pourquoi fondez-vous tant d'espoir dans le Dien ?

M. Jérôme Bignon - Il s'agit d'une petite rivière qui se jette dans le fond de l'estuaire. Le Dien ne constitue pas une solution miracle. Certains considèrent qu'il faut inonder et mettre en place une dérivation à partir du canal maritime sur la renclôture du Mollenel, située après la route panoramique qui enserre la baie de Somme. Cette solution consisterait donc à augmenter la capacité d'évacuation du canal maritime. D'autres pensent que cette solution n'est pas adaptée. N'étant pas expert, je ne me permettrais pas de trancher ce débat.

Quoi qu'il en soit, le SMACOPI est convaincu qu'il est nécessaire de mettre progressivement en place des bassins susceptibles de recueillir les excédents d'eau, tout au long du lit majeur. Ceci risque de soulever un certain nombre de problèmes fonciers entre Amiens et Abbeville. En revanche, en aval d'Abbeville, le SMACOPI et le Conservatoire sont propriétaires ou gestionnaires de tels terrains et nous serons amenés à acquérir d'autres espaces de ce type. Ces espaces représentent des superficies tout à fait considérables et leur inondation une fois tous les dix ou vingt ans ne poserait pas de problème particulier, puisqu'aucune question de propriété privée n'est soulevée. Il serait simplement nécessaire d'indemniser les agriculteurs auxquels ces terrains sont loués, mais cette indemnisation serait bien moins onéreuse que de grands travaux de protection.

Tout le problème tient au fait que l'inondation d'une zone est conditionnée par la possibilité d'évacuer l'eau. Le recours au Dien prendrait ici tout son sens et permettrait tout à la fois de :

- recueillir l'eau et de créer une sorte de bassin de décompression ;

- ré-estuariser le Dien et contribuer à l'amélioration de l'écoulement en fond de baie.

M. le Rapporteur - En dépit de multiples déclarations d'intention, aucune véritable action n'a été initiée. S'agissant de Fontaine-sur-Somme par exemple, le problème du canal d'assèchement est posé : la commune vient de recevoir une note de la préfecture, selon laquelle des travaux seraient à envisager. Le devis s'élève à 900.000 francs hors taxes. Le préfet a assuré la commune d'une contribution de l'Etat à hauteur de 50 % des dépenses et renvoie à la compétence communale pour la gestion du dossier. Le Conseil général, quant à lui, ne s'est pas encore prononcé. Tout ceci donne une impression d'improvisation et d'attentisme. La cellule de crise ayant été dissoute, qui est responsable de la coordination du dossier des inondations ? Si cette gestion revient aux seules municipalités, rien n'aura été fait en septembre. Selon moi, il est donc nécessaire d'instaurer une structure responsable de la coordination et du suivi des travaux - éventuellement au niveau du Département -, d'autant plus que de nombreux acteurs de ces dossiers sont en congé. Partagez-vous cette analyse ?

M. Jérôme Bignon - Lorsque la crise s'estompe, l'urgence s'éloigne également pour gérer les problèmes et entreprendre les mesures de prévention. Qui plus est, M. Pierre Hubert a rappelé que la probabilité d'une nouvelle inondation en automne s'élève à un risque sur quatre dans la Somme, sur le modèle des répliques de tremblements de terre. L'occurrence de ces crues est certes pluricentenaire, mais la nappe une fois saturée, il suffit d'une pluviométrie forte pour que les mêmes causes produisent les mêmes effets.

Les causes étant identifiées, de même que les moyens à mettre en oeuvre, nous savons que nous serions impuissants à éviter la situation que nous avons connue en mars si la pluviométrie de l'automne était défavorable. Ceci peut paraître difficile à expliquer à la population, mais quoi que nous fassions, nous ne pourrions pas régler ces problèmes avant cinq ou six ans, voire une décennie. En effet, la difficulté principale réside dans l'occupation des sols du lit majeur et non dans des questions d'écoulement. Face à de tels problèmes, les mesures qui sont à mettre en oeuvre constituent un travail de longue haleine. Je crains donc qu'il nous faille compter sur la clémence des cieux ou nous préparer à de nouvelles inondations.

Ceci étant, il ne me semble pas moins nécessaire d'adopter dans les délais les plus brefs un certain nombre de mesures pédagogiques : créer un syndicat mixte, initier les travaux déjà décidés.

S'agissant de ces travaux, la décision en a été prise le 9 juillet. Nous ne sommes que le 18 juillet. Je reconnais que la période n'est pas idéale pour de tels projets, puisque de nombreux décideurs et les entrepreneurs sont en congé.

Par ailleurs, la question soulevée par M. Martin à propos des moyens à la disposition des communes, me paraît également fondamentale. Certains travaux relèvent de la maîtrise d'ouvrage communale. Mais une aide financière apparaît indispensable, eu égard aux moyens réduits de bon nombre de ces communes. Si l'Etat y apporte une contribution financière, le Conseil général et la Région devraient également les soutenir. Selon moi, nous devrions donc pouvoir parvenir à des compromis.

M. Hilaire Flandre - Je souhaite formuler quelques commentaires et questions.

Tout d'abord, le fait qu'il n'y ait pas eu d'inondation entre Abbeville et Saint-Valéry semble impliquer qu'il y ait un problème important d'écoulement à hauteur d'Abbeville.

Par ailleurs, même si la baie était noyée au moyen de bassins de rétention pour soulager l'amont, il existe une route départementale faisant obstacle. S'était-on préoccupé des problèmes d'écoulement d'eau lors de la construction de cette route ?

En outre, les moyens dont disposent les communes semblent constituer une source de préoccupations. Je souhaiterais tout de même rappeler que certaines communes sont propriétaires de marais, dont la location est source de revenus non négligeables.

Enfin, il me semble que les individus pourraient prendre d'eux-mêmes certaines initiatives de protection en faveur de leurs biens notamment mobiliers, si les inondations devaient se reproduire à l'automne. Un travail pédagogique doit donc être entrepris auprès des habitants, pour promouvoir une culture des inondations telle qu'elle existe dans d'autres départements.

M. Jérôme Bignon - Depuis le Moyen-Age probablement, l'urbanisation d'Abbeville constitue un frein au bon écoulement de la Somme. Un certain nombre de ponts ont d'ailleurs été détruits par l'armée, pour réduire partiellement ce phénomène.

La question de l'écoulement de l'eau n'a pas été envisagée lors de la construction de la route départementale, dans la mesure où personne n'avait en mémoire que cette zone pouvait être inondée. Le canal maritime, construit entre 1834 et 1860, suffisait à absorber l'eau des crues. Cette route a d'ailleurs probablement contribué à l'ensablement de la baie, de même que la digue qui a été substituée à l'estacade en bois utilisée par le petit train touristique. Cette route pourrait néanmoins être busée sans difficultés techniques particulières.

Je partage votre sentiment relatif aux moyens des communes concernées, mais je tiens tout de même à vous rappeler qu'il s'agit de municipalités dans lesquelles les habitants paient peu d'impôts.

M. Paul Raoult - La taxe d'habitation s'y élève, en effet, à environ 2,5 %.

M. Jérôme Bignon - Depuis des dizaines d'années, ces populations sont habituées à être peu taxées.

M. le Président - Ces populations ne sont pas riches.

M. Paul Raoult - Le SMIC dans la Somme est le même que celui du Nord !

M. Jérôme Bignon - S'agissant de la dernière question de M. Hilaire Flandre, la population n'est pas encore prête à accepter cette fatalité, parce qu'elle n'a pas la culture des inondations.

M. Jean-Guy Branger - Je vous félicite d'avoir témoigné avec tant de passion et de sincérité. Vos critiques se sont avérées constructives et nous ont permis de prendre la mesure de la complexité des enjeux.

A la différence de la Charente-Maritime dont je suis originaire, il me semble qu'une autorité décisionnelle et coordinatrice fait défaut dans la Somme. Selon moi, cette autorité doit être instituée au niveau départemental, quelle que soit la forme qui y est donnée. Personne ne prendra mieux en charge l'avenir de la Somme que la Somme elle-même et ses élus.

M. Jérôme Bignon - Vous avez raison mais aucun outil n'existe pour l'instant.

En ma qualité de conseiller général, je considère qu'il est tout à fait urgent d'instituer un syndicat mixte responsable de ce dossier, même si la période estivale n'est pas idéale. Mais je crains que la décision ne soit reportée, le conseil général devant délibérer en assemblée plénière. Nous ne nous réunirons donc qu'au mois de septembre, pour évoquer le sujet. Une structure de coordination s'impose d'autant plus que la population ne comprendrait pas que l'Etat, les communes et le Conseil général se renvoient mutuellement la responsabilité de ce dossier. Ces tergiversations relatives à l'autorité compétente n'auraient pas d'autre effet que l'inaction. Le président du Conseil général est tout à fait conscient de cet enjeu. Il ne faut toutefois pas nous bercer d'illusion et prétendre que les travaux effectués avant l'automne seraient susceptibles d'éviter que des inondations analogues à celles de mars ne se reproduisent. Seul un certain nombre de mesures à caractère essentiellement psychologique sont envisageables dans des délais aussi restreints.

M. Paul Raoult - Votre exposé m'est apparu placé sous le sceau du bon sens. Il traduisait une véritable expérience d'élu de terrain.

Ceci étant, la création d'un syndicat mixte se trouve systématiquement confronté à un obstacle d'ordre législatif : comment faire face aux réticences de certaines communes tout au long du cours d'eau ?

Je connais de telles affres dans le département du Nord avec un affluent de l'Escaut qui constitue un égout à ciel ouvert et qui déborde à l'occasion de chaque orage. Ce blocage résulte de basses querelles politiciennes entre les différents élus concernés. Il devrait être possible de procéder à une déclaration d'utilité publique, pour éviter qu'une commune ne puisse faire obstacle au curage des cours d'eau. Or ce problème se retrouve partout en France. Dans la Somme, le Conseil général a déclaré son intention de procéder à un tel travail, mais il se trouve également confronté aux réticences de certains élus, en raison de pressions foncières, touristiques ou émanant des agriculteurs et des chasseurs.

En matière de curage, l'acteur majeur de la coordination doit donc être le Conseil général, qui doit catalyser toutes les bonnes volontés des communes. La fusion des communes n'a pas été mise en oeuvre en France. De ce fait, les communes ne disposent que de moyens réduits. Il est évident qu'il n'est pas possible de demander à des communes de quatre-cents habitants de prendre en charge le curage, alors que leur budget n'excède pas un million de francs. Leur taxe d'habitation pourrait, certes, augmenter, mais ceci ne suffirait pas à changer fondamentalement la donne. Nous souhaitons impliquer les communes dans ces dossiers, mais il n'en revient pas moins au Conseil général de coordonner les interventions publiques, en partenariat avec les syndicats intercommunaux. S'agissant de ces derniers, il sera probablement nécessaire de repenser leurs champs de compétence. En effet, ces structures s'étant multipliées au cours des décennies passées, il convient de s'assurer que leur périmètre d'action est encore pertinent.

Quoi qu'il en soit, les problèmes liés aux inondations ne seront pas réglés à l'automne. Nous savons que de nombreux mois sont nécessaires pour initier une étude ou pour dérouler une procédure d'appel d'offres. Pour l'heure, il s'agit de montrer à la population que la Somme est en train de mettre en place les outils qui lui permettront, dans les années à venir, de régler les problèmes de fond.

M. Jean-François Picheral - Je plaide en faveur de la création d'un syndicat mixte, depuis le début des travaux de notre commission. Les mesures qui devront être adoptées déboucheront sur un travail de longue haleine. Globalement, ces mesures ont été identifiées, mais la méthodologie de réalisation des travaux reste encore à définir. Notre commission doit, selon moi, se rapprocher de l'Etat et du Conseil général, pour favoriser la création immédiate d'une cellule de crise, pour faire face à d'éventuelles crues au cours de l'automne ou de l'hiver 2001. L'instauration de cette structure m'apparaît, en effet, une priorité absolue.

M. Jérôme Bignon - Je souscris à l'analyse de M. Paul Raoult sur le rôle de coordination du Conseil général, puisque cette collectivité aura vocation à financer l'essentiel des mesures de prévention et de protection. L'exemple du SMACOPI me paraît éclairant de ce que pourrait être l'organisation souhaitable. Le SMACOPI se compose tout à la fois du Conseil général - représenté par douze conseillers généraux - et de communes - représentées par huit maires-. Le Conseil général y est donc le leader et le principal contributeur financier, puisqu'il participe pour 20 millions de francs aux frais de fonctionnement de la structure alors que les communes n'apportent que 2 millions. Les communes seules ne sont pas en mesure de financer des projets de grande ampleur, sans la participation de l'Etat, du Département, de la Région ou du FEDER.

Le droit à la propriété privée ne saurait primer sur l'intérêt collectif. Un travail législatif important s'impose en la matière. Le droit de préemption ne peut intervenir qu'en cas de mutation. La seule solution résiderait donc dans la possibilité d'exproprier. Mais j'imagine difficilement un syndicat mixte, l'Etat ou le département devenir propriétaires de l'intégralité des espaces situés dans le lit majeur de la Somme. Les multiples propriétaires privés de cette zone opposeraient une résistance farouche à une solution aussi radicale. Il est donc nécessaire de fixer des limites à l'usage que font ces personnes de leur propriété privée, pour que cet usage ne soit pas contraire à l'intérêt collectif.

L'instauration d'une cellule de crise me semble également s'imposer. Le président du Conseil général en est conscient également, mais son rôle est loin d'être aisé dans la mesure où il n'est pas le seul maître de cette décision. Je lui ferai part de la préoccupation et des encouragements de la commission dans ce dossier.

M. le Président - Au nom de la commission, je vous remercie.

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