B. LA NÉCESSITÉ DE LEVER CERTAINS OBSTACLES AU DÉVELOPPEMENT DE LA PRÉVENTION

1. Des freins structurels liés à l'organisation des tribunaux de commerce

L'absence de généralisation de l'activité de prévention , qui empêche la détection précoce des difficultés et conduit à ce que les procédures amiables prévues par la loi n'ont, bien souvent, pas lieu d'être engagées, s'explique en partie par la disparité des moyens dont disposent les tribunaux . Rappelons que la structure de prévention mise en place par le tribunal de commerce de Paris mobilise une trentaine de magistrats honoraires. La disparité des volumes de dossiers traitant des difficultés rencontrées par les entreprises constitue également un frein à cette généralisation dans la mesure où la mise en place d'un système de veille nécessite une certaine expérience pour définir les « clignotants » pertinents. La révision en cours de la carte judiciaire devrait permettre de créer les conditions de cette généralisation.

Par ailleurs, le greffe constitue un rouage essentiel du dispositif de prévention : convergent vers lui de nombreuses informations qui constituent autant d'indicateurs de la situation de l'entreprise : le défaut de publication des comptes sociaux, la perte d'une partie du capital, la publication des privilèges de l'URSSAF et du Trésor public, la publication des protêts ou des certificats de non paiement... Collecteur naturel de l'ensemble de ces indicateurs, le greffe apparaît comme le lieu privilégié pour organiser leur exploitation pour la bonne information du Président du tribunal. Or, en l'absence de toute référence dans la loi à ce rôle majeur qui doit être dévolu aux greffes, ce type de collaboration est loin d'être systématique. Il paraîtrait donc opportun d' intégrer l'activité de traitement des signaux d'alerte dans la définition de la mission des greffes et de prévoir une rémunération spécifique dans la mesure où cette tâche, comme le souligne le rapport d'expertise, doit être considérée comme faisant partie intégrante de l'activité de la juridiction.

2. La nécessité de responsabiliser les acteurs pour renforcer l'efficacité de la prévention

Afin de faciliter la collecte des données révélatrices de difficultés rencontrées par l'entreprise et de rendre possible un déclenchement de l'alerte le plus en amont possible, certaines modifications pourraient être envisagées, tendant à responsabiliser les acteurs détenteurs de ces informations .

Tout d'abord, et alors même que l'absence de dépôt des comptes sociaux au greffe est fréquemment en elle-même révélatrice de graves difficultés rencontrées par l'entreprise, ces documents comptables constituent un précieux outil pour évaluer l'état de santé de l'entreprise. La régularité de leur dépôt permet d'appréhender l'évolution de la situation et, le cas échéant, de déclencher une action préventive suffisamment en amont pour assurer son efficacité. Or, en dépit de l'obligation légale de dépôt pénalement sanctionnée 8 ( * ) , de nombreux chefs d'entreprise s'exonèrent de cette formalité, soit par crainte que les informations ainsi rendues publiques soient exploitées à des fins de concurrence déloyale par des entreprises étrangères non encore soumises à la même obligation 9 ( * ) , soit en cas de dégradation déjà avancée de la situation de leur entreprise, les comptes n'étant alors bien souvent plus tenus à jour 10 ( * ) . Il apparaît donc urgent de renforcer le dispositif afin de garantir un meilleur respect de cette obligation.

A cet effet, la Chancellerie envisage de charger le commissaire aux comptes de veiller au respect de cette formalité, de rappeler cette obligation au dirigeant en cas de manquement et, à défaut pour celui-ci de s'y conformer, de le signaler au président du tribunal et au parquet. Notons que cette mesure n'aurait qu'un impact réduit dans la mesure où les entreprises dotées d'un commissaire aux comptes sont en nombre limité. Il est par ailleurs proposé de créer un mécanisme de condamnation sous astreinte dans le cadre de la procédure de référé et de faire du défaut de dépôt des comptes un cas facultatif de sanction civile frappant le dirigeant en cas d'ouverture d'une procédure collective. La Chambre de commerce et d'industrie de Paris, tout en approuvant ces différentes solutions, suggère d'offrir au président du tribunal, en l'absence de dépôt des comptes annuels, la possibilité d'interroger l'expert-comptable de l'entreprise.

L'ensemble de ces mesures paraît de nature à garantir plus efficacement le respect d'une obligation légale essentielle à l'amélioration de la prévention. La convention d'action concertée pour la prévention des difficultés des entreprises conclue au mois de mai 1999 entre la Conférence générale des tribunaux de commerce, le Conseil national de l'Ordre des experts-comptables et la Compagnie nationale des commissaires aux comptes préconise des sanctions encore plus radicales : mention portée sur l'extrait K bis, déchéance de l'accès aux aides et marchés publics, sanctions personnelles du dirigeant en cas de procédure collective ultérieure.

Les créanciers privilégiés tels que le Trésor public et les organismes sociaux constituent également une précieuse source d'information pour la cheville ouvrière de la prévention que constitue le greffe du tribunal. Cependant, ces administrations, bien placées pour constater les difficultés en amont, ne sont pas astreintes à les signaler.

Si la loi du 28 décembre 1966 a organisé la publicité des privilèges du Trésor par une inscription sur un registre tenu au greffe du tribunal de commerce, cette publicité n'est obligatoire, aux termes de l'article 1929 quater du code général des impôts tel que modifié par la loi du 10 juin 1994, qu'à compter du moment où, au dernier jour d'un trimestre civil, les sommes dues par un contribuable dépassent 80.000 francs. Dès lors, le Trésor ne peut exercer son privilège que si l'inscription a été régulièrement faite. En vertu de l'article L. 243-5 du code de la sécurité sociale également introduit par la loi de 1994, le privilège des organismes sociaux sur les biens meubles du débiteur garantissant le paiement des cotisations fait l'objet d'une inscription dans les mêmes conditions de délai et de montant.

Si ces modifications résultant de la loi de 1994 constituent un progrès, il serait opportun de réduire le délai au terme duquel le tribunal est informé du défaut de paiement de ce type de créances. En effet, dans une proportion importante de procédures collectives, l'actif est totalement absorbé par les dettes fiscales et sociales au détriment des créanciers chirographaires, le débiteur en difficultés commençant très souvent par ne plus payer ses impôts et ses cotisations. Le privilège attaché aux créances du Trésor et de la Sécurité sociale n'incite pas ces organismes à réagir rapidement. Afin de remédier à cet effet pervers, et sans remettre en cause des privilèges fondés sur l'intérêt général lié à la défense des deniers publics, certaines mesures pourraient être envisagées, telles que l'obligation d'informer le président du tribunal de commerce de tout retard de paiement excédant trois mois de créances exigibles sanctionnée par la perte du privilège dans l'hypothèse de l'ouverture d'une procédure collective, ou encore la réduction du seuil fixé en matière d'inscription.

Ces différentes mesures seraient de nature à organiser une meilleure coordination entre les divers acteurs susceptibles de jouer un rôle en matière de prévention , de faire converger de façon plus systématique et plus tôt vers le tribunal les données significatives sur l'évolution de la situation de l'entreprise et de rendre plus efficace la collecte de l'information.

* 8 Cette obligation résulte des articles 13-1, 44-1 et 293 du décret n° 67-236 du 23 mars 1967 sur les sociétés commerciales pris en application de la loi 66-537 du 24 juillet 1966. Elle transpose en droit interne une exigence fixée par les directives 78.660 CEE du 25 juillet 1978 et 90.605 CEE du 8 novembre 1990. Le non-respect de cette obligation est constitutif d'une contravention de la cinquième classe : la peine d'amende encourue s'élève donc à 10.000 francs et à 20.000 francs en cas de récidive.

* 9 Une action en manquement pour défaut de transposition de l'obligation de publier les comptes annuels a abouti, au printemps 1986, à la condamnation de l'Italie, et en septembre 1998 à la condamnation de la République fédérale d'Allemagne.

* 10 Selon le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce, 90 % des SARL et 60 % des SA engagées dans une procédure collective n'ont pas déposé leurs comptes au cours des deux années précédant le jugement d'ouverture.

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