INTRODUCTION DU COLLOQUE

M. Gérard Larcher, vice-président du Sénat, Sénateur des Yvelines, président du groupe d'étude « Poste et Télécommunications »

Je formule le voeu qu'à la fin de cette journée, ce qui nous aura été exposé nous permette de mieux répondre à deux questions qui m'apparaissent essentielles dans le débat postal et la transformation des postes.

La première question est de savoir si l'Union européenne peut faire l'économie de services postaux à même d'assurer des tâches d'intérêt général qui ne correspondent pas toujours aux impératifs du marché.

En d'autres termes, l'Union se doit-elle d'instituer un service universel postal de qualité ? Nous, Français, appelons cela « service public postal », car nous avons l'habitude de faire exécuter par des personnes publiques ce qu'à Bruxelles on a appelé « service universel » car, ailleurs en Europe, il peut être mis en oeuvre par des personnes de droit privé.

À cette question, je réponds « oui » car, pour moi, il est des exigences de solidarité collective sans le respect desquelles il n'est pas de société équilibrée, et que la seule application des règles du marché ne me paraît pas à même de satisfaire de manière convenable. J'évoque là, notamment, les exigences de solidarité sociale et de solidarité territoriale qui imposent un traitement égal de situations différentes pour assurer une solidarité citoyenne.

À première vue, cette question a déjà reçu une réponse apaisante puisque la directive postale de 1997 instaure un service universel. Les États de l'Union européenne ont le plus souvent en commun un modèle social qu'ils semblent, en cette circonstance, avoir eu le souci de préserver. Cependant, cette réponse de principe suscite désormais des interrogations quant à sa mise en oeuvre effective. En effet, la Commission de l'Union européenne propose maintenant de garantir ce service universel avec un monopole sur les lettres de moins de 50 g (contre 350 g actuellement). En outre, plusieurs États membres préconisent de programmer, à terme plus ou moins lointain, une libéralisation totale excluant tous droits réservés aux opérateurs de service universel.

Serait-il toujours possible, dans ces conditions, de garantir l'affranchissement au même prix d'une lettre postée de Lozère vers les Hautes-Alpes et une lettre de poids équivalent envoyée de Lyon à Paris ? Serait-il aussi possible, de garantir un service universel postal véritable et effectif ? Dans notre pays, et par-delà les clivages politiques ou philosophiques, beaucoup en doutent.

Sur ce sujet, il nous faut d'ailleurs être clairs. En France, la notion de service public est un concept politique fort. Elle est une invention républicaine ayant pour but d'inscrire dans la réalité sociale ces deux idéaux : égalité et fraternité. Elle n'a pas vocation à légitimer de grands conservatismes ou de petites hypocrisies. S'il est normal que les droits acquis soient préservés, le service public postal ne doit pas être l'alibi du corporatisme. Il n'est pas non plus de nature à justifier le maintien pour l'éternité de structures administratives issues d'un passé révolu. Il n'a pas davantage à cautionner le transfert vers les postes de charges relevant de la responsabilité de l'État. Il ne peut pas servir d'excuse à une insuffisante transparence des comptes.

Non, accepter de tels détournements masqués derrière des mots mythiques tels que le service public serait se résigner à un dévoiement de valeurs qui sont au coeur de notre pacte national français et, pour partie, intégrées à l'idéal communautaire. Cette observation m'amène à formuler une seconde question. Pourquoi, parmi les pays de l'Union, la France apparaîtrait-elle comme le pays qui semble rencontrer le plus de difficultés à adapter son opérateur postal à la nouvelle donne économique et réglementaire européenne ? Pourquoi semblons-nous connaître en ce domaine un déficit d'adaptabilité ou de modernité ? Cette interrogation, qui peut paraître très « franco-française », s'adresse aussi à nos amis européens car, le plus souvent, ces réformes réalisées chez eux n'ont même pas connu un début d'engagement chez nous.

Je ne prendrai qu'un seul exemple : le statut de notre Poste. Longtemps administration d'État, comme la plupart de ses homologues européens, elle est un établissement public depuis dix ans. Savez-vous combien de postes de l'Union européenne auront encore ce statut hérité du droit administratif au 1 er juillet 2001 ? Deux. Elles étaient cinq le 1 er janvier 2000. La poste belge a été transformée en société anonyme en mars dernier, la British Post est devenue société par actions au mois de juillet suivant. La poste espagnole devrait avoir, en vertu de la loi budgétaire 2001, le statut de société anonyme au plus tard à la fin du mois de juin 2001.

La seule autre poste de l'Union qui conservera le même statut que le nôtre en juillet 2001 sera la poste luxembourgeoise. Or, les postiers de ce pays semblent savoir que la transformation de leur poste en société de capitaux est nécessaire. Est-ce le cas en France ? Il semble bien que non.

Pourquoi une telle situation ? La réponse découle d'un mélange de peurs compréhensibles et respectables, mais aussi d'incompréhensions à dissiper. Elle est peut-être également le fruit de confusions parfois savamment entretenues. En effet, une transformation en société de capitaux publics n'est pas une privatisation, c'est une sociétisation. Et les personnels conservent leur statut de fonctionnaires, même si leur entreprise devient société anonyme.

Quoi qu'il en soit, nous risquons d'être les derniers de l'Union européenne à conserver dans la première décennie du XXI e siècle une poste dont le statut date du siècle dernier et paraît être devenu quelque peu obsolète ; actuellement, seul un capital social peut garantir un développement postal durable, la nécessaire autonomie de gestion, des alliances solides, et l'unité économique et sociale de l'opérateur. L'actualité montre que cette autonomie de gestion lui aurait peut-être permis de placer des « jetons jaunes »à côté des « noisettes de l'écureuil » dans le partenariat avec la Caisse des Dépôts et Consignations, plutôt que d'être mis à l'écart dans la naissance du grand pôle financier public.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Comment peut-on envisager d'impulser un changement qui s'avère a priori garant des grands intérêts de la Nation et de La Poste elle-même tout en étant, bien entendu, respectueux du droit des femmes et des hommes qui ont fait et font l'entreprise ?

Autant d'interrogations que je vous lance, Mesdames et Messieurs, pour la suite de notre journée.

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