B. LES CONCURRENTS HISTORIQUES ET NOUVEAUX

1. Histoire des loteries

C'est un jeu de hasard pur dans lequel les connaissances et la stratégie n'ont aucune place.

Elles sont interdites à peu près partout mais en fait autorisées par dérogation et lors strictement réglementées.

Littré donne cette définition : « sorte de jeu de hasard où se font des mises pour lesquelles on reçoit des billets portant des numéros ».

En regard d'une définition aussi simple que de variantes !

Leur création est souvent attribuée aux Romains parce que Petrone (66 ans après JC), dans son Satiricon, les évoque en parlant des repas et parce que Suétone, dans « La vie des 12 Césars », évoque la remise de prix par Auguste lui-même à l'occasion des Saturnales.

En fait il ne s'agissait pas de tirages au sort de loteries, mais plus vraisemblablement de simples cadeaux, largitiones et missilia, et si les Romains utilisaient bien le tirage au sort, c'était comme un mode de sélection institutionnalisée pour attribuer postes, charges, prébendes et terres.

Par contre, le monde arabe préislamique (5° et 6°siècles) eut recours à d'authentiques loteries puisque les sourates 2 et 5 du Coran les condamnaient sévèrement (1400 ans avant les Talibans !).

Dommage, car les Arabes pouvaient ainsi jouer des dixièmes de chameau (sic).

Le Moyen-Age ignore le phénomène.

Mais à Bruges, en 1441, les loteries apparaissent : les Hollandais fournissent le mot « loterij » avec sa racine francique « lot » qui donne aux Allemands « los » (le sort) et le « lotto » aux Italiens.

Suivent alors les loteries des Pays-Bas Bourguignons, les « lotissements »de St-Omer en 1476, les loteries de la France du 17° siècle pourvues du « numéro » emprunté aux loteries italiennes, la « lottery » anglaise, les « lotteries » allemandes, les « loterias » espagnoles, et bien sûr le « lotto » transalpin.

D'ailleurs, l'Italie affirme alors une nette prédominance : dès le 15 e siècle, tourniquets, dés spéciaux et billets numérotés préfigurent la roulette.

Peut-on aller jusqu'à penser que le goût du risque financier coïncide avec l'essor du capitalisme et surtout avec les timides progrès de l'écriture ?

2. Typologie

Avec la diversification des jeux on distingue vite :

- Les paris « au tableau », avec affichage de lots fixés d'avance.

- Les paris « à la cote », qui rapportent un multiple à des joueurs qui choisissent le niveau de leurs paris.

- Les paris « au totalisateur » comme le PMU.

Aujourd'hui, le tableau, ce sont les loteries à billets numérotés.

- La cote c'est la Roulette ou le Lotto génois.

- Le totalisateur c'est le Loto moderne.

Si l'on veut être complet, il faut dresser un autre classement qui différencie :

a) les loteries à résultat immédiat

Rassemblant un faible nombre de joueurs, ce sont :

- les loteries simples : cartons de 6 à 12 cases, un dé ou un toton comme le « tchic tchic » des quartiers populaires, le « Crown and anchor » des marins anglais, le « piek en zen » hollandais, de nombreux jeux asiatiques, le « jeu du sept » ou le « gioco della barca », « le jeu de la chouette » italien, etc.

- les loteries à choix multiples où le joueur mise plusieurs fois (comme à la roulette), mais avant celles-ci, la « hoca » catalane interdite par Louis XIV, le « biribi » italien supplanté par la roulette elle-même.

La formule familiale du loto apparaît au 18° siècle, se répand, se nomme « kéno » (prononcez kino) du français « quine », et bientôt le « Bingo » des anglo-saxons.

b) les loteries à résultats différés

Elles s'adressent à un très grand nombre de joueurs et réclament beaucoup de moyens.

- Loteries à billets (pari au tableau) avec lots définis, date connue des tirages, billets pré-numérotés, connues en France sous le nom de « Tombolas ».

C'était l'ex Loterie nationale.

Inexorable déclin depuis 1970 de ces tombolas caritatives, qui échappent aux condamnations morales mais n'évitent pas l'abandon par le public.

- Les Lotos où les joueurs choisissent plusieurs numéros

En 1576, la république de Gênes, en créant un Sénat (quelle sage décision !), soumet le renouvellement de ses membres à un tirage au sort de 5 membres tous les six mois.

Inutile de dire que les paris s'organisèrent aussitôt sur les noms des candidats.

L'engouement pour ces paris fut tel qu'il résista à la réduction du nombre de sénateurs qui passa de 120 à 80.

Giacomo Casanova, dont les activités et performances sont décidément très variées, fit ouvrir, au cours d'un passage à Paris, des bureaux de loteries avec l'agrément des financiers et de d'Alembert (!).

C'est l'origine de la Loterie Royale, créée par Louis XV en 1757 pour alimenter les caisses de l'Ecole Militaire (!).

Aux USA, après la très longue prohibition -1892-1963- qui avait favorisé les jeux clandestins, les loteries s'engouffrèrent dans la brèche.

Le Brésil (Jogo da Bicho), la Chine (Chi fa, Chi tam, etc) firent de même.

En définitive, le principe qui connaît la réussite maxima c'est le totalisateur.

Cet appareil naît en 1954 : il est le fruit du travail de deux allemands, Peter Weiand et Lothar Lammer, qui appliquent à la vieille loterie génoise le principe du Pari Mutuel inventé par Joseph Oller à Paris en 1868 pour les courses de chevaux.

Le succès fut foudroyant.

A partir de 1970 la Loterie au totalisateur conquiert tous les pays, à commencer par l'Europe.

c) les loteries instantanées

Loteries dites « A GRATTER », où le gain est inscrit sur le ticket et qui réclament une fabrication irréprochable par des imprimeurs hautement spécialisés

Grande facilité du jeu, résultat immédiat, gros succès...

3. Les loteries clandestines

Le mot « clandestines » est peut-être bien gros pour parler de ces mini loteries de villages ou de bistrots organisés par le seul tenancier de l'établissement autour d'un jambon ou d'un lot de bouteilles.

Ces loteries existent ; elles sont sans doute nombreuses mais échappent totalement à la statistique et au contrôle de l'Etat.

Elles sont pourtant illégales par définition.

4. Les loteries caritatives

Elles étaient innombrables, anciennes et tolérées par les pouvoirs publics en raison de leur nature même.

Qu'en est-il aujourd'hui au temps d'Internet, du Loto informatisé, du course par course sur satellite et des « gratteurs-minute » ?

Elles survivent et même vivent bien dans un contexte bien particulier très convivial et très humain.

Allons, par exemple, dans les Pyrénées-Orientales examiner ce qu'est une « Riffle Catalane ».

En Roussillon, et en Cerdagne, les riffles s'organisent au profit des bonnes causes (le club de rugby, les oeuvres sociales), dans les salles des fêtes ou des bistrot d'autant plus accueillants que la fièvre du jeu assoiffe.

Parce que c'est convivial et attrayant, on s'y rend en famille ou entre copains pour tenter de gagner les succulents produits du terroir tels que lots de jambons, volailles ou boudin renommé, rousquettes de Vallespie, ou vins de Banyuls.

Pour 50 ou 100 francs, nos catalans participeront à 10 ou 20 tirages, courseront la « quine » ou le « carton plein » sous la houlette d'un héraut de la riffle, notable local respecté, à la voix grave et qui porte loin.

Le héraut parle bien entendu le catalan car il annoncera les numéros souvent dans cette langue, ne serait-ce que pour complexer les « parisiens » présents, voire les « gabatchés » languedociens peu considérés par ce que voisins.

Chaque numéro annoncé sera en outre gratifié d'une remarque ou d'une boutade d'une finesse incontestable telles que : (2 « comme papa »), (6 « la queue en l'air »), (69 « la porte du paradis »).

A ces expressions gaillardes, connues de tous car rabâchées depuis des générations, répondent en écho la bonne humeur ambiante et le plaisir de jouer entre amis dans un climat familier.

La recette de ces joyeux moments est répandue dans toutes nos provinces, assortie de variantes locales linguistiques et folkloriques bien enracinées sur un fond « culturel » commun.

Ces Lotos cohabitent en bonne harmonie avec ceux des paroisses, des kermesses, des partis politiques; ils animent les matinées et soirées froides ou pluvieuses de la France profonde.

Mais les associations qui désirent organiser des loteries ou des lotos à but caritatif se heurtent souvent des difficultés que ne rencontrent pas des organisateurs moins dignes d'intérêt.

L'Union nationale des organismes faisant appel à la générosité du public (UNOGEP) , relate ceci :

Puisque le jeu est interdit et que toute organisation de loterie est soumise à autorisation, l'Association des paralysés de France (APF) des Côtes-d'Armor fit les démarches pour monter une très grande loterie de tout la Bretagne.

Elle édita 1 million de billets à 10 F sans savoir, comme d'habitude, quelle proportion en serait vendue.

Effrayés par ce « Capital d'émission » (sic) inusité, les services de la préfecture demandèrent l'avis du TPG qui interrogea la Préfecture de Police de Paris (!), laquelle sollicita l'avis du ministère des affaires sociales (!), la réponse fut « Votre capital d'émission est trop important ».

Il fallut en outre soumettre la maquette du billet : de fax illisible en fax de vérification, le président de l'APF fut dûment convoqué au commissariat de police du 13° arrondissement de Paris pour remettre en mains propres la maquette à un commissaire.

Les démarches pour ces bénévoles de l'APF durèrent de mai à novembre !

Or, en regard de cette (louable ?) vigilance à l'égard d'oeuvres connues de tous les Français, comment comprendre, à l'inverse, que rien ne vienne entraver le curieux travail effectué par des organisateurs en marge du milieu associatif qui proposent à des associations, à de petits clubs sportifs de « monter » pour eux leurs lotos annuels, leur laissant en tout et pour tout 10 % de la recette.

Ces mêmes « professionnels » contournent, en outre, la réglementation qui n'autorise que trois lotos par an et par demandeur, en jouant sur le fait, prétendu par eux, que vendredi +samedi+ dimanche = 1 jour.

Le tout multiplié par trois dans l'année et le tour est joué.

5. Les cyberloteries

On peut jouer sur Internet. Et on ne s'en prive pas : selon NETVALUE, 2 millions de Français se rendent chaque mois sur les sites de jeux d'argent.

Le succès est tel que chaque mois un nouvel organisateur de jeux se lance sur Internet.

Déjà existent et prospèrent Bananelotto, Lotree.com, Luckyvillage.com, Bingopoly.com, Eldoradowin, etc.

Ces sites font miroiter la possibilité de gains entre 1 et 10 MF ! ; mais les probabilités de gagner le gros lot sont faibles : une chance sur 14 millions.

On le sait très bien aujourd'hui, la première motivation des sites n'est pas d'enrichir nos compatriotes : car derrière le jeu se cache une stratégie commerciale très précise et efficace.

Pour visiter un site, un joueur doit « s'inscrire » et du même coup fournir tout une série de renseignements sur lui : nom, prénom, sexe, âge adresse, e.mail, et surtout ses pôles d'intérêt.

Ces données valent de l'or pour les sociétés de marketing qui achètent les listing aux patrons des sites et les revendent à leurs clients en mal de prospection commerciale

Tout est légal d'autant que le joueur peut parfaitement refuser que ces renseignements soient communiqués, encore faut-il qu'il « décoche » les cases, bien entendu validées d'office, qui autorisent le site à disposer gratuitement des données fournies par le joueur.

En juillet 2000, 1.256.470 visiteurs ont consommé 575.000 heures de jeu sur sites avec une moyenne de séjour de 27,5 minutes, réalisant dans le domaine du loisir une part d'audience de 34,6 % devant les voyages (16,4 %) et les sports (14,6 %).

Le même mois, neuf sites Internet spécialisés ont attiré 1 % des Internautes soit 60.000 visiteurs.

Le phénomène est donc considérable, n'est qu'à ses débuts et provoque chez tous les industriels des jeux une panique justifiée.

La Française des jeux semble avoir trouvé une parade qu'elle a mis en place fin 2001 (voir plus haut).

Les casinos en cherchent une, harcèlent l'Etat pour qu'il définisse ce qu'il autorise et attendent la réponse !

6. Loteries commerciales, concours et jeux des sociétés commerciales

Une question écrite du député François Rochebloine au ministre des finances en date du 5 juin 2000 nous semble bien situer le problème.

"M. François Rochebloine attire l'attention de M. le Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur la prolifération des concours et jeux organisés par les sociétés commerciales. En fait, ces opérations publicitaires répondent aux caractéristiques des « loteries commerciales » telles qu'elles sont définies par les articles L.121-36 et suivants du code de la consommation. Or, les sociétés commerciales se gardent bien de qualifier de loteries les jeux et concours qu'elles organisent.

Cela induit une confusion dans l'esprit des consommateurs.

Afin de limiter cet amalgame, la mention « loterie commerciale » répondant aux conditions des articles L.121-36 et suivants du code de la consommation devrait obligatoirement figurer sur tout support présentant une telle opération. De même, le règlement complet devrait, dans son intégralité, être reproduit sur les documents promotionnels.

Par ailleurs, il lui demande s'il n'est pas envisageable de promouvoir une participation réellement gratuite (enveloppe avec port payé par le destinataire, numéro de téléphone vert, par exemple), alors que prolifèrent les sollicitations téléphoniques d'un coût non négligeable (comme le préfixe 06-36-68, tarifié à 2,23 francs par minute).

Réponse - Les contrôles effectués ces dernières années par les services de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) font apparaître que dans plus de 90% des cas les loteries commerciales sont organisées dans le strict respect des textes, grâce notamment aux effets pédagogiques de quelques décisions de justice et des initiatives prises par le syndicat de la vente par correspondance et à distance.

De surcroît, les textes qui encadrent les publicités ainsi que les loteries commerciales offrent un niveau élevé de protection des consommateurs. En particulier, les dispositions de l'article L.121-1 du code de la consommation relatives à la publicité trompeuse ou de nature à induire en erreur permettent de sanctionner les opérateurs indélicats qui présentent, sous le couvert de jeux-concours de véritables loteries commerciales ne respectant pas les prescriptions de l'article L.121-36 du code de la consommation.

Il ne semble pas nécessaire, dans ces conditions, d'envisager une modification des textes en vigueur.

Par ailleurs, les consommateurs peuvent se prévaloir des dispositions de l'article L.121-38 du code de la consommation, pour obtenir gratuitement, lorsqu'il n'est pas annexé aux documents publicitaires, le règlement des opérations d'une loterie commerciale. Enfin, la tarification téléphonique pour participer à des jeux concours, ou des loteries commerciales, n'entraîne pas un coût élevé pour les consommateurs.

Elle est le plus souvent faible, voire, dans certains cas, nulle.

Sur ce point, les services de la DGCCRF n'ont pas constaté d'abus et il ne paraît pas nécessaire de modifier les textes en vigueur.

Tout ceci est bien rassurant ou prétend l'être. Il n'en reste pas moins que le nombre croissant de ces jeux, leur aspect plus ou moins fantaisiste et là encore, l'absence de données officielles et de statistiques, laissent craindre que ces dérives commerciales ne viennent dans l'avenir parasiter les systèmes légaux.

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