2. Une politique plus volontariste est désormais indispensable

Au regard de la situation actuelle, votre rapporteur juge indispensable de revoir notre politique d'accessibilité dans un sens plus volontariste pour parvenir à une réelle accessibilité de la cité dans les meilleurs délais.

Certes, votre rapporteur n'ignore pas les difficultés, notamment financières, d'une telle démarche en particulier pour la voirie, le cadre bâti et les réseaux de transports.

Il propose donc d'afficher dès aujourd'hui des objectifs ambitieux, mais d'inscrire leur réalisation dans des délais réalistes . Pour autant, il considère qu'il est nécessaire de rompre avec la logique de la loi d'orientation de 1975 pour laquelle la progressivité est rapidement devenue synonyme d'inachèvement. Il importe donc de fixer un délai raisonnable au-delà duquel toute entorse à l'accessibilité ne serait plus tolérée. Un délai de dix ans lui semble a priori raisonnable.

a) Poser une obligation d'accessibilité du cadre bâti qui serait réellement contrôlée et sanctionnée

La loi du 19 juillet 1991, qui reprend d'ailleurs l'article 49 de la loi d'orientation du 30 juin 1975, pose déjà le principe d'accessibilité des locaux d'habitation, des lieux de travail et des bâtiments recevant du public.

Il apparaît nécessaire de lui garantir enfin une réelle effectivité par une révision profonde de ses modalités d'application.

Élargir le champ d'application de l'obligation

Le champ d'application de l'obligation souffre d'une triple limite :

- il ne prend qu'imparfaitement en compte les commerces et les lieux de travail ;

- il autorise trop de dérogations ;

- il ne concerne que les bâtiments neufs et ne vise les bâtiments anciens qu'à l'occasion de leur rénovation.

Votre rapporteur juge nécessaire d'intervenir à ces trois niveaux.

Il semble d'abord souhaitable d'étendre aux établissements de 5 e catégorie (et donc aux commerces) et à tous les lieux de travail (quel que soit l'effectif concerné) le régime applicable aux autres bâtiments recevant du public.

S'agissant des lieux de travail, votre rapporteur rappelle en outre que l'AGEFIPH peut verser des aides à la mise en accessibilité des lieux de travail. Il regrette que ce dispositif soit mal utilisé. Ainsi, en 2001, seules 202 aides ont été versées à ce titre (contre 328 en 2000) pour un montant global de 2,7 millions d'euros (soit 0,6 % des financements de l'AGEFIPH). Il suggère en conséquence de donner une plus grande lisibilité à ce dispositif pour qu'il soit plus fréquemment employé.

Il semble aussi souhaitable d'appliquer certaines des règles actuelles d'accessibilité aux bâtiments d'habitation collectifs neufs de moins de cinq étages (qui constituent environ la moitié des bâtiments d'habitation collectifs neufs construits chaque année) 48 ( * ) .

A défaut d'une accessibilité immédiate de tous les locaux d'habitation neufs, il n'est pas inutile de prévoir, dès la construction, la possibilité d'une mise en accessibilité ultérieure. Votre rapporteur partage en effet, sur ce point, l'observation de Michel Fardeau devant votre commission : « Quand les problèmes d'accessibilité sont prévus au départ, cela coûte à peine plus cher. Ce qui coûte cher, ce sont les aménagements ultérieurs, les reconstructions, c'est, par exemple, de construire un petit ascenseur. »

Il est ensuite indispensable de revoir drastiquement les conditions dans lesquelles des dérogations à cette obligation d'accessibilité peuvent être accordées .

Actuellement, le code de la construction et de l'habitation prévoit toute une série de dérogations, interprétées de manière extensive et accordées de manière bien trop souple : difficultés matérielles graves, caractéristiques du terrain ou présence de constructions existantes qui font obstacle à son application pour les bâtiments neufs, difficultés liées à leurs caractéristiques ou à la nature des travaux pour les bâtiments anciens...

Au minimum, il apparaît souhaitable de limiter cette liste de dérogations aux seules impossibilités techniques insurmontables.

Il convient enfin de s'interroger sur une meilleure prise en compte de l'obligation d'accessibilité pour les bâtiments anciens, et notamment des locaux d'habitation .

Les conditions de logement des personnes handicapées apparaissent en effet souvent particulièrement difficiles. Ainsi, l'Association des paralysés de France (APF) a fait réaliser, de septembre 1996 à janvier 1997, une enquête auprès de 654 personnes handicapées motrices résidant en Ile-de-France. Ses résultats soulignent avec force leurs difficultés d'accès à un logement adapté : 43 % des personnes interrogées souhaitent une adaptation de leur logement mais ne peuvent l'effectuer pour des raisons principalement financières.

Cette situation s'explique notamment par le fait que les normes d'accessibilité ne concernent aujourd'hui que les logements neufs ou rénovés (56 % des personnes interrogées étaient entrées dans leur logement dans les années 1970 et donc dans des constructions achevées avant l'édiction des normes). Or, les rénovations sont trop peu fréquentes pour garantir, à elles seules, une mise en accessibilité progressive des logements.

Votre rapporteur considère qu'un important effort d'adaptation des logements existants est nécessaire.

Idéalement, il aurait été souhaitable d'étendre l'obligation d'accessibilité à l'ensemble des locaux d'habitation, hors travaux de rénovation, dans les conditions prévues par le code de la construction et de l'habitation (aménagement des parties communes des bâtiments d'habitation collectifs, adaptabilité des logements eux-mêmes). Mais cette voie risque d'être difficilement praticable.

Aussi, votre rapporteur suggère, dans un premier temps, d'explorer une voie alternative.

En l'absence de toute enquête exhaustive au niveau national sur la situation de logement des personnes handicapées, il serait d'abord souhaitable de créer un « Observatoire national du logement des personnes handicapées ». Cet observatoire, qui pourrait être directement rattaché au Conseil national consultatif des personnes handicapées, serait chargé de recenser les logements adaptés actuellement existants, d'évaluer les besoins non couverts et d'en suivre l'évolution.

Au vu de ces résultats, il pourrait être nécessaire de compléter la législation existante en s'inspirant des dispositions de la loi du 21 décembre 2001 dite « loi Bachelot-Chérioux » 49 ( * ) .

Cette loi a introduit une double innovation. D'une part, elle accorde légitimement une priorité aux personnes handicapées et à leur famille pour l'attribution des logements sociaux. D'autre part, elle permet aux organismes HLM de bénéficier d'une déductibilité de la taxe foncière pour les dépenses engagées pour l'accessibilité et l'adaptation des logements 50 ( * ) .

Cette loi offre de premières solutions, mais mériterait sans doute d'être complétée.

Ainsi, il serait possible d'étendre l'incitation fiscale à l'ensemble du parc privé : les dépenses réalisées par les bailleurs privés pour mettre en accessibilité et pour adapter les logements seraient déductibles de la taxe foncière , la perte de recettes pour les collectivités locales étant naturellement compensée par une majoration de la dotation globale de fonctionnement dans une logique de solidarité nationale. En effet, selon l'enquête de l'APF précitée, 63 % des personnes handicapées motrices sont locataires (dont 30 % d'entre elles dans le parc privé). Il importe donc de privilégier d'abord les logements locatifs et, en conséquence, d'étendre le régime accordé aux organismes HLM aux bailleurs privés.

De même, au regard notamment des premiers résultats de la loi du 21 décembre 2001 dans les HLM, il pourrait être nécessaire, le cas échéant, de renforcer la démarche incitative par des obligations plus contraignantes. La législation actuelle se contente en effet d'exiger des logements adaptables (et non adaptés) et d'inciter à l'accessibilité et à l'adaptation des logements. Dès lors, compte tenu des besoins qui seront déterminés par l'Observatoire national du logement des personnes handicapées, il pourrait être demandé aux organismes HLM de prévoir un minimum de logements aménagés et adaptés d'origine pouvant accueillir immédiatement les personnes handicapées . Ce minimum pourrait éventuellement être demandé lors de toute construction ou réhabilitation et déterminé par bassin de vie.

Améliorer les contrôles

Pour faire face à la défaillance des contrôles, il est nécessaire d'en redéfinir le champ et d'assurer leur effectivité.

S'agissant du champ des contrôles, il importe de les rendre systématiques pour l'ensemble des bâtiments visés par la législation . Cela signifie donc d'en finir avec le système aléatoire actuel, fondé sur un tirage au sort. Cela signifie également d'étendre le champ du contrôle a posteriori à l'ensemble des bâtiments avant leur ouverture au public et, en conséquence, de soumettre les bâtiments de 5 e catégorie à cette même obligation.

Mais il importe aussi de garantir la réalité de ces contrôles en dotant les commissions consultatives départementales de sécurité et d'accessibilité des moyens nécessaires pour réaliser pleinement leurs missions .

Ces commissions, chargées d'émettre un avis à l'autorité compétente, doivent participer à l'instruction préalable des demandes et, théoriquement, effectuer une visite de contrôle de conformité des bâtiments avant leur ouverture au public.

Or, à l'heure actuelle, elles n'en ont pas les moyens. Ces commissions fonctionnent en effet largement grâce aux représentants des personnes handicapées qui siègent en leur sein, mais ne peuvent assurer qu'imparfaitement la plénitude de leur mission comme l'a indiqué M. Hasni Jeridi lors de son audition :

« L'Etat a demandé à ces associations de participer à l'instruction préalable et aux visites de conformité, donc de réaliser une véritable mission de service public, ce dont elles n'ont pas les moyens. En effet, la formation de leurs membres n'est pas assurée, alors que l'Etat devrait, selon moi, prendre ces formations à sa charge, ainsi que les frais de déplacement, ce qui n'est pas rien en raison de toutes les visites de contrôle nécessaires. De ce fait, nous constatons qu'au moment des contrôles de conformité, bon nombre de ces associations fonctionnent essentiellement sur la base du bénévolat. Il serait donc très important d'aider les associations à remplir cette mission que l'Etat leur assigne ».

Il conviendrait donc d'assurer à leurs membres une meilleure formation et un défraiement minimal.

Prévoir des sanctions

En cas de constat de non-conformité aux règles d'accessibilité, des sanctions sont actuellement prévues. Il est possible aux autorités compétentes d'engager une procédure de demande de mise en conformité et, dans l'attente, d'interdire l'ouverture du bâtiment au public.

Ces sanctions sont toutefois trop rarement mises en oeuvre, en particulier du fait du constat très tardif de la non-conformité qui intervient souvent après l'ouverture au public en l'absence de contrôle.

Dans ces conditions, votre rapporteur souhaite qu'une amélioration du contrôle permette au dispositif actuel de jouer à plein.

Si tel n'était pas le cas, il n'écarterait pas deux voies plus audacieuses de renforcement des sanctions.

Une première voie concerne les bâtiments neufs et les opérations de rénovation. Il serait ici envisageable d'instituer un système de mise en demeure et d'astreintes financières, prononcées par le juge, tant que l'obligation de mise aux normes n'est pas effective après ouverture au public .

Une autre voie concerne les bâtiments anciens . Il serait envisageable, au terme d'une période de transition d'une dizaine d'années, d'instaurer un système de versement d'une cotisation à un fonds d'accessibilisation de la cité pour les bâtiments accueillant du public ne respectant pas l'obligation d'accessibilité .

Un tel fonds se substituerait à l'actuel FIAH et aurait une vocation bien plus large : contribuer au financement des travaux de mise en accessibilité des bâtiments anciens recevant du public (et non plus des seuls bâtiments de l'Etat).

Cette seconde solution n'aurait bien entendu vocation à être mise en oeuvre que si les mesures incitatives précédemment évoquées ne produisaient pas les effets escomptés. Mais il ne serait pas pour autant inutile de le prévoir dès à présent, ne serait-ce que pour afficher très clairement les objectifs des pouvoirs publics en ce domaine et pour permettre aux différents acteurs d'anticiper pleinement les conséquences d'une évolution de la législation.

* 48 Il conviendrait ainsi, comme l'a recommandé le COLIAC, de ramener l'obligation d'installer un ascenseur aux immeubles de 4 niveaux (et non plus 5), et, pour les autres, de prévoir la réserve pour une installation ultérieure éventuelle d'un ascenseur.

* 49 Loi n° 2001-1247 du 21 décembre 2001 visant à accorder une priorité dans l'attribution des logements sociaux aux personnes en situation de handicap ou aux familles ayant à leur charge une personne en situation de handicap.

* 50 Les pertes de recettes pour les collectivités locales liées à cette déductibilité sont compensées à due concurrence par une augmentation de la dotation globale de fonctionnement.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page