D. AUDITION DE M. MICHEL MERCIER, SÉNATEUR, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL DE L'ASSEMBLÉE DES DÉPARTEMENTS DE FRANCE (ADF)

M. Nicolas ABOUT, président - C'est bien entendu en tant que Président de la Commission du développement social de l'assemblée des départements de France (ADF) que nous avons souhaité vous auditionner. Nous savons tous que les départements sont aujourd'hui un acteur essentiel de la politique du handicap. Pourriez-vous nous rappeler les modalités d'intervention des départements en la matière et leur évolution ? Pourriez-vous nous faire part des propositions de l'ADF concernant la rénovation de la politique du handicap ? Pourriez-vous enfin nous préciser la place des départements dans ce processus ?

M. Michel MERCIER - Il est probablement assez difficile, pour les départements, de s'exprimer après M. le délégué chargé des handicapés, car il a pu le faire avec beaucoup de passion, beaucoup d'engagement personnel. L'exercice des compétences que la loi confie aux départements pour l'accueil des personnes handicapées est aussi une compétence qui a été, qui est, à la fois importante, prenante, et que les départements essaient d'exercer de la meilleure façon.

Il y a plusieurs façons de mesurer l'engagement des départements. L'instrument budgétaire ou financier est le premier instrument de mesure. Les budgets des départements consacrés aux personnes handicapées sont supérieurs à 20 milliards de francs. Nous avions fait un chiffrage il y a quelques années lorsqu'on parlait de partage ou de redistribution des compétences. M. Perben était alors chargé de mener ces réformes. Le but de l'opération consistait à chercher des compétences qui coûtaient à peu près le même prix pour l'Etat et les départements, pour voir ce qui pouvait être échangé. On s'est alors aperçu que les départements consacraient 20 milliards de francs à l'accueil des personnes handicapées. Les choses ont naturellement évolué assez fortement dans ce domaine-là.

Il s'agit d'une compétence que les départements n'exercent pas seuls. Ils l'ont longtemps exercée sous l'angle « tarification », puisque la charge effective de l'accueil a été confiée, pratiquement partout dans notre pays, à des associations. Il y a donc eu la nécessité de trouver les bons modes de vie en commun, d'exercice de cette compétence, entre les départements et les associations. Cela ne s'est pas d'ailleurs fait toujours très facilement. Je crois que c'est quelque chose qui a beaucoup progressé. On a aujourd'hui trouvé, sur le terrain, dans les départements, de bons modes d'action, de bons modes opératoires. La mise au point des schémas départementaux d'accueil des personnes handicapées a permis aux acteurs de mieux se connaître. Il est tout à fait normal qu'une association de parents d'enfants handicapés demande de l'aide, puis que, de l'autre côté, on réponde : « Cela coûte tant. On ne peut pas faire plus » . Les procédures des schémas ont été d'excellentes procédures. La façon dont les départements ont pu appréhender ces questions est quelque chose de nouveau et d'important.

Petit à petit, cette rencontre et le poids financier de ces opérations menées en faveur des personnes handicapées ont amené à changer l'état d'esprit des élus. Dans un département comme celui que j'ai l'honneur de présider, pendant longtemps, lorsque les communes payaient le contingent communal d'aide sociale, les maires se plaignaient que cela coûtait trop cher. Les maires me disent maintenant : « J'aimerais bien que tu installes chez moi dans ma commune un foyer d'accueil pour les personnes handicapées » .

Ce que disait tout à l'heure le délégué interministériel est tout à fait vrai : nous devons insister sur la dimension économique de la prise en charge du handicap. On peut faire revivre des cantons avec des maisons d'accueil pour les personnes handicapées. On avait des cantons qui se dépeuplaient et, pour leur redonner vie, dans un département comme le Rhône, on a créé des maisons d'accueil pour les personnes handicapées. J'ai moi-même, dans mon canton, présidé un conseil de maison pendant très longtemps. On a créé 200 emplois bien rémunérés. Il n'y a pas, du point de vue de l'acteur départemental, de remise en cause de sa compétence, au contraire. Il y a un mode d'exercice de la compétence départementale qui n'est pas seulement dans une vision sociale, mais qui est dans une vision plus globale.

On voit qu'à travers l'exercice d'une compétence sociale, on peut faire du développement global. Il faut insister sur cette dimension. Bien entendu, cela coûte assez cher (800 millions de francs dans un département comme le mien), mais on s'aperçoit que cela fait revivre : création d'emplois, maintien des personnes sur des territoires. Il faut que les collectivités locales aient une vision globale du sujet. En abordant cette question sous cet angle global, on sort le social du ghetto du social et on donne un tout autre sens à la dépense sociale, qui a été pendant trop longtemps vécue comme une dépense improductive ou obligatoire. Dès lors que l'on s'aperçoit que la dépense sociale est la meilleure dépense d'intervention économique qu'une collectivité locale puisse faire, cela change beaucoup la vision des choses.

Il est totalement faux de parler de « la » personne handicapée, parce qu'il y a divers types de handicaps. Si on n'a pas une vision personnalisée, individualisée du handicap, cela ne marche pas. Il y avait, pendant très longtemps, tellement de choses à faire qu'il fallait répondre aux plus grandes masses. Il y a toujours des personnes qui échappent aux catégories. Il faut donc aller vers des traitements plus individualisés. L'organisation de la famille a changé. Les parents peuvent avoir plus de loisirs et éprouver la nécessité, l'envie de garder chez eux leur enfant, même quand celui-ci a trente ou quarante ans. Ils ont aussi de temps en temps l'envie de souffler, de partir en vacances. Il faut que l'on ait des institutions qui puissent accueillir temporairement et que l'on traite avec beaucoup plus de souplesse toutes les questions du handicap.

Des questions n'étaient pas traitées : dans le Rhône, nous avons dû répondre au problème des traumatisés crâniens, dont s'occupent maintenant deux établissements, alors que l'on n'en parlait pas il y a quinze ou vingt ans. Le fait que ce soit une collectivité territoriale qui soit chargée de l'accueil des personnes handicapées adultes est quelque chose d'important, parce que cela permet une grande souplesse, dès lors que l'on a compris que la dépense sociale pouvait servir à beaucoup de choses et contribuer au développement. Le fait que les choses soient traitées localement dans des relations souvent franches avec les associations permet de déboucher sur des prises en charge différenciées des personnes handicapées, parce que c'est ce qui est nécessaire.

M. Paul BLANC, rapporteur - Vous avez commencé à nous indiquer les masses financières. La répartition actuelle des compétences entre l'Etat et les collectivités locales vous donne-t-elle aujourd'hui satisfaction ? Ou pensez-vous que l'on pourrait aménager ces domaines de compétences ?

M. Michel MERCIER - Il serait complètement faux de dire que c'est parfait. Le problème est qu'il n'y a pas une seule division. Il y a tout une série de divisions secondaires qui viennent largement polluer la division principale. La règle aujourd'hui est que l'Etat s'occupe des enfants et que les départements s'occupent des adultes. Par exemple, les personnes handicapées peuvent tomber malades, attraper la grippe, se casser une jambe, souffrir de diverses maladies, etc. Si c'est très grave, elles vont à l'hôpital, mais quand elles sont dans une institution prise en charge par le département, celui-ci doit payer les soins courants, ce qui n'est pas très normal. La personne handicapée a bien un droit aux soins comme tout Français. Or ce n'est pas le cas actuellement.

M. Nicolas ABOUT, président - C'est ce qu'on a fait justement pour les maisons de retraite au cours de la loi sur le droit des malades et la qualité du système de santé, dans lequel la personne âgée n'était pas prise en charge du point de vue médical de la même manière si elle était chez elle ou si elle était en maison de retraite. Le problème est exactement le même. Il est anormal qu'aujourd'hui, ce soit les conseils généraux qui paient, alors qu'il y a une assurance maladie.

M. Michel MERCIER - Ce non-respect des compétences normales fait que si les départements doivent payer des soins, alors qu'ils devraient être pris en charge autrement, ils ne peuvent contribuer à d'autres actions. Il y a alors un détournement de moyens.

Autre exemple : celui de l'intégration scolaire des personnes handicapées. La CDES, présidée par l'inspecteur d'académie, dans laquelle siègent des représentants d'associations, mais pas d'élus (bien que l'argent de leur budget soit engagé), se borne à faire des bouts de papier sans savoir quel est leur avenir, sans savoir si une école sera capable de prendre en compte sa préconisation, sans savoir où est cette école par rapport au domicile du handicapé. Le département du Rhône, grâce à la CDES, est aujourd'hui le premier client de taxis du département ! L'année dernière, nous avons en effet consacré 29 millions de francs à payer des taxis à des gamins qui d'ailleurs parfois ne le demandent pas et n'en ont pas besoin. Cette commission a une vision complètement technocratique sans voir quel est l'état réel des personnes, celles qui pourraient prendre les transports en commun normaux, les transports scolaires en présence d'accompagnateurs.

Il faudrait vraiment que chacun aille au bout de ses compétences normales. Tout changer est très coûteux. Changer les compétences implique de changer les financements. Comme l'Etat, les collectivités territoriales, la sécurité sociale n'ont pas beaucoup de marge de financement, on ne pourra pas tout bouleverser. Toutefois, beaucoup de travail pourrait être fait pour rendre plus efficaces les compétences de chacun en supprimant toutes les pollutions. Même si ce n'était pas la grande révolution, cela permettrait de donner aux personnes handicapées l'argent qui leur est destiné.

M. Paul BLANC, rapporteur - On a évoqué longuement le problème de l'insuffisance du montant de l'allocation compensatrice de tierce personne. Quelle solution vous paraîtrait la plus appropriée à ce problème ? Cette allocation devrait-elle être versée par l'Etat ?

M. Michel MERCIER - L'AAH est versée par l'Etat. On peut bien sûr discuter le montant de l'ACTP. Il faut surtout faire en sorte qu'elle corresponde à une vraie prise en charge. Je pense que pour certains, elle est parfois trop importante ; et pour d'autres, pas assez. C'est un problème de personnalisation de l'allocation. Nous n'avons pas assez personnalisé aujourd'hui cette allocation, versée de façon un peu aveugle et donc peu effective. Cela aboutit à l'indemnisation « au noir », par une personne handicapée, d'un membre de sa famille. Il faut veiller à ce que le système n'encourage pas la perte de cotisations ou de recettes dans les systèmes voisins.

Il faudrait que l'on ait un système plus fin, plus nuancé, de mesure du handicap. Aujourd'hui, on ne mesure pas assez les conséquences du handicap dans la vie quotidienne. Il faudrait aller vers une personnalisation de l'allocation qui soit fondée sur une mesure des conséquences du handicap dans les actes de la vie de tous les jours et avoir une allocation qui soit ainsi beaucoup plus différenciée.

Faudra-t-il globalement augmenter le montant des prestations ? Certainement. Le seul problème (il n'est pas très difficile d'augmenter, c'est même relativement facile), c'est de trouver le moyen de financer l'augmentation. On voit bien ce qui se passe : l'Etat baisse ses impôts dans la période actuelle de promesses. Tout le monde promet une baisse des impôts, de 33 à 10 %. Je ne vois pas alors comment on pourra augmenter des dotations si on diminue des recettes, surtout si on diminue les meilleures recettes, car il reste aux collectivités locales les plus mauvaises recettes. On va financer l'allocation pour les personnes âgées dépendantes, l'accueil des personnes handicapées, avec des impôts datant de la révolution. Ces impôts-là ne sont pas les plus productifs ni les mieux adaptés pour financer de nouvelles dépenses. Si on doit financer de nouvelles dépenses sociales (et ces dépenses qui sont un facteur vrai et très fort de développement global dans ce pays), on doit mettre en face quelques vraies recettes. Si on devait augmenter considérablement les dépenses, il faudrait rechercher de nouvelles recettes, peut-être sur un meilleur partage de la CSG entre l'Etat et les collectivités locales. On ne peut pas souhaiter augmenter l'ACTP. On peut mieux la personnaliser, la rendre plus fine et efficace. Peut-être faut-il l'augmenter, mais il faut avoir des ressources en face.

M. Paul BLANC, rapporteur - Tout le monde a souligné le manque de structures d'accueil, en particulier pour les personnes atteintes d'un handicap sévère et les polyhandicapés. Avez-vous une idée des mesures immédiates que l'on pourrait prendre et de la répartition des compétences qui s'appliquerait alors ?

M. Michel MERCIER - Il ne faut pas faire prendre aux gens des vessies pour des lanternes. Les mesures immédiates n'existent pas. Elles peuvent faire l'objet d'un discours, mais quelles que soient les mesures, les décisions que l'on prenne, il faut un certain temps pour leur donner une réalité, une effectivité. Aujourd'hui, ce qui est absolument nécessaire, c'est un très bon dialogue entre les institutions publiques, les handicapés et les associations qui s'en occupent. Les personnes handicapées et les associations qui s'occupent de leur accueil n'ont pas toujours la même vision des choses. Il faut mettre en place localement ce dialogue. Je suis plutôt favorable au maintien des compétences actuelles, mais on pourrait imaginer un autre système.

Même si c'était l'Etat, il faudrait répondre localement. On ne va pas avoir une gestion centralisée de l'accueil des personnes handicapées. Celles-ci ont le droit de vivre où elles veulent, dans telle ou telle partie du territoire, de vivre chez elles totalement, partiellement ou en institution, parce que les conditions de leur entourage familial ou humain ou leur handicap les y obligent. Il faut une grande souplesse des choses. Il n'y aura pas toujours la même solution pour la même personne handicapée pendant toute sa vie.

Par exemple, on a mis en place depuis trois ans, dans notre département, une petite mesure qui est très importante : on a accepté qu'une personne travaillant en CAT soit employée à mi-temps, c'est-à-dire que la personne handicapée soit à mi-temps en CAT et à mi-temps en foyer ou en institution d'accueil de jour. On a accepté qu'on nous facture un mi-temps. Cela nous a permis d'offrir à des personnes handicapées beaucoup plus de potentialités de travail, parce que c'était à mi-temps. Auparavant, on était soit en CAT, soit en foyer de vie. Moins on regarde ce que dit la COTOREP, mieux c'est !

M. Nicolas ABOUT, président - Loin de faire les 35 heures, on nous fait souvent remarquer que les CAT en font 39, pendant que le personnel est, lui, mis aux 35 heures. Il y a là aussi un paradoxe.

M. Michel MERCIER - Je crois donc qu'il faut une grande souplesse, un dialogue. La procédure des schémas revus périodiquement est une bonne procédure.

On doit sortir de l'idée que tous les établissements d'accueil sont les mêmes : chaque établissement a sa spécificité par type de handicap. Il faut qu'on ait, dans chaque département ou sur une aire territoriale un peu plus vaste pour certains types de handicap, des réponses locales.

Il faut aussi bien faire reconnaître le droit à l'expérimentation. Celui-ci a pour première conséquence de remettre en cause les compétences. Dès lors que vous sortez des règles, vous expérimentez et vous ne savez pas qui va payer. Mais il faut véritablement que ce droit à l'expérimentation soit reconnu par la loi et qu'il repose sur un accord entre les divers financeurs qui en tireront ensuite les conséquences, au bout de quatre à cinq ans, et diront « cela relève du financement de l'Etat, du département ou de l'assurance maladie » . J'ai le souvenir d'institutions créées sur la base d'expérimentations et qui ont apporté de vraies réponses. On a notamment fait cela pour l'autisme et cela s'est plutôt bien passé.

Si on devait donner une mesure immédiate, ce serait d'encourager le droit d'expérimenter localement.

M. Paul BLANC, rapporteur - Le problème des auxiliaires de vie a été évoqué plusieurs fois. Les auxiliaires de vie sont normalement payées par l'Etat. Tout le monde se plaint de l'insuffisance de leur rémunération et dit qu'il vaudrait mieux que ce soit de la compétence des départements à cause de la proximité, mais se pose le problème du financement. Quelle est votre vision sur ce sujet ?

M. Michel MERCIER - Je ne sais pas si c'est à cause de la proximité, c'est plutôt à cause de la disette. Dans le département qui est le mien, quand nous avons créé les auxiliaires de vie, c'était moitié financement de l'Etat, moitié financement du département. Puis, au fil du temps, on est passé maintenant à 78 % pour le département et 22 % pour l'Etat. On a encore plus besoin des auxiliaires de vie pour les personnes âgées dépendantes. On peut se dire que la dépendance et le handicap sont des choses différentes, il n'empêche que quelques actes sont les mêmes. La différence n'existe pas vraiment. Ce qu'il faut vraiment pour les auxiliaires de vie, c'est avoir des allocations qui permettent de les payer. Il y a l'APA pour les personnes âgées. L'ACTP doit nous permettre de faire correctement les choses.

Le problème rencontré est d'abord d'avoir des auxiliaires de vie et de les former. Quand on connaît le numerus clausus qui existe au niveau de tous les travailleurs sociaux dans ce pays, tous les discours que l'on peut faire tombent par terre. Plusieurs centaines de postes ne sont pas pourvus actuellement dans tous les départements. Cela fait des milliers nationalement, parce que les travailleurs sociaux ne sont pas formés. La première chose à faire est de demander à l'Etat d'ouvrir les écoles de formation et les emplois. Ensuite, il faut aménager des carrières pour les candidats. La rémunération des auxiliaires de vie est peu attrayante, alors que c'est un métier difficile. Il faut ensuite distinguer, lors du paiement, la part qui rémunère l'auxiliaire de vie et la part qui va dans la structure de l'association qui emploie les auxiliaires de vie. Il y a souvent deux conventions collectives, une qui n'est pas mauvaise pour la structure et une qui est bien moins bonne pour les travailleurs à domicile. Il faut regarder de près cette dichotomie pour faire du travail près des personnes handicapées ou âgées un vrai métier, une vraie carrière attractive. Tous nos problèmes de maintien à domicile, des personnes handicapées ou des personnes âgées, butent sur l'absence de candidats. L'APA marche très bien. 16.500 dossiers ont été retirés dans mon département. On a déjà accordé 5.000 allocations. Les infirmières, ayant rempli leurs quotas, devraient reverser de l'argent à la CRAM si elles intervenaient en tant qu'auxiliaires de vie. La loi doit organiser les métiers d'aide à domicile. Tous les discours seront vains en l'absence d'aidants. La loi de 1975 revue doit comprendre un chapitre, à côté de l'expérimentation, sur le développement de l'aide à domicile.

M. Paul BLANC, rapporteur - Les collèges sont de la compétence des départements. Connaissez-vous, au niveau de l'ensemble des départements, les moyens financiers et les actions engagées pour favoriser l'intégration des jeunes handicapés dans les collèges ?

M. Michel MERCIER - Deux types d'actions ont été entrepris.

Tout d'abord, au niveau de l'équipement des locaux (largeur des portes, ascenseurs nécessaires) pour rendre accessibles les collèges. Il en existe plusieurs dans chaque département qui sont complètement accessibles, d'autres moyennement accessibles. Il y a maintenant entre les départements et l'Education nationale la détermination d'aires territoriales dans lesquelles il doit y avoir des collèges accessibles. Tout cela fonctionne plutôt bien.

Ensuite, se posent les problèmes de l'accueil, de l'accompagnement des personnes à l'intérieur des collèges par des auxiliaires. Quelques expériences intéressantes permettent à l'association d'accueil de continuer à travailler à l'intérieur du collège : une ou deux personnes sont placées dans le collège par convention avec le département. C'est donc le département dans ce cas qui prend en charge cet accompagnement, alors que c'est une période, dans la vie du handicapé, où il relève de la scolarité.

Mme Annick BOCANDÉ - J'ai un regard un peu plus critique sur la répartition des compétences. Il faut savoir qu'en dehors des enfants, qui relèvent clairement de la compétence de l'Etat, à partir du moment où le jeune est adulte (la limite doit-elle être fixée à 16 ou 18 ans ?), les ateliers protégés et les centres d'aide par le travail relèvent de la compétence de l'Etat ; les foyers de vie, foyers occupationnels et foyers d'hébergement relèvent de la compétence des conseils généraux et que les maisons d'accueil spécialisées relèvent logiquement de la compétence des organismes de sécurité sociale. Tout cela montre qu'à l'intérieur de toutes ces différentes compétences, il est quand même bien difficile d'arrêter exactement les limites et que tout cela peut se faire au détriment de l'intérêt des personnes handicapées.

Les associations, qui sont les grands acteurs de la défense du handicap sur le terrain, ont des difficultés et viennent alors voir plutôt les conseils généraux qu'elles connaissent. C'est moins compliqué d'aller négocier avec les représentants des conseils généraux qu'avec éventuellement les représentants de l'Etat au travers de la DDASS ou des DRASS, ou des organismes de sécurité sociale.

On sait très bien que les conséquences sur nos départements sont éminemment financières. Aujourd'hui les départements, en particulier ceux qui se sont lancés très rapidement sur le sujet, s'essoufflent, au détriment des handicapés et de leurs familles, puisque nous n'arrivons plus à créer de nouveaux établissements, de nouvelles prestations ou de nouvelles actions en faveur de ces personnes handicapées.

L'ADF, consciente de ces problèmes et représentative de l'ensemble des départements, a-t-elle lancé une étude pour évaluer, qualitativement et quantitativement, les limites de ses compétences et les conséquences financières des transferts de ses compétences ?

M. Alain VASSELLE - Je tiens à relever dans vos propos que le discours est généreux, que les propos sont pragmatiques sur la politique à mener en faveur des personnes handicapées, mais je n'ai pas le sentiment de vivre, sur le terrain, les propos que vous tenez en tant que représentant de l'ADF. J'aimerais bien qu'il y ait un début d'harmonisation, au niveau national, de l'action des conseils généraux en faveur des handicapés parce que, suivant le département où l'on se trouve, on note malheureusement des différences de traitement ou de moyens mis à la disposition des associations et des établissements, qui varient sensiblement.

Ne faudrait-il pas inverser la vapeur au plan national ? Car, aujourd'hui, on constate que souvent l'Etat ouvre des droits nouveaux, décide d'actions nouvelles, mais se garde bien d'en assurer le financement et transfère celui-ci aux collectivités territoriales. N'est-ce pas un niveau de solidarité nationale (c'est-à-dire un financement national) qui devrait jouer dans le domaine des handicapés, comme je pense qu'il devrait en être ainsi en ce qui concerne les secours ou la sécurité des personnes et des biens ? Certes les collectivités territoriales sont des acteurs sur le terrain compte tenu de la proximité, et on sait qu'elles sont de meilleurs gestionnaires que ne l'est l'Etat au niveau national (la preuve en a été faite lorsque le transfert de compétences d'aide sociale s'est effectué avec les lois de décentralisation), mais n'y a-t-il pas là une véritable révolution culturelle à mener chez les élus politiques dans ce domaine ?

Arriver à changer les habitudes et les comportements suppose un comportement responsable au plan local des conseils généraux dans un cadre préalablement défini, ce que les conseils généraux n'aiment pas trop d'ailleurs (je l'ai vécu lorsqu'il y avait la prestation spécifique dépendance, où une majorité de gauche actuelle dénonçait le fait qu'il n'y avait pas une équité de traitement des personnes âgées entre elles). Le risque serait qu'on se trouve dans la même situation en ce qui concerne les handicapés. Quelle est la réflexion de l'ADF à ce niveau ? Peut-on espérer des évolutions qui aillent dans ce sens ? On pourrait éviter des effets pervers du type de certains qui ont une approche financière et comptable. Il vaut mieux, en définitive, qu'un handicapé reste à la charge de sa famille. Cela coûtera moins cher à la collectivité territoriale que de lui trouver une place dans un établissement (700 francs par jour).

On a un autre problème dans mon département : certaines familles handicapées gardent le bénéfice de l'allocation logement. Des conseillers généraux étaient d'accord pour construire un foyer occupationnel, en confiant à un organisme social le soin de construire le bâtiment. Les différences sensibles pour les familles des personnes handicapées, c'est que lorsqu'elles touchaient l'allocation logement, elles l'utilisaient également pour faire face à des besoins tout à fait autres, alors qu'avec l'APL, elles n'ont plus rien du tout et se retrouvent dans une situation particulièrement difficile. Il faudrait que des évolutions permettent d'aller effectivement vers la souplesse.

La personne handicapée et sa famille sont aujourd'hui prisonnières du système. Un enfant ou un adulte handicapé est obligé de rester un nombre de jours minimum dans un établissement pour permettre à cet établissement de garder une enveloppe financière venant du conseil général qui lui permette de tourner et de ne pas être en déséquilibre. J'ai aujourd'hui des exemples de familles qui viennent me voir en me disant : « Je ne peux pas prendre mon enfant ou mon jeune adulte handicapé chez moi pour des périodes de vacances ou de détente suffisamment longues, parce que dans ce cas, l'établissement nous dit qu'il part trop longtemps et que cela lui fera un manque à gagner » . Donc il n'y a pas la souplesse que vous évoquiez tout à l'heure. L'enfant handicapé est prisonnier d'un système. Ce n'est ni admissible, ni compréhensible et il faut le dénoncer. Il s'agit peut-être de comportements inadmissibles de la part de certains conseils généraux. Je ne dis pas que c'est le cas du Rhône, puisque le Rhône semble exemplaire en la matière, mais il y a peut-être une réflexion à mener sur toutes ces questions au niveau de l'ADF.

M. Michel MERCIER - Cette dernière position est complètement idiote : si l'établissement est déficitaire, la réglementation actuelle oblige le département à reprendre le déficit l'année suivante.

S'il y a un travail à effectuer, il est en revanche tout à fait fondé de dire que tous les départements ne font pas la même chose et n'ont pas la même ouverture sur la prise en charge des personnes handicapées. Il faut expliquer à tous qu'on peut faire aujourd'hui, avec l'accueil des personnes handicapées, comme avec l'accueil des personnes âgées, une politique départementale d'aménagement du territoire et de développement économique. Les retombées économiques sont évidentes. Il faut que l'on insiste sur cette affaire, qu'on arrête de faire des discours sur l'obligation de solidarité. Il faut bien sûr accueillir, mais il faut aussi dire que cela a une retombée économique. Les départements auront alors une tout autre vision des choses.

Même quand c'est l'Etat, tout le monde n'est pas traité de la même façon. Il suffit de regarder le nombre de CAT par département et par nombre de handicapés. On verra qu'il y a de très fortes inégalités. L'égalité n'existe qu'à un moment, dans notre pays, c'est quand on est au cimetière ! C'est le seul endroit où tout le monde est égal, couché, avec un certain nombre de mètres de terre au-dessus. Autrement, une égalité stricte n'existe pas.

Il faut aussi simplifier les règles administratives, pour que l'on n'ait pas des réponses comme celle qu'a eue notre collègue Vasselle : « Vous êtes obligés de rester, sinon on est en déficit » . C'est là qu'il faut mettre de la souplesse et ne pas payer à la journée, mais aller vers des prises en charge globales.

L'existence de plusieurs compétences est une très bonne chose : c'est, dans le domaine social, un vrai problème s'il n'y a qu'un seul interlocuteur. Il n'y a alors pas assez d'espace d'autonomie et de liberté pour ceux qui sont demandeurs. Mais, quand vous avez plus d'un interlocuteur possible, vous créez un espace de plus grande liberté. Cette liberté est souvent le soutien de la dignité des gens. C'est plutôt bien, quand on est une association qui s'occupe de personnes handicapées, de pouvoir tirer plusieurs ficelles, parce que c'est plus efficace. Le seul vrai problème qui se pose, ce n'est pas celui de la compétence, mais c'est celui du financement de la compétence.

Il faut, pour les collectivités locales, un impôt plus moderne, productif, par exemple un point de CSG. Cela permettra aux départements de faire de la péréquation, de mettre davantage d'égalité et de financer des compétences, car dire qu'on va augmenter l'ACTP avec une taxe d'habitation dont on nous promet la diminution, avec une taxe professionnelle en voie de disparition, aboutit à l'impasse : des impôts en voie de disparition sont remplacés par des dotations de l'Etat, qui augmentent de 0,1 % par an, comme la formation brute de capital fixe des administrations françaises, ce qui est complètement inadapté au financement de nos compétences. Nos compétences locales ne sont pas à remettre en jeu, mais leur financement est à revoir.

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