III. 3. ANALYSE THÉORIQUE ET EMPIRIQUE DE L'INVESTISSEMENT PRODUCTIF
Dans les modèles théoriques usuels d'inspiration néoclassique, les déterminants de l'investissement sont la demande et le coût d'usage du capital, qui dépend lui-même du taux d'intérêt et des prix relatifs. Toutefois, comme dans d'autres pays, les modèles macroéconomiques ne parviennent pas à montrer un effet spécifique du coût d'usage du capital (Cuthbertson et Gasparro, 1995), probablement en raison de problèmes de mesures.
A. L'APPROCHE PAR LE Q DE TOBIN
Une
autre approche des déterminants de l'investissement concerne la
théorie du q de Tobin (voir chapitre 3). Le Q de Tobin est mesuré
par le rapport de la valorisation boursière de l'entreprise au stock de
capital. Si ce ratio est supérieur à 1, le marché valorise
l'investissement futur au-dessus de son coût ce qui favorise
l'investissement. Au Royaume-Uni, ce ratio est monté fortement
après la fin de la récession du début des années
80, dépassant 1 vers la fin de la décennie. Or ce niveau
n'était pas soutenable longtemps et est redescendu lors de la
récession du début des années 90. On retrouve
l'idée que les marchés ont surestimé à cette
époque les résultats des entreprises britanniques et le niveau de
la demande, d'où un surajustement plus violent par la suite qui est
à l'origine de la faiblesse de l'investissement du début des
années 90.
Ce phénomène s'est reproduit après cette nouvelle crise,
le ratio Q dépassant le niveau de 1 dans la deuxième
moitié des années 90, suivant en cela les Etats-Unis.
L'augmentation de l'investissement sur cette période est essentiellement
due aux biens d'équipement, et en particulier au développement
des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Cette
croissance s'est accompagnée de la création d'une bulle
financière, qui a commencé à éclater au printemps
2000, et explique le niveau élevé antérieurement atteint
par le Q de Tobin. La chute boursière intervenue depuis a permis de
revenir vers des niveaux plus raisonnables et soutenables, entraînant par
ailleurs une chute de l'investissement et un ralentissement de
l'économie, toutefois plus marqué aux Etats-Unis qu'au
Royaume-Uni.
D'un point de vue empirique, il apparaît que le Q de Tobin ne donne pas
une explication satisfaisante de l'évolution de l'investissement au
Royaume-Uni, aussi bien avec des données macroéconomiques que sur
données de panel (Schaller, 1990). Par ailleurs, l'utilisation du Q de
Tobin pose des problèmes de prévision dans la mesure où il
est difficile de prévoir l'évolution des marchés
financiers. Il est intéressant de noter que l'introduction du Q de
Tobin, qui est une mesure de la profitabilité, dans un modèle
d'investissement néoclassique (Cuthbertson et Gasparro, 1995) apporte un
pouvoir significatif à la détermination de l'investissement.
Depuis quelques années, une autre approche, reposant sur les conditions
financières des entreprises, s'est développée. Bernanke,
Gertler et Gilchrist (1999) ont développé un modèle
« d'accélérateur financier » qui montre que
la santé financière des entreprises joue un rôle important
dans la détermination de l'investissement, en particulier en situation
d'information imparfaite sur le risque financier des entreprises. Quand les
entreprises sont fortement dépendantes du financement externe, le
coût de financement est plus élevé, ce qui décourage
l'investissement. Cet effet financier s'ajoute aux effets habituels, ce qui
amplifie et prolonge généralement l'impact des chocs sur
l'économie. Or, l'application de ce modèle au Royaume-Uni semble
montrer que les effets financiers expliquerait en partie la faiblesse de
l'investissement au début des années 1990, alors qu'ils
n'auraient pas joué de rôle au début des années 80,
la situation financière des entreprises étant à
l'époque plus saine (Hall, 2001).
Comme nous l'avons déjà remarqué, la santé
financière des entreprises n'ayant pas été la même
au cours de ces deux périodes, l'effet sur l'investissement a
également été différent, même si l'analyse
empirique n'arrive pas à mettre en évidence le rôle du
financement par emprunt dans l'évolution de l'investissement. En fait,
les travaux empiriques au Royaume-Uni montrent que le lien entre les variables
financières et l'investissement est plus fort pour les firmes qui ont
une fragilité financière, en période de récession
et de politique monétaire restrictive (Guariglia, 1999). En ajoutant
dans un modèle néoclassique standard des variables
financières compatibles avec les approches de
l'accélérateur financier et du canal du crédit, Ashworth
et Davis (2001) montrent que la composition du financement externe des
entreprises a un effet significatif au Royaume-Uni. A long terme, le niveau de
l'investissement diminue quand le ratio dette sur actions augmente. On retrouve
le même genre de spécification pour la France et l'Allemagne.
L'effet du ratio dette sur action sur l'investissement implique qu'une baisse
du prix des actions associée à une accumulation de la dette peut
conduire à une baisse de l'investissement plus forte que celle
prévue par les modèles traditionnels, basés sur les
variables de production et de stock de capital.
L'ensemble de ces observations souligne l'importance, plus cruciale ces
dernières années que dans les années 1980, des contraintes
de solvabilité et des contraintes de structure de bilan. Un endettement
trop élevé au regard des fonds propres, une profitabilité
trop faible, sont de facteurs limitatifs de l'investissement.