D. L'ÉQUATION IMPOSSIBLE DE LA « LOI PAUL »

L'application des dispositions de la loi de finances pour 2001 montre que, en souhaitant « moraliser » la défiscalisation (plafonnement du montant « défiscalisable » à 50 % de l'impôt dû, taux de rétrocession minimale à l'opérateur local), le législateur a en réalité déséquilibré le marché de la défiscalisation, au détriment des opérateurs locaux, qui ne peuvent plus financer certains projets, des monteurs qui gagnent beaucoup moins d'argent et de ceux des investisseurs dont les revenus sont les « moins » élevés.

1. L'éviction des « petits » projets

En fixant le taux de rétrocession aux opérateurs locaux à 60 % pour les montages « impôt sur le revenu » et à 75 % pour les montages « impôt sur les sociétés », le législateur s'est inspiré des taux constatés auparavant dans les dossiers soumis à l'agrément, c'est-à-dire les projets dont le montant est le plus élevé, et n'a pas tenu compte des mises en garde formulées par votre commission des finances. Dans le tome II du rapport général sur le projet de loi de finances pour 2001, notre rapporteur général soulignait que « la fixation de taux de rétrocession risque ainsi de se traduire par une triple éviction :

« - de certains investisseurs, qui préféreront d'autres dispositifs de réduction d'impôt désormais plus avantageux ;

« - des monteurs les moins performants ;

« - surtout des petits projets et des projets les plus risqués » .

Près de deux ans après l'entrée en vigueur de ces dispositions, le constat des interlocuteurs de votre rapporteur est unanime : compte tenu du niveau des frais de gestion et de la nécessité de bien rémunérer les investisseurs, il n'est aujourd'hui plus possible pour les monteurs de gagner de l'argent avec des « petits » projets ou, comme le souligne pudiquement le ministère de l'économie et des finances dans une réponse écrite à une question de votre rapporteur, « il n'est pas niable qu'en raison de frais fixes non négligeables, l'exigence légale [de rétrocession] est sans doute beaucoup plus facile à respecter pour les gros projets que pour les petits ».

Cette situation a plusieurs conséquences :

- les cabinets d'ingénierie financière spécialisés dans le financement de « petits » projets périclitent . Certains, ceux qui n'avaient pas suffisamment effectué de provisions, ont cessé leur activité. D'autres continuent à exister tant que leurs provisions ne sont pas épuisées, et, parfois, se reconvertissent dans le financement du logement outre-mer, pour lequel, lorsqu'il est réalisé dans le cadre du dispositif relatif à l'impôt sur le revenu, il n'existe ni agrément ni taux de rétrocession minimale ;

- les cabinets qui peuvent se le permettre évitent de financer les « petits » projets ou les projets dans les zones « à risques » qui nécessitent des provisions importantes (plusieurs interlocuteurs de votre rapporteur ont fait part de leurs réticences à s'engager dans la réalisation d'investissements en Guyane par exemple) ;

- les petites entreprises ultramarines, dont les investissements ne peuvent plus être financées par la défiscalisation, se tournent vers les crédits bailleurs ou les montages de location financière , et supportent des taux de l'ordre de 15 %, qui représentent une charge financière dont il n'est pas certain que ces entreprises seront en mesure d'assumer encore longtemps la charge.

Pour les « gros » projets, l'introduction dans la loi de taux de rétrocession n'a pas eu de conséquences aussi graves. Cependant, la concurrence entre cabinets a provoqué une augmentation des taux de rétrocession offerts aux entreprises locales qui, si elles permet de diminuer le coût des investissements pour les opérateurs ultramarins, ne permet plus aux monteurs de couvrir les frais consacrés aux projets qui n'aboutissent pas et de constituer des provisions pour faire face à d'éventuels sinistres, mettant ainsi en péril la sécurité du placement pour les investisseurs.

L'éviction des « petits » projets revient de fait à exclure du bénéfice de la défiscalisation « externalisée » les investissements de la grande majorité des entreprises. Le tableau ci-dessous retrace la répartition par nombre de salariés des 137.880 entreprises de Guadeloupe, Guyane, la réunion, Mayotte et de Nouvelle-Calédonie :

2. Une démocratisation à l'envers

En remplaçant, pour les contribuables de l'impôt sur le revenu, le système de la déduction du revenu imposable par un système de réduction d'impôt, les dispositions de la loi de finances pour 2001 avaient pour objectif de déconnecter le montant de l'avantage fiscal de la tranche d'imposition dans laquelle se situaient les revenus de l'investisseur, afin d'inciter les contribuables à revenu moyen à orienter leur épargne vers le financement des investissements outre-mer.

Par ailleurs, ces dispositions tendaient à éviter que la défiscalisation soit un moyen trop puissant d'évasion fiscale en plafonnant le montant de l'avantage fiscal à la moitié de l'impôt dû au titre d'un exercice.

En pratique, compte tenu du jeu du plafonnement à 50 % de l'avantage fiscal, les dispositions de la loi de finances pour 2001 n'ont pas permis de « démocratiser » la défiscalisation, mais au contraire, pour les « gros » projets, l'ont rendue plus élitiste qu'auparavant en raison de la combinaison de deux facteurs :

- les règles relatives à l'appel public à l'épargne obligent les SNC ayant vocation à financer des investissements outre-mer à comprendre moins de cent associés ;

- pourtant, pour financer un même investissement, un nombre plus élevé d'investisseurs est désormais nécessaire puisque, dans le système antérieur, le montant de l'impôt qui pouvait être « effacé » n'était pas plafonné.

Etant donné que, pour un même investissement, le nombre d'investisseur n'est pas extensible du raison des règles relatives à l'appel public à l'épargne et que, d'autre part, les sommes pouvant être investies par ces contribuables sont réduites pratiquement de moitié, le financement de l'investissement ne peut être bouclé qu'en faisant appel à des contribuables dont le montant des cotisations d'impôt sur le revenu est plus élevé qu'auparavant . En outre, pour les opérations les plus importantes, l'interdiction de commercialiser publiquement les placements défiscalisés rend plus délicate l'élaboration du tour de table.

Exemple : le financement d'un hôtel de 15 millions d'euros

Pour financer un hôtel de 15 millions d'euros, il faut trouver des contribuables qui peuvent défiscaliser 15 millions d'euros, donc dont le montant des cotisations d`impôt sur le revenu s'élève à 30 millions d'euros (puisque l'avantage fiscal est plafonné à 50 % de l'impôt dû).

Comme le nombre d'associés au sein d'une SNC est plafonné à 100, il faut trouver au minimum 100 contribuables dont la cotisation d'impôt sur le revenu est d'au moins 300.000 euros et qui sont près à défiscaliser jusqu'au plafond. Par conséquent, il faut trouver 100 contribuables dont le revenu imposable, en supposant qu'ils soient mariés avec enfant, est de l'ordre de 760.000 euros.

Dans le système antérieur, l'un des interlocuteurs de votre rapporteur lui a indiqué que le même hôtel pouvait être financé avec 100 contribuables dont le revenu moyen imposable s'élevait à 230.000 euros.

Par conséquent, si le financement des petits projets se heurte principalement aujourd'hui aux conséquences du seuil de rétrocession de 60 %, le financement des « gros » projets est pour sa part surtout pénalisé par le plafonnement de l'avantage fiscal à 50 % de l'impôt dû.

Même limité aux « gros » projets hôteliers, il n'en reste pas moins que l'élitisme de la « loi Paul » pénalise les investissements dans l'un des secteurs d'activité les plus essentiels au développement de l'outre-mer.

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