Ressources fiscales et gestion locale
1) Dans quelle mesure l'importance des recettes fiscales dans les recettes
totales a-t-elle un impact sur la manière dont une collectivité
est gérée ?
En tant qu'agence de notation, Standard & Poor's analyse la capacité
d'une collectivité à rembourser sa dette en temps et en heure.
Parmi les critères de notation -qui ne sont pas uniquement financiers
mais également économiques et réglementaires- les marges
de manoeuvre occupent une part importante de l'analyse.
Il nous importe de mesurer la flexibilité dont dispose la
collectivité pour faire face à ses engagements. Par
conséquent, les recettes fiscales constituent un paramètre
important mais qui ne peut toutefois être apprécié de
manière isolée.
Dès lors qu'une collectivité dispose d'une part de ressources
propres importante et sur laquelle elle peut agir, elle est en meilleure
position pour :
Réagir à son l'évolution de son environnement, par exemple
pour augmenter ses recettes en cas de besoin (mauvaise conjoncture
économique ou départ d'un contribuable important).
Adapter ses structures en fonction des choix d'investissement, d'intervention
qu'elle a pu prendre
• Pour investir au développement du tissu local
Elle est davantage responsabilisée dans sa gestion.
Une part significative de recettes fiscales offre donc une plus grande
résistance aux changements de cycle. Afin de juger des marges de
manoeuvre réelles d'une collectivité, il est important de
procéder à une analyse fine de la composition de ses ressources,
de leur assiette dès lors qu'il s'agit de recettes fiscales et enfin, de
la possibilité réelle par rapport à sa capacité
théorique d'avoir recours au levier fiscal.
L'appréciation que l'on peut porter sur cet aspect dépend
également de la richesse fiscale de la collectivité. Si celle-ci
dispose d'une base fiscale riche, diversifiée et dynamique, elle a
intérêt à avoir une part importante de ressources propres,
à l'inverse d'une collectivité moins aisée.
De plus, l'importance de la base fiscale a également une influence sur
les priorités et les choix d'intervention de la collectivité.
Dès lors que la collectivité est davantage susceptible de
bénéficier d'un retour sur investissement en matière de
taxe professionnelle ou de fiscalité indirecte par exemple, cet
élément peut avoir une influence sur la manière dont elle
est gérée. Elle est donc davantage responsable de ses
équilibres financiers.
Tableau 1 : Part des recettes fiscales (4 taxes) dans
les
recettes de fonctionnement (%)
2) Y
a-t-il de ce point de vue une différence entre des dotations de l'Etat
et des ressources fiscales dont les collectivités locales ne peuvent pas
agir sur le taux ?
Il existe certes une différence de nature entre ces deux types de
ressources se traduisant par, à priori une moindre flexibilité
des dotations de l'État par rapport aux ressources fiscales.
Tableau 2 : produit des 4 taxes et part
supportée par
l'Etat
Si les
ressources fiscales de la collectivité sont composées de recettes
redistribuées (un impôt d'Etat, comme la TVA par exemple,
redistribué aux collectivités en fonction de certains
paramètres) sur laquelle la collectivité n'a aucune
liberté d'agir, la nature de ces recettes n'est pas fondamentalement
différente de dotations d'Etat étant donné qu'elles
n'offrent pas de possibilité pour la collectivité de les
influencer.
Il existe toutefois une différence importante qui porte sur le fait que
les recettes fiscales redistribuées sont plus directement
exposées au cycle économique, ce qui est positif en
période de croissance économique mais offre moins de
visibilité en cas de retournement de la conjoncture. Elles peuvent donc
s'avérer plus volatiles. En période de ralentissement
économique, les dotations de l'État, dès lors qu'elles
obéissent à un système d'indexation bien défini,
peuvent offrir une certaine stabilité aux collectivités à
moyen terme. Elles peuvent alors permettre à la collectivité
d'ajuster le niveau de ses dépenses à l'évolution
prévisible de ces recettes, notamment fiscales affectées par ce
nouvel environnement.
3) Quelles sont les situations constatées dans les pays dans lesquels
les collectivités locales ont peu de marge de manoeuvre sur les taux de
leurs impôts ?
Il existe deux catégories de pays ayant peu de marges de manoeuvre sur
les taux de leurs impôts :
Les pays très centralisés comme le Portugal et le Royaume uni qui
n'ont pas à proprement parler de fiscalité ni même
d'autonomie de gestion, l'ensemble de leurs décisions d'investissement
et leur financement étant en fait autorisé par l'Etat.
Les Etats fédéraux avec forte péréquation, comme
l'Allemagne et dans une moindre mesure l'Autriche, qui ont un pouvoir fiscal
réduit mais une totale autonomie de gestion.
L'Allemagne demeure le pays européen où les collectivités
ont la plus faible proportion de recettes modulables. Le ralentissement
économique et les décisions prises au niveau du gouvernement
fédéral de modifier les taux et les règles fiscales ont eu
un impact immédiat sur les performances financières des Landers
et des municipalités, qui n'ont été qu'en partie
atténués par la péréquation horizontale et
verticale, qui constitue l'épine dorsale du système allemand.
Avec une proportion de recettes fiscales sur recettes de fonctionnement
très réduite (de l'ordre de 10% en moyenne) et une très
faible capacité à modifier les taux, les performances
budgétaires (marge brute, capacité d'autofinancement) des
collectivités locales allemandes se sont donc significativement
dégradées.
Tableau 3 : comparaisons européennes part des ressources modulables
Ce cas
illustre bien l'importance pour une collectivité de disposer d'une part
importante de ressources modulables pour lui permettre de s'adapter en cas
d'évolution défavorable de la conjoncture. La dépendance
à l'égard de ressources telles que les dotations ne permet pas
d'ajuster rapidement.
4) Dans la France d'aujourd'hui, les citoyens ressentent-ils le lien entre
le niveau de la pression fiscale locale et le service rendu par les
collectivités locales ?
Il s'agit d'une mesure très difficile et qui est certainement en partie
liée à l'absence de spécialisation fiscale en France,
hormis, les impôts municipaux ou strictement dédiés
à une compétence spécifique comme les transports publics
avec le versement transport. Il semble que la situation soit relativement
similaire en Europe, étant donné qu'une part importante des
impôts est soit redistribuée soit non-affectée.
La perception est plus directe dès lors qu'il s'agit du tarif des
services publics (crèches, cantines etc.)
Il faut également noter que les collectivités locales
françaises ont un poids relativement plus faible dans le PIB national et
qu'elles ne perçoivent et ne votent pas les grands impôts comme
l'IRPP comme c'est le cas dans le nombreux pays (Suisse, Scandinavie ou
Espagne), impôts qui traditionnellement sont plus directement
perceptibles.
5) Le vote du taux vous semble-t-il un acte de nature surtout politique ou
technique ? Faut-il arriver à une plus grande responsabilité
politique en matière de vote des taux ?
Les discussions sur l'opportunité d'une modulation des taux de
fiscalité découlent directement de l'analyse budgétaire et
donc technique, de la situation financière de la collectivité. Le
vote des taux a toujours été une décision politique est,
son importance s'est accrue. Cette tendance est beaucoup plus marquée
depuis le début des années 1990, l'empilement des taux et
l'augmentation du poids consolidé de la fiscalité locale dans le
budget des ménages y a contribué pour une part importante.
Dès lors, il serait imprudent de considérer le plafond
légal d'augmentation des taux comme un plafond, la capacité
réelle à augmenter la pression fiscale, en cas de
nécessité étant en pratique bien plus faible.
Toutefois, cette marge de manoeuvre existe en France (même si elle a
été réduite ces dernières années) et
constitue un avantage considérable par rapport à d'autres
collectivités européennes qui, en cas de choc
sévère, n'ont d'autre choix extrême que de réduire
les services offerts à la population. Par ailleurs, cela permet
d'anticiper des évolutions défavorables (exemple APA) et d'y
faire face avant de dégrader de manière significative le profil
financier de la collectivité.
6) L'importance du point de vue de la gestion d'une part importante de
ressources fiscales dans les ressources totales est-elle la même pour
toutes les tailles de collectivités ou pour toutes les catégories
de collectivités ?
L'importance des ressources fiscales dans l'ensemble des ressources de
collectivité n'a pas en soit dépendant de la taille de la
collectivité et de son budget.
La taille est toutefois un paramètre important dès lors qu'il
existe un risque de concentration fiscale. Ainsi une petite ville peut
être beaucoup plus dépendante à l'égard d'un
contribuable ou d'un secteur d'activité qu'une région par exemple
qui aura plus facilement la capacité d'absorber un choc externe en
raison d'une base fiscale plus large et diversifiée. La
législation française offre toutefois, par rapport à
d'autres pays, des amortisseurs importants pour faire face à ce type
d'aléas.
La nature de ses interventions (fonctionnement ou investissement) peut en
revanche jouer un rôle plus important. Plus la part des dépenses
de fonctionnement est importante, plus les marges de manoeuvre de la
collectivité ont tendance à être restreinte et plus il est
important pour la collectivité de disposer de recettes qu'elle peut
moduler.
Ainsi en Italie par exemple, les régions sont essentiellement
compétentes en matière de santé (80% de leurs
dépenses). Or pendant de nombreuses années, les ressources
redistribuées par l'Etat ont été insuffisantes, se
traduisant par des déficits de fonctionnement importants. Le fait pour
les collectivités françaises et notamment les régions de
disposer, comparativement aux autres régions européennes d'une
part plus importante de dépenses d'investissement offrent une marge de
manoeuvre supplémentaire pour faire face à des chocs externes, en
leur permettant de lisser leurs interventions dans le temps et de ne pas
utiliser uniquement le levier fiscal.
Utilisation actuelle des marges de manoeuvre fiscale
7) Comment les exécutifs locaux utilisent-ils leurs marges de
manoeuvre en matière de vote des taux ?
Ils les utilisent avec de plus en plus de vigilance et en vue de
répondre à leurs besoins de financement futurs liés
à des programmes d'investissements, au dérapage des
dépenses de fonctionnement ou pour faire face à une baisse des
bases par exemple. Ceci répond également à une prise de
conscience depuis le milieu des années 1990 que la fiscalité ne
constitue pas une manne infinie et qu'il faut donc en faire usage avec prudence.
8) Comment utilisent-ils leur marge de manoeuvre en matière
d'abattements et d'exonérations ?
Ils l'utilisent de manière assez large, généralement dans
les limites de la législation. Il est rare que les politiques reviennent
sur ces « acquis » ou alors uniquement dans des cas
extrêmes tel qu'Avignon par exemple lorsque la Ville était sous
tutelle de la CRC.
9) Les comportements sont-ils les mêmes selon les catégories de
collectivités et, au sein de chaque catégorie, selon la
taille ?
Nous n'avons pas remarqué de typologie particulière.
10) Les obstacles à une plus grande utilisation des marges de
manoeuvre sont-ils plutôt d'ordre législatif ou
réglementaire (lien entre les taux, etc.), psychologique
(dépendance à l'égard des services fiscaux et du
trésor qui calculent les taux en fonction du produit demandé),
institutionnel (empilement des taux des impôts directs qui dilue l'effet
des politiques autonomes) ou autres ?
Les obstacles à l'utilisation de ces marges sont essentiellement
politiques et économiques.
Si certains aspects techniques peuvent avoir un impact limitatif, dans la
pratique c'est essentiellement le paramètre politique qui joue. En
effet, l'empilement des taux nuit à la lisibilité de l'action de
chacune des collectivités, ce qui peut limiter la portée d'une
décision de réduction ou de modération des taux par
exemple si les autres collectivités ont une politique différente.
Le tissu économique et la concurrence fiscale sont également des
obstacles à l'utilisation du levier fiscal. La collectivité peut
être limitée dans son pouvoir de décision par ces deux
éléments. Enfin, dernier aspect, l'existence d'un niveau
déjà élevé de fiscalité est également
un obstacle, cette décision pouvant se traduire par une fuite de
contribuables.
11) Constate-t-on une corrélation entre le niveau des taux d'une
collectivité et l'importance relative de ses bases ?
En France, cette corrélation est très forte au niveau de la taxe
professionnelle : plus les bases sont importantes moins les taux sont
élevés. C'est également le cas dans les pays scandinaves
ou en Suisse, ces collectivités collectant une partie de l'impôt
sur le revenu. C'est beaucoup moins le cas dans d'autres pays européens
où la péréquation joue un rôle beaucoup plus
important (Belgique, Espagne, Allemagne) et où l'autonomie fiscale est
également beaucoup plus récente (Italie, Espagne).
Le graphique ci-dessous (apparu dans l'article « La qualité de
crédit des régions françaises dans un contexte
européen » disponible sur
www.standardandpoors.fr
)
compare pour l'ensemble des régions françaises la pression
fiscale moyenne en 2000 avec le potentiel fiscal par habitant. On observe un
coefficient de corrélation de -0.7 ce qui est élevé.
L'assiette et le produit des impôts locaux
12) Quelle appréciation portez-vous sur les évolutions en
matière de fiscalité locale depuis cinq ans ?
L'évolution de la fiscalité locale française ces
dernières années a été marquée par une
réduction de l'autonomie fiscale des collectivités et le
remplacement d'une partie de la ressource fiscale, corrélée
à l'économie, par des dotations de l'Etat.
Tableau 4 : Comparaison européenne - part des
impôts locaux dans le PIB
La
situation en Europe est assez contrastée. Le pouvoir fiscal réel
a longtemps été assez limité, s'agissant souvent de
fiscalité redistribuée de l'État central vers les
collectivités en fonction de paramètres définis et revus
périodiquement. Toutefois des réformes récentes en
Belgique, Espagne et dans une moindre mesure en Italie, ont modifié
cette situation et augmenté le pouvoir fiscal de ces
collectivités.
En période de croissance économique, l'effet de ces
réformes fiscales sur les finances des collectivités
françaises a été peu visible, le manque à gagner
ayant été compensé par une croissance dynamique des
recettes de la fiscalité indirecte notamment. Par ailleurs, le
remplacement d'une ressource plus cyclique par des dotations de
l'Etat, dont l'indexation est préétablie à l'avance, offre
une certaine visibilité et peut avoir un effet d'amortisseur en cas de
retournement durable de la conjoncture. Toutefois ces diverses réformes
se sont traduites dans l'ensemble par une rigidité accrue des budgets
des collectivités locales françaises dont la part des ressources
modulables s'est réduite, la tendance est identique pour tous les
niveaux et plus marquée pour les régions. Sur le long terme, il
pénalise les collectivités locales disposant d'une
économie dynamique, mais protège les collectivités dont la
base économique est plus faible.
13) Pensez-vous qu'une augmentation de la part des recettes fiscales dans
les recettes totales des collectivités soit souhaitable ? Soit
possible? Selon quelles modalités ?
En tant qu'agence de notation, Standard & Poor's analyse l'ensemble des
éléments influençant la structure financière de la
collectivité. Il est difficile de se prononcer à priori sur un
élément pris de manière isolée.
Les collectivités locales françaises ont perdu une part
importante de leurs marges de manoeuvre avec les récentes
réformes fiscales, réduisant leur capacité future à
faire face à une détérioration de la conjoncture. Des
efforts pour restaurer ces marges de manoeuvre sont donc
bénéfiques.
Toutefois, si le fait de disposer d'une autonomie de décision sur ses
recettes est un élément important, il faut également tenir
compte des éléments suivants pour les apprécier :
- l'adéquation des recettes et des dépenses, et notamment
couverture par des recettes pérennes de transferts de compétences.
- la nature de ces recettes (base taxable) et leur diversité, afin
d'apprécier leur volatilité et le lien avec le tissu
économique
- l'existence de mécanismes de péréquation
atténuant les écarts de richesse