COMPTE RENDU DE L'AUDITION PUBLIQUE DU JEUDI 10 AVRIL 2003

La séance est ouverte à 9 h 25 sous la présidence de Monsieur Claude BIRRAUX, Député de Haute-Savoie, Président de l'Office Parlementaire d'Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques.

M. Claude BIRRAUX, député de Haute-Savoie, Président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques - Mesdames, Messieurs, Bonjour. Merci tout d'abord d'avoir répondu à l'invitation de l'Office Parlementaire pour cette audition.

Dans sa réunion du 16 janvier dernier, le Bureau de l'Assemblée nationale, sur proposition de son Président, décidait de saisir l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques du projet de Charte d'environnement susceptible d'être adossé à la Constitution.

La lettre de saisine indiquait que « la contribution de l'Office pourrait prendre la forme d'auditions, notamment du Professeur Yves Coppens, Président de la Commission de préparation de la Charte, ce qui aurait le mérite d'assurer un échange fructueux entre les parlementaires, les scientifiques et les experts, sans empiéter sur les compétences des commissions permanentes saisies du projet une fois celui-ci déposé ».

C'est dans ce cadre que l'Office a été conduit à organiser cette matinée d'auditions. Avant de vous exposer le déroulement de notre matinée, je voudrais revenir quelques instants sur le contexte particulier dans lequel se déroulent aujourd'hui nos travaux.

L'Office a été saisi à un moment où les travaux de la Commission de préparation de la Charte étaient largement engagés, et à quelques mois du dépôt du projet de loi constitutionnel, prévu début juin. Dans ces conditions et conformément d'ailleurs à la lettre de saisine, il n'a pas cru devoir engager une étude comme il le fait habituellement.

Aucun rapporteur n'a été désigné et l'Office, dans sa réunion du 21 janvier, a décidé de confier à son président et à son premier vice-président, mon collègue sénateur Henri REVOL, le soin d'organiser ces auditions.

Dans cette organisation, nous avons été tenus par une double contrainte :

La première a été de tenir compte des travaux déjà entrepris par ailleurs sur le sujet : la consultation nationale et les assises régionales de la Commission Coppens, qui vient de remettre sa copie, d'une part, et l'apport du Conseil économique et social à ce débat, d'autre part. L'assemblée du Palais d'Iéna vient, je le rappelle, d'adopter l'avis présenté par Monsieur Claude MARTINAND sur l'environnement et le développement durable.

Notre seconde contrainte était de ne pas venir en concurrence avec les commissions permanentes de l'Assemblée nationale et du Sénat qui vont être saisies du projet. Elles ne manqueront pas, dans l'une ou l'autre de nos assemblées de procéder, elles aussi, à des consultations.

Ces contraintes expliquent à la fois le choix du moment que nous avons retenu pour procéder à ces auditions - ni trop tôt, mais pas trop tard - et la difficulté qu'il y avait à établir une liste d'auditions. Beaucoup de personnalités, d'institutions et d'associations ont déjà été entendues, notamment le 13 mars dernier lors du colloque qui s'est tenu au ministère de l'écologie et du développement durable. Les mêmes ou d'autres le seront sans doute encore, demain, à l'occasion de l'examen du projet de loi constitutionnel par le Parlement.

Néanmoins, il nous est apparu que le choix des thèmes que nous allons aborder dans cette audition était particulièrement ciblé et important.

Cette audition du Parlement-Assemblée nationale et Sénat réunis au sein de l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques - est en effet la seule qui permette, avant que les commissions permanentes compétentes ne soient saisies, une confrontation entre scientifiques, industriels et parlementaires sur les éventuelles conséquences des choix effectués pour cette charte de l'environnement.

Cela correspond bien aux missions de l'office et j'espère que nos débats contribueront à une meilleure approche des choix, de leur formulation et de leurs conséquences. Je remercie le Président et le Bureau de l'Assemblée nationale de nous avoir donné cette opportunité.

Je vais dans un instant donner la parole à Monsieur Yves Coppens. Il nous parlera des travaux de la Commission de préparation de la Charte de l'environnement qu'il a présidée. J'inviterai ensuite Monsieur Robert Klapisch, membre de cette Commission et président de son comité scientifique, à nous exposer les aspects scientifiques de cette charte.

Après ces deux exposés, nous ouvrirons une première série d'auditions au cours de laquelle trois groupes industriels se situeront vis-à-vis de cette Charte et des principes qui lui sont associés.

L'INRA et l'INSERM nous aideront ensuite à réfléchir à la place de l'homme face à ces questions.

Enfin, la dernière série d'auditions, au cours de laquelle nous entendrons un membre de l'Académie des technologies, un représentant du CNRS et deux représentants d'associations de journalistes nous permettra de porter le projecteur sur l'angle scientifique.

A l'issue de chaque série d'auditions, mes collègues parlementaires puis les personnes invitées à assister à ces auditions, et que je remercie de leur présence, pourront poser des questions.

Pour permettre de terminer nos travaux dans les temps et de laisser place au débat à l'issue de chaque série d'auditions, j'invite les intervenants à la précision et à la concision, en leur demandant de limiter leur exposé à dix minutes.

Je souhaite que cette matinée d'auditions, qui fera l'objet d'un compte rendu publié dans la collection des rapports de l'Office, contribue, même dans ce contexte particulier, à éclairer les choix du Parlement, répondant en cela à la mission qui nous a été confiée par la loi.

Professeur COPPENS, vous avez la parole.

EXPOSES INTRODUCTIFS

M. Yves COPPENS, Président de la commission de préparation de la Charte de l'environnement - Merci Monsieur le Président !

D'abord je remercie l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, l'OPECST, de nous recevoir aujourd'hui et je vous salue Monsieur le Président, Monsieur BIRRAUX.

Depuis deux ans déjà, le Président de la République a fait savoir son intérêt pour l'environnement, son inquiétude du développement de cet environnement et du manque de soin peut-être que l'humanité y accordait.

A la suite de cela il a souhaité que se mette en place une commission auprès de Madame BACHELOT, ministre de l'écologie et du développement durable, ayant pour mission la préparation de la Charte de l'Environnement.

J'ai été pressenti à ce moment-là.

Je me présente, je ne suis pas du tout expert en environnement. Je peux à la limite être considéré comme expert en paléo-environnement, en environnement lié au développement de l'homme. Et, en ce sens, j'ai quelque idée de l'évolution des milieux, de l'évolution des climats et de l'importance considérable de ces milieux et de ces climats sur le développement de l'homme et même sur son apparition.

Madame BACHELOT d'abord et Monsieur le Président de la République ensuite, m'ont demandé de prendre la présidence de cette commission.

Cette commission a été constituée après ma nomination à sa Présidence. J'ai souhaité qu'elle ne soit pas trop importante pour pouvoir y travailler.

Madame BACHELOT souhaitait à juste raison qu'elle soit équilibrée et qu'elle soit le reflet d'un certain nombre d'orientations, de courants de pensées de la société française.

Cette commission a donc été constituée, président compris, de dix-huit membres. Nous avons admis des suppléants. Au total environ vingt-cinq personnes ont travaillé depuis le mois de juin 2002, soit dix mois pleins.

Rien n'existait. Il fallait donc aussi établir l'ordre de fonctionnement de cette commission.

J'ai souhaité que les membres de cette commission ne se perdent pas de vue trop longtemps, donc qu'ils tiennent au moins une réunion mensuelle et que, vers la remise des travaux, à partir du mois de février, ces réunions se multiplient. Nous en avons eu deux en février, quatre en mars et une en avril.

Il était tout à fait clair qu'une réunion mensuelle ne suffisait pas. Imaginez dix-huit personnes, quelles que soient leurs compétences, dix-huit experts qui viendraient se rencontrer une fois par mois pour parler d'environnement, ce n'est pas ce qui permet de faire un véritable travail et de mettre sur pied un dossier sérieux.

La commission a proposé la création de comités lesquels ont été très vite constitués, en fait dès septembre 2002. Ces comités ont été essentiellement :

- un comité juridique présidé par le Professeur Yves JEGOUZO, ancien Président de l'Université de Paris I ;

- un comité scientifique présidé par Robert KLAPISCH, du CERN et de l'Association française pour l'avancement des sciences.

D'autres comités, plus éphémères, ont été constitués :

- un comité de réflexion un peu plus philosophique, un peu plus éthique ;

- un comité d'évaluation des problèmes environnementaux qui a surtout réfléchi sur les procédures et sur les instances susceptibles d'évaluer les problèmes une fois cette Charte instituée ;

- un comité de consultation assez particulier, c'est-à-dire de consultation de la société française qui dès le départ , à partir de petits groupes pris parmi la société, a essayé de comprendre quels étaient les courants de pensées, la maturité de la pensée citoyenne française sur l'environnement. Il y a eu des histoires très intéressantes d'ailleurs, des petits échantillons qui ont été finalement extrêmement révélateurs.

C'était le travail des experts. Puis ces comités ont travaillé entre les réunions de la commission et sont toujours revenus vers elle pour rendre compte des travaux réalisés. La commission a été véritablement centralisatrice et a reçu toute l'information de tous les travaux de tous ces comités.

Puisque cette Charte était d'abord nationale, il nous importait naturellement de consulter le plus grand nombre de Français possible. Cette consultation s'est faite de différentes manières.

Dès le mois d'octobre, nous avons préparé un questionnaire de quatre pages que nous avons adressé :

- à un certain nombre de personnalités ;

- à un certain nombre d'associations ;

- et à un certain nombre de Français qui en faisaient la demande.

Nous avons créé un site Internet avec un forum associé à ce site et nous avons surtout mis sur pied une consultation nationale qui a consisté en quatorze réunions, quatorze assises, dix en France métropolitaine et quatre dans les départements d'outre-mer.

Cette consultation nationale a reçu entre cinq cents et huit cents personnes représentant parfois un certain nombre d'associations lors de ces réunions.

La première assise a eu lieu à Nantes à la fin du mois de janvier, la dernière métropolitaine a eu lieu à Cergy-Pontoise le 25 février. La dernière en date, celle de la Guyane, s'est tenue la semaine dernière à Cayenne.

Evidemment, nous ne sommes pas parvenus à atteindre tout le monde, mais au fil de cette consultation nationale, de ce site Internet, de ce questionnaire, nous avons certainement joint plusieurs dizaines de milliers de personnes et, au travers des personnes rencontrées, sûrement plusieurs millions.

C'est une tentative démocratique qui n'est pas parfaite, mais qui a voulu en tout cas avoir le plus de retours possible, le plus d'opinions, le plus d'avis, le plus d'humeurs aussi possible à propos des trois points qui nous importent : l'environnement, le développement et la société.

Je suis bien placé pour savoir et comprendre que l'homme est dans une parfaite continuité avec l'histoire naturelle, avec l'histoire de la vie et donc que le développement de l'homme fait aussi partie de cette histoire de la vie. Il n'y a pas du tout de rupture, mais une belle continuité.

J'ai beaucoup apprécié - et c'est aussi une des raisons de mon acceptation de cette présidence - l'angle humaniste du Président de la République lorsqu'il a parlé d'un nouveau regard écologique, donc d'une écologie humaniste. C'est tout à fait l'angle que je me serais permis de prendre moi-même si j'en avais eu l'initiative.

Tout ceci a conduit à beaucoup d'informations, beaucoup de retours et cela s'est clos d'une certaine façon par un colloque dont vous parlera Robert KLAPISCH, colloque réunissant surtout les juristes et les scientifiques, mais réunissant aussi toute une panoplie de personnalités représentatives de différentes instances et de différentes associations, qui a aussi apporté ses contributions.

On m'a demandé de conduire une enquête, une réflexion. La réflexion s'est faite à dix-huit, a grandi à vingt-cinq et s'est nourrie du plus grand nombre d'informations possible venant du plus grand nombre de citoyens et d'instances possibles.

Le travail s'est donc conduit sur onze mois et a abouti à un rapport et à une proposition - ma commission ne fait que des propositions - de Charte constitutionnelle.

Comme je vous l'ai dit et comme vous l'a également dit le Président de cette séance, le Président de la République avait insisté sur le fait que cette Charte soit adossée à la Constitution.

Il l'a marqué à plusieurs reprises, à Johannesburg, durant la vie de ma commission, puis plus récemment à Nantes, lors de l'ouverture des premières assises régionales. Le discours de Monsieur RAFFARIN l'a confirmé lors des dernières assises territoriales métropolitaines.

Ces plus hautes personnalités ont marqué leur intérêt bien soutenu de constitutionnaliser au moins une partie de cette information sur l'environnement, donc de changer de normes dans la législation concernant l'environnement, encore une fois dans une perspective de développement durable et de rapports harmonieux avec la société.

C'est donc avec cette idée que nous avons travaillé.

Vers le mois de septembre, octobre j'ai tenu dans l'ordre des choses à parler d'abord du contenant, à voir comment nous pouvions envisager un contour de cette Charte. Nous avancions alors à petit pas, ne sachant pas trop comment procéder.

Ce contenant a notamment été proposé par le comité juridique qui a parlé de trois possibilités : une vraie Charte constitutionnelle, une loi organique et une simple explication des motifs.

En fait, nous avons travaillé sur les trois possibilités.

Nous avons rencontré le Président de la République au mois de janvier en espérant qu'il allait nous orienter sur l'une des trois options en nous facilitant le travail. Pas du tout, il nous a dit de travailler sur l'ensemble, ce que nous avons continué à faire, mais comme la volonté politique marquée était celle d'une Charte constitutionnelle, c'est surtout dans ce sens que nous avons travaillé.

Nous avons remis à Madame BACHELOT, ministre de l'écologie et du développement durable, mardi dernier, un épais rapport accompagné d'une proposition de Charte constitutionnelle avec l'explication de chacun des quatorze articles et d'une variante.

Sachez que sur quatorze articles, douze ont obtenu l'unanimité de la commission. Il n'y a donc pas du tout d'alternative - les derniers travaux datent de mardi dernier - pour douze des quatorze articles.

Il y a deux courants qui se sont manifestés et qui ne se sont pas entendus pour un seul avis. Il y a donc une alternative pour deux variantes pour deux des articles sur quatorze.

Je le dis parce que j'ai été le premier surpris des échos de la presse sur nos travaux.

Je vous ai dit que j'ai conduit - c'était mon travail, je n'étais que le chauffeur - cette commission régulièrement depuis juin dernier et je l'ai conduite chaque fois, chaque mois. Je n'ai cédé la présidence que pour une heure à Robert KLAPISCH, il y a quelques semaines, mais j'ai toujours été présent, je n'ai jamais quitté mon fauteuil de président.

J'ai donc été étonné de voir que la presse parlait de sang sur les murs et de grands conflits au sein de ma commission. Je n'ai jamais vu de conflit et j'ai d'ailleurs été très impressionné par la présence, la participation et le sérieux de tous les membres de cette commission.

Il est certain que l'environnement constitue aujourd'hui un problème important. La responsabilité dans l'entretien de cet environnement est perçue par chacun et cette réflexion me permet de rebondir sur la société française.

Je suis vraiment très frappé de voir qu'au fil de ces quatorze assises qui se sont merveilleusement passées - je m'attendais à quelques remous, pas du tout - il y a eu vraiment une maturité dans la perception de l'importance de ce problème et un sérieux qui a été pris par tous au point que cela a été véritablement positif.

Je ne vais pas en faire une jolie histoire toute rose, c'est certainement plus compliqué, mais en tout cas sachez que j'ai été le plus heureux des présidents et d'abord parce qu'on m'a laissé travailler. La presse nationale ne s'est pas du tout préoccupée de nos travaux pendant dix mois, merci ! Cela nous a permis de travailler tranquillement.

A chacune des assises, la presse régionale a donné des échos extrêmement positifs de nos réunions et maintenant nous arrivons au point de remise de cette Charte, face à vous Monsieur le Président, face aux grandes instances nationales.

Nous en sommes heureux et fiers. J'espère que notre travail sera apprécié et qu'il sera évidemment traité à votre manière parce qu'encore une fois, je n'avais pour mission que d'offrir des propositions ce qui est fait.

Merci beaucoup !

M. LE PRESIDENT - Merci Monsieur le Président !

Si vous nous avez expliqué toute la méthodologie, vous ne nous avez pas parlé beaucoup du contenu de vos propositions. Or, si nous voulons débattre, il faudra bien que nous finissions par poser les questions de fond qui se sont présentées.

Parmi les membres de votre commission figuraient deux parlementaires dont notre collègue ici présente que je tiens à saluer et à remercier, Madame Geneviève PERRIN-GAILLARD. J'en profite également pour saluer Pierre COHEN qui est à côté d'elle.

Monsieur KLAPISCH, vous allez nous parler de ce qui a attiré l'attention des scientifiques ou de ce qui a provoqué des discussions entre les légistes et les scientifiques.

M. Robert KLAPISCH, membre de la commission de préparation de la Charte de l'environnement - En effet, merci Monsieur le Président !

Madame, Messieurs les Députés, Mesdames et Messieurs,

Je vais effectivement essayer de vous indiquer la manière dont a travaillé le comité scientifique.

D'abord qui était-il ?

La Commission Coppens comprenait dix-huit membres et, au mois de septembre, après m'avoir demandé de présider ce comité, elle a désigné cinq personnes en son sein et nous nous sommes aperçus assez vite que nous avions besoin de coopter des personnes en raison de leurs compétences.

Je voudrais dire aussi que par suite d'un accord entre les deux ministres, nous avons été aidés dans cette tâche par un membre du Cabinet de Madame HAIGNERE, Monsieur BACHELIER, que je voudrais remercier pour ses conseils.

Au total, en plus des membres de la Commission Coppens qui sont :

- Monsieur BRODHAG, sociologue ;

- Monsieur LEFEUVRE, professeur d'écologie. N'oublions pas qu'avant d'être un mouvement et presque une idéologie, l'écologie est d'abord une science dont Monsieur LEFEUVRE est un représentant particulièrement distingué ;

- Monsieur PILET, vétérinaire, ancien Président de l'Académie nationale de Médecine et membre de l'Académie des Sciences ;

- Monsieur Bernard ROUSSEAU, directeur de recherche au CNRS et qui intervenait en tant que Président de France Nature Environnement, la plus importante Fédération de mouvements écologistes en France.

Nous avons décidé d'élargir nos compétences en cooptant des membres complémentaires:

- Monsieur Jean-François GIRARD, Président de l'IRD ;

- Monsieur Olivier GODARD, économiste, directeur de recherche au CNRS et qui pratique à l'Ecole Polytechnique ;

- Monsieur Bernard HUBERT, agronome, directeur de recherche à l'INRA ;

- Monsieur LANDAIS, directeur scientifique de l'ANDRA, également géologue ;

- Monsieur Ghislain de MARCILLY, professeur à Paris VI et à l'Ecole des Mines, qui est hydrologue.

Comment avons-nous procédé ?

Comme vous l'a dit M. COPPENS, nous avons travaillé dans deux directions qui, finalement, étaient très complémentaires.

Nous avons voulu procéder - et j'y reviendrai - à une large consultation de la communauté scientifique et, en parallèle, nous avons entrepris un travail commun qui s'est avéré très fécond avec notre comité juridique.

Je vais d'abord faire un bref commentaire sur ce point pour vous expliquer au fond ce que nous avons découvert.

Les scientifiques d'une part et les juristes d'autre part sont des gens précis excepté que la précision ne porte pas forcément sur les mêmes termes et les mêmes approches.

Par exemple, vous lisez dans la loi Barnier qu'il y a le principe de précaution et qu'en l'absence de certitudes scientifiques, il faut prendre des mesures.

Les juristes nous ont demandé qui déterminait l'état des connaissances scientifiques.

Pour un scientifique cela paraît tout à fait évident, mais quand nous y réfléchissons bien, les approches des deux disciplines sont fondamentalement différentes.

En effet, en matière juridique, vous avez un jugement qui est rendu une fois et ensuite, un juge peut en prendre argument pour en tirer une jurisprudence.

En matière scientifique c'est le contraire. Vous avez une publication quelque part, cela ne signifie rien. Tant qu'elle n'a pas été corroborée par un jugement par les pairs pour publication, par des expertises contradictoires et autres, une opinion est une opinion.

Vous voyez qu'il y a une différence tout à fait fondamentale. Nous avons donc été amenés à éclaircir les conditions dans lesquelles, au sein de la communauté scientifique, se fait ou non un consensus qui est un processus dynamique et évolutif et les conséquences qu'il y a lieu éventuellement d'en tirer sur les procédures de consultation et d'établissement de ce qu'est l'état des connaissances scientifiques.

Je reviens maintenant à la question de la consultation.

Comme vous l'a dit Monsieur COPPENS, nous avons travaillé dans l'esprit de ne pas avoir au sein de cette commission uniquement des spécialistes de l'écologie et du développement durable, mais une sorte de coupe de toutes les composantes de la société française. En tout cas, nous l'espérons et je crois que cela a été réel.

De la même façon j'ai suggéré à mes collègues que nous procédions par étape, c'est-à-dire en commençant par déterminer au sein de notre commission les thèmes principaux sur lesquels nous devions consulter.

En parallèle avec le questionnaire qui a concerné tous les grands acteurs scientifiques et industriels nationaux, nous avons voulu interroger un certain nombre de personnalités et leur demander d'écrire une page ou deux sur un certain nombre de thèmes.

Ces retours ont été extrêmement satisfaisants. Ils ont montré à la fois l'intérêt et les limites de l'exercice. Il est certain que nous serons inévitablement critiqués pour avoir choisi un tel ou un tel. Parfois nous avons demandé à des personnes qui n'ont pas répondu. C'était donc nécessairement limité.

D'où l'idée qui est apparue dès le départ, d'organiser un colloque et qui, à l'origine, devait être un colloque scientifique. Il était proposé par deux associations : celle que je préside, c'est-à-dire l'Association française pour l'avancement des sciences et le Mouvement universel de responsabilité scientifique présidé maintenant par Gérard MÉGIE.

Cette idée a fait son chemin au sein de la commission et un colloque a eu lieu le 13 mars dernier. Nous avions lancé 2 500 invitations entre les ministères concernés et nos deux associations et 400 personnes ont effectivement assisté toute la journée à ce colloque.

Les actes du colloque seront publiés et accessibles sur Internet.

Nous avions trouvé quatre thèmes, quatre familles de préoccupations sur lesquels nous avions demandé à nos interlocuteurs de réfléchir.

D'abord tout ce qui concerne le risque et son appréciation, c'est-à-dire la distinction maintenant classique entre les risques avérés et les risques hypothétiques, la précaution et la prévention.

Ceci amène à discuter du rôle de l'expertise. Tout le monde dit qu'elle doit être indépendante, mais si vous voulez des gens compétents, ils appartiendront forcément à une structure, à un organisme de recherche ou à une société. D'où l'idée que pour concilier indépendance et compétence il faut la transparence et, là, il y a des précédents.

Et puis il y a le rôle de la recherche. Si nous disons qu'en cas d'incertitude, il faut prendre des précautions - comme je suis sûr que nous allons en discuter aujourd'hui - il faut avoir une recherche pour livrer ces incertitudes. Si vous interdisez la recherche, vous resterez toujours dans l'incertitude et vous imaginez les différents courants qu'il peut y avoir au-delà !

La loi Barnier parle de proportionnalité. Evaluer les risques veut dire avoir une certaine idée du risque d'agir et de celui de ne pas agir comme l'a dit Monsieur KOURILSKY dans le rapport qu'il a remis avec Madame VINEY.

Une contribution originale est venue d'un membre du comité scientifique, de Monsieur Olivier GODARD, qui a fait remarquer que pour éviter les risques, il fallait aussi ne pas se priver de certains instruments économiques, les incitations telles les incitations à caractère fiscal ou les permis d'émissions par exemple.

Ce sont des outils qui, dans l'Europe du Nord - en Scandinavie et dans les pays anglo-saxons -, sont utilisés avec succès et que nous ne pouvons pas utiliser en France pour des raisons constitutionnelles, à savoir l'égalité devant l'impôt, la non-vénalité et la non-transmissibilité des autorisations administratives. Un permis de négocier est une autorisation administrative.

C'est là que nous avons pensé que nous pouvions avoir une contribution réelle et concrète à l'occasion d'un changement constitutionnel, c'est-à-dire pouvoir avoir ces instruments.

C'était le premier thème.

Le deuxième thème c'est de savoir quel est le rôle de la recherche.

Finalement quand nous réfléchissons bien, même à travers les contributions des scientifiques, nous pouvons distinguer trois courants.

Le premier, qui est le plus prudent, celui des naturalistes, est qu'il faut observer la nature.

Le deuxième dit qu'il faut expliquer, faire appel à des théories.

Il y a une certaine opposition que j'appellerai bénigne ou corporatiste entre les naturalistes qui observent et qui se plaignent de ce que les gens qui déduisent, font de la physique, de l'analyse du génome ou encore ceux qui font des modèles, ont davantage de moyens, de crédits.

En fait il faut les deux. D'une part pour observer de nos jours, nous ne nous servons plus uniquement de nos yeux, de notre nez et de nos oreilles, mais également d'instruments extrêmement sophistiqués, que ce soit des spectromètres de masse ou des satellites d'observation. La science d'observation a besoin de la science instrumentale. Il faut cependant aller plus loin.

En effet un certain nombre de phénomènes qui nous préoccupent tels par exemple les phénomènes à l'échelle planétaire - la couche d'ozone, le changement climatique - ne sont pas accessibles dans le court terme à nos organes des sens. Le CO ² ne sent rien.

Le changement de température, lui, est tellement global qu'il faudra attendre trente ans et peut-être des catastrophes pour que nous nous en apercevions.

S'il n'y avait pas des gens qui ont une pensée théorique, une capacité de modéliser, il n'y aurait pas ce sujet qui nous préoccupe tous maintenant, à savoir le réchauffement global.

Vous avez donc le rôle de la science et de la théorie, les deux étant complémentaires car il est clair qu'il faut aussi des observations.

Le troisième courant que j'appelle la remédiation consistant à savoir si nous pouvons trouver des remèdes à l'action de l'homme, pose un problème.

Il y a un certain nombre de personnes, aussi bien au sein de notre comité qu'au sein de la communauté scientifique, qui disent qu'il faut faire attention, qu'il ne faut pas faire n'importe quoi. Tout le monde est bien d'accord à ce sujet. Ces personnes estiment qu'il ne faut pas faire ce que certains appellent l'ingénierie environnementale.

C'est contestable. Je pense qu'il y a une certaine méfiance dans certaines parties de notre pays envers la recherche, l'innovation technologique. Les gens pensent peut-être que les choses vont trop vite. Mais ceci pose cependant un véritable problème pour des technologies nouvelles. Nous pouvons bien sûr citer les OGM, l'influence des ondes électromagnétiques, les téléphones portables.

Le troisième thème porte sur les ressources naturelles : allons-nous vers une disparition des biens ? Aurons-nous assez d'eau, assez de minéraux ? Sans oublier un thème qui a fait beaucoup parler et qui tient beaucoup à coeur à certains - et j'ai beaucoup appris en ce domaine en écoutant -, celui de la biodiversité.

Nous sommes tous sensibles au fait que certains animaux disparaissent, mais la biodiversité est beaucoup plus que cela. Nous ne savons pas très bien s'il y a dix ou trente millions d'espèces, non pas uniquement les grands animaux que nous voyons, mais aussi les petites bêtes, les microbes, etc.

Les écologistes nous disent que tout est dans tout - et je crois que c'est probablement vrai - et que si nous voulons des sols productifs, il faut aussi avoir des micro-organismes à l'intérieur.

Vous voyez donc que cette biodiversité est apparue comme un thème fort pour lequel je pense que certaines affirmations ne sont pas prouvées, c'est-à-dire le rythme auquel nous détruisons, semble-t-il, les espèces. C'est, en tout cas, une préoccupation forte qui a trouvé un écho dans nos débats.

Le quatrième thème sur lequel nous avons débattu et qui a aussi trouvé son écho au colloque, est la nécessité de l'enseignement.

Je suis de ceux qui pensent que si les technologies peuvent faire beaucoup en changeant les modes de production, en les rendant plus économes et moins polluants, il est certain que vous devez aussi avoir un changement des comportements.

Prenons l'exemple de l'automobile. Je sais qu'il y a un représentant de l'automobile ici. Les ingénieurs ont fait d'énormes efforts pour construire des voitures qui consomment moins de carburant. Il est triste de dire que depuis quelques années, nous voyons dans notre pays, comme ailleurs, des gens décider à ce moment-là de prendre des voitures plus grosses tels des 4x4. Or si ces voitures ont tout à fait leur place en Afrique du Sud, nous nous demandons ce qu'elles font dans les rues de Paris.

Il y a donc une nécessité que les gens soient informés des conséquences de leurs choix.

Je rappelle ce qu'Yves COPPENS vous a dit. Cette Charte n'est pas seulement une Charte de droits, c'est aussi une Charte de devoirs, or pour pouvoir exercer ses devoirs, il faut être informé.

Nous avons eu ce colloque et j'ai voulu avoir des gens qui aient des points de vue extrêmement différents.

Par exemple Pierre-Gilles de GENNES que nous avons consulté, dit qu'il ne faut pas se contenter d'une éducation à la nature et à l'environnement, mais qu'il faut une éducation à la science. Il faut savoir ce que sont les ordres de grandeur, ce qu'est un risque.

Il a dénoncé, de façon très éloquente, un certain nombre d'erreurs. Il dit que nous pensons tous que le verre est quelque chose de sain, d'écologique, etc., mais en fait lorsque vous fabriquez du verre, si vous ne prenez pas de précautions, vous faites aussi beaucoup d'oxyde d'azote parce que vous chauffez de l'air. Il semble que justement dans ce cas, il y a une technologie qui est en train d'être mise au point avec une grande société française, que tout le monde connaît, qui permettra d'épurer l'air, de garder l'azote et d'enrichir en oxygène. Voilà un exemple où nous pouvons intervenir, remédier à certaines des conséquences néfastes des technologies, mais la question des choix humains reste.

La question de l'enseignement est importante. Certains ont défendu - et je cite encore Pierre-Gilles de GENNES - l'idée de la laïcité en matière environnementale, c'est-à-dire ne pas tomber dans le culte de la nature ; le respect et le culte ne sont pas tout à fait la même chose.

Monsieur LEFEUVRE a également beaucoup insisté sur cette approche systémique, certains disent holistiques ce qui revient au même. Il faut, aussi bien pour la recherche que pour l'enseignement, une approche pluridisciplinaire en matière d'écologie, ce avec quoi nous sommes tous d'accord.

Nous avions tenu à avoir quelqu'un qui représente les média qui sont une source d'informations et d'éducation qui est la seule à toucher tout le monde, le grand public.

Madame Dominique LEGLU, qui a été pendant longtemps responsable de la rubrique science d'un grand quotidien parisien, nous a expliqué quelles étaient les contraintes, le fait de cette contrainte du métier qui consiste à être dans l'actualité. Si vous sortez quelque chose d'intéressant, qui n'est pas dans l'actualité, ce n'est pas une question de compétence du journaliste, mais le fait que son rédacteur en chef décidera que ce n'est pas important.

Je pense que je ne peux aller plus loin puisque nous avons une nécessité de réserve avant le Conseil des Ministres du 15 avril, mais je crois vous avoir donné une idée de la très grande richesse de nos discussions et du fait qu'elles iront à mon avis plus loin que simplement un texte. Ce n'est en effet pas un texte qui va changer les choses, mais bien le comportement des gens et l'action politique du Gouvernement et du Parlement.

Je vous remercie.

M. LE PRESIDENT - Merci Monsieur KLAPISCH d'avoir donné un certain nombre d'orientations.

Nous sommes dans une situation un peu surréaliste dans la mesure où c'est comme l'Arlésienne, nous parlons beaucoup de cette Charte et de ses principes, mais nous ne les voyons pas, nous ne pouvons pas tout à fait les dévoiler.

Nous allons donner la parole aux intervenants de la première table ronde.

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