B. UNE CONCURRENCE FISCALE ?

Les variations concernant les taux apparents d'imposition ne confirment pas totalement l'existence d'un processus de concurrence fiscale que les analyses théoriques conduisent à redouter tout particulièrement en matière de prélèvements sur les entreprises.

Pour autant, des indicateurs plus micro-économiques délivrent un message différent et plus conforme aux intentions concurrentielles qui semblent avoir fondé les baisses des taux légaux d'imposition des sociétés.

1. La réduction des taux légaux d'imposition semble s'être accompagnée, le plus souvent, mais pas systématiquement, d'un allégement de la pression fiscale

Les effets des modifications des taux légaux d'imposition ont varié considérablement selon les pays. Leur traduction en termes de taux effectifs moyens d'imposition n'est pas mécanique.

 

Taux nominaux

Taux effectifs moyens d'imposition

 

1991

1999

Variations

1991

1999

Variations

Allemagne

50/36

25

-25/-11

38

46,1

+8,1

Autriche

30

34

+4

n.d.

n.d.

n.d.

Belgique

39

39

0

45,7

33,1

-12,6

Espagne

35

35

0

34,9

12,1

-22 ,8

France

42

36,4

-5,6

45

50,2

+5,2

Italie

36

36

0

40,4

27,3

-13,1

Pays-Bas

35

35

0

58,4

50,4

-8

Portugal

36

32

-4

39,1

25,9

-13,2

Royaume-Uni

34

30

-4

16,5

19

+2,5

Les changements apportés aux taux légaux de l'impôt sur les sociétés peuvent s'accompagner d'évolutions des taux effectifs moyens d'imposition de sens contraire.

Les baisses de taux intervenues en France, en Allemagne et au Royaume-Uni n'ont pas empêché les taux effectifs moyens de s'accroître dans ces pays. Ce résultat paradoxal traduit l'effet de l'élargissement de l'assiette fiscale, dont on a souligné la concomitance avec les baisses de taux nominaux qui sont intervenues dans ces pays. On rappelle ici que les taux effectifs moyens d'imposition comprennent, non seulement l'impôt sur les sociétés, mais aussi les impôts sur les revenus engendrés par l'activité des entreprises, en particulier l'imposition des entrepreneurs individuels et des dividendes.

2. Les baisses des taux légaux d'imposition, symptômes d'une volonté de concurrence fiscale qui en comporte de nombreux autres ?

Les progrès du « marché unique » européen ont suscité des réflexions parallèles sur l'importance pour des Etats européens de s'entendre sur des règles de coordination fiscale en matière d'imposition des sociétés.

Une attention particulière a été portée aux perspectives d'optimisation fiscale des grandes entreprises et aux régimes dérogatoires appliqués par les Etats.

L'application de fait du principe d'imposition dans le pays de la source, associé à une correction imparfaite des doubles impositions et à la coexistence d'une pluralité de régimes d'imposition dans l'UE, permet aux grandes entreprises de minimiser leurs charges d'imposition.

L'existence de régimes ou, le plus souvent, de pratiques dérogatoires renforce cette éventualité. La Commission en a dénombré plus de 200 et l'étude de l'OFCE analyse certaines des voies d'optimisation fiscale, qu'il s'agisse de profiter des régimes dérogatoires d'imposition des « holdings », de mobiliser les techniques de transferts des bénéfices telle que la technique des prix de transferts, ou encore d'offrir des régimes favorables à l'accueil de sièges sociaux.

Face à cette situation, une certaine réaction s'est produite à l'initiative de la Commission . Mais, force est de reconnaître que le Conseil , c'est-à-dire les Etats membres, qui constituent l'échelon politique des institutions européennes, n'a pas réellement progressé vers l'adoption de solutions.

La Commission s'est engagée dans deux démarches complémentaires pour contenir la concurrence fiscale dans le domaine de l'imposition directe des entreprises. La première a consisté à éliminer les sources de concurrence fiscale déloyale ; la seconde, nettement plus ambitieuse, à proposer plusieurs pistes alternatives d'élimination des pratiques d'optimisation fiscale.

Jusqu'à présent, seule la première démarche a reçu des prolongements au sein du Conseil.

Le Conseil Ecofin de décembre 1997 a adopté une série de mesures destinée à lutter contre la concurrence fiscale dommageable, ainsi que le principe de l'élaboration d'un code de bonne conduite.

Encore doit-on souligner la modestie de la portée de la décision du Conseil.

L'accord entre les pays porte non pas sur la concurrence fiscale elle-même mais uniquement sur les formes déloyales de celles-ci avec une acception assez étroite. Plus précisément, est considéré comme contraire au code de bonne conduite, le fait que subsistent dans un Etat membre des traitements fiscaux préférentiels, c'est-à-dire favorisant une catégorie d'entreprises au détriment des autres.

En revanche, en l'état, le fait qu'un Etat membre pratique une imposition très basse, mais généralisée, n'est pas considéré comme relevant du domaine de la lutte contre la concurrence fiscale déloyale. Enfin, le code de bonne conduite n'est pas contraignant juridiquement .

Dans ce contexte, il n'est pas étonnant que les schémas d'harmonisation proposés par la Commission pour contrer l'optimisation fiscale en matière d'impôt sur les entreprises soient restés jusqu'à présent dépourvus de prolongement au sein du Conseil.


LES QUATRE PISTES PROPOSÉES PAR LA COMMISSION POUR ÉLIMINER L'OPTIMISATION EN MATIÈRE DE FISCALITÉ DES ENTREPRISES

Dans un rapport d'octobre 2001, la Commission propose quatre pistes pour contrer l'optimisation fiscale en matière d'imposition des entreprises.

Elles présentent un « crescendo » en termes d'abandon de souveraineté par les Etats membres.

Première piste : un bénéfice imposable consolidé calculé selon les règles de l'Etat de résidence.

Les sociétés résidentes des Etats membres ont la possibilité de calculer le revenu imposable résultant de leurs opérations dans les Etats membres, selon les règles d'imposition des sociétés de l'Etat membre où leurs quartiers généraux sont installés (l'Etat de résidence). Selon un principe de reconnaissance mutuelle, un Etat membre accueillant un investissement en provenance d'un autre Etat membre participant au système s'engage à accepter les règles de cet autre Etat, l'Etat de résidence, pour la détermination de la base imposable située sur son territoire. Dans ce mécanisme, chaque Etat de résidence administre son propre système et les bénéfices imposables qu'il détermine sont ensuite répartis entre les Etats selon une règle commune, en vue d'y être imposés aux taux en application dans ces Etats.

Deuxième piste : un bénéfice imposable consolidé calculé selon des règles européennes.

Cette fois, les sociétés calculent le revenu imposable lié à leurs opérations dans les Etats membres selon des règles communes établies au niveau de l'UE .

Troisième piste : un impôt sur le revenu des sociétés .

Le bénéfice imposable est calculé selon des règles communes mais le taux d'imposition applicable à cette base est, lui aussi, commun .

Piste 4 : une assiette unique harmonisée de l'impôt sur les entreprises dans l'Union européenne .

Des règles communes président au calcul du bénéfice imposable et remplacent les codes fiscaux nationaux. Ce système nouveau s'applique à toutes les entreprises dans tous les Etats membres et remplace les systèmes nationaux.


On peut souligner que cette forme d'inertie européenne tranche avec les modèles, logiquement plus fédéraux en vigueur en Amérique du Nord. Aux Etats-Unis, par exemple, outre l'impôt fédéral, le système en vigueur en matière d'imposition des sociétés au niveau des Etats , marie les deux concepts de consolidation - regroupement et compensation des bases imposables d'entités juridiquement distinctes d'un même groupe - et de répartition de la base consolidée entre les Etats, pour y être imposée aux taux en vigueur dans ces Etats.

La répartition y repose sur la pondération de trois critères - la propriété, les ventes et la masse salariale -, les poids étant déterminés par l'Etat selon les règles duquel la consolidation est opérée.

En conclusion, il apparaît que le défaut de progrès notables vers une harmonisation coopérative des règles d'imposition des entreprises en Europe constitue une autre face de phénomènes de concurrence fiscale qui, jusqu'à présent peu décelables à partir d'une observation macroéconomique, trouvent dans l'existence de règles nationales à géométrie variable et dans les allégements des conditions d'imposition consentis par les Etats, un terrain fertile et une concrétisation empirique.

3. La France, un espace peu attractif

Comme l'avait déjà souligné le rapport de votre commission des finances consacré à la concurrence fiscale déjà cité, la France présente une attractivité fiscale insuffisante par rapport à ses voisins européens.

a) En France, un taux de taxation élevé

Sur la base du critère du taux implicite de taxation des entreprises 2 ( * ) , la France apparaît comme le deuxième pays le moins bien placé. Elle n'est « précédée » que par l'Italie, pays pour lequel ce ratio n'a qu'une signification limitée en raison du nombre relativement faible d'entreprises assujetties à l'impôt sur les sociétés, du fait des particularités structurelles des entreprises italiennes, souvent individuelles.

Par ailleurs, alors que dans de nombreux pays, une réduction de la pression fiscale est intervenue, la France a parcouru un chemin inverse.

Taux implicites de taxation des entreprises

 

1970

1975

1980

1986

1991

1995

1997

Allemagne

18,9 %

22,4 %

26,9 %

21,2 %

16,5 %

12,0 %

12,7 %

Belgique

26,5 %

41,0 %

43,1 %

27,2 %

24,2 %

29,6 %

32,6 %

Espagne

6,8 %

9,2 %

8,3 %

9,0 %

13,9 %

8,3 %

12,5 %

France

36,1 %

54,9 %

76,1 %

50,4 %

44,6 %

51,4 %

55,1 %

Grèce

1,0 %

2,2 %

3,4 %

5,0 %

6,4 %

9,3 %

10,1 %

Italie

29,1 %

31,4 %

39,9 %

52,7 %

74,7 %

57,9 %

68,0 %

Pays-Bas

20,0 %

32,2 %

26,3 %

20,8 %

22,4 %

21,8 %

29,2 %

Portugal

19,1 %

18,7 %

13,9 %

11,2 %

23,6 %

18,4 %

25,5 %

Royaume-Uni

37,7 %

58,4 %

50,9 %

52,6 %

65,3 %

41,1 %

50,8 %

Source : Economie et Prévision n° 156, 2002-5

« La concurrence fiscale sur le bénéfice des entreprises : théories et pratiques », Bretin - Guimbert - Madiès.


Les enseignements tirés de cet indicateur doivent être considérés avec une certaine prudence en raison des problèmes de méthode évoqués plus haut et de décalages dans le temps entre les recettes et l'assiette prises en compte pour le construire. Les variations de la valeur de cet indicateur d'une année sur l'autre témoignent de la nécessité de croiser les taux implicites de taxation avec d'autres éléments de mesure.

Le recours à des indicateurs microéconomiques , appliquant les législations fiscales nationales à des cas-types d'entreprises, enrichit le diagnostic, même si ces indicateurs construits à partir de données extrêmement difficiles à exploiter doivent être considérés avec prudence, d'autant qu'ils ne reflètent souvent pas une situation générale. Il vient confirmer les handicaps de la France .

Tel est le cas pour les taux effectifs moyens d'imposition des entreprises 3 ( * ) . Ce taux est particulièrement élevé en France.

Taux effectifs moyens d'imposition des entreprises

 

1991

1999

Allemagne

38,0 %

46,1 %

Belgique

45,7 %

33,1 %

Espagne

34,9 %

12,1 %

France

45,0 %

50,2 %

Italie

40,4 %

27,3 %

Pays-Bas

58,4 %

50,4 %

Portugal

39,1 %

25,9 %

Royaume-Uni

16,5 %

19,0 %

Norvège

22,1 %

8,4 %

Suisse

45,9 %

32,0 %

Canada

34,0 %

42,6 %

Etats-Unis

39,1 %

49,2 %

Japon

53,5 %

52,1 %

Maximum

58,4 %

52,1 %

Médiane

40,4 %

33,1 %

Minimum

16,5 %

- 9,6 % 1)

Coeur UE

40,7 %

37,7 %

Périphérie UE

38,7 %

9,5 %

1. Ce taux correspondrait à celui de la Grèce et s'expliquerait par un aménagement du régime d'imposition des dividendes combinant une imposition à taux 0 et le remboursement d'un avoir fiscal.

Source : Bretin (2000).

Une particularité française est de tenir beaucoup moins compte du résultat des entreprises que ses concurrents.

Ainsi, si les prélèvements sont à peu près identiques en France et en Allemagne pour les entreprises bénéficiaires - et comparativement élevés par rapport au Royaume-Uni -, l'Allemagne connaît une législation fiscale mieux adaptée aux performances de ses entreprises.

Taux d'imposition de cas-types d'entreprises (en  % de la valeur ajoutée)
- entreprises bénéficiaires -

 

France

Royaume-Uni

Allemagne

Etats-Unis

Japon

 

New York

Texas

Total des prélèvements hors IS :

3,1

0,6

2,3

1,5

1,4

3,6

- impôt local sur les sociétés

-

-

-

1,4

-

2,3

- taxe professionnelle

2,9

-

2,4

-

-

-

- taxe sur les immobilisations

0,2

0,6

0,2

0,1

1,4

1,3

Impôt sur les sociétés national

4,9

3,6

5,5

4,9

5,0

4,1

Total des prélèvements

8,0

4,2

8,2

6,4

6,4

7,7

- entreprises déficitaires -

 

France

Royaume-Uni

Allemagne

Etats-Unis

Japon

 

New York

Texas

Total des prélèvements hors IS :

3,3

1,0

0,7

0,2

1,2

1,4

- impôt local sur les sociétés

-

-

-

-

-

-

- taxe professionnelle

2,9

-

0,4

-

-

-

- taxe sur les immobilisations

0,4

1,0

0,4

0,2

1,2

1,4

Impôt sur les sociétés national

0,4

-

-

-

-

-

Total des prélèvements

3,7

1,0

0,7

0,2

1,2

1,4

Cette analyse fait l'hypothèse d'un coût salarial identique. Législations 1998.
Source : Fouillat (1999)

Le poids des prélèvements sur les entreprises sans lien avec leurs résultats est particulièrement important en France et explique ces différences.

La considération des coins fiscaux marginaux 4 ( * ) sur le capital confirme ces résultats.

En France, en 1999, le coin fiscal marginal d'un investissement constitué de machines, de bâtiments et de stocks, et financé conjointement par autofinancement, par émission d'actions et par emprunt, est de 2,8 %. Ce coin correspond à l'écart de rendement entre un investissement marginal avant impôt (6,2 %) et après impôt (3,4 %).

Non seulement le coin fiscal marginal est élevé en France mais encore, au contraire de la plupart des partenaires européens, il a connu une augmentation.

Coins fiscaux marginaux sur le capital

 

1991

1999

Variations 1999/1991

Allemagne

1,0 %

1,2 %

+ 0,2 %

Belgique

1,3 %

1,2 %

- 0,1 %

Espagne

1,9 %

2,6 %

+ 0,7 %

France

2,1 %

2,8 %

+ 0,7 %

Grèce

0,2 %

1,1 %

+ 0,9 %

Italie

3,1 %

2,3 %

- 0,8 %

Pays-Bas

2,1 %

2,1 %

0

Portugal

1,3 %

1,0 %

- 0,3 %

Royaume-Uni

2,0 %

2,0 %

0

Norvège

2,3 %

2,0 %

- 0,3 %

Suisse

1,7 %

1,2 %

- 0,5 %

Canada

3,8 %

4,3 %

- 0,5 %

Etats-Unis

3,0 %

2,4 %

- 0,6 %

Japon

2,7 %

2,3 %

- 0,4 %

Source : Bretin (2000).

b) Le point de vue de la localisation des filiales

Enfin, la France est très mal classée dans la hiérarchie des pays fiscalement attrayants pour la localisation de filiales de sociétés-mères situées dans les autres pays européens.

Les taux moyens d'imposition de l'investissement dans une filiale installée en France d'une société-mère localisée dans un autre pays européen sont particulièrement peu favorables à des implantations réalisées sur le sol français.

Classement, en termes de taux effectifs moyens d'imposition, du territoire français au sein de l'UE en fonction du pays d'origine de la société-mère qui décide d'implanter une filiale dans l'un des quinze pays de l'UE

Pays d'origine de la société-mère qui décide d'implanter une filiale dans l'un des pays de l'UE

Classement du territoire français au sein des quinze pays de l'UE susceptibles d'accueillir la filiale

Allemagne

14/15

Autriche

13/15

Belgique

14/15

Espagne

13/15

Finlande

14/15

France

13/15

Grèce

10/15

Irlande

14/15

Italie

14/15

Luxembourg

13/15

Pays-Bas

13/15

Portugal

11/15

Royaume-Uni

14/15

Suède

13/15

Note : les taux effectifs sont calculés à partir de la législation fiscale de 1999 et sur la base d'une hypothèse de rendement de l'investissement égal à 20 %.

Dans le cas où une multinationale, dont la société-mère est italienne, décide d'implanter une nouvelle filiale dans l'un des quinze pays européens, la France arrive en quatorzième position si l'on compare les taux effectifs moyens d'imposition des quinze pays de l'UE susceptibles d'accueillir la nouvelle filiale.

Source : calcul des auteurs.

* 2 Le taux implicite de taxation des entreprises rapporte les prélèvements directs sur les entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés à leur excédent brut d'exploitation.

* 3 Le taux effectif moyen d'imposition des entreprises exprime les prélèvements sur le revenu des entreprises (impôt sur les sociétés + impôts sur les revenus reçus des entreprises), estimé à partir d'un taux de rendement donné.

* 4 Le coin fiscal marginal mesure l'écart entre le rendement avant et après impôt d'un investissement en tenant compte de la fiscalité sur les entreprises mais aussi de la fiscalité pesant sur l'investisseur (fiscalité des dividendes, des intérêts, etc.).

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