Mme Claire Brisset, la Défenseure des enfants, auteur de « Les enfants face aux images et aux messages violents diffusés par les différents supports de communication »

L'institution que je représente a été créée il y a trois ans, à la fois pour recevoir des plaintes individuelles d'enfants dont les droits n'auraient pas été respectés et pour étudier les problématiques d'ensemble qui peuvent affecter la vie des mineurs dans notre pays. C'est à ce titre que Monsieur Perben m'a demandé de rédiger un rapport sur l'impact sur leur comportement et leur développement de la violence dans le paysage qui environne nos enfants. Rappelons ici que la télévision n'est qu'un des éléments du « bain » audiovisuel et culturel dans lequel sont plongés les enfants.

Cette enquête s'est déroulée sur six mois, durant lesquels nous avons auditionné 98 personnes : des professionnels de l'audiovisuel, des parents, des psychiatres et pédopsychiatres.

Beaucoup de conclusions de ces auditions rejoignent les propos de Madame Kriegel.

Avec étonnement, nous nous sommes aperçus que concernant ce domaine, nous sommes dans un véritable désert épidémiologique ! Mises à part quelques études remarquables, ou des enquêtes réalisées outre-Atlantique, donc difficilement extrapolables à notre culture, aucune étude de vaste ampleur n'existe sur cette question de l'impact.

De nos rencontres avec les psychiatres, il ressort qu'il est difficile d'établir des causalités linéaires entre ce que les enfants voient ou entendent et ce qu'ils font ensuite. Les causalités sont, en fait, multifactorielles.

Par ailleurs, nous savons que 15 % des adolescents se trouvent en situation de très grande fragilité qui peut se traduire par des comportements auto ou hétéro-agressifs. Ce sont ces enfants-là dont il faut se soucier.

Sont essentiellement en cause ici la violence et la pornographie, dont d'ailleurs tous nous ont dit qu'elle était aussi une réelle violence. Elle est une effraction dans un imaginaire encore insuffisamment construit.

Nous avons rencontré aussi des magistrats dont certains s'occupent de jeunes ayant commis des actes qui les ont placés en conflit avec la loi. Pour un certain nombre de ces derniers, les actes commis sont littéralement scénarisés, notamment dans le cas de viols en réunion, de « tournantes ». Les magistrats signalent que la criminalité sexuelle est en augmentation et, surtout, en plein « rajeunissement », si l'on peut dire.

Les conditions de réception de ces images pornographique et/ou violentes sont très importantes. Les violences apportées par l'actualité, dont nous sommes abreuvés depuis le 11 septembre et dont nous allons être abreuvés dans les prochains jours, le sont en général en présence d'adultes, donc dans un contexte qui permet une sorte de « déminage » des images. Mais les images pornographiques ne sont pas visionnées dans un tel contexte : ce sont des images brutes et en général muettes, donc sans interprétations possibles.

J'apporterai quelques points de conclusion de notre étude.

Nous ne pouvons pas ne pas nous interroger sur la sous-utilisation du concept juridique extrêmement précis qu'est l'atteinte à la dignité humaine. Cette notion de droit existe dans la loi sur l'audiovisuel et dans un certain nombre de traités que la France a ratifiés. Il est regrettable que ce concept ne soit pas plus utilisé par le CSA par exemple, pas seulement dans le contexte de la violence ou de la pornographie, d'ailleurs, mais aussi dans certains cas de télé-réalité.

La signalétique, qui s'est améliorée, reste insuffisante, en particulier dans les programmes de télévision publiés par les journaux.

Le double cryptage est un progrès, mais lui aussi insuffisamment utilisé. Tant que son utilisation ne sera pas généralisée restera posé le problème de l'accès direct des enfants et des mineurs à des programmes de violence et de pornographie.

Enfin, il est impossible de continuer à travailler comme nous le faisons, « à l'aveugle », sans une vaste enquête épidémiologique, que les pouvoirs publics pourraient commander à l'INSERM par exemple. Nous sommes finalement dans un désert épidémiologique et dans un maquis institutionnel.

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