CHAPITRE II

LES RÈGLES DU PACTE DE STABILITÉ ET DE CROISSANCE SONT-ELLES
ÉCONOMIQUEMENT FONDÉES ?

Le pacte de stabilité et de croissance devrait traduire une vision claire et adaptée de la discipline budgétaire nécessaire à une union monétaire. Votre Délégation a estimé dans son rapport précité que tel n'était pas encore le cas, la cohérence du PSC étant affectée d'un vice originel que les différentes versions du Code de conduite censées en guider l'application ont aggravé .

Les intervenants du colloque ont, quant à eux, presque unanimement diagnostiqué un problème de pertinence économique du PSC ; mais ils se sont séparés par leur diagnostic et par la teneur de leurs propositions de réforme.

Votre Délégation tient, en préambule, à rappeler ses propres suggestions qui lui semblent dessiner une voie moyenne et réaliste entre les solutions envisagées par les experts.


LA POSITION DE VOTRE DÉLÉGATION

Par rapport à la situation actuelle, caractérisée par la coexistence problématique d' une règle dure de prohibition des déficits excédant 3 points de PIB et d'une règle molle , et de plus en plus confuse , d'un « retour à l'équilibre voire à l'excédent » du solde nominal , votre Délégation recommande de réorganiser la discipline budgétaire en clarifiant les règles et en les adaptant aux problèmes économiques auxquels doivent pouvoir répondre les politiques budgétaires en Europe.

A un pacte de stabilité et de croissance de moins en moins crédible et au fonctionnement plutôt néfaste pour l'économie européenne, votre Délégation recommande de substituer la règle des trois soldes .

Elle consisterait d'abord à déterminer un plafond permanent de déficit structurel . Un plafond de 2 points de PIB paraît approprié pour concilier la maîtrise structurelle de la dette publique, qui serait progressivement allégée si les Etats respectaient cette règle, et la dynamique de l'investissement public.

Ce plafond de déficit structurel serait complété par la définition de critères de solde nominal à géométrie variable .

Ils seraient définis par le Conseil, sur proposition de la Commission, en fonction de la situation conjoncturelle prévisible et d'un objectif clair d'évolution de la dette publique. La définition de ces objectifs serait encadrée de deux manières : aucun Etat ne pourrait se voir contraint au cours d'une année d'améliorer son solde structurel de plus de 0,5 point de PIB ; une limite absolue de déficit nominal serait posée qui serait fixée à 5 points de PIB, sauf événement exceptionnel.

Dans un tel système, il existerait non plus un « déficit excessif », mais trois « soldes excessifs ». Deux d'entre eux seraient intangibles : un déficit structurel excédant 2 points de PIB ; un déficit nominal excédant 5 points de PIB. Le dernier solde, le solde nominal imposé dans les limites précédemment indiquées à chaque Etat, varierait, quant à lui, en fonction des perspectives économiques .

Les travaux de votre Délégation l'ont conduite à estimer qu'à partir d'un pacte de stabilité et de croissance initial qui pouvait être considéré comme exempt d'erreur manifeste d'appréciation, une dérive s'est produite, favorisée par l'imprécision des règles adoptées et les failles logiques potentielles du PSC initial.

Cette dérive s'est accentuée à mesure de l'adoption successive de Codes de conduite qui, non seulement traduisent une exacerbation des contradictions du PSC, mais, plus grave encore, comportent des atteintes aux règles initiales du PSC et, par ricochet, à des principes politiques essentiels, la souveraineté nationale et la démocratie représentative.

I. DES RÈGLES À LA COHÉRENCE IMPARFAITE

On présente le pacte de stabilité et de croissance comme un ensemble cohérent de règles avec, d'un côté (le règlement n° 1466/97) un mécanisme de prévention des déficits excessifs et, de l'autre (le règlement n° 1467/97) un mécanisme de prohibition-sanction des déficits excessifs. Il existerait une relation logique entre le mécanisme de prévention et celui de prohibition-sanction en ce sens que le premier constituerait une garantie contre une violation du second. En effet, la règle imposant une position équilibrée voire excédentaire des comptes publics permettrait d'éviter, en cas de situation économique défavorable, la survenance d'un déficit excessif.

Cette présentation est apparue trop flatteuse à votre Délégation qui a souligné tout particulièrement deux faiblesses de cet ensemble, susceptibles d'en affecter sérieusement l'équilibre :

- les propriétés asymétriques du pacte ;

- les contradictions entre les différents « piliers » du pacte.

A. LES PROPRIÉTÉS ASYMÉTRIQUES DU PACTE

1. Un diagnostic divergent

Plusieurs intervenants ont abordé le problème de « l'asymétrie » du pacte.

Sous les réserves exprimées précédemment, elle se manifeste d'abord juridiquement par le contraste entre la rigueur apparente de la règle prohibant et sanctionnant les déficits excessifs et la règle de retour à l'équilibre, voire à l'excédent, qui, elle, ne fait l'objet d'aucune sanction, positive ou négative.

Ce constat, difficile à récuser et, par conséquent, unanimement partagé, a trouvé des prolongements qui, quant à eux, sont moins consensuels.

La discussion a porté sur la dimension économique de l' asymétrie du pacte.

Pour certains intervenants, il conviendrait de renforcer la discipline budgétaire dans les phases d'expansion . Cette proposition met l'accent sur l'insuffisante portée de la règle de retour à l'équilibre voire à l'excédent, formulée dans le premier règlement. Il faudrait remédier à cette situation afin d' éviter que les Etats ne conduisent des politiques procycliques en période de forte croissance , mais aussi pour prévenir le dépassement du plafond constitutif de la survenance des déficits excessifs tout en permettant aux Etats de pratiquer des politiques de stabilisation budgétaire dans les phases de ralentissement économique.

Cette position a été particulièrement développée par Jean PISANI-FERRY et Marco BUTI . Tous deux ont illustré leur analyse par l'épisode de la « cagnotte ».

Jean PISANI-FERRY :

« Les principes, les règles, ce que nous disons devoir être au centre du système, ne font pas l'objet d'une appropriation suffisante. Tout cela conduit à donner des signaux aux différents Etats qui ne sont pas nécessairement les bons signaux, qui sont même, éventuellement, de mauvais signaux, des signaux pervers et effectivement la règle des 3 % a fonctionné comme un signal pervers , en 2000-2001, en France. Nous avons eu l'impression que parce que le solde s'éloignait du seuil des 3 % les choses allaient bien alors que, fondamentalement, en termes structurels elles n'allaient pas si bien que cela.

Le débat sur la « cagnotte » me semble avoir parfaitement illustré le fait que nous avons confondu le fait de s'éloigner de 3 % et le fait d'être proches de l'équilibre budgétaire ... »

Marco BUTI :

« Le comportement procyclique n'est pas lié directement au Pacte de Stabilité, c'est une tendance inhérente dans le fonctionnement des systèmes et dans les décisions des politiques économiques. Quel est le système ? C'est l'exemple de la « cagnotte » qui a été donné ici. Quand on est candidat à l'élection présidentielle, ici ou dans d'autres pays, qu'est-ce qu'on fait ? On promet de baisser les impôts une fois que la croissance sera là. On se comporte de façon inhérente, de manière procyclique. Qu'est-ce que l'on fait quand les choses vont mieux ? Il est difficile de résister à la pression pour distribuer l'argent. Cela ne signifie pas que le Pacte de Stabilité ne pose pas un problème, mais il n'a pas corrigé cette tendance procyclique. Je vais revenir à cela dans les propositions et dans les hypothèses de modifications possibles du Pacte de Stabilité. »

Sans récuser entièrement cette analyse, Jean-Paul FITOUSSI nous semble avoir défendu la thèse selon laquelle le pacte comporterait en soi un biais restrictif qui constituerait l'aspect le plus indésirable de l'asymétrie du mécanisme. L'existence même d'une règle stigmatisant les déficits publics excédant 3 points de PIB tendrait à configurer les politiques budgétaires dans un sens restrictif. Même si ce point n'a pas été totalement développé, il est possible de le résumer comme résultant des arguments suivants :

- le respect de la limite de 3 % impose d'être toujours proche de l'équilibre structurel des comptes publics ;

- cet équilibre structurel n'est, en soi, pas optimal dès lors qu'il suppose d'autofinancer l'investissement public ;

- en outre, il ne laisse comme marge de politique budgétaire que le jeu des stabilisateurs automatiques qui peut être insuffisant si la stimulation en période de ralentissement économique appelle une activation plus nette de la politique budgétaire, ou nocif si le comblement de l'écart négatif de croissance accumulé dans les phases de faible croissance est gêné en période d'expansion par les stabilisateurs automatiques.

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