C. LA NÉCESSITÉ D'UNE RELANCE DE LA DIFFUSION DE LA CULTURE SCIENTIFIQUE ET TECHNIQUE

Votre mission d'information a rencontré de très nombreuses personnalités qui exercent, à des titres divers, une action de diffusion de la culture scientifique et technique, soit à titre permanent, soit à titre occasionnel, et qui sont ainsi à même, par le contact qu'elles entretiennent avec le public, de percevoir les évolutions qui affectent l'image de la science et des scientifiques dans l'opinion publique.

Les conclusions qu'elles tirent de cette expérience concrète méritent d'être mises en perspective avec les enquêtes d'opinion qui ont pu être réalisées soit à l'échelle nationale, soit à l'échelle de l'Union européenne :

- l'enquête réalisée par la SOFRES entre le 15 et le 17 novembre 2000 pour le compte du ministère de la recherche ;

- l'enquête eurobaromètre réalisée en décembre 2001 à la demande de la direction générale de la recherche de la Commission européenne.

1. Un changement dans le statut des sciences et des techniques

Plusieurs des personnes auditionnées ont insisté sur le fait que le statut des sciences et des techniques et la façon dont elles sont perçues par l'opinion ont considérablement changé depuis une trentaine d'années.

Tout d'abord, la science elle-même est en pleine mutation. L'extension du champ des connaissances a encore accentué la spécialisation des chercheurs qui doivent maintenant s'attacher à des thèmes de recherche de plus en plus pointus.

Simultanément, la recherche s'attache en outre à des objets de plus en plus complexes et aboutit au terme de cheminements abstraits faisant une place croissante à la modélisation, à des assertions parfois déroutantes pour le sens commun et l'intuition sensible.

En même temps, le nombre d'entreprises innovantes qui, à partir de recherches fondamentales ou appliquées, lancent de nouveau produits sur le marché, s'accroît. Le raccourcissement des délais de mise sur le marché de produits nouveaux, à partir d'innovations, est caractéristique des dernières décennies. Les jeunes s'en réjouissent et, souvent, les moins jeunes le déplorent.

Enfin, la recherche scientifique touche à des domaines qui intéressent de plus en plus directement le destin des individus et l'avenir de l'espèce humaine. Les effets de l'industrie et certaines applications (clonage, manipulations génétiques, réchauffement de la planète, radiations et rayonnements divers, électromagnétiques, électroniques ou ioniques) inquiètent parfois à juste titre. Et l'on confond la science et l'usage immodéré des techniques et des produits : automobiles, transports...

Il en résulte un glissement dans la vision que nos contemporains ont de la science : celle-ci n'est plus assimilée au progrès dans une vision positive qui avait largement cours il y a trente ans, mais relève d'une perception plus ambiguë.

Les enquêtes d'opinion confirment ces impressions.

Le sondage réalisé par la SOFRES montre que la capacité de la science à contribuer à la connaissance n'est pas remise en cause : au contraire, 70 % des personnes interrogées souscrivent à l'opinion selon laquelle « la connaissance scientifique pourra toujours continuer à progresser » et récusent la perspective pessimiste qui voudrait quelle finisse « par se heurter à des obstacles insurmontables ».

En revanche, l'optimisme quant aux retombées du progrès scientifique et technologique s'érode : si 67 % des personnes interrogées considèrent que celui-ci a contribué, en vingt ans, à une amélioration des conditions de vie, seuls 42 % des sondés estiment que cette influence positive se poursuivra dans les vingt prochaines années, soit moins d'une personne sur deux.

Le sondage eurobaromètre vient compléter et affirmer la perception de cette évolution des esprits qui affecte l'ensemble des pays de l'Union européenne, et vraisemblablement l'ensemble des pays industrialisés.

Celui-ci montre que l'opinion européenne conserve encore largement sa confiance à la science dans la lutte contre la maladie : 80,5 % d'entre eux estiment qu'elle devrait permettre un jour de guérir le cancer ou le SIDA. Lorsqu'on les interroge sous un angle plus général, plus de 70 % des européens estiment que « la science et la technologie rendent nos vies plus saines, plus faciles et plus confortables », mais ce constat optimiste et en partie rétrospectif est tempéré par le fait que seulement la moitié des personnes interrogées (50,4 %) estiment que les bienfaits de la science sont plus importants que les effets nuisibles qu'elle pourrait avoir, alors qu'une personne sur quatre (24,2 %) est d'avis contraire, et une personne sur quatre ne se prononce pas (25,4 %).

On constate ici une confusion entre les progrès scientifiques et l'usage que l'on en fait, confusion qui souvent existe dans l'esprit des sondeurs et de leurs commanditaires, car leur propre culture est insuffisante.

Il est d'ailleurs à relever que la comparaison de ces résultats avec ceux du sondage de 1992 montre une dégradation sensible de la perception du bilan de l'activité scientifique : dans la précédente enquête, 61,2 % des personnes interrogées estimaient que les bienfaits de la science l'emportaient sur les effets négatifs.

En revanche, une majorité de personnes interrogées estiment que la science et la technique n'aideront pas à éliminer la pauvreté (52 %), que « l'automation ne créera pas à terme plus d'emplois qu'elle n'en élimine » (54,1 %) et que la science et la technique ne peuvent résoudre tous les problèmes (72,8 %). Ces réponses montrent que l'attitude scientiste, courante au XIXe siècle, n'a plus cours aujourd'hui. Nos contemporains sont conscients que la science et la technologie ne peuvent à elles seules constituer des remèdes absolus. Seul le bon usage, donc les règles établies par les régulateurs et pouvoirs politiques, permettent d'éviter les dérives.

Les responsables de la réalisation de cette enquête lorsqu'ils analysent les variations enregistrées dans les réponses en fonction du niveau culturel, notent d'ailleurs :

- que les réponses sont d'autant plus positives que le niveau culturel ou de connaissances est élevé, pour les propositions qui ont trait aux champs d'action ponctuels de la science (par exemple, la lutte contre les maladies) ;

- qu'en revanche, l'idée d'une toute puissance de l'institution scientifique est d'autant plus rejetée que le niveau culturel est élevé.

Les réponses apportées à une autre série de propositions montrent que l'opinion européenne a, dans l'ensemble, une bonne perception du rôle central de la recherche et de l'innovation dans le dynamisme de l'économie : 84,4 % des personnes interrogées estiment en effet que la science et la technologie jouent un rôle important dans le développement industriel (contre 6,1 % d'avis contraires, et 9,5 % sans opinion), et 83,2 % d'entre eux estiment que la recherche scientifique fondamentale est essentielle pour le développement des nouvelles technologies (contre 5 % d'avis contraires et 11,8 % sans opinion).

En revanche, le fait que 61,3 % des personnes interrogées estiment que « la science change trop rapidement nos modes de vie » semble traduire un sentiment de peur ou, à tout le moins, une réticence à l'égard d'un développement scientifique et technique peut-être davantage subi que compris et accepté, tout du moins par une partie de la population, ce que confirme une analyse plus fine de l'enquête qui montre que cette défiance est davantage le fait de personnes plus âgées, moins diplômées et dotées d'un faible capital de connaissances scientifiques.

2. Une culture scientifique, technique et industrielle insuffisante

Ces mêmes enquêtes d'opinion montrent que le public français, tout comme le public européen, ne s'estime pas suffisamment informé des questions scientifiques.

Dans le cadre de l'enquête réalisée par la SOFRES, seules 44 % des personnes interrogées ont estimé disposer de suffisamment d'informations dans la presse écrite (contre 42 % d'avis contraires) ; ce pourcentage tombe à 34 % pour la télévision (contre 62 % d'avis contraires) et à 29 % pour la radio (contre 58 % d'avis contraires).

Internet, malgré les importantes ressources qu'il est à même de proposer, semble encore mal connu du public français puisque, en ce qui le concerne, c'est le pourcentage de personnes sans opinion qui l'emporte de très loin (58 %).

L'enquête eurobaromètre s'est efforcée de mesurer le degré d'information et d'intérêt des européens dans cinq domaines. Au total, c'est en matière de sport que les personnes interrogées s'estiment le mieux informées (57 %) avant la culture (48,5 %) et la politique (44,3 %). En revanche, seul un tiers des européens interrogés se disent informés en matière de science (33,4 %) et d'économie (31,9 %).

La hiérarchie déclarée en matière de centres d'intérêt traduit en revanche un décalage : si le sport et la culture suscitent également de forts degrés d'intérêt (respectivement 54,3 % et 56,9 %), la science arrive cette fois en troisième position (45,3 %) devant la politique (41,3 %) et l'économie (37,9 %).

Une analyse plus fine montre que l'intérêt pour les sujets évoqués tend à croître en fonction de l'âge de fin d'études. Mais cette règle se vérifie plus encore lorsqu'il s'agit de science et de technologie : 30 % de ceux qui ont arrêté leurs études précocement, à 15 ans, déclarent un intérêt pour la science contre 61 % pour ceux qui ont poursuivi leurs études au-delà de l'âge de 20 ans. Quel que soit l'âge de fin d'études, les femmes déclarent moins souvent que les hommes s'intéresser à la science (39,6 % contre 51,5 %).

Enfin, les pays qui manifestent les pourcentages les plus élevés d'intérêt pour la science et la technologie sont, pour l'essentiel, ceux au sein desquels les systèmes d'éducation produisent le plus de diplômés de l'enseignement supérieur : Suède (64,3 %), Danemark (60,9 %), Pays-Bas (58,9 %) et France (54 %).

On note, à l'inverse, des faibles degrés d'intérêt dans des pays tels que l'Irlande (31,6 %) ou le Portugal (37,9 %). Mais cette règle souffre des exceptions : celle de la Grèce où les pourcentages d'intérêt pour la science se situent à un niveau particulièrement élevé (60,9 %) et, à l'inverse, celui de l'Allemagne.

L'écart qui existe entre le pourcentage de personnes qui se déclarent intéressées par la science et la technologie (45,3 %) et ceux qui se déclarent bien informés (33,4 %) témoigne de l'existence de gisements d'une curiosité non satisfaite à laquelle il serait coupable de ne pas chercher à répondre .

3. La confirmation de l'existence d'une curiosité latente : le succès de « l'Université de tous les savoirs »

Le succès qu'ont rencontré certaines initiatives novatrices comme « l'Université de tous les savoirs » confirme qu'il existe dans notre pays une très forte curiosité latente à l'égard des progrès des connaissances scientifiques qui ne demande qu'à se manifester pour peu que l'on sache faire preuve d'imagination et proposer des projets de qualité.

a) Un projet ambitieux et novateur conçu dans le cadre de la célébration de l'an 2000

« L'Université de tous les savoirs » est issue d'une idée de M. Jean-Jacques Aillagon qui, dès 1997, avait estimé qu'il convenait d'inscrire le savoir dans la célébration de l'an 2000. Il a, en conséquence, chargé un philosophe, M. Yves Michaud, de concevoir un cycle de 366 conférences permettant de tracer un panorama des sciences, des techniques et des productions de l'esprit à l'aube du IIIe millénaire.

Inauguré le 1 er janvier 2000 par le Professeur François Jacob, devant un auditoire de 1 500 personnes, ce cycle de conférences, données par les plus grands spécialistes, a drainé un large public.

Devant le succès de ce premier cycle de conférences, il a été décidé, pour répondre à la demande du public et des intervenants, de relancer ce projet en créant une association intitulée : « l'Université de tous les savoirs... : la suite ». Dans ce cadre a été organisée une série d'une vingtaine de conférences données tout au long du mois de juillet 2001 dans les locaux de l'Université René-Descartes sur des sujets d'ordre scientifique ; ce cycle a été complété par une série de conférences hebdomadaires qui se sont échelonnées entre octobre 2001 et juin 2002 sur des sujets variés : l'esprit, les nanotechnologies, la guerre d'Algérie, le sport...

b) Un projet de haute tenue, conduit par une équipe légère, dotée de moyens modestes

Il convient de s'arrêter sur les caractéristiques de ce projet qui sont à même d'expliquer un succès qui a sans doute dépassé les attentes de ses propres organisateurs.

• Il s'agit tout d'abord d'un projet ambitieux conduit avec méthode , et faisant appel à des intervenants de haute qualité .

La programmation et le choix des intervenants se sont effectués après une vaste consultation menée auprès du monde scientifique et des grandes institutions de recherche ainsi que des grandes entreprises dotées de services de recherche. Les suggestions ainsi recueillies -environ 1 700 sujets- ont ensuite fait l'objet d'une sélection et d'un ordonnancement, de façon à couvrir aussi largement que possible le champ du savoir.

Le choix des conférenciers ne s'est pas opéré sur le critère de leur notoriété, mais en fonction de leurs spécialités.

• L'organisation de l'Université de tous les savoirs a reposé sur une équipe légère , dotée de moyens financiers réduits .

Le financement du cycle de conférences données en 2000 a été imputé sur le budget de la « mission pour l'an 2000 » et a bénéficié d'un soutien de Sanofi-Synthélabo ; le conservatoire des arts et métiers, partenaire de l'opération, a prêté chaque jour un amphithéâtre.

La reprise des conférences en 2001-2002, qui répondait à la demande du ministère de l'éducation nationale, a bénéficié d'un soutien de 2 millions de francs en provenance de ce ministère et de l'Université de Paris V qui a également mis à leur disposition un amphithéâtre de 1 000 places ; en 2002, le groupe Generali s'est engagé à consacrer au projet une enveloppe de 100 000 euros sur trois ans.

Le projet d'Université de tous les savoirs s'est également appuyé sur une politique de communication active, utilisant des moyens publicitaires -campagne d'affichage dans le métro, annonces dans la presse et à la radio- pour toucher un public aussi large que possible.

c) Un important retentissement

Ces conférences ont touché un public étoffé : 600 personnes, en moyenne, pour les conférences de l'année 2000 ; 750 à 850 personnes en moyenne pour le cycle de l'année 2001-2002, avec dans les deux cas des pointes à 1 500 personnes. Certaines de ces conférences ont été étendues à de grandes villes de province, et notamment à Lille.

A ce public, physiquement présent, s'est ajouté le public virtuel de ceux qui ont suivi des conférences en direct à la radio, sur France Culture (15 000 auditeurs environ) ou sur Internet (un million d'internautes). Ces conférences ont en outre fait l'objet de retransmissions sur France 5 et Planète futur.

Par la suite, les éditions Odile Jacob ont publié le texte de ces conférences, après un reformatage qui s'est traduit par une légère réduction de leur longueur.

La composition du public qui assistait à ces conférences mérite d'être analysée, car elle bouleverse certaines idées reçues.

Le public de ces conférences était représentatif de la stratification par âge de la société française, avec un équilibre dans la répartition des hommes et des femmes. Celles-ci étaient parfois plus nombreuses pour les conférences portant sur des sujets scientifiques, ce qui contredit le préjugé qui prétend que les femmes seraient « par nature », moins portées à s'intéresser aux sciences.

Dans l'ensemble, il s'agissait d'un public assez diplômé, comportant de nombreux professeurs de l'enseignement secondaire, animés par la curiosité intellectuelle et la volonté de mettre à jour leurs connaissances.

Il est également à noter que ce sont les sujets scientifiques et techniques qui ont attiré le plus de monde.

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